New York. Une grande ville, une grande ville touristique. Des groupes d’étrangers ne cessaient de sillonner les rues en quête du gratte-ciel si célèbre de la mégalopole ou d’autres bâtiments phares gorgés d’histoire. Les boutiques de souvenirs si prisées ne manquaient pas et étaient d’ailleurs pleines à craquer. Les rayons de tee-shirt à l’effigie de la Statue de la Liberté ou du président américain partaient comme des petits pains ainsi que les nombreuses boules à neige, les modèles réduits des monuments et autres bibelots inutiles qui finissent le plus souvent à la poubelle qu’ailleurs. L’après-midi passait, doucement, comme à son habitude, et Shadow continuait de marcher à s’en faire mal aux pieds. De toute façon, que pouvait-elle faire d’autres ? Les billets manquaient à l’appel ainsi que les moyens pour les obtenir. Il est vrai que démonter un distributeur de billets ne serait pas une solution discrète, après, la caisse d’un restaurant ou d’un supermarché pourquoi pas, mais c’est mieux quand il n’y a personne, et New York n’est donc pas la ville adéquate pour ce type d’activité. Pour l’instant, Shadow se décida enfin à entrer dans un café, encadré par deux boutiques de souvenirs. Le café n’abritait étrangement pas une foule conséquente. Trois tables sur une bonne dizaine étaient occupées, et plusieurs hommes étaient assis au bar. Immédiatement, la jeune fille croisa le regard de l’un d’entre eux qui semblait perdu ses pensées ainsi que celui d’un homme apparemment ivre. Sans en tenir compte plus longtemps, elle partit s’asseoir à la table du fond.

Les minutes passèrent au cours desquelles l’adolescente planifiait le reste de sa journée. Elle s’ennuyait à mourir. Elle ne faisait que marcher dans des rues qui lui étaient familières depuis qu’elle savait se porter sur ses jambes, elle ne parlait à personne, cela lui manquait, certes, mais elle ne caractérisait pas ceci d’indispensable d’un point de vue vital. Lorsqu’un serveur daigna enfin à prendre la commande de Lewis, celle-ci ne se fit pas prier en réclamant de quoi remplir son estomac vide. A quatre heures de l’après-midi, elle n’avait pas déjeuné. Bientôt, un cheese-cake ainsi qu’un diabolo grenadine furent posés devant ses yeux. Elle savait qu’elle avait tout le temps qu’elle souhaitait pour en profiter. Le cheese-cake ne fit pas long feu et l’assiette disparut aussitôt dans les mains du serveur, ne laissant qu’un verre dans les mains de l’adolescente. A quinze ans, Shadow en paraissait mentalement vingt. La perspective de travailler ne lui faisait pas peur, au contraire, elle s’imaginait très mal être encore dans cette situation dans trois ans, elle voulait devenir active.

Avalant une grande gorgée de sa boisson, elle grimaça au contact des bulles explosant sur sa langue, puis, elle reposa son verre sur la table. Ce fut lorsqu’un homme tomba de son tabouret, et celui-ci avec, définitivement soûl, que Shadow sursauta à un tel point qu’elle ne put s’empêcher de renverser son verre, d’un coup de coude, tout son contenu s’étalant sur la table et sur le sol. Au même instant se produit une chose qu’elle ne comprit pas tout de suite. Sa montre venait de se décomposer. Tous les rouages, les deux aiguilles en passant par chaque pièce du cadran étaient maintenant éparpillées sur la table. Confuse, Shadow s’empara d’une serpillère qui traînait dans un coin pour venir recouvrir la table avec, pour à la fois l’imbiber de ce breuvage sucré et pour cacher toutes ces petites pièces. Lorsque l’attention se détourna de sa propre personne, elle put enfin s’emparer des composants de sa montre qu’elle déposa dans la poche de sa veste. S’assurant qu’aucune pièce ne manquait, elle ne perdit pas de temps et partit sans payer lorsque le regard du barman se détourna. Mais ce qu’elle ne savait pas, c’est qu’un homme, lui, n’avait pas du tout détourné le regard et avait tout enregistré de la scène surnaturelle pour certains, banale pour d’autres.

Le pas vif, Lewis bifurqua immédiatement à droite après le café pour ne pas se faire, au cas où, rattraper par le patron puis par la police. Rabattant la capuche de son sweat noir sur sa tête, elle souhaitait désormais s’éloigner. Le temps passa, longuement, jusqu’à l’instant où la mutante s’engouffra dans un hôtel quelconque. L’intérieur était loin d’être chaleureux mais peu importait. Sans prendre le temps d’observer la froide décoration, elle disparut dans la cage d’escalier. Elle monta les marches trois par trois avant d’arriver face à un petit couloir. Elle ne prit pas longtemps pour s’assurer que personne ne l’observait – sans voir l’homme qui l’épiait – avant de vaquer à sa principale activité, qui est de décomposer la serrure de la porte renfermant une chambre libre avant d’y entrer et de la remettre dans son état initial avec la plus grande simplicité du monde.

La soirée se termina sur la réparation fastidieuse de la montre de la demoiselle, car les pièces recouvertes de sucre ne rendaient pas le travail plus facile, sur un bon bain chaud, puis sur une émission ridicule américaine. Bien sûr, Shadow ne se doutait pas que dans une demie seconde, sa vie allait changer, car un homme se tenait derrière la porte.