-Oui?

Voix sèche, un peu fatiguée. Il avait saisit le combiné du téléphone dès la première sonnerie. Quelques mots échangés à l’autre beau du fil, il garda le silence plusieurs minutes, se préparant une espèce de sandwich peu appétissant. Non pas qu’il ne se débrouillait pas en cuisine, mais simplement qu’il était tout sauf doué et qu’il n’avait surtout pas de talent culinaire. Il avait pris une première bouchée avant de se dire que c’était absolument dégueulasse.

-Entendu.

Toujours froid, il raccrocha d’un seul coup. Entrainant son sandwich, il le laissa tomber dans la poubelle pour filer se changer dans sa chambre. Ce n’était pas tous les jours qu’il recevait d’appel important. Pour tout dire, ceci faisait plusieurs mois qu’il ne recevait plus rien. L’agence avait-elle entendu parler de son état? Il avait supposé que oui, même s’il leur avait assuré qu’il était toujours le même, se mentant à lui-même. Tout ce qui leur importait, c’était son efficacité, après tout. Ses sautes d’humeurs ne les concernaient pas. Et qu’importait? Tant qu’il était apte à agir, tout allait bien, n’est-ce pas?

Il se massa l’épaule, sentant les muscles raides et difficiles à mouvoir. Ça lui avait pris des mois avant de parvenir de nouveau à le bouger correctement, et plus longtemps encore à cicatriser. Vêtements sombres, dans les tons de gris et de noir, Jayden sorti de l’appartement. Marcher à pieds lui ferait le plus grand bien. Bien que l’odeur des gaz industriels de la ville n’était pas ce qui lui plaisait plus. Le moindre pétard ou éclat de lumière semblait attirer son attention. C’était sans doute l’une des rares occasions où il sortait de son chez lui depuis son retour en ville. Il s’était cloitré chez lui tel un ermite, terrifié par le monde extérieur, en transe pour se ressourcer, se retrouver. Ceci semblait avoir eu l’effet approprié : il était devenu un bloc de glace, un être fragilisé de l’intérieur qui refusait de le laisser paraître. Parfois, il avait l’impression d’entendre encore hurler, d’entendre siffler les balles à son oreilles. Il revoyait continuellement le jeune visage, surtout, et son regard entre terreur et besoin de survivre. Il sentait encore l’odeur du sang d’inconnus sur ses vêtements, son visage et dans ses cheveux.

Pris d’un haut-le-cœur, il s’arrête, respira un bon coup et secoua la tête. Hors de question de laisser ça remonter à la surface. Pas maintenant. Pas ce jour-là. Il reprit contenance et accéléra le pas, se concentrant sur son objectif du jour. C’était comme autre fois, avant. Il n’avait pas fait cela si souvent, mais c’était quelque chose dans lequel il excellait. Travailler d’équipe pour abattre un de ces monstres qui pollue ce monde devenu merdique. Cette fois, c’était, semblait-il, une histoire gouvernementale. Des preuves avaient été déposées sur le tapis. Il ne restait qu’à trouver et abattre sans scrupule, bien que ce n’était pas dans ses habitudes.

Les grandes portes de l’église se présentèrent bientôt devant lui. Il détestait cet endroit pour y être venu trop souvent. Sept fois exactement. Sept fois pour sept hommes différents qu’il avait appréciés, aimé comme de vrais amis et qu’il avait pourtant entrainé vers la mort. Ce lieu le rendait nostalgique. Il entra discrètement, observant toujours autour de lui. À l’intérieur, très peu de monde. Il cherchait simplement celui qu’il devait rencontrer et alla s’installer au banc prévu à cet effet, attendant un instant, fixant son regard sur le livre divin qu’il avait sous les yeux, songeant qu’il n’y avait pas de dieu et que les religions étaient bidons. Elles faisaient faire croire n’importe quoi à n’importe qui. Et surtout, elles leur faisaient faire des choses parfois tout à fait inhumaines.

Entendant quelques sons non loin de lui, il garda les yeux rivés et attendit que les pas ne se rapproches de lui avant de murmurer, quand même assez fort mais pas trop :

-Je n’aime pas les débutants, je te préviens.

Son ton froid était radical, mais pas méchant.

Son regard suivait machinalement la forme des lettres apparaissant sur la reliure du livre saint. Elles n’avaient rien de particulier. Seule la signification du mot qu’elles formaient importait à l’esprit humain. Il renifla un coup, percevant l’odeur poussiéreuse de l’endroit, se disant que ce n’était pas le meilleur point de rendez-vous. Il se redressa enfin sur le banc, observant davantage le lieu. Il n’avait jamais mis les pieds dans cette église-ci, mais elle lui semblait tout aussi inhospitalière que les autres. Il écouta le commentaire, sans réagir, se contentant d’en apprendre davantage ainsi. Perspicace de nature, Jayden se révélait être un fin observateur. Étrangement, ça ne le fit pas sourire, chose qui avant l’aurait pourtant faire presque rire. Il ne ressentait rien. Rien qu’un amer sentiment d’indifférence.

Il entendit les cloches sonner une lugubre mélodie, l’obligeant à lever les yeux, comme s’il avait espérer les apercevoir. Il les ignora toutefois rapidement, reportant son attention sur ce qu’il se passait. Il était évident que Jayden en savait davantage sur la raison de leur présence. La voix grave de l’homme qui les avait entrainés tout deux en ce lieu sacré s’éleva enfin. D’abord un léger soupire, il semblait toutefois satisfait, malgré tout, de se trouver là. Il l’écouta en silence expliquer en détail, d’une voix relativement basse (ou était-ce le lieu saint qui donnait cette impression) le souci du jour. Le gouvernement s’inquiétait d’une infiltration inévitable. Depuis quelque temps déjà, un homme était suivit et surveillé. Les preuves sur le tapis, on conclu qu’il s’agissait d’une taupe Russe. Ceci risquait sans doute grandement de causer des problèmes sérieux. Rien de bien compliqué, il devait être éliminé dans les plus brefs délais.

