Des mots. Toujours des mots. Un sourire. Un sourire toujours plus large, et des dents toujours plus blanches. Un corps se glisse à travers l’écran, bondissant littéralement sur le sol de bois au tapis rouge. Il lève une main, salut une foule. On le salut en retour, scande quelques mots, encore, cri, hurle, chuchote et rit. On cri, hurle, chuchote, pleure et rit avec lui. Il est la maîtresse vulgaire d’un public assoiffé de ses paroles. Il s’éloigne. Passe en coulisse. Tousse sous le maquillage poudreux qu’on lui impose bien malgré lui. Mais il trouve que ça lui donne un style détonnant. Ça lui plait et il l’accepte. De nouveau sur scène. Il fait hurler une voix cassante et féminine, quelque part, dans l’ombre qui s’étend devant lui. Lui, il est sous le spot brulant de l’attention médiatique. Il est là, yeux braqué sur sa personne, et c’est quelque chose qu’il aime plus que tout : être le centre de l’attention. Il dit; il reçoit. Il ordonne; on écoute. Il pleurniche; on le plaint. Il s’énerve; on l’approuve. Tout ce qu’il fait est vu comme une acceptation mondiale. Et il ne le regrette pas. La caméra l’aime autant qu’il l’aime. Raison sans doute pour laquelle il aura si rapidement grimpé les escaliers dan cet univers pourtant bien difficile. Encore qu’il avait un brin de pitié pour le petit Jimmy de cinq ans plus vieux que lui dans le domaine, servant un café amer et granuleux lorsqu’aucun regard ne se tournait sur eux : sur lui. Arthur était un de ces types qui paraissaient bien, qui attirait inévitablement l’attention dès qu’il mettait le pied dans une pièce. Et c’était aussi le genre de type à causer un émoi jaloux chez certain, pour son plus grand malheur. Combien de fois lui avait-on répéter de se montrer mon agressif sur certaines causes? Combien de fois lui avait-on dit de taire bon nombre de ces commentaires que la foule adorait, mais que beaucoup considérait comme déplacés? Au fond il s’en moquait : tant qu’on scandait son nom, le reste lui importait peu. Malgré les quelques menaces qu’il avait déjà reçu, il persistait à ne pas se préoccupé des quelques mécontents en répétant qu’on ne pouvait jamais plaire à tout le monde et que c’était, de toute façon, la majorité qui l’emportait!

Arthur sortit par la porte arrière. Un vent frais s’engouffrant entre ses vêtements. Il se serra dans les tissus foncés. Il ajusta ses lunettes fumées sur son nez et fila. Non pas qu’il avait rendez-vous quelque part, mais il cherchait à éviter tout contact. Il aimait habituellement voir tous ces gens à qui il s’adressait, et c’était peut-être là une nouvelle qualité que le public lui attribuait. Mais il lui arrivait, comme tout être humain qui se respecte, de souhaiter un peu de solitude, de se contempler lui-même dans un verre, devant une cigarette bien méritée, en solitaire devant un bon vieux film. Oui, voilà, c’était ce genre de soirée là qu’il se permettait, de temps à autre, lorsqu’on ne le harcelait pas. Il marchait d’un pas rapide dans la ruelle derrière le grand bâtiment médiatique. Filant au stationnement, il croisa un type quelconque qu’il ne replaçait décidément pas. Mais lui le connaissait. Ce n’était pas une situation qui lui était inconnu et il se contenta de lui sourire comme à son habitude.

«-Je suis impressionné…lâcha l’homme sur ce ton des plus mystérieux.
-Pardon? »

L’autre se contenta de sourire étrangement à son tour et de poursuivre son chemin. Si on lui avait dit, un jour, qu’il serait secouru involontairement par cette mutation qu’il ne connaissait pas, il en aurait rit, forcément. Mais c’était le cas : elle lui avait épargné une douleur et avait attirée, bien malgré lui, quelques regards nouveaux auxquels il ne s’attendait certainement pas de recevoir.