♣ Cette atroce sensation est encore revenue, m'arrachant une grimace au moment où je m'éveillais. J'ouvrais les yeux pour découvrir que j'étais seule dans une pièce baignée de pénombre. L'atmosphère était lourde et je me sentais étouffer bien que je sois peu couverte. Une crise d'angoisse? Mais c'est ma chambre voyons, pourquoi devrais-je angoisser dans une pièce familière? Mon armoire se dessinait faiblement à la lueur dorée qui passait difficilement à travers le volet fermé, et projetait son ombre déformée sur les draps emmêlés de mon lit. Encore une nuit agitée, je sentais mon cœur battant toujours très vite et mes mains moites tenir anormalement fort le drap. Je me calmais un instant, relâchant doucement la pression sur celui-ci. Allongée nue sur ce lit dans une pose inconfortable, je fixais un moment le plafond grisé par l'obscurité. Quelle heure était-il? Mon réveil n'était pas allumé, je tournais alors la tête et je cherchais des yeux la lueur rouge qu'il émettait habituellement... introuvable. Une panne d'électricité? C'est étrange... dans ce cas d'où venait la lumière faible de l'extérieur? Pas du soleil en tout cas, car qu'il soit filtré par les nuages ou pas, cela ressemblait trop aux lampadaires de la rue, la nuit. Je frissonnais à nouveau et je serrais les dents pour me contrôler. Il fallait que je me lève et que je trouve le téléphone, hélas je ne parvins pas à bouger, paralysée par l'angoisse. Mon cœur battait tellement fort contre mes côtes qu'il me faisait mal. C'est déjà arrivé, je ne m'en rappelle que trop bien, pourvu qu'il ne soit pas revenu, je ne sais pas si je lui résisterais cette fois-ci! Après un long moment je parvins à me lever, tremblant de tout mon corps. Le drap que j'avais emporté dans mon élan glissait sur ma peau et m'arrachait un autre frisson. Une nausée désagréable me fit basculer sur la droite, heureusement je me rattrapais sur la chaise à coté de la fenêtre. Soupirant désespérée de mon état, je repris lentement mon calme, les mâchoires crispées. Il faisait chaud alors je ne pris pas la peine de mettre quelque chose sur mon corps et j'avançais, tendue comme un arc mais tremblant d'angoisse vers la porte de ma chambre. Elle me semblait loin et repoussante à la fois, n'étais-je pas plus en sécurité dans mon lit? Non... Je n'en supportais plus la chaleur et l'air de la pièce m'étouffait, je devais sortir. Après quelques minutes, j’atteignis la porte et je me collais à elle, comme si je n'avais déjà plus de force. Je tendis le bras et tirais la poignée vers moi. Le salon était plongé dans la même atmosphère inquiétante, les ombres des meubles étaient d'innombrables cachettes pour lui. Je finis de balayer inquiète la pièce du regard et je fis un pas dedans. Le silence total me pesait énormément, du moins si j'occultais les battements puissants de mon cœur affolé qui résonnaient dans ma tête comme une alarme lancinante. Je me figeais soudain, un bruit m'était parvenu, le genre de bruit que l'on essaye d'étouffer mais qui échappe à notre contrôle et fait tout de même vibrer l'air.

L'entrée. Je m'y dirigeais lentement, sentant la première goutte de sueur fuir sur ma tempe jusqu'à ma mâchoire crispée. Mes genoux menaçaient de fuir à tout moment si je ne gardais pas un quelconque contrôle sur eux, et une boule dans mon ventre m'imposait une autre nausée comme si j'étais coupable de ma crispation généralisée. Les ombres du hall d'entrée étaient bien plus épaisses, je n'y voyais rien mais je m'y glissais tout de même, persuadée que toute cette angoisse n'était due qu'à mon esprit torturé et à ma fatigue cumulée depuis plusieurs semaines. Grossière erreur, il m'attend là, voyant beaucoup mieux que moi dans ce noir profond, collé au mur derrière la porte d'entrée. Je m'approchais, ignorante, les bras en avant pour toucher le mur et me persuader ainsi qu'il n'était pas revenu, crédule. Ma main rencontrait son épaule et le temps se figeait au même moment que la totalité de mon corps, même ma respiration s'arrêtait alors que je pouvais entendre ses lèvres s'étirer en un sourire. Cette épaule nue, musclée par quelques années de pratiques sportives intensives, remuait un peu, comme sous l'effet d'un rire incontrôlable mais silencieux. Je voulais reculer mais au moment où j'ai eu cette pensée il attrapait mon poignet d'une main ferme et le tirait en me projetant sur lui. Je trébuchais et me retrouvais dans ses bras, serrée si fort que j'en avais mal, à moins que ce ne soit déjà ses dents que je sentais mordre dans mon épaule, sa peau nue contre la mienne... Je restais surprise un instant, consciente de tout ce qui allait suivre, refusant cela inutilement, pétrifiée par la peur. J'entendis alors sa voix mielleuse, celle qu'il n'a jamais en dehors de l'ombre de la nuit.

- Reste-là ma belle Fear.