-Où est-il? s’enquit l’américain d’une même voix sérieuse, bien que tranquille. Il ne se formalisait de rien. Ceci l’inquiéta, d’ailleurs. Il avait certes remarqué son incapacité à trouver les banalités du quotidien utiles ou amusantes, mais maintenant, rien ne s’améliorait. L’enfant qui riait ne l’intéressait plus. Comme si un drap noir s’était déposer devant ses yeux pour désormais troubler sa vue colorée et ternir son existence.

-Il se situe plus au sud du pays, en Caroline du Nord, à Chapel Hill. Il vous faudra entrer dans le campus universitaire.

L’homme que Jayden n’avait que très peu côtoyer retenait un sourire. Il sentait son regard dans son dos, comme une lame trop curieuse à son goût. Il n’avait rien dit, d’abord, mais la satisfaction qu’il percevait dans sa voix l’agaçait. Il se raidit un peu, s’apprêtant à demander ce qu’il y avait, mais l’homme sembla s’en apercevoir.

-De plus, Colin Henney, vous travaillerez aujourd’hui avec le caporal McFear. Vous vous connaissez déjà, il me semble bien.

Surpris, Jayden se leva rapidement avant de se retourner, lançant un regard foudroyant devant lui. Bien sûr… Il ne l’avait pas compris plus tôt. Une voix familière ne s’oublie pourtant pas. Son manque de réaction l’inquiéta davantage et il darda un regard froid sur le Patron.

-Je ne suis plus caporal, monsieur.

Son regard passa ensuite vers Colin. Mais c’était tout. Aucun signe de tête. Aucun sourire. Aucune étincelle particulière. Seulement quelques pensées qui se bousculaient dans sa tête. Il ne savait que dire ni que faire.

-Nous partons dans l’heure, dans ce cas…, murmura-t-il enfin, ne le lâchant pas des yeux, employant ce ton toujours aussi autoritaire. Ce n’était pas une habitude qui avait changée, mais le sérieux qu’il gardait n’était pas dans ses habitudes.

Il décida qu’il attendrait la compagnie unique de l’homme avant d’oser dire quelque chose, comme s’il craignait soudainement que le moindre acte, que la moindre parole devienne compromettante en présence de l’homme qui les payait aujourd’hui.

Il salua d’un mouvement de tête le Patron à ses derniers mots et suivit ses pas des yeux, paraissant presque retenir sa respiration. Une véritable scène d’angoisse qui n’en était, pourtant, pas du tout une. Il le suivit des yeux jusqu’à ce que la lourde porte du lieu saint ne se referme derrière lui et ainsi le perdre de vue. À ce moment, toujours aussi raide, il tourna ses yeux vitreux vers Colin et soutint le regard réprobateur qu’il semblait lui lancé. Il ne s’était pas vraiment attendu à autre chose de sa part et pour tout dire, il en était satisfait. Qu’un d’eux n’ait pas vraiment changé lui plaisait plus qu’il ne voulait l’avouer. Une joie? Il n’alla pas jusqu’à penser ça. Mais il était ravi, d’une certaine manière, bien que rien chez lui ne le démontrait. Il accepta la colère de son coéquipier, comme s’il s’y était attendu, et ne baissa pas non plus les yeux lorsque sa voix résonna, presque haineuse, à ses oreilles. Lorsque l’écho se fut estompé, il tourna de nouveau son visage vers la porte toujours close, s’assurant que l’homme qui le tenait la main ne revenait pas.

Brusquement, comme si toute la fatigue qu’il accumulait depuis des mois lui pesait plus que jamais, ses épaules solides s’affaissèrent, son regard se voila d’une nostalgie sans nom. Il n’était rien de plus qu’un homme brisé, aujourd’hui, et que son camarade et ami ne le comprenne pas le secouait un peu. Peut-être était-ce justement ce qui lui ferait le plus grand bien : sa salle gueule, sa colère que Jayden ne se permettait pas, cette rage qui le consumait de l’intérieur mais dont il avait toujours perçu les effets chez Colin. Il soupira, évacuant un stress qui émana soudainement de lui. Il recula d’un pas et se laissa délibérément retomber en arrière, se laissant choir sur le banc de bois tel un vieux tissu fripé que l’on jette. Il se prit la tête à une main et tourna un regard indescriptible vers cet homme qu’il considérait pourtant plus que quiconque.

-Je suis trop vieux pour ces conneries…, murmura-t-il enfin, sans noter qu’ils n’avaient pourtant pas plus de six ans de différences et qu’il n’avait même pas encore atteint la quarantaine. C’était autre chose. Autre chose de plus profondément encrée en lui.

Ces conneries, comme il le disait si bien, voulaient tout dire. Ce plan, ces futurs meurtres. Non seulement ça, mais il répondit ainsi à la réplique de Colin en parlant de sa vieillesse, signifiant qu’il n’avait ni la force ni l’envie de se battre sur les mots avec lui. Pour tout dire, il ne s’était même jamais attendu à entendre de nouveau parlé de lui. La surprise l’avait décontenancé plus qu’il ne l’aurait souhaité.

-J’espérais, je crois, que tu ne sois plus impliqué dans tout ceci, lâcha-t-il sur un très léger ton de reproches. Ce n’est pas une vie, ça.

