L’éclat de la lune permettait aux ombres de s’étendre le plus possible, elles s’étiraient silencieusement, disparaissaient lorsqu’un nuage mal avisé venait se glisser devant leur créatrice. Les ombres ne s’effaçaient pas toutes, la lumière des lampadaires exercée elle aussi une sorte de pouvoir créateur sur ces ombres. Ombres qui parfois se croisaient pour créer de nouveaux contours, simulacre dans l’ombre, dessin délicat de silhouette s’avançant dans l’ombre des hauts immeubles. On n’y distinguait pas convenablement les formes, elles se confondaient, surprenaient certaines passantes qui craignaient d’être suivi. « Vous devriez faire attention où vous marchez, les talons ne vous réussissent pas, votre cheville droite est fragile… » La jeune femme sursauta face à cette intrusion prompt, elle fixa l’homme à quelques mètres, lorsque la surprise s’échoua sur une autre plage, un soupire s’échappa de la gorge de la brune, son visage s’étira dans une grimace et elle poursuivit d’un pas empressé son chemin. Ne prenant même pas la peine de lui répondre. Sûrement n’avait-elle rien à lui dire, peut être était-elle consciente qu’après ses nombreuses chutes et entorses, les talons lui causeraient davantage de dégâts. La demoiselle était sans doute trop imbu d’elle même. La fumée âcre s’échappa de sa gorge alors qu’il restait toujours adossé dans l’ombre, contre le mur d’une baraque. Sacré baraque… Le mec avait du bien mangé dans les chaussures de son patron pour s’offrir une telle merveille, et Ruben pouvait toujours parler des autres maisons imposantes qui rendaient Boston si agréable. Lui à coté, ses quelques sous en poche et ses airs de clochards faisaient bien pâle figure dans le paysage. Un semi sourire étirait ses lèvres alors qu’il quittait le mur pour rejoindre le passage piéton. Une voiture le rasa, manquant de près de l’embarquer avec. Le danger était omniprésent dans ce monde de fou, alors pourquoi tenter de frôler la mort quand il en avait l’occasion ? Pas par pure envie de suicide, non… Ruben était bien loin de ces gens aux mentales fragiles. Notre mutant buvait une autre sauce, la sauce faites maison. La folie baignée dans le sang, l’eau accompagnant la tempête dans sa dévastation, un déluge qui prend ce malin plaisir à vous ravager la face. Toutes ces choses que les hommes ne peuvent pas prédire ni contrôler, à quelques points près…

À Boston. Il leur arrivait de connaître la pluie. Mais pas ce soir, en ce charmant week-end. Le cadrant n’affichait que une heure du matin, les fêtes n’étaient pas closes, elles battaient leurs pleins. On entendait la musique aux coins des rues.

Un bruit attira son attention, l’obligeant à lever les yeux. Ce qu’il faisait rarement en ces temps difficiles. Un brouhaha assourdissant qui provenait de la rue voisine, d’après les sons, des pieds furieux frappait contre une corbeille et quelque chose de moue. Or, en mettant tous ces sons dans l’ordre, tout devient beaucoup plus compréhensible. La chose moue était le corps d’un pauvre gamin, les pieds furieux étaient ceux de ses amis trahis, et la poubelle servait juste d’intermédiaire pour qu’il ne s’écrase pas contre le mur. Voyez. La poubelle avait un grand intérêt dans la situation, grâce à la poubelle métallique, l’individu ne souffrirait pas de maux de dos. Sauf si le crétin optait pour la solution « j’essaye de m’échapper ou j’essaye de me battre pour survivre ». Le mieux quand on était novice, c’était d’encaisser, en espérant que les idiots se lasseraient. Puisque, vu la portée des coups, les idiots en question n’avaient pas réellement l’intention de tuer le jeune.

S’il avait songé à venir secourir le garçon ? Idée écartée, contournée. Il avait frôlé le concept, mais le verglas l’avait fait glissé sur le coté. Ruben expira de la fumée tout en passant devant la ruelle sans tourner la tête.

« Hé le vieux, qu’est-ce que t’as vu… ? »

Une voix oppressée, sceptique, suspicieuse, dans sa direction, Ruben s’arrêta net, sans tourner la tête sur le coté. Il sentait bien les poings serrés de l’un des deux adolescents, près à sauter, couteau à la main, sur un éventuel témoin. Ce moment profita au gamin ensanglanté qui essaya de s’échapper, mais l’un des trois mecs l’arrêta d’un coup sec.