Ce surnom, ce souffle chaud saturé d'alcool sur mon oreille, son odeur de sueur alcoolisée mêlée de parfum d'homme aux notes sucrées, la forte pression de ses bras autour de ma poitrine... c'était comme la dernière fois, je m'en souvenais comme si c'était hier, j'en frissonnais encore. Je restais paralysée un long moment, soumise à ses gestes qui me délivraient du drap et osaient me toucher à divers endroits. Je n'en pouvais plus, quelque chose se brisait en moi : d'un coté je me refusais fermement à l'idée d'être encore sa chose, et d'un autre mon corps ne pouvait résister à de telles caresses. Frustrée, je n'eus d'autres choix que d'utiliser mon pouvoir. Éveillant chez lui une terrible douleur au cœur qui lui donnait tout simplement l'impression de subir un arrêt cardiaque. Profitant de cette faiblesse, je me dégageais rapidement, prenant sur moi pour me contrôler, malgré tous mes états. Ma main tremblante partit impulsivement frapper dans sa joue. La honte, le dégout, salie par toutes ces années où j'avais dû vivre à ses cotés, je ne me retins plus et je libérais mon pouvoir, ne me contrôlant plus. Cette fois-ci il ne rigolait plus, il ne salivait plus à l'idée de me soumettre à ses envies répugnantes. Quant à moi, je repris le drap qui trainait au sol et je m'enroulais de nouveau dedans pour me protéger. Ce sale égoïste ne pensait qu'à lui, à ses envies obscènes comme aux goûts de boire jusqu'à pas d'heure... Et il se disait être mon père? Quelle ironie en sachant que ses agissements trahissaient sa parole et que mes véritables parents m'avaient abandonné il y a des années, lorsque je n'étais encore qu'un bébé. Le dégout me hantait, son odeur me répugnait tout comme l'idée d'avoir failli être encore une fois violée. Je sentais s'approcher l'envie soudaine de vomir et je me retenais, tout en reculant. J'entendais ses soupirs douloureux ainsi que ses gémissements. Il tentait de dire quelque chose entre quelques cris, mais je ne voulais pas entendre.

- Arrête ça! Fear, arrête... je t'en prie!

Trop tard. Son supplice finit par me déchirer, autant j'avais envie d'en finir avec ce pervers alcoolique, autant j'en étais tout à fait incapable. Après tout, il avait quand même agi comme un père depuis ma naissance. Me résignant, je sentis des larmes perler sur mes joues tout en le libérant lentement de la douleur qui le tuait à petit feu. Enfin... Tuer... C'est un bien grand mot. Les douleurs que j'amplifiais, même au maximum, ne pouvaient tuer personne. Mon dos se collait au mur du salon, j'étais enfin arrivée à coté de la porte de ma chambre et je me demandais si je devais aller m'y enfermer. Que devais-je faire à présent? Allait-il se relever pour me punir? Allait-il me violenter ou continuer d'agir sous l'influence de l'alcool? Pétrifiée contre ce mur, je n'osais plus bouger jusqu'à ce que je le voie se dresser dans la pénombre.

- Tu as osé te servir de tes pouvoirs sur moi... Comment as-tu osé, petite garce! Moi qui ai tout fait jusqu'à présent pour toi, tu oses me torturer?
- J'suis désolée! M'excusais-je en pleurant. J'voulais pas, je te le jure!

C'était l'évidence même... Il allait me faire du mal et se venger d'avoir autant souffert. Pourquoi n'avait-il pas peur de moi après ce que je venais de lui faire subir? Pourtant tout le monde avait peur de moi. D'ailleurs en revoyant l'image de ma dernière victime, cela me rassurait quelque peu, bien que le fait d'effrayer toujours tout le monde me frustrait d'avantage. Mes doigts glissaient vers la porte de ma chambre que j'ouvrais doucement tandis qu'il s'avançait avec fougue. Mes larmes continuaient de noyer mon visage, serrant encore les dents en imaginant la suite, je me précipitais derrière cette longue porte en bois que je me pressais de verrouiller. Mon pouvoir s'était enfin stoppé, je savais alors qu'il ne me restait plus longtemps pour déguerpir le plus vite possible. J'attrapais mes vêtements qui trainaient aux quatre coins de ma chambre jusqu'à sous mon lit et je m'habillais en vitesse, entendant cogner à multiples reprises dans ma porte ainsi que des cris incessants de colère.

- Sors d'ici tout de suite!

Une fois habillée dans les vêtements que je portais la veille, je me précipitais sur ma fenêtre, l'ouvrais et je poussais le volet. Je confirmais enfin être en pleine nuit, mais je ne savais toujours pas l'heure qu'il était. La rue était paisible et l'air y était frais, pas une voiture ne passait sur la route ou le parking, et il n'y avait pas le moindre chat dehors. Je grimpais sur la chaise que j'attrapais à la hâte et sur celle-ci, j'enjambais la fenêtre pour y sauter. Priant pour tomber dans un buisson qui longeait les murs de béton. Je vivais au troisième étage d'un appartement au centre ville, appartement qui normalement était censé être inhabité. Lorsque mes fesses touchaient l'herbe fraiche, je me relevais et je me mis à courir aussi vite que je le pouvais, malgré la douleur que je m'étais infligée en tombant de haut. Mon pantalon était humide, mes baskets dont les lacets défaits et abîmés trainaient sur le sol s'enfuyaient de mes pieds et je fermais à la hâte ma chemise verte kaki qui était à peine fermée.