Et la sienne? Ce n’était pas vraiment une vie non plus qu’il avait mené si longtemps. Il n’avait pas de leçon à lui donner, il en était conscient. Pourtant, que savaient-ils véritablement l’un de l’autre? Rien. Si ce n’était le temps qu’ils avaient passé aux côtés de l’autre. Et c’était quelque chose de précieux, pour Jayden, malgré le voile qui ternissait ses pensées et sa vue. Tout avait changé si vite et en si peu de temps qu’il ne se reconnaissait plus lui-même. Dans un bref élan d’émotion, il dévoila, un très court instant, son inquiétude de voir Colin trainé encore avec lui, ce qui n’était certainement pas positif pour le moment. Rapidement, toutefois, il voulu reprendre contenance et se releva, se redressant comme si rien n’était arrivé. Une esquisse de sourire apparue pour s’évanouir aussi rapidement lorsqu’il fit face au tueur.

-Ne te vexes pas de cette manière. Il fallait… éviter une situation à risques.

Il n’était pas certain que Colin perçoive ce qu’il cherchait à dire et, en vérité, ce n’était pas très grave. Cette petite dernière phrase qu’il avait prononcée, il la disait toujours autrefois lorsqu’il cherchait à fuir les problèmes ou à mettre les points sur les i dans une conversation qu’il sentait s’envenimer. C’était une façon pour lui de faire comprendre qu’il ne cherchait pas la querelle, et c’était encore moins le cas avec lui.

Il ne vit rien venir, chose qui n’était pas dans ses habitudes, lui qui, pourtant, prévoyait presque tout n’avait pas sur prévoir ça. Le poing fendit l’air pour percuter de plein fouet son visage, lui fendant la lèvre contre une dent par la même occasion. Le goût métallique eu tout juste le temps d’envahir sa bouche que Colin le saisissait. Par réflexe, il tendit lui-même les mains vers l’avant pour saisir à son tour le col, prêt à parer un second coup s’il en venait un autre. Il avait froncis les sourcils, ce qui lui donnait un air plus menaçant qu’il ne l’était réellement. Il vrilla un regard mauvais dans celui de son coéquipier, l’incitant presque à oser le fuir pour pouvoir lui en coller une aussi sec.

Il sentit le filet de sang sur sa lèvre et lâcha d’une main pour l’essayer du revers. Il dû s’avouer que ça ne lui avait pas fait de tord de se faire secouer de la sorte. Il retenu un juron qui pendant clairement au bout de ses lèvres. Même le plus aveugles des aveugles aurait pu percevoir son expression à ce moment-là. Entre les deux, Jayden avait toujours été le plus calme et diplomate. Et s’il ne perdait que très peu patience, il s’était toujours demandé si Colin ne le faisait pas parfois exprès de forcer ses limites.

-Merde! éclata-t-il en se crispant davantage. Une bordée de jurons peu convenables dans un lieu saint suivit aussitôt alors qu’il dardait une fixation mauvaise sur son ami. Ce n’était pas exactement comme ça qu’il avait espéré commencer sa journée. Mais il comprenait. Eu envie de demander à Henney de faire disparaitre cette expression haineuse de son visage. Il eu envie de lui demander de cesser cette torture morale qu’il faisait sans même s’en rendre compte. Il eu l’impression, sur le moment, que Colin se préoccupait plus de lui-même que de son vieil ami. Et le fait que Jayden eu beaucoup changé y était pour quelque chose. Ce n’était que trop évident. Mais Jayden s’avoua une chose : il ne pourrait jamais faire le boulot correctement s’il demeurait dans cet état d’esprit apathique.

-Arrête de jouer la comédie, McFear ! Tu vois pas que tu t’enfonces ? Arrête de cacher tes sentiments, de te montrer si indifférent ! Je te reconnais plus !

Une lueur féroce passa en vague dans son regard qu’il n’avait toujours pas détaché du sien. Son expression était toujours neutre, mais il se sentait de plus en plus bouleversé. Bouleversé de lui-même, bouleversé de part le comportement peu amical de Colin qu’il affectionnait pourtant plus que quiconque. La rage qui bouillait au fond de lui-même depuis son retour ne faisait que le bruler davantage. La différence entre lui et son confrère était qu’il la refoulait profondément. Mais… mais lui non plus ne se reconnaissait plus et c’était sans doute ce qui lui fit le plus de mal dans les paroles prononcées d’une voix vive.

Brusquement, tous les muscles de son bras droit se crispèrent et, sans crier gare, poing serré, il frappa avec la férocité de l’agacement. Le coup partie presque involontairement et visa délibérément le plexus solaire, lieu qu’il savait particulièrement sensible à la moindre pression. Il se dégagea de l’emprise de l’Irlandais pas la même occasion.

-Ça, c’est pour être arrivé en retard! Lâcha-t-il sur le ton implacable habituel, bien qu’il ne fût pas réellement vexé à ce propos.

Reprenant son calme olympien, il tendit une main solide dans la direction de Colin, ne l’ayant toujours pas lâché des yeux.

-Et ça c’est pour tout le reste…

Il semblait chercher à lui faire comprendre qu’il avait parfaitement compris le message. Mais il était sincère. Il avait saisi la cause de sa colère et une expression de culpabilité traversa momentanément son visage. Sa faute? Bien sûr, il l’assumait d’ailleurs pleinement.

-T’as vraiment une sale gueule quand tu veux.

Par moment, dans les dernières secondes, il sembla reprendre contenance pour retrouver l’ombre de ce qu’il était avant ces dernières années. Mais ce n’était pas en si peu de temps qu’il se retrouverait complètement.

