Il observait la fumée monter silencieusement dans l’atmosphère et pollué à petit feu son air. Si ce n’était pas ses migraines continue qui l’achevait, se serait un cancer! Ce n’était pas non plus comme s’il y avait seulement songé. Il avait plutôt trouvé pénible de devoir se résoudre à s’en passer au cours de ses quelques séjours avant le 16e siècle pour l’unique raison que le tabac n’existait pas en Europe, ses voyages se concentrant principalement dans cette région du monde. Et maintenant, ses vêtements étaient imprégnés de cette odeur qu’il n’aimait pourtant pas. S’il s’était égaré à l’occasion dans des substances rendant son esprit nébuleux, il s’était promis de ne plus tenter le coup : ça n’avait fait qu’aggraver le cas et il avait tout particulièrement détesté être brutalement transféré d’une époque à l’autre alors qu’il était sous l’emprise de l’illégalité. Ce n’était, avouons-le, pas la plus brillante des idées qu’il avait eu!

Il ne remarqua pas l cigarette qui se consumait toute seule entre ses lèvre alors qu’il s’égarait, pour ne pas faire changement à ses habitudes, entre deux mondes, souvenirs divisés et qu’il ne pouvait assembler puisqu’ils n’avaient aucun lien entre eux. Aucun, mis à part peut-être le voyage lui-même qui était identique à chaque occasion… mal de tête, étourdissement, néant total, parfois occasionné d’un flash de lui-même lorsqu’il reprenait ses esprits. Mais rien ne différait jamais vraiment. Le temps que ce phénomène prenait était parfois plus ou moins long. Il avait constaté que sa fatigue ou le moment de la journée jouait habituellement sur le temps qu’il mettait à changer d’époque. Rien d’inquiétant. Ça faisait déjà plusieurs jours qu’il trainait dans les parages sans signe avant-coureur. Il conclue qu’il passerait un certain temps à errer en 1970.

Alors qu’il laissait finalement tomber le mégot à même le sol, il se surprit à repenser à ses jeunes années en Grande-Bretagne dans les champs magnifiques du seul voisin que sa famille avait. Il se surprenait encore plus à constater à quel point il avait changé, lui, depuis son premier voyage dans le temps, celui qui le força à quitter ceux qu’il aimait pour ne plus les revoir… du moins pas de la même manière. Lorsqu’il était revenu en 1912 pour la première fois, il avant plus de vingt ans. C’était quelques jours après qu’il se soit volatilisé dans le décor. Personne ne pourrait penser que le gamin étourdit, bavard et insouciant qu’il était à l’époque était un homme d’une vingtaine d’années, à présent.

Perturbé, il se secoua et quitta le banc de parc où il s’était posé il y a plus d’une heure de ça. Il ne gênait personne, au moins… pour une fois. À croire que dernièrement, il ne faisait que s’attirer catastrophe par-dessus catastrophe. Il songea plutôt que le temps qu’il s’était donné était presqu’écoulé. Après une semaine, effectivement, il commençait à chercher un moyen de survie autre que le vol continue d’argent ou de vêtements (qu’il faisait normalement dès son débarquement.) Le hic, en fait, était qu’il avait déjà visité cette année précise de 70… mais pas exactement au même moment. Il s’était alors trouvé un emploi dans une industrie quelconque… en hiver. Il s’était dit qu’il attendrait jusque là, pour effacer les preuves d’il ne savait trop quoi, et éviter d’attirer trop l’attention sur lui.

Il glissa une main froide dans le fond de sa poche et soupira. Relevant la tête, il repéra rapidement quelques individus susceptibles d’être intéressant et au portemonnaie sans doute sur le point de craquer. Il s’apprêtait à fendre la folle d’une main subtile, mais s’arrêta dans son geste en se mordillant la lèvre inférieure. Il n’était pas un fauteur de trouble et encore moins un voleur… mais… mais l’estomac qui le torturait l’obligeait presque à reprendre ce qu’il entreprenait. Bien qu’il n’en avait pas forcément bonne conscience. Jurant mentalement, il s’avança dans la foule grouillante de la grande ville lumière. Trop hésitant, il s’agaça lui-même jusqu’à arrêter un piéton, trop exaspéré de son propre comportement d’imbécile (mal)heureux.

-Je sais! Ne dites rien! Je ne suis pas un clown ou furieux sorti de l’asile psychiatrique! (Évidemment, avec l’air pathétique, ça ne l’aidait pas.) Mais… vous n’auriez pas un peu de sous? Avec tout ce que me coute cette maudite université du diable, je n’en ai plus un pour… NON D’UN TRACTEUR! REVIENS ICI!

Quand un voleur se fait voler, il n’y a décidément rien de plus ironique. Hannibal oublia rapidement le piéton qu’il venait d’interrompre pour filer à toute jambe derrière l’autre en criant des insultes toutes plus inhabituelles les unes que les autres à croire qu’il ne savait pas jurer comme il se le fallait. Au tournant d’il ne savait quelle rue, il percuta de plein fouet quelqu’un d’autre, perdant du même coup sa cible de vue et s’étalant littéralement à même le sol bétonné.

-PAUVRE POULPE! Lança-t-il à court d’insultes pour la journée. Il pique mon… AH! Laissez tomber. Vous ne pouviez décidément pas être plus dans mon chemin.

Il grommelait, se calmant rapidement toutefois, en réalisant qu’il criait si fort que tout le quartier lui lançait un regard en biais. Se redressant tant bien que mal, il oublia un peu ses genoux brulant et écorchés vifs. Décidément, il ne connaissait pas ce qu’était une journée chanceuse.

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