En Australie, Meaghan s'ennuyait ferme. Le soleil inondait Melbourne malgré l'arrivée de l'automne et le climat était agréable. Un temps magnifique, en somme. Trop magnifique, surtout lorsqu'on est enfermé dans une salle de cours, à écouter le discours d'un professeur capable de faire somnoler quiconque avec sa voix traînante et ennuyeuse. Ce n'était pas un mutant et pourtant, il parvenait facilement à endormir ses élèves. Meaghan essayait de ne pas sombrer et fixait le paysage à l'extérieur, rêvant déjà de goûter au climat printanier de Californie. Et si.... Non, quand même pas ? Oserait-elle... ? Un sourire illumina soudainement son visage, ce qui ne manqua pas d'alerter le professeur. Celui-ci semblait vexé de ne pas recevoir toute l'attention qu'il pensait mériter et fit une remarque à la jeune fille, qui fut forcée de braquer son regard sur lui et de l'écouter - ou du moins, faire semblant de l'écouter. Lorsque le cours fut terminé, la mutante entra dans les toilettes des filles pour pouvoir se téléporter à l'abri des regards indiscrets. Son choix était déjà fait : elle irait goûter au soleil de Californie. Mais avant de pouvoir en profiter, elle devrait attendre. En effet, il était à peine deux heures du matin à Los Angeles.

C'est dans une chambre d’hôtel prise tout à fait au hasard que Meaghan attendit les premières lueurs de l'aurore. Pour passer le temps et surtout pour ne pas tomber d’ennui, la jeune femme mit en route une station de radio qui diffusait les nouvelles chansons à la mode. Celle qui passait à l'instant même donna à la mutante l'envie de danser. Elle retira alors ses chaussures et grimpa sur le lit, en chantant et en faisant de grands gestes. Meaghan avait vraiment besoin de se détendre et ce moment-là était parfait. Cependant, il lui manquait quelque chose. Elle sauta à pieds joints hors du lit pour aller se commander une glace auprès de la réception. Lorsqu'on lui apporta, elle remercia l'homme d’hôtel avec un bon pourboire et un clin d’œil.

Un quart d'heure plus tard, Meaghan s'affalait dans un fauteuil, face à la fenêtre qui donnait vue sur l'océan. Un soupir passa ses lèvres et elle n'entendit même pas le petit "clic" qui indiquait qu'une personne s'introduisait dans la chambre à l'aide d'une carte. Lorsque enfin, la jeune femme daigna regarder autour d'elle, qu'elle fut sa surprise de voir un jeune homme dont le visage n'était pas totalement inconnu. Meaghan ne le connaissait pas personnellement, mais il était célèbre. Son visage était célèbre. « ... oh, bonsoir. Ou... bonjour. » Peu impressionnée et surtout pas dérangée pour un sous, la mutante afficha un large sourire au nouvel arrivant, qui devait quand même se demander ce qu'une femme pouvait bien faire dans sa chambre. En espérant qu'il ne la prenne pas pour une groupie dérangée...