Il accepta volontiers tout ce qui se passait et effaça le moment de colère comme s’il n’avait jamais eu lieu. Il décocha un drôle de sourire en direction de Colin à la suite de la claque amicale qu’il perçu comme un nouveau départ. Et il ne fit que sourire davantage à son commentaire. Bien sûr, s’ils s’étaient toujours mutuellement envoyé des piques, parfois plus acerbes que d’autres, Jayden était celui qui, sans doute, y participait le moins. Il ne le faisait d’ailleurs qu’avec lui, agissant, à son avis, comme un gamin immature en sa compagnie. Replaçant son col déformé par la poigne solide qu’avait eu son coéquipier sur lui, il fourra ses mains dans les poches de son jeans et l’observa un moment avant de se dire qu’au fond, tout ceci lui avait manqué bien plus qu’il ne voulait se l’avouer.

Il acquiesça finalement d’un signe de tête et eu envie de lui dire qu’il était content de faire équipe avec lui et pas avec n’importe qui d’autre avec qui il ne se serait sans doute pas particulièrement entendu. Il n’avait jamais été plus efficace qu’avec lui. S’il s’était déjà posé des questions à ce propos? Certes que oui, des centaines à se demander si c’était normal qu’une fusion pareille puisse avoir lieu.

-Allons chasser du Russe, déclara-t-il sur un ton égal.


Il mit pied hors de l’avion en silence, fixant les environs comme premier reflexe. C’était une petite ville étudiante, et ils devraient nécessairement se faire subtil pour passer ni vu ni connu, ce qu’il craignait d’abord un peu. Il jeta d’ailleurs un regard en biais à Colin, doutant momentanément de ses capacité à jouer les discret. C’était stupide, il le connaissait depuis trop longtemps, mais sachant son caractère impulsif et colérique, mieux valait tout de même veiller. Ça avait toujours été ainsi, d’ailleurs. Jayden s’occupait de la discussion et de jouer le rôle de l’appât pour faire sortir le lapin de son trou, et Colin l’abattait, tout simplement.

Pour tout dire, il ne chercha pas vraiment à leur trouver de couverture. Il n’avait réellement envie que d’une chose : finir au plus vite. S’ils étaient partie sur un bon départ, le moral de Jayden semblait s’être effacé pendant le voyage en avion et son vague côté morose qui avait tant agacé Colin avait momentanément refait surface, du moins jusqu’à ce que les deux hommes quittent enfin l’avion. S’il avait fermé les yeux une bonne partie du voyage, il n’était pas parvenu à se laisser bercé par le sommeil qui commençait durement à avoir un effet négatif sur lui, autant sur sa santé mentale que physique. Il n’avait pas encore osé parler de ses propres soucis à son vieil ami qui, pour sa part, gardait bien obstinément le silence sur les siens. Ils étaient quittes, après tout. Chacun faisait ce qu’il lui plaisait sans nécessairement demander l’avis de l’autre.

Se rendant au point prévu pour l’assassina, Jayden marchait d’un pas tranquille, observant les alentours, cherchant plusieurs issus si jamais ça tournait mal. Prévoyant, il ne laissait jamais rien de côté, préférant toujours se garder une sortie de secoure supplémentaire. Sa fatigue accrue, toutefois, semblait affectée sa vision pourtant surdéveloppée.

-Faisons ça vite et bien fait. Je n’ai pas envie que ça traine toute la nuit…

Colin n’avait eu de cesse de lui demander d’évacuer un peu plus ses sentiments et il tentait le coup, sans toutefois réellement le laisser paraitre dans sa voix et dans son comportement. Même épuisé, on n’y verrait que du feu. Mais il déclara subtilement qu’il avait un sérieux besoin de repos après ça. Et peut-être même ne pas immédiatement reprendre la route pour New-York. Il songea à rester dans les parages un certain temps, deux jours, pas plus, ne trainant jamais très longtemps dans un endroit semblable. Lorsqu’enfin le campus apparu sous leurs yeux, il s’arrêta et se tourna vers Colin, un sourire niais flottant sur ses lèvres dans la pénombre du soir.

-Comme d’habitude, je suppose. Il y a plusieurs points intéressant pour l’observation vers l’ouest du bâtiment. Dans cette direction, il y a un cul de sac entre trois pavillons. Ça semblerait idéal et discret…, lâcha-t-il sur un ton discret, en songeant plus particulièrement aux capacités de son vieil ami. Un recoin, une soirée, bref, tous les éléments idéaux étaient assemblés en un seul endroit…

Oui, là ils tueraient le Russe, mais il n’était pas question de se lancer là aveuglé pour tant de sottise. En vérité, il s’était toujours attendu à ce qui allait se produire dans les prochaines minutes. Il ne s’attendait seulement pas que ça lui fasse aussi mal. Il sentait l’excitation de son ami et posa un regard qui se voulu insistant. Silencieusement, il le suppliait presque de ne pas aire de bêtises ou de se précipiter rapidement. Jayden perçu le mouvement tout au long du bâtiment, tournant rapidement la tête dans sa direction pour détailler le visage de l’homme en question. C’était leur cible. D’un pas tranquille, elle filait dans la nuit. Il ne croyait pas, sur le coup, à l’observer si à l’aise, qu’elle se doutait de quelque chose. Ce qui l’inquiéta, d’ailleurs. Aucune de leur cible n’avait été aussi simple à dénicher.

-Ce n’est pas…, commença-t-il presque dans un murmure avant de sentir la main solide de Colin sur son épaule et de reporter son attention sur lui, arquant un sourcil.

-On n’a pas de temps pour un de tes plans.

