Que y-avait-il de mieux pour se vider la tête que de passer la soirée dans un bar ? Certes, il ne s'agissait guère d'une occupation très bien vue de tous mais c'était là le moyen, pour Alekseï, d'occuper ses longues journées à ruminer ce qu'il devrait faire et ce qu'il ne devrait pas faire. Son père avait encore eu la fameuse idée de lui envoyer une de ces lettres que le jeune russe haïssait tant. Il trouvait, dans l'écriture de son paternel, une forme de condescendance mélangée à une bienveillance qu'il lui avait toujours connu : rien de bien utile au jeune mutant qui ne savait encore guère que faire de sa vie. Il avait 32 ans, vivait encore sur le dos de ses parents qui – bien heureusement – lui versaient bien plus qu'il ne fallait pour vivre décemment. Il y avait bien sûr le Club des Damnés cependant, au delà de son pouvoir qui semblait être bien tombé pour sa hiérarchie, il n'avait aucune raison de s'être joint à eux. Les consignes étaient les consignes. Alekseï, qui avait jusqu'alors supporté ce vie légère, paraissait comme las de cette énergie perdue à ne rien faire d'autre que de s'occuper de sa propre personne... Alors, comme un retraité aurait ses habitudes, Alekseï venait régulièrement en ces lieux pour y trouver du réconfort via les tasses de très bon café ou les pintes de bière qu'ils servaient, cela dépendait de l'heure.
Peu de gens étaient présents autour de lui : il crût reconnaître un couple de jeunes amoureux, quelqu'un un peu plus âgé qui avait visiblement besoin d'aller se reposer et nulle autre personne. C'était bien calme. Alekseï observait la mousse de son verre d'une manière si déprimante, qu'il se stoppa net par peur de s'endormir. Peu de gens percevait la détresse que dégageait la jeune homme : il savait définitivement très bien mentir, faire la part des choses, s'amuser quand il le fallait et surtout, il n'aimait guère parler de ses problèmes et refuserait de l'aide si tant est qu'on le lui en proposerait. Il prit alors conscience, plongé dans ses songes, du fossé qui le séparait des quelques rares personnes aux alentours. Ils n'étaient ni russes – autant dire, en cette période de guerre, théoriquement ennemis de la Nation et peu les bienvenus sur le sol américain – ni mutants. Bien que cela pourrait le gêner, il s'agissait, l'un comme l'autre, d'une véritable fierté aux yeux d'Alekseï. Il n'avait pas honte d'être ce qu'il était et, même si ces différences lui avaient causé des soucis par le passé et continueront probablement de le faire, il était lui. Cette pensée le rassura soudainement, il finit même par en sourire : il était au moins sûr d'une chose. C'est alors qu'on tira la chaise qui se présentait de l'autre côté de la table et qui faisait donc face sofa dans lequel était installé Alekseï. Une voix féminine l'interpella, avant même qu'il ne put lever la tête : « Dis-moi, tu n'attends personne hein ? »

Après avoir entendu la question de son interlocutrice, Alekseï avait en effet relevé la tête, doucement car peu sûr de lui. Il avait alors perçue son amie Elvie et se dit alors que cela faisait bien longtemps qu'il ne l'avait pas croisé. Si longtemps qu'il ne sut guère quoi lui répondre. Il resta quelque peu bloqué, l'examina de haut en bas en quête de répartie puis, lorsqu'il comprit ô combien il était long à répondre, il lui dit : « Nop, pas du tout. Je t'en prie. » associant le geste à la parole et l'invitant ainsi, d'un revers de main, à s’asseoir en face de lui. Elle s'exécuta, avant de rajouter : « Tout va bien Alekseï ? ». Il se dit alors qu'il devait probablement porter cela sur son visage et décida donc de porter un léger sourire, sans trop avoir à se forcer. Il aurait aimé lui répondre que non mais il y vit alors deux objections : il n'avait pas envie d'en parler, préférait justement penser à autre chose et, quand bien même le voudrait-il, il ne saurait dire d'où provint son mal-être. Il prit ainsi la décision de mentir, en considérant qu'il ne s'agissait pas vraiment d'un mensonge. « Et bien, ça va ça va. Et toi ? Que me vaut ta présence à mes côtés ce soir, n'as-tu pas mieux à faire ? » répliqua-t-il avant d'avoir un petit rictus taquin. Elle avait l'air assez contente de retrouver le jeune Alekseï et, bien heureusement, il sembla que cela fut réciproque. Il se souvenait encore de leur première rencontre. Cela devait dater d'un peu moins d'un an. Le jeune mutant avait rencontré sa compère à un moment relativement importun. En effet, ce soir-là, Elvie s'était attirée les foudres d'un groupe de jeunes qui n'avait pas trouvé mieux que de l'embêter alors qu'elle ne demandait simplement qu'à rentrer chez elle. Alekseï ne lui avait pas été d'une grande aide quant à se défendre elle-même semblait-il puisque, en l'espace de quelques secondes, elle en avait cloué un au sol sans aucune explication logique. Alekseï, qui avait alors compris ce qui se passait en tant que – par chance – seul spectateur de la scène, avait surtout aidé la jeune fille à se calmer. Et de là naquit une amitié qui n'avait jusqu'alors pas connu de bas. Cela faisait du bien. Cela faisait du bien pour Alekseï d'avoir une amie sur qui compter, qui partageait son secret qui plus était. Et , bien que cela ne l'avait pas fait rire sur le moment, il ne peut s'empêcher de sourire en repensant à l'anecdote qui les avait liés.