S’il était épuisé? Il était surtout énervé. Même si sa fatigue ne faisait qu’ajouter un plus à son agacement. C’était comme se prendre un coup de poing en pleine poire, de temps en temps. Ça ne faisait pas du bien, mais c’était nécessaire. Et son producteur avait cru bon de lui en foutre un au moment précis où Arthur avait l’impression de perdre la tête à force de courir d’un plateau à l’autre. Une poule sans tête! C’était exactement l’image qu’il avait de lui-même dans l’avion. Du moins c’était ce qu’il se disait en s’endormant sous l’effet obligatoire des somnifères qu’on lui avait presque imposer au décollage. Parce qu’un Arthur de mauvais poil, ce n’était certes pas joli à voir, et encore moins agréable à supporter. Plus encore lorsqu’il voyageait autour de gamins impossibles à supporter, qui hurlaient, tapaient dans les bancs, et vomissaient partout. La vie familiale, il se le répétait souvent, se ne serait jamais une chose faite pour lui. Et puis, il ne s’était jamais casé avec personne. Il n’était pas même certain d’en avoir seulement déjà eu l’intention. Et si le brun était un charmeur impossible à contrôler, il n’était pas celui qui allait voir tous les lits possible et inimaginables. Il avait toujours pris grand soin de sa réputation et ne se risquait guère à se balader dans les plates bandes de n’importe qui, n’importe quand, simplement parce que ça plait ou parce qu’on en a envie. Il ne disait pas oui. Autant qu’il ne disait pas non. Mais un sourire ou un signe de tête suffisait souvent. Ça, c’était sans parler du scandale à son propos l’année dernière quand on l’avait accusé d’agression… Accusation prouvée fausse, pour son plus grand soulagement, et pour sa plus grande peine. Parce que même s’il se comportait parfois comme le plus crétin des hommes et qu’il n’était sans doute pas le plus romantique, il n’était pas de ce genre là. Il ne l’avait jamais été.

Se fut pour le plus grand soulagement de ses nerfs que l’avion atterrit. Il voyageait de nuit, habituellement pour avoir la paix. Mais puisque ça ne semblait pas avoir été le cas cette fois, il se promit de ne pas sortir du lit de toute la journée. Même s’il restait encore un peu de temps avant le levé du jour, les temps qu’il passa avant de seulement pouvoir franchir les portes de l’hôtel lui paru interminable. D’abord le taxi. Le chauffeur n’avait jamais compris un traitre mot de ce que le brun avait tenté de lui faire comprendre. Il lui avait d’ailleurs presque étouffé avec son argent tant ça l’avait exaspéré. Ensuite, il s’était rendu compte qu’on n’avait jamais prévu de l’enregistrer d’avance à l’hôtel. Hôtel qu’il avait pourtant déjà fréquenté à quelques reprises.

Lorsqu’enfin on lui glissa la carte magnétique de sa chambre en s’excusant, il s’éloigna et se dirigea vers celle-ci avec la claire intention de ne pas en sortir du restant de la journée, quitte à ne rien manger, quitte à dormir, quitte à oublier l’existence du monde entier s’il le fallait. Du repos, de la tranquillité, ne pas entendre parler, encore moins crier à ses oreilles qui cillait encore des hurlements de ces sales morveux insupportables.

Mais la porte de sa chambre s’ouvrit sur une toute autre surprise pour ses pauvres nerfs déjà mis à rude épreuve jusqu’à maintenant. Son regard se posa d’abord sur le tapis qu’il trouvait particulièrement moche. Puis, la porte refermée, il posa ses iris noisette sur la chevelure blonde, puis sur le visage qu’elle épousait parfaitement. Un visage qui bougea pour le saluer, d’ailleurs, comme si l’intrus c’était lui et non elle. Peut-être confondait-il. Le bagage à main qu’il tenait tomba au sol dans un ploc qu’il semblait ne pas remarquer, et son sac en bandoulière en fit de même, suivant la même trajectoire, en glissant le long de son bras pour à son tour s’aplatir au sol pour ne plus bouger de là.

—Je ne savais pas qu’ils manquaient d’espace au point de me donner une colocataire, lâcha-t-il pour toute réponse, un brin de sarcasme pointant dans le timbre de sa voix irritée.

—À moins que ce ne soit une surprise, de mauvais goût à mon avis. Vous ne devriez pas être là, je crois… finit-il en se radoucissant plus que de raison. Bien que de la raison, il n’en possédait guère plus à ce moment-là.