Jayden se tut, se renfrognant devant ce qu’il avait craint à ce point depuis le début. L’impulsivité du tueur l’agaça alors réellement et il s’apprêtait à le lui faire comprendre, mais il le vit se défaire rapidement de sa portée pour se projeter en avant. L’Américain songea qu’il le laisserait faire tout le travail et tant pis pour le reste. Il n’était pas sa mère après tout et ce n’était pas à lui de lui dire quoi faire, mais pour une fois, seulement pour une fois, s’il avait pu attendre! Il l’observa filer silencieusement quelques pas de plus avant de se résigner à ne pas le laisser seul dans cette histoire. Il lança un juron et lui emboita le pas, à plusieurs mètres de distance de lui, à présent.

Il passa sa main dans le bas de son dos pour en arraché le pistolet caché dans sa ceinture et s’avança rapidement. Il n’était pas encore arrivé sur place que le bruit d’étoffes se frôlant lui parvint. Il s’arrêta, pointant devant lui, cherchant à discerner les deux silhouettes dans le creux des bâtiments. Malheureusement, sa vue n’était pas celle d’un hibou et la nuit lui causait habituellement quelques problèmes pour tout voir et tout remarquer. Il se sentit oppressé et s’obligea à s’avancer plus près, suffisamment pour parvenir à les voir tous les deux, et constaté l’ampleur que prenait la situation. Alors celui-là, il regretterait amèrement ce qu’il était en train de faire, il se le promis. Il allait finir par les faire tuer tous les deux.

-Nom de dieu de merde à la fin! On a toujours le temps!

Ce n’était pas vraiment le moment de se mettre à lui reprocher cette erreur qu’il considérait sérieusement comme étant grave. Ne pas prendre le temps de se préparer. Une filature aurait été plus simple. Attendre le bon moment. Car là, tout de suite, ça ne l’était vraiment pas. En se décalant quelque peu, Jayden pu apercevoir le visage du Russe, quasiment souriant. Ses inquiétudes d’il y a quelques minutes le tiraillèrent davantage. Rien ne semblait se passer comme prévu et ce n’était certainement pas pour lui plaire. Et dire que Colin ne semblait même pas s’en apercevoir.

-Maintenant, Colin! lâcha-t-il brusquement, une intonation colérique dans la voix, en pivotant sur lui-même, comme s’il avait soudainement craint une ombre dans son dos. Il fouilla l’endroit des yeux, mais la pénombre était pour lui un élément trop nuisible. Il ne pouvait rien discerner dans la noirceur si ce n’était les ombres mouvantes sous la lueur des lampadaires.

Il savait qu’un coup de fusil serait entendu de loin et ça l’agaçait. Il aurait véritablement aimé que ça se fasse autrement. Il détestait attirer l’attention de cette façon. Lorsqu’il se retourna, il fouilla les toits du regard à la recherche d’il ne savait trop quoi exactement encore, d’un soutient, de n’importe quoi pouvant lui être utile… une corde serait d’ailleurs l’idéal pour l’idée qu’il avait en tête. Et tant pis si Colin ne l’approuvait pas, il n’avait pas à lui demander son avis.

Le fort accent du Russe lui parvint. Ce que cette phrase signifiait, il l’ignorait. Mais chose certain était que ça ne lui plaisait pas. Il ne réagissait pas vraiment, se contentant encore de garder l’arme pointée devant lui, suivant les corps qui se percutaient et s’entremêlaient quelques instants dans un chaos des plus complets. Il ne tenait pas à laisser Henney dans cette merde qu’il semblait maîtriser. C’était surtout complètement stupide de la part du tueur de s’être ainsi lancer tête la première dans une épreuve de force qu’il n’aurait probablement pas eu à subir s’il avait écouté ce qu’il disait. Au contraire, il n’en avait fait qu’à sa tête, et ce, au plus grand désespoir et agacement de l’ancien militaire. Ce n’était pas la première fois, mais il en avait perdu l’habitude et devoir faire face au caractère impulsif de Colin le rendait aussi nerveux que frustré. Que pouvait-il y faire? Il n’avait jamais pu mettre un freinage sur ce côté de sa personnalité et il doutait un jour pouvoir seulement songer à le calmer. Mais toute cette colère semblait décidément de plus en plus nuisible dans ce qu’il faisait. Elle l’aveuglait et la haine lui faisait voir plus rouge que clair.

La soudaine détonation le fit tressaillir et il cligna involontairement des paupières alors que ses mains ses crispaient d’instinct contre son arme. Ses mains? Pas seulement. La moindre parcelle de son être s’était raidie, causant une certaine douleur à son épaule gauche fragilisée par son temps passé. Il dû retenir son souffle plusieurs secondes durant lesquelles il ne pu que s’imaginer le pire, car lorsqu’il se sentit respirer de nouveau, un étourdissement léger le pris. Ce ne fut que lorsqu’une seconde détonation se fit entendre qu’il sentit le sang remonter dans ses veines. Mais il ne bougeait pourtant toujours pas d’un centimètre, attendant, immobile dans l’obscurité, de se voir, peut-être revenir Colin dans sa direction, ce qui n’arriva pas. C’était comme si… comme s’il était seul dans son petit monde. Il vit seulement le corps du Russe s’effondrer à même le sol dans un son mat.

