1968.
Il somnolait dans le canapé. Il avait mal dormi. La mort de son père avait été un choc et il avait dû retourner en pagaille au New Jersey pour les funérailles et être aux côtés de sa mère, de sa soeur, de son oncle. Depuis une semaine, ses nuits étaient courtes. Trop courtes. Ce n'était pas bon pour lui. Il se réveillait régulièrement en pleine nuit pour aller consoler sa soeur, il organisait les funérailles, il saluait de la famille qu'il ne connaissait même pas et qui ne faisait que lui rappeler à quel point il ressemblait à son père et comme il était mort jeune, le pauvre diable. Un bête accident de voiture. Une bagatelle. Clarence s'enfonça un peu plus profondément dans le canapé et appuya sa tête sur l'épaule de Thalia, sentant le sommeil le gagner. Cela dit, difficile de réellement dormir quand votre mère vous secoue l'épaule comme on secoue un prunier. « Clarence ! Le notaire est arrivé. Non, je dors pas. » Il se redressa, après sa déclaration dite d'une voix pâteuse, et fixa le notoire qui s'était installé dans le fauteuil devant eux. Dans la pièce, outre l'exécutant des volontés testamentaires de son père, il y avait sa mère, sa petite soeur et son oncle Louis, qui était le frère jumeau de son père. Depuis sa mort, celui-ci errait comme un fantôme dans la maison, se regardait dans toutes les glaces, comme pour tenter de retrouver son frère perdu. « Je vais donc lire les dernières volontés de Gregory Anthon McQueen, en présence de Louis Frederic McQueen, témoin et signataire des documents. La première partie concerne... » Son attention disparut aussitôt. On ne parlait pas de lui, donc pourquoi écouter ? Il n'avait jamais été très fort pour tout cela. C'était même étonnant qu'il ait réussi à obtenir de si bonnes notes toute sa vie, à l'école, alors que son déficit d'attention était aussi imposant. L'université lui avait au moins donné l'intérêt d'écouter en classe, c'était ça de gagné. Clarence referma ses yeux pâles, ignorant que son oncle le dévisageait comme jamais il ne l'avait regardé auparavant. Comme s'il voyait au-travers de lui. Mais il avait les yeux fermés, il ne voyait rien. Il entendait à peine le notaire dire les volontés de son père inhérentes aux actions de American Airlines, dont il était le PDG depuis trois ans à peine. Une ascension sociale qui avait eu du bon et qui venait de se terminer en catastrophe. « À Clarence Beau McQueen, mon fils aîné. Je lègue la moitié de mon héritage monétaire. » Quoi ? Le jeune homme rouvrit les yeux, estomaqué. La moitié ? Son père était complètement tombé sur la tête. « Cet héritage ne pourra être touché que lorsque celui-ci aura terminé ses études et aura entreprit une carrière professionnelle. Il devra également être âgé de plus de vingt-cinq ans. Cet argent sera verrouillé dans un compte à son nom. » Il sentait les regards de sa mère, de sa soeur et de son oncle peser sur lui et il rougit violemment. C'était trop. Il ne méritait pas nécessairement tout cet argent... Ça représentait une somme impossible. Pour un adulte de vingt-deux ans, c'était trop. « Il revient à Louis de donner à Clarence la carte de ceux qui dirigent réellement. » Cette fois, son oncle protesta à voix haute. « C'est tout ce qu'il a dit ? Il n'y a pas de précisions supplémentaires. Savez-vous de quoi il parle ? Non, pas du tout. »

C'était un mensonge. Clarence le savait. Il pouvait presque toucher ce mensonge, tant il était épais. Il ne dit cependant rien et laissa le notaire terminer la lecture du testament, avant d'aller se coucher dans sa chambre d'adolescent. Le sommeil le gagna rapidement, prenant des allures de coma. Un sommeil lourd et sans rêves dont il émergea durement lorsqu'il sentit quelqu'un le secouer sans douceur. « Quessquiya ? » Un chuchotement rauque. Il ouvrit les yeux et vit son oncle, qui se tenait dans le noir de la chambre, une main devant lui. Une flamme brûlant au creux de sa main, éclairant son visage grave. « Je ne savais pas que toi aussi... » Le blond s'éloigna si brusquement de l'homme qu'il se cogna la tête contre le mur. « Chut. Ta mère ne sait pas que je suis là. Vaut mieux pas qu'elle sache, d'ailleurs. » Il hocha la tête, effrayé, incapable de détacher son regard des flammes qui s'élevaient sans bruit dans la paume de Louis. Il n'avait jamais vu ça. Et pourtant, au fond de lui, une voix lui disait qu'il avait toujours su. Il n'était donc pas le seul. Ses yeux fixaient la flamme qui brûlait au creux de la main de son oncle, sans le brûler, comme s'il n'y avait rien d'inhabituel à cela. Louis sortit un porte-feuille de la poche de son élégant veston, porte-feuille qu'il reconnut au premier coup d'oeil. Celui de son père. C'était lui qui le lui avait donné, cinq ans plus tôt, à Noël. D'une main, il en sortit une carte qu'il donna à Clarence. « Garde-la précieusement. Si ton père savait, alors que tu ne lui as jamais rien dit... Il ne sera pas le seul à le deviner. Papa... savait ? Il ne t'aurait pas légué ça, sinon. Cette carte, Clarence, est plus importante que tout ton héritage et vaut tout l'argent que tu auras jamais dans ta vie. » Il examina la carte avec intérêt. Une carte simple, blanche. Une carte de visite, en fait, sur laquelle les mots 'Hellfire Club' étaient élégamment typographiés. Aucune adresse, aucune information supplémentaire. Il la retourna sans comprendre. « Qu'est-ce que c'est ? Tu sauras en temps et lieux. Je vais devoir passer le message à quelques personnes, mais normalement, tout devrait bien aller. Ne la perds surtout pas. » Le ton de Louis était devenu menaçant. Comme si perdre cette simple carte, qui ne devait pas être une si simple carte que cela, pouvait lui attirer des ennuis. « De toute façon... le fils de Push et le neveu de Blaze, tu devrais t'en sortir. Qu'est-ce que Papa faisait ? » Un silence. Une lueur sembla pétiller dans le regard de Louis – une lueur qui n'était pas uniquement due au feu. « Disons qu'il avait... des arguments très persuasifs. » Un clin d'oeil et le feu disparut. Clarence se releva brusquement et alluma brusquement les lumières de sa chambre avec tant de force, sans faire un seul geste, que les ampoules éclatèrent, ce qui les replongea dans le noir après à peine une seconde de lumière. Mais il avait eu le temps de voir l'expression surprise de son oncle, qui se mêlait à quelque chose de plus étrange. De presque mélancolique. Un chuchotement. « Tu ressembles beaucoup à Greg. »