Où étaient passées les convenances de Meaghan ? La jeune femme se redressa du fauteuil et réajusta sa robe blanche qui lui tombait sur les genoux. L'occupant de la chambre avait sortit une phrase, comme quoi les locataires étaient forcés de se rassembler par manque d'espace. Un fin sourire apparut sur le visage de Meaghan qui haussa les épaules, l'air totalement détaché. Arthur surenchérit en pensant à une surprise de mauvais goût. De mauvais goût ? La jeune femme fronça les sourcils et posa ses deux mains sur ses hanches, comme si elle s'apprêtait à sermonner la célébrité. En réalité, elle voulait se révolter. Mais pourquoi ? Il n'avait pas précisé en quoi la surprise pouvait être de mauvais goût. Alors, rapidement, Meaghan croisa les bras en lançant un regard perçant à Arthur. Et si elle ne se montrait pas du tout sérieuse ? Après tout, elle se fichait bien de qui elle avait en face d'elle. Il pouvait être le dernier acteur à la mode, ça lui était égal. « Vous n'aimez pas les surprises ? » Décroisant ses bras, Meaghan avança tout près du jeune homme, sans le lâcher du regard. « Vous devriez. » La jeune fille eut un large sourire. Elle était en train de jouer avec le jeune homme, utilisant sa voix suave et son coté séducteur pour tenter d'avoir l'avantage de la situation. « Je ne sais pas du tout pourquoi nous nous sommes retrouvés dans la même chambre. » Un petit haussement d'épaule innocent, un regard brillant de malices. « Mais ça peut être amusant. »

Si elle allait rester ? Pas du tout ! Meaghan avait bien l'intention de fuir de cet endroit, mais pour ce faire, elle devait changer de pièce. Sortir par la porte d'entrée ? Ce serait bien trop simple, pas assez amusant. Meaghan avait envie de jouer. Elle avait envie de se téléporter, de disparaître, sans que Arthur ne puisse rien comprendre. Si seulement elle se doutait qu'il était un mutant, lui aussi, elle ne serait pas si sûre d'elle, en se dirigeant vers la salle de bain. « Je reviens tout de suite. » Sur ces mots, Meaghan referma la porte derrière elle, sans lâcher son large sourire. Celui-ci disparut lorsqu'elle fut enfermée dans la salle de bain dans laquelle elle s'était réfugiée. Face au miroir, la mutante fixait son reflet, prête à se téléporter. Seulement voilà, rien ne se passa. Meaghan tenta un nouvel essai, mais là encore, pas de téléportation. Était-elle malade ? La jeune femme s'avança près du miroir et se parla à elle-même. Elle ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait et ne fit même pas le rapprochement entre son problème et l'homme de l'autre coté de la porte.

Sans défense, sans moyen de s'échapper de la façon la plus amusante qu'il soit, Meaghan sortit de la salle de bain, comme si de rien était. « J'avais besoin de me rafraîchir un peu. Quelle chaleur. » Oui, c'était bien connu, à deux heures passées du matin, il faisait chaud. N'importe quoi. Meaghan avança dans la pièce et tapa dans ses mains, cherchant quoi dire, quoi faire, dans une situation telle que la sienne. « Bon, eh bien, vous voulez partager votre chambre ou vous préférez rester seul ?»

Il passa une main derrière son cou encore raide du voyage qui l’avait épuisé plus qu’il ne l’aurait cru. Non pas que discuter avec quelqu’un le dérangeait. Il ne s’était pas réellement adressé à elle avec sérieux. Loin de là, en fait, mais l’envie de se battre contre quelques plaisanteries dissimulées ne lui parlait pas. Comme son visage ne lui parlait pas non, en fait. Comme son lit, lui, hurlait son nom depuis l’instant où il avait mis sa carte dans la serrure. Il ne la qualifiait pas de hautaine, mais il n’aurait su dire à quel jeu elle jouait. Ses neurones au point mort le forçaient surtout à délirer sur l’identité mystère de la jeune femme. Il se décida à ne pas s’offusquer de sa présence, comme il aurait eu tendance à le faire, et passa une seconde main contre sa veste qu’il détacha, ne la lâchant pas des yeux. Veste qu’il accrocha d’ailleurs au premier objet du bord.