Il bougea enfin, comme s’il retrouvait une vie qu’il avait perdue depuis quelques minutes seulement. Il glissa le pistolet dans son dos et s’avança d’un pas prudent, ses sens en alerte, ses jambes tremblant étrangement. Il remarquait tout juste l’effet négatif qu’avait eu le coup de feu sur sa personne. Seule l’inquiétude peignait momentanément ses traits habituellement durs. Il risqua à l’appeler par son prénom, doucement, comme pour s’assurer qu’il n’était pas sur le point de s’effondrer et le contourna pour lui faire face et fixé son regard adouci sur son visage trouble éclairé uniquement par la lueur pâle des lampadaires. Il ne pu s’empêcher de remarquer les gouttelettes de sang et baissa instinctivement les yeux au sol pour constater que le liquide vermeille ne provenait pas de la taupe, venant ainsi confirmer ses craintes. Il leva un visage interrogateur vers son vieil ami et se retourna rapidement. Il ne savait pas lui-même si c’était pour fuir ce moment qu’il chercha à poser son attention sur le corps mort, au sol, ou si c’était pour ne pas affronter le regard égaré qu’il venait d’apercevoir.

-Il ne faut pas rester là. Quelqu’un aura entendu les coups de feu.

Malgré son ton rationnel et particulièrement sur de lui, il se sentait toujours tremblant d’inquiétude. Il ne songea pas à le réprimander pour son comportement, se disant que ce n’était pas le moment, préférant garder, pour le moment, tout ceci pour lui, il refoula son côté inquiet pour reprendre contenance et de nouveau se tourner vers Colin, aussi sérieux qu’à son habitude. Comme il mentionnait le cas, son attention ne pu qu’être portée autant sur les sons qui se répercutaient autour d’eux. Mieux valait ne pas trop trainer dans les parages.

-Viens, je vais regarder ça…, déclara-t-il presque dans un murmure, laissant pour la première fois s’échapper un brin de ses sentiments envers l’homme. Comme une étrange protection ou responsabilité dont il se sentait obligé envers lui. Peut-être comme un frère qui veille. Peut-être comme il l’avait fait jadis pour les hommes qui avaient compté sur lui et qu’il avait pourtant abandonné. Peut-être comme autre chose qu’il ne comprenait pas, pas encore.

Il ne s’était jamais arrêté sur ces questions et s’ils faisaient route dans une discrétion certaine, il se contentait, lui, d’observer son vieil ami avec ce regard entre doute et soucis pour autrui, chose qu’il faisait pourtant continuellement lorsqu’il se sentait le moindrement responsable envers qui que ce soit. Chose qui lui était d’ailleurs arrivé un peu trop souvent au cours des dernières années. Et il n’était pas certain qu’il s’agisse de quelque chose de vraiment positif pour lui.

~

Lorsqu’il poussa la porte de la chambre, vaguement grinçante, il avait repris ses airs sévères et sérieux qu’il avait pour habitude d’afficher en continue, comme s’il ne savait rien faire d’autre. Jayden s’effaça pour laisser passer l’autre. Il n’avait pas besoin de parler : tout son corps agissait de manière aussi autoritaire que ses pensées et paroles auraient pu l’être alors.

-Fais-moi voir ta blessure…, malgré le brin de frustration perceptible dans le fond de sa voix, il parvint à se montrer doux. Ce n’était pas pour un peu de sang qu’il était réellement en colère. Si un télépathe s’était trouvé dans les parages, sans doute se serait-il enfui rapidement en captant son humeur du moment.

Il s’éloigna d’un pas vif pour s’approcher d’une chaise sur laquelle il laissa tomber sa veste un peu trop chaude pour l’intérieure, bien qu’idéale pour les soirées. Il déposa aussi sur ladite chaise le pistolet, comme si la fraicheur du métal l’agressait, comme si son poids lui paraissait soudainement beaucoup trop lourd. Mais la colère grondait férocement dans ses muscles et, lorsqu’il se retourna, il ne remarqua pas l’arme s’élever dans les airs, au dessus de lui. Ses seuls déplacements semblaient faire frémir le moindre objet qui l’entourait et pour tout dire, il n’en tenait plus qu’à un minuscule fil pour faire exploser le volcan qu’il contenait.

-Tu aurais pu te faire tuer, ce soir.

Reproche. Il ne voulait pas non plus enfoncer le couteau dans la plaie. Il espérait seulement que Colin en était conscient.

Il demeura à distance dans la chambre, bras croisé, observant le moindre mouvement de l’autre du coin de l’œil, se méfiant de lui-même. S’il apercevait le rictus douloureux, il refusait de le montrer. Il se questionnait plus que de raison, sans doute. Et se sentait vaguement bête. Colin n’était-il pas assez grand pour s’occuper de lui-même? Peut-être même n’avait-il absolument plus besoin de lui dans ce genre de job, bien qu’il doutait qu’il en ait seulement déjà eu besoin. Peut-être n’était-il qu’une parure pas appréciable. Dans le doute qui envahissait son esprit déjà troublé, il suivit des yeux le vêtement s’écraser silencieusement au sol.

Jayden bougea enfin, reprenant une vitalité qu’il semblait momentanément avoir perdu pour passer devant son allié et ami et entrer directement dans la salle de bain, agrippant de ses mains devenant soudainement tremblantes la première serviette blanche du bord et ouvrit le robinet, inconsciemment pour y détremper le tissu immaculé. Tout ce qu’il faisait pour Colin valait-il vraiment la peine d’être fait? Ce n’était pas non plus comme s’il regrettait ses actes ou ses paroles, mais il était poussé à se remettre en question sur la relation plus ou moins équilibrée qu’ils entretenaient. Et pour tout dire, s’il en venait un jour à s’éloigner complètement de lui, peut-être alors se perdrait-il lui-même entièrement. Solitaire, il ne côtoyait personne en particulier et le tueur était la personne sur qui il avait le plus compté. Il ne savait comment il réagirait si la situation venait à changer. Si se retrouver vraiment seul l’effrayé, il n’aurait jamais fait ce genre de boulot. Il ne serait pas non plus partie pour la gloire et le sang. C’était d’ailleurs lui qui avait fichu le camp le premier, pas l’Irlandais, trop fidèle à lui-même pour ce genre d’aventure intercontinentale.

