Aux alentours de midi

J'étais arrivé tôt au bureau. Comme tous les matins, à cette heure où les simples employés ont l'habitude de venir, espérant pouvoir boire un café tranquillement avant l'arrivée des grands pontes et parler de leur petite vie personnelle. Monsieur untel venait d'être grand père pour la seconde fois. Mademoiselle untel venait de se marier et elle montrait fièrement son alliance. Comme à mon habitude, j'avais emprunté les escaliers, les grimpant en quatrième vitesse pour atteindre mon bureau du second étage. Je m'arrêtais devant la grande porte en bois se trouvant sur le palier de l'étage. Ma main tourna lentement la poignée. Ouverte. Un jour je l'aurai. Un jour j'arriverai avant ma secrétaire sans âge, je ne cherchais même pas à le deviner ou à le savoir. Tout ce qui m'importait, c'était son efficacité. Le reste n'était que futilité. Je passais devant son bureau pour me rendre au mien, attrapant au passage la tasse fumante de café qu'elle avait préparée. Noir sans sucre.

« Programme du jour Honey ? » Elle ne s'appelait pas ainsi. Je le savais pertinemment mais c'était une habitude que j'avais prise depuis qu'elle travaillait pour moi. « Bonjour maître Hamilton. Audience à 9h pour l'affaire Krams. Dossier Hill à 10h30. Puis déjeuner d'affaire à 12h avec... » Je l'interrompis dans sa lancée. « Déjeuner d'affaire ? Mais depuis quand j'accepte des déjeuners d'affaire ? » Imperturbable Honey. Elle ne fronçait même pas un sourcil, se demandant si je ne me moquais pas d'elle. « Depuis qu'un représentant de la Stark Industries demande à vous rencontrer monsieur. » La Stark Industries, bien évidemment. Où avais-je la tête pour croire qu'on pouvait refuser ce genre d'offres ? J'émis un grognement presque imperceptible auquel ma secrétaire me répliqua calmement que j'irai à ce rendez-vous. Le patron c'était lequel de nous deux déjà ? Je lui adressais un regard noir puis, ma tasse de café dans une main, je claquais la porte du bureau derrière moi.

La matinée s'écoula rapidement. L'affaire Krams fut un jeu d'enfant. Défendre un client accusé d'adultère. Il aurait mieux fait de ne pas se marier, surtout quand on voyait la tête de sa femme. L'amour avait ses mystères que je ne percevais pas. Sans doute qu'ils me resteraient même toute ma vie étranger. Je ne trouvais pas chaussure à mon pied comme on disait. Je ne cherchais pas non plus il fallait dire, me contentant de brèves aventures. J'enchaînais ensuite en bon élève discipliné que j'étais quand je le voulais, sur le dossier Hill. Encore un qui allait m'ennuyer. Même pas besoin de mon don si particulier, je sentais que je ne ferai qu'une bouchée de la partie adverse. Aux alentours de onze heures et demi, je me décidais enfin à sortir de mon bureau.

« Je vais déjeuner Honey. »
« L'adresse monsieur. » Elle me tendit un morceau de papier. L'adresse de ? Ah oui, ce déjeuner d'affaire auquel je ne me rendrai pas. Je pris le papier, un sourire au visage qui disait, vous pouvez toujours courir pour que j'y aille. Dévalant les escaliers de l'immeuble, je jetais un œil à la feuille. Mademoiselle Sutherland ? Une femme, voilà qui était intéressant. Bossant pour la Stark Industries ? Elle devait sûrement avoir un caractère assez prononcé pour percer dans ce monde et y faire sa place. Voilà qui réveillait mon intérêt. Ainsi, plutôt que de me contenter d'un simple sandwich comme j'avais souvent l'habitude de le faire le midi, je me rendis à l'adresse indiquée.

C'était un café-restaurant. Le temps étant doux, je m'installais en terrasse, ce qui me permettait ainsi d'avoir un large champ d'horizon sur tout ce qui m'entourait. Je descendis les lunettes de soleil sur le bout de mon nez, cachant ainsi mon regard pour mieux le laisser dériver. On aurait pu croire que j'étais le touriste de base. Un jean basique de couleur bleu. Pour l'époque à laquelle je vis, je peux vous assurer que cela ne fait pas du tout professionnel. Les esprits pensent qu'il faut le porter seulement pour les loisirs, et que c'est un peu un truc d'adolescents et non d'adultes. Défier les mœurs, voilà qui me convenait, ce qui comptait, ce n'était pas les apparences mais ce que nous avions dans la tête. Et puis avec une chemise blanche, je trouvais que ça se mariait assez bien. Je commandais une bière, puis ouvris le journal que j'avais acheté en venant, le New York Post. Voilà qui pouvait trahir mon statut de touriste.