« Si tu craches le morceau… on t’éclate la gueule… »

Qu’est-ce que les humains étaient perfides et haineux…
S’en était lassant. Il n’avait aucune envie de tourner la tête, voir ce qu’il ne voulait pas voir. Les lampadaires suffisaient déjà à son déplaisir, il faisait de son mieux pour ne pas regarder ces bons gens en face, pour éviter de voir ce qui lui causé bien des tords. Un soupire s’échappa de sa gorge, alors que les pas du jeune homme menaçant se rapprochait de lui. Il restait sur ses gardes, au cas où Ruben conservait une bien jolie arme sous sa longue veste grise. Le vieux, comme le disait si bien l’impétueux, haussa un sourcil, ses lèvres se fondirent dans une grimace peu appréciable. Entre le sourire mesquin et le désespoir de devoir prendre en main la situation. Pourquoi fallait-il qu’on ne le laisse pas simplement passer son chemin ? Ce sol parsemé de petits défauts, fissures en tout genre qui pourraient se transformer en fin cratère dans les années à venir s’il n’était pas entretenu, ces pièces coincés entre deux pierres, pièces scintillantes dans la nuit. Suffisaient à calmer ses yeux meurtris. Ruben s’était demandé si regarder la future éclipse lui permettrait de ne plus voir ces filaments rougeâtres qui battaient comme un cœur vif à certains endroits. L’avantage, c’est que les filaments ne bougeaient pas sur les objets, ils restaient immobiles. Contrairement à ces humains, ou ces mutants.

« On ? … Pourquoi vous sentez vous obliger d’attaquer en meute ? Parfois, la force d’un groupe à bien plus de failles qu’un seul individu… Vous ne vous faites pas assez confiance pour dissimuler ces failles. Veuillez, s’il vous plaît, me laisser profiter de l’éclat de Dame Lune. Mon mal de crâne persiste lorsqu’on me parle… »

Ce n’était pas dans ses habitudes d’essayer de communiquer avec des gens bornés. Il avait déjà essayé, de nombreuses fois, de prouver qu’il n’était pas un tueur. Mais maintenant qu’on lui avait assigné ce titre sur la tête, s’en était fini de sa réputation. Bien heureusement, l’affaire était tombée à l’eau, il avait effacé toutes les preuves qui l’inculpés dans cette affaire, et maintenant on le poursuivait pour d’autres fraudes. Le meurtre n’était pas au même degré que la fraude, certes, mais Ruben était tout à fait conscient de ce qu’il faisait. Ses actes, ses faits et gestes, il avait la plupart en mémoire. Son grain de folie dû à ce pouvoir n’était en rien fautif. Il n’était pas amnésique. Il était juste facilement dépassé. Et l’ombre lui faisait plus de bien que le soleil.

« Espèce de… »

Un silence après ce bruit assourdissant.

« Vous feriez mieux de l’emmener à l’hôpital… »

Un unique coup, là où le jeune homme avait déjà été touché. Il avait eu beaucoup de chance le gamin, et il ne profitait pas à fond de cette deuxième vie que le bon seigneur lui avait offerte. Ruben n’était pas spécialement croyant, pour ne pas dire pas du tout. Mais il respectait ce en quoi sa femme avait toujours cru, qu’il y avait un être bon qui avait posé ses mains sur la tête de ceux qui le valait bien. S’il y avait vraiment eu un tout puissant, il aurait pu arrêté tant de chose. Or, Ruben était conscient que si dieu existait bel et bien, il devait être en train de boire des litres et des litres de tonneaux de bières pour essayer de se mettre dans la peau de ces individus qu’il avait soi-disant créé.

Cette unique balle qu’il avait tirée pouvait bien être mortelle, sauf si on savait où viser. Loger dans le crâne, sans avoir toucher le cerveau, la ligne parfaite de tire, et ces filaments rouges vifs et palpitants qui décoré une partie de la zone fragile, lui avait permis de réussir son coup. Le jeune avait déjà reçu une balle dans la tête, balle sûrement perdu au hasard durant un règlement de compte entre gang. La lignée était parfaite. La peau était fragile. Il aurait pu le tuer. Mais il avait réussis, la portée était trop longue pour qu’il ait faillis lui transpercer le crâne.