Il coupa l’eau et tordit le tissu nonchalamment avant de revenir pour se planter face à Colin. Il leva devant ses yeux le tissu mouillé pour lui faire silencieusement comprendre que ça n’était pas pour lui causer du tort. Ses mains avaient cessées de trembler lorsqu’il les tendit devant lui, en suspension, lui jetant un regard curieux comme s’il avait soudainement cherché son acception face à ce qu’il faisait.

-Heureusement que tu ne l’es pas, murmura-t-il à son tour au moment où il dégagea la main de Colin pour observer de plus près.

Il constata que ce n’était absolument pas grave malgré la grande quantité de sang qui semblait s’écouler de la blessure par balle. Ce qui le rassura d’ailleurs. Elle n’avait fait que le frôler, sans doute désagréablement, certes. Ses mains furent étrangement délicates malgré ce sentiment de colère qu’il ressentait toujours, bien que moins intensément, le temps guérissant toujours aussi bien les blessures du cœur et de la tête. Il passa finalement le tissu blanc contre la blessure ouverte en se contentant simplement de dégager la possible infection qu’il pourrait s’être pris. Une balle, après tout, ce n’était pas rien, même s’il voulait bien y croire. Ça aurait été n’importe quoi d’autre qu’il aurait réagit sans doute différemment, mais c’était un bout de métal meurtrier. Un bout de métal qui l’avait secoué. Les précédentes détonations, dans la rue, avaient eu, semblait-il, un drôle d’effet sur lui. Elles l’avaient de toute évidence perturbées plus que de raison, ce qui ne lui ressemblait pas. Ce qui ne lui avait d’ailleurs jamais ressemblé. Depuis son retour, il n’avait jamais pensé à sa réaction face à une détonation. Et maintenant qu’il y avait fait face, il ne savait plus trop exactement que dire à ce propos. Il fit léviter vers lui, de la salle de bain, sans regarder dans cette direction, une autre serviette propre et sèche cette fois qu’il s’attela à replier et à posé directement sur la blessure.

-Mets une pression, ce n’est pas grave, déclara-t-il sur un ton neutre, comme s’il ne savait plus exactement comment parler.

Il s’éloigna, ne réalisant pas qu’il avait gardé en main la serviette imbibé du sang de son ami, autant que ses mains, d’ailleurs, qu’il n’osait pas regarder, et alla directement s’asseoir sur un des deux lits. C’était peut-être le seul moment où il semblait se sentir vraiment à l’aise : sur un lit. Il était épuisé, de toutes les façons possibles. Et au moment où il posa ses fesses là, tout objet volant s’écrasa au sol.

-J’ai fermé les yeux quand il a tiré, avoua-t-il soudainement, sur un ton mal à l’aise.

Il s’en voulait de ne pas avoir agit avant, malgré la non gravité de la tournure de la situation. Il aurait aimé que tout ceci se déroule autrement, sans doute, et se culpabilisait pour une chose qu’il n’avait pas fait : pour son immobilité et incapacité à réagir sous le feu de l’action.

Il était ravi, au fond de lui, de sentir Colin de cette manière. Il ne l’avait jamais vu se comporter réellement de la même manière avec les autres qu’il ne le faisait avec lui. Peut-être parce qu’ils ne se voyaient que trop peu en public. Ravi de le voir soudainement si calme. Moins peut-être de percevoir cette culpabilité qu’il sentait avoir fait naître en lui comme une faute que Jayden était sur le point de se reproché. S’il avait été en colère, toute trace semblait avoir disparue de ses traits à présent. Colin avait ce don étrange de le mettre hors de lui pour ensuite le calmer en une fraction de seconde. Et cette manière qu’il avait de faire, il songeait qu’il le faisait toujours exprès. Peut-être n’était-ce pas vraiment le cas.

Il suivit Colin des yeux jusqu’à ce qu’il s’installe face à lui, fuyant le regard qu’il posait sur lui. Mauvaise habitude. Ce n’était pas non plus comme s’il n’en avait pas l’habitude. Mais il ne pu que se demandé où était partie toute la témérité de son vieil ami, tout ce caractère qu’il avait perçu là-bas, dans le silence angoissant de l’église. Se sentait-il si incapable, si faux, pour seulement songer à le regarder dans les yeux? Jayden n’était pourtant pas si imposant qu’il n’y paraissait. S’il était un peu froid et sévère, il se montrait très compréhensif en règle générale. Sans vraiment s’en rendre compte, il laissa glisser la serviette humide et sanglante au sol, sans faire le moindre geste pour la rattraper.

Il releva sur lui un regard étrangement curieux lorsqu’enfin il aligna plus de cinq mots dans une même phrase pour former quelque chose de plus cohérent. Il s’interrogea à savoir pourquoi Colin s’en voulait tant soudainement. En une journée, il s’était excuser auprès de lui plus que n’importe qui ne l’avait déjà fait auparavant. Plus encore, il semblait réellement désolé pour tout ceci. Se sentait-il coupable des souvenirs qui réveillaient en Jayden un malaise certain? Il semblerait. Il n’y était pourtant pour rien si ce n’était de sa tête enflée qui l’avait poussé à se faire tirer dessus.

