Le soleil baignait la pièce. J’avais encore oublié de fermer mes rideaux. Je repoussai ma couette, ankylosée et les yeux encore fermés. Je voulus aller fermer les rideaux, mais maintenant que j’étais debout, je savais trop bien que je ne pourrais plus me rendormir. J’enfilai un jeans et un t-shirt puis descendis en bas. J’arrachai la page du calendrier pour le mettre à la date du jour, le vingt-quatre juillet. Sur le frigo, ma mère m’avait laissé un post-It : « Je rentrerai vers midi, avec le déjeuner ». Aussitôt, je la vit en train d’écrire le mot, stressée ou peut-être simplement pressée de partir. Le fond était brouillé, mais je devinais notre cuisine. Je clignai plusieurs fois des yeux pour revenir à moi. A chaque fois que je lisais quelque chose, surtout écrit à la main, ou que je plongeais mais yeux dans une photo, j’avais ces sortes de visions. Ca avait commencé quelques années auparavant. J’avais d’abord mis ça sur le compte de mon imagination, mais ces visions étaient bien trop précises, bien trop justes pour être naturelles. Je n’en avais encore parlé à personne. Je pressentais qu’il ne valait mieux pas. Je fis griller deux toasts et me servis un verre de jus d’orange que je sirotai en réfléchissant. Ce truc devenait de plus en plus étrange. Plongée dans mes réflexions, je ne vis pas le temps passer et sursauté en entendant ma mère rentrer.

— Marine ? Je suis rentrée !
— Je suis dans la cuisine.

Elle débarqua, tenant deux salades préparées dans ses bras, emballées dans leur carton. Je les lui pris et les mis dans le frigo. L’horloge indiquait onze heures. Inconsciemment, nous nous assîmes l’une en face de l’autre, à la table de la cuisine. Elle prit un air grave et je ne pus retenir une mimique interrogatrice. Ma génitrice respira lentement, réfléchit quelques secondes et se lança.

— On déménage aux Etats-Unis. On m’a proposé un poste là-bas, c’est une occasion en or. L’occasion de redémarrer un départ que j’ai raté, l’occasion de repartir sur de bonnes bases, l’occasion de me donner une chance, l’occasion de vivre enfin ma vie, de ne plus être constamment dans l’expectative. On part dans un mois.

Et moi ? Fut ma première pensée. Je devenais quoi là-dedans. Je savais que ma mère était née en Angleterre et j’avais toujours cru que si nous devions partir, ce serait là. Jamais je n’aurais imaginé que je me retrouverais sur un autre continent. Etait-ce encore une de mes visions, la réalité ne pouvait pas être comme ça. C’était inconcevable. Pourtant, j’eu beau fermer les yeux, les rouvrir, ma mère se tenait toujours devant moi, immobile, comme si elle prenait seulement conscience de ce qu’elle venait de dire. Je ne parlais pas anglais, pas bien du moins. Je ne voulais pas quitter la France. Je ne connaissais personne là-bas. Enfin, ce n’était pas tout à fait vrai. Je savais que mon père habitait quelque part dans le pays, mais je ne l’avais jamais vu, je ne connaissais même pas le nom de sa ville.

Soudain, je me levai, sans savoir pourquoi et courrai jusqu’à ma chambre. Il était onze heure dix, on était mardi. Dans un peu moins de deux heures, j’avais ma réunion. J’avais commencé à y aller il y cinq ans, quand on avait découvert que j’étais un enfant à haut potentiel, comme ils disaient. Au début, je n’avais pas voulut y aller, mais au fur et à mesure, j’y avais pris gout. Il y avait d’autres adolescents, on discutait, ils étaient sympa. On m’avait donné le choix, aller là-bas ou dans une école spéciale. J’avais du mal à suivre en cours, toujours interrompue par mes visions, c’est pour ça que je m’étais retrouvée là. Je ne m’en plaignais pas. J’attrapais un sac à dos, y glissai quelques affaires et sortis par la porte d’entrée. Les réunions étaient à une dizaine de kilomètres, j’y serais facilement en deux heures, si je gardais un bon rythme.
Là-bas, je parlai aux autres de ce que ma mère venait de m’annoncer et je pris conscience que je n’aurais plus mes réunions, aux Etats-Unis. Avant même d’y être, je détestais ce pays. Pourtant, je n’avais pas trop le choix.