Ruben ne cherchait pas d’histoires, mais les embuches venaient à lui d’une façon tellement simple qu’il commençait à croire qu’il avait hérité d’un autre don : multiplier la malchance. La désolation. C’était tout de même, d’un poétique. Un charmant poète aurait des lignes et des lignes à proposer rien qu’en détaillant cette scène. S’il aimait un tant soit peu le macabre. Au moins, sa conscience était presque tranquille, l’autre gamin, salement amoché, avait eu l’intelligence de détaler devant l’étonnement de ses frères.

« Enfoiré. Je t'ai retrouvé. » À peine avait-il mis les pieds dans sa chambre d'hôtel, qu'il avait reçu ce message, soigneusement glisser sous la porte. Une écriture fine mais saccadée, tant la rage avait attaqué la main de l'inconnue. Rage, haine, crainte aussi. Une peur qui avait dû lui ronger les trippes quand elle avait trouvé ce qu'elle cherchait, peut être demeurait-elle dans la pièce. Mais rien n'avait bougé, le tapis était à la même place, aucune trace de pas se faisait entrevoir, sauf les siennes de la journée précédente. Mais. Les volets étaient tirés. La lumière aveuglante l'agressait. Comment avait-il oublier ce détail qu'il aurait remarqué dès l'instant où il serait entrer dans la pièce. La lumière sous la porte l'aurait alerté. Le rideau coulissa brusquement.

Ruben glissa de nouveau son regard sur le papier, mais on toqua à la porte.

« Une dame vous attend à la réception. »

Ruben n'était pas idiot, cette fille ou cette femme ne se serait pas montrer de si tôt. Sinon, elle n'aurait même pas pris la peine de griffonner sur ce bout de papier.

Quelques minutes plus tard, cette main tendue dans sa direction fut ressentis comme une agression. Ruben s'adossa au comptoir du bar, il ne prit pas la peine d'hocher la tête pour saluer la policière. Son badge salement dissimuler sous son blouson, ses vêtements trop amples, et presque modeste alors qu'elle portait un bijou scintillant au poignet. Lui aussi bien dissimuler.

« Vous comptez m'arrêter alors que je ne suis pas à Boston ? Vous ne pouvez m'arrêter ici. Des lois vous en empêchent. »

Ses doigts glissèrent autour du verre que le barman venait de lui service. Un fin sourire étira ses lèvres, alors qu'il glissait un regard en direction de la dame. Des formes félines, élancés, elle était élégante, tout le contraire des autres femmes à la botte de la police qu'il avait pu rencontrer.

« Mais je suppose... Que vous n'êtes pas venu me parler de cela. »

Bien sur que c'était autre chose, aucune hostilité dans son regard azur, un brin de malice de son sourire alors que ses doigts ne tentaient même pas d'aller chercher l'arme qu'elle avait glissé dans son dos.

« Nous aurions besoin de votre soutient pour une affaire. En échange... »

Ruben ne manqua pas d'exploser de rire, de nombreux regards surpris s'étaient tournés dans sa direction, alors que le visage de la belle commençait seulement à se crisper. Il avala deux bonnes gorgés de sa boisson avant de répondre :

« Vous me demandez l'impossible ma dame. Hors de question que je sois de mèche avec la police pour une quelconque affaire alors qu'on m'a salis. Même si vous n'êtes pas concerner directement par toutes les affaires qui mon poursuivit, votre intelligente m'en dit long sur ce que vous savez sur moi... Vous avez bien étudier tous mes dossiers. Mais vous avez omis une chose. Je ne travaille que pour moi même. Par principe. Je n'aime pas les échanges, car on finit toujours par se rendre compte qu'on s'est fait piégé. J'ai beau pouvoir discerner les minces détails que votre oeil lubrique ne peut voir, je ne suis pas l'un de ces outils qu'on manipule... Enfin, il faut avouer que pour parvenir à me manipuler, il faut avoir de bonnes tactiques. Qu'avez-vous d'autres à me suggérer que de vulgaires échanges pour ma liberté ? »



.