Il l’observa se lever et s’éloigner jusqu’à la fenêtre. Jayden n’était pas un fumeur, mais une personne à proximité de lui, cigarette aux lèvres, ne l’avait jamais importunée. Ce n’était pas dérangeant, si ce n’était peut-être de l’odeur étrange qu’il n’était pas certain d’apprécier ou de détester. Mais la fumée était pour lui curieuse et intrigante, légère et libre, personne ne semblait avoir de contrôle sur elle. Sauf dans un bocal, et même là, elle ne semblait jamais y rester très longtemps. Il eut l’étrange envie de dire à Colin de rester là où il était, de ne pas fuir comme il en prenait la mauvaise habitude depuis qu’ils étaient dans cette chambre. Lorsqu’enfin il se décida à ne plus fixer le dos de l’Irlandais, il se pencha en avant pour retirer ses chaussures, remarquant enfin la couleur rouge sur ses doigts, l’observant étrangement non pas comme une ennemie, mais comme une curiosité ambulante. Et brusquement, il paniqua intérieurement, se frottant frénétiquement les mains contre son jeans, en constatant seulement que le sang avait déjà commencé à sécher et qu’il ne partirait pas d’un simple frottement. Il s’arrêta rapidement, suspendant son geste, se trouvant presque ridicule, soudainement, absurde. Il soupira, blasé de tout, blasé de ça. Il devrait pourtant être habitué : du sang sur les mains, sans expression, réellement, ce n’était pas la première fois et il sentit que se ne serait sans doute pas la dernière non plus.

-Ce n’est rien, lâcha-t-il enfin sur une voix qui se fit étrangement défaillante si on la comparée à celle qu’il utilisait normalement. Il semblait manquer soudainement d’assurance, comme s’il ne savait plus très bien quoi dire ou répondre. J’aurais bien envie de te dire que c’est de ta faute, effectivement, mais…, il hésita, portant une main à sa tête pour en chasser le début de fatigue qui le prenait. Mais tu n’es pour rien dans ce que je fais ou ce que je dis. Même si tu n’avais rien fais de tout ça, quelqu’un aurait tout de même tiré, et…, il s’étrangla, se brisant dans ses propres paroles qu’il trouvait alors complètement futiles.

Pourquoi parler du passé alors qu’il n’y avait plus que le présent devant lui, devant eux? Même s’il aspirait vraiment à reprendre le cours normal de son existence, à chaque fois qu’il semblait près d’y arriver, il ne pouvait s’empêcher de revoir le visage paniqué du gamin et de son cri lorsque la pierre retomba sur son petit crâne. Tout ça pour quoi? Pour des hommes insensés qui se plaisaient à les traiter comme de sympathiques petits soldats de plombs. Des pions. Ils n’étaient que ça à leurs yeux. Il se crispa rien que d’y songer et ferma un instant les yeux pour reprendre contenance en moins de temps qu’il n’en faut pour dire «ouf».

Une main ferme mais amicale se posa sur son épaule, qu’il sentait comme un support silencieux, il n’aurait su comment dire exactement, mais il ne pu que poser un regard interrogateur sur l’Irlandais, cherchant à percer le mystère de ses yeux sombres. C’était parfois comme s’ils ne s’étaient jamais connus : ils agissaient comme de vrais inconnus, faignant de s’ignorer l’un l’autre. C’était du moins l’impression qu’il avait. Peut-être était-ce vrai : peut-être s’inquiétait-il trop pour Colin. Il pouvait très bien se débrouiller tout seul. Il aurait très bien pu s’en sortir sans lui. Il n’avait pas non plus continuellement besoin de se faire botter le cul. Mais c’était bien vrai : ça avait toujours été Jayden le soignant, Jayden le veilleur. Il ne s’était encore jamais arrêté là-dessus, prenant la chose comme tout ce qu’il y avait de plus naturelle. Peut-être que ceci mettait-il Colin mal à l’aise à chaque fois, après tout. Mais c’était dans sa nature même, il n’y pouvait vraiment rien. Il avait toujours eu ce côté très protecteur envers ceux qui lui tiennent à cœur. Et de Colin, il ne savait pas vraiment la place que ce dernier avait dans ses pensées, mais il était là, il ne le niait pas. Comme chaque homme mort y avait été, y était encore, hantant ses nuits, torturant ses rêves, affaiblissant ses jours. C’était inévitable : il n’oubliait jamais rien, comme il n’oublierait pas que cette nuit, il s’était inquiété pour un homme qu’il avait lui-même volontairement laisser derrière lui. Lui en voulait-il, d’ailleurs, pour ça?

-C’est seulement quelque chose en laquelle tu crois…, souffla-t-il alors qu’il ressentait la pression se relâcher et qu’il observait le corps s’éloigner de lui. Oserait-il lui dire que c’était faux, qu’il méritait plus d’attention que certains? Jayden avait de l’attention pour bon nombre de personnes, ce n’était pas quelque chose d’anormal venant de lui. Mais il dû s’avouer être momentanément agacé par le refus de l’Irlandais face à ce côté fraternel qu’il avait bien malgré lui.

Il l’observa s’allonger, décidant qu’il en avait aussi assez d’être là, à tenir éveiller autant que possible se face, sentant ses muscles se ramollir sous le poids pesant de sa fatigue chronique. Il fit d’ailleurs un peu la même chose et, juste avant d’atteindre l’oreiller, en entendant le commentaire de l’Irlandais, il ne pu retenir un éclat de rire franc et net, sortie d’on ne savait trop où. Si Jayden gardait toujours un air sérieux, un rire de lui était tenait presque du miracle. Mais il ne pu le retenir. Colin était joueur, pas lui. Mais celui-ci était sans doute le seul qui parvenait encore à faire sortir de chez l’ancien militaire ce genre de réaction tout ce qu’il y avait de plus spontané.

-D’ici une semaine, se sera la fin du monde, lança-t-il en reprenant son souffle, sur un ton malgré tout endormi, faiblissant. Ça avait été une bonne journée, même si, par moment, il aurait préféré ne pas la vivre du tout.