Comme la nuit tombe, je me glisse parmi la foule. Chinatown ne désemplit jamais. C'est une des raison pour lesquelles j'aime ce quartier. Il est plein de couleur, plein de vie, comme aurait pu l'être ou le devenir mon pays. J'aime y entendre les gens parler dans le leur langue. Je ne comprends pas évidemment, il y a peu de Viet, l'Indochine était une colonie française et ce sont surtout des chinois qui sont entassés ici. N'empêche. Ce n'est pas de l'anglais, je reconnais quelques mots, des idéogrammes. La galère est la même pour tous et l'entraide est de mise. Tout un chacun essaie de ne pas se faire repérer des Tongs, de survivre pour un jour accéder au Rêve Américain. Le Capitalisme à portée de main des classes ouvrières. On ne leur a pas apprit que ce n'était qu'une illusion. Alors, ils lèvent les yeux comme un enfant essaie d'attraper le soleil et finalement se brûle. J'aime cette ambiance. Me glisser sans bruit dans les vies de ces gens, passer comme un fantôme, ne prendre substance que pour aider une vieille avec ses sacs ou refuser poliment une épice hors de prix. Tant de gens, tant d'histoires, tant de choses à découvrir. Deux ans que je suis à New York et je n'ai fait qu'effleurer la surface. Je me demande souvent combien de temps je vais devoir rester. Quel est la vraie raison de ma présence ici. Cela ne dure jamais longtemps, je sais qu'on me joindra quand on aura besoin de moi. En attendant, je dois devenir un Joe. Où un Chang, dans ce quartier, peu importe.
Je contourne un groupe de travailleurs focalisés sur un combat de poule et rejoins Canal Street vers Little Italy. Les couleurs changent, la langue aussi mais l'idée reste la même. Quitter un pays mourant pour tenter sa chance sous la bannière étoilée. Je ne sais pas trop où est l'Italie ni comment vivent les gens dans ce genre de pays mais je peux vous dire qu'ici, ils sont bruyants, désordonnés et bagarreur. Ils ont le même rêve que nous, les chintoks, mais ils n'iront jamais nulle part. Même leur mafia est sale. Ils font tout dans la rue, ils n'ont aucune discipline, aucun effacement de soi. Le passage d'un quartier à l'autre est assez éprouvant. C'est comme si j'avais traversé une frontière invisible. Ce sont les mêmes maisons, la même misère mais les gens changent tout. Ce n'est pas grave. L'Asie de Manhattan, doucement, absorbe l'Italie. D'ici deux ans, il n'en restera même pas deux rues. La force tranquille et travailleuse contre l'enfant brouillon et bruyant. Et cela me donne de l'espoir.
Je suis pressé ce soir, je ne reste pas, rejoignant Mulberry street dès que possible. Arrivé là, je quitte les grandes artères pour les rues et ruelles plus petites, plus sombres. Je n'ai pas de cible, je repère. J'analyse. Concentré sur les bâtiments, je ne vois pas le sans abri derrière moi. Il se lève soudain de derrière sa poubelle pour me demander quelque chose. Je sursaute violemment, je ne comprends ni ce qu'il me dit, ni l'origine de sa colère avinée. Il pue. Une odeur d'alcool et de pauvreté qui est une agression à elle toute seule. Mon instinct me hurle de le faire taire. C'est contraire à mon objectif. Je recule, je recule, et là, à la limite de mon champs de vision, juste quand on croise une rue un peu plus grande, quelqu'un. Un autre quelqu'un.
Deux trois secondes plus tard, ce qui n'a du lui sembler qu'un battement de cœur, à lui, mais c'est uniquement parce que j'ai du me servir de mon pouvoir. Je prends ça pour une défaite. J'ai beau ne pas l'avoir touché, avoir semé mon ennemi le clodo, j'ai échoué quelque part. Et je m'en veux. Je ne dois pas le montrer, je ferais pénitence plus tard. Pour le moment, je dois juste lui faire oublier ce qui a du lui sembler être un battement de paupière un peu long et un réflexe très rapide.
« Excusez moi, monsieur. Je ne vous ai pas blessé au moins ? »
Je suis essoufflé mais mon anglais ne m'a pas fait défaut. C'est déjà ça.