Je ne sais plus qui je suis. C’est un peu comme si j’avais perdu mon identité, ce qui fait de moi un être vivant et bien existant. Je ne semble plus être l’ombre de personne. Même pas de moi-même. Même pas de ce que j’aurais pu être. Peut-être que je perds la boule, la tête, les neurones et probablement tout ce qu’il me reste de matière grise en même temps. Peut-être qu’il ne me reste déjà plus rien. Et peut-être que je n’obtiendrai jamais davantage. Dans le doute, mieux vaut continuer d’avancer. Et quel doute ! Tous les matins, il est là, tapis dans les ténèbres de ma conscience, qui me veille et me surveille, qui n’attend qu’une chose, qu’un signal de ma part pour m’emporter dans le néant. Ce que je suis n’a plus d’importance. Tout ce qui compte, c’est ce qu’il me reste à faire… J’ai peur, au fond de moi-même, d’avoir oublié quelque chose d’important… mais quoi ? Quoi donc ? J’ai une histoire, une vie. Rien de plus simple… Mais je ne vois plus. Je suis… devenu aveugle face à cette réalité. Je ne sais plus… Je ne sais plus qui est vrai et qui provient de mon imagination. Je ne sais plus qui sont les fantômes et qui sont les cadavres. Peut-être ceci n’est-il que ma punition devant Dieu lui-même pour être un peu… différent.

Camille suppose que je ne peux pas avoir toujours été ainsi. Qu’il ait forcément dû se produire quelque chose dont je ne veux pas lui parler. Elle ne se rend pas vraiment compte que je n’ai aucune idée de ce dont elle parle. Ho… Camille est ce qu’elle appelle une psychiatre. J’ignore ses intentions, si elles sont bonnes ou mauvaises. J’ignore dans quel camp elle veille. J’ignore tout d’elle, jusqu’à la taille de ses chaussures. Je crois qu’elle veut bien faire, alors je lui souris, tous les matins, lorsqu’elle se présente à moi. Tous les matins… On peut dire que ça en fait des jours à la voir sans pour autant saisir la conception de son existence. Je me suis demandé d’où elle venait, si elle était vraiment là, près de moi. Elle m’a expliqué, en bref, que j’étais… cinglé. C’est pour cette raison que je moisi ici, attendant mon heure, attendant une liberté, hors de cette étrange prison, hors de tout. Je crois parfois que Camille se moque de moi. Elle me regarde avec ces yeux de poissons qui semblent tant me mépriser ! Comme si elle ne me croyait pas ! Pourtant… pourtant je ne suis pas sans comprendre que moi, j’existe bel et bien ! N’est-ce pas ? Je pense, donc je suis. C’est sans doute l’unique certitude sur laquelle j’ai le contrôle absolument. Je pense donc je suis. Je rêve, aussi, mais tout d’abord, je pense. Et c’est bien, non ? Revenons-en à Camille. Une fois, je lui ais directement posé la question…

« Mais qui êtes-vous ? »

Elle s’est contentée de sourire et de reprendre son stylo avant de se remettre à écrire sur son bloc-notes. Ça me rend toujours nerveux quand elle fait ça… Je ne sais pas ce qu’elle écrit et j’en éprouve une angoisse terrifiante. Malgré son manque de compréhension vis-à-vis de moi, elle est gentille. Elle ne cherche pas à me pousser à bout ni à provoquer de la colère chez moi qu’elle n’aurait, de toute façon, sans doute jamais trouvé. Malgré tout, j’ignore ce que je dois croire avec elle. Est-ce réelle ou… ou sort-elle de mon indéfectible imagination ? Je souris quand même, discrètement, distraitement. Ne suis-je donc qu’un souvenir de tous ces gens ? Ne suis-je donc qu’une douce mémoire éphémère ? C’est une quête qu’il me faudra découvrir par moi-même… puisque… puisque nulle ne s’ouvre à mon aide. Puisque… puisque je suis incapable de dire si cette odeur est vraie. Je suis incapable de dire si exister est réellement quelque chose. Ou si ce n’est qu’un rêve. Un rêve de plus parmi tant d’autres. Un rêve qui m’échappe, mais qui est malgré tout.

Et les gens, que disent-ils ? Ils supposent que j’ai perdu la tête dans l’accident, dans crash, dans ce Vol qui m’aura sur le coup tout pris : ma vie d’avant, ma liberté, ma conscience… ma logique, surtout. Parce que la logique, sans conscience, ça n’existe plus. Ce que ça signifie, réellement, et pas seulement dans ma tête, cette fois ? C’est que je suis… perdu. Perdu dans l’inconscient, à voguer pour me retrouver, dans un terrible labyrinthe de questionnements. Mais ce crash d’avion… peut-être l’ai-je inventé de toute pièce… Pourtant, tout avait semblé si réel à l’époque… les sirènes, les pompiers, le brancard, l’hôpital que je n’aurai plus quitté par la suite, les médecins… Si je ne puis plus faire cette différence, je ne puis plus rien.