—Certaines surprises me sont plus agréables que d’autres, laissa-t-il tomber de ce même haussement des épaules, un peu nonchalant, un peu au-dessus de la situation, comme s’il tapait tout bonnement la discussion avec une amie, une sœur, ou il ne savait trop quelle personne de son entourage, en fait. Une discussion qui lui venait naturellement, et qui semblait l’être aussi pour la blonde. Blonde qui se foutait de sa gueule, il en convenait. Ça ne lui dérangeait pas. Parce que l’attitude indifférente lui plaisait. Elle lui avait toujours plu. Attitude qu’il entretenait lui-même, tout naturellement qu’il soit.

Amusant. Elle qualifiait la situation d’amusante. Il ne pouvait qu’approuver. Un drôle de sourire se dessina sur ses traits alors qu’il croisait les bras à son tour. S’il avait assez d’imagination pour trouver la chose aussi amusante qu’intéressante, il n’était pas certain qu’elle pense tout ce que lui pouvait penser en une fraction de seconde sur le sens caché de cette phrase. Comme une proposition timide qu’elle se gardait bien d’avouer. Ou alors était-ce lui qui se faisait des illusions.

Elle bougea. Se détourna. Se trouva une excuse, en quelques mots, alors qu’il ne lâchait pas ce sourire de plus en plus amusé, comme s’il prenait goût, bien malgré lui, à un jeu qui n’en était pas tant un que celui d’enfants trop adultes, faisant mine de ne pas comprendre. Elle se glissa, elle et son petit air provoquant, elle ses courbes de femmes, vers la salle de bain pour s’y enfermer. Il s’approcha doucement de la porte, curiosité de gamin. Mais rien. Pas un son. Pas d’eau coulant. Pas de chasse d’eau. Pas un pas. Pas un éclat. Pas un objet qu’on échappe au sol. Il se recula jusqu’au fauteuil, y glissa sa main, s’avança dans la grande pièce et alla rejoindre le lit plutôt défait… Il défit le nœud de sa cravate qu’il jeta il ne savait trop où exactement et tourna sur lui-même au moment où elle ressortait. Il l’observa de cet air de dire «Te fout pas de moi.», avec, toutefois, un manque de sérieux flagrant… puis il récupéra ce sourire taquin qu’il lui lança comme un défi.

—Ça dépend de vos goûts. Il n’y a qu’un lit, lâcha-t-il de nouveau, presque riant intérieurement, pensant bêtement qu’elle prendrait la porte aussitôt. Ou il y a la porte.

Était-ce réellement une invitation qu’il déclarait à cette blonde dont il ne savait strictement rien? Probablement que c’était ce qu’il souhaitait. Et que connaitre ou non lui importait peu. Il se laissa finalement lourdement tomber en arrière pour atterrir dans un mélange confus de draps et d’oreillers. Silence. Son regard se posa sur le plafond beige. Ou plus précisément, sur le petit point brunâtre qu’il y décela.

—Ou alors vous venez observer le plafond à côté de moi. C’est passionnant, déclara-t-il, cette fois riant plus ouvertement. Il ne croyait pas une seule seconde qu’elle allait rester.

Son pouvoir ne marchait plus, sans aucune raison apparente. Peut-être la fatigue, qui sait ? Meaghan se sentait comme prise au piège. Elle ne pouvait plus se téléporter à sa guise, du moins pas pour l'instant, et devait tenir la conversation avec une célébrité qu'elle ne connaissait pas au delà de ce qu'il voulait bien montrer à la télévision ou dans les journaux. La mutante ne savait pas comment se comportait les acteurs, les chanteurs et autres personnes célèbres dans son genre et espérait ne pas être considérée comme une groupie sans cervelle. C'est donc sans savoir quoi faire que la jeune femme était retournée auprès d'Arthur, qui ne semblait quand même pas bien agressif. Au contraire, il avait l'air d'être tout à fait serein et à peine troublé par la présence d'une étrangère dans une chambre qu'il avait réservé pour la nuit - ou plus, qui sait ?

Meaghan n'avait rien trouvé de mieux que de lui demander s'il voulait partager sa chambre ou la mettre à la porte - bon, elle ne l'avait pas réellement dit dans ces termes, mais c'était tout comme. La célébrité répondit bien vite sans donner de réponse claire. Il reprenait exactement les deux choix que la jeune femme avait exposé et c'était donc à elle de décider de la suite des évènements. Le lit ou la porte. Meaghan eut un sourire amusé. Ce ne serait pas la première fois qu'elle passerait la soirée dans le même lit qu'une autre personne, mais jamais encore elle n'avait eu l'occasion de côtoyer une célébrité.

Puisque la réponse de la jeune femme se faisait languissante - car elle était sérieusement en train d'hésiter sur ses choix - Arthur reprit la parole après s'être allongé sur son lit. Il proposé une autre alternative aux choix de Meaghan, qui ressemblait beaucoup à la première proposition. Regarder le plafond ? La jeune femme approcha lentement vers le lit et lança un regard au dessus d'elle. « En quoi est-ce passionnant ? » Son ton était plutôt amusé. Elle se demandait bien ce que cette activité pouvait avoir de si intéressante et n'hésita pas à s'allonger sur le lit en fixant le plafond. « Ce qui serait amusant, en revanche, c'est d'essayer d'imaginer quels genres de personnes se trouve au dessus. Ce qu'ils font, pourquoi ils se sont retrouvés ici. » Meaghan fixait le plafond comme si à force de garder les yeux rivés dessus, elle verrait ce qu'il se passe de l'autre coté. « Un homme qui est venu rejoindre sa maîtresse ? Un couple en vacances ? Un célibataire plongé dans son travail ? Des mariés qui fêtent leurs noces d'or ? »

Haussement des épaules. En quoi était-ce passionnant de regarder un plafond? Il n’y avait rien de réellement fascinant dans cette activité, si ce n’était le fait de penser à autre chose. Juste un instant pour s’évader, ne serait-ce que quelques minutes à peine. Il tira un oreiller plumes sous sa tête. Il s’en moquait, au fond, si elle se décidait à rester ou à partir. Mais il s’attendait davantage à ce qu’elle ne parte plutôt qu’elle ne reste. Il lui offrait sur un plateau d’argent l’occasion de partir sans qu’il ne se décide de téléphoner la réception ou même les flics pour intrusion dans sa vie privée. Surtout qu’on ne se gênait habituellement pas de répondre assez rapidement aux plaintes qu’il portait, aussi rares soient-elles. De plus, sans doute sa proposition était un peu trop bizarre ou banale pour l’intéresser. N’aurait-elle pas dû avoir tendance à s’éloigner? C’était ce qu’il avait cru, au départ.

Mais elle s’était avancée. Il sentit le matelas du lit bouger un peu lorsqu’elle embarqua sur ce dernier, contre toute attente, pour s’allonger à côté de lui, comme s’ils s’étaient connus, comme si ni un ni l’autre n’avait rien de mieux à faire que de s’étendre là et de regarder le plafond un peu décoloré. Comme si le monde entier avait cessé d’exister, un petit moment. Et puis, elle lui proposa ce nouveau jeu qui tira de lui un sourire particulièrement enfantin, amusé, un brin naïf. Il l’écouta parler… et nota qu’elle ne mentionnait que des histoires amoureuses ou pas, en quelques mots. Il eut un petit rire à ce propos, sans qu’elle ne sache forcément pourquoi, puis il se concentra à son tour sur le plafond. Ou sur ce qu’il y avait au-dessus d’eux. À travers, comme s’il était devin, comme s’il pouvait tout deviner.

—Les célibataires ne se plongent pas dans leur travail dans une chambre d’hôtel. Le type ouvre probablement sa télé en matant un film à l’eau de rose, avec quelques nachos qu’ils se sera fait monter à sa chambre par une hôtesse sexy qu’il aurait bien voulu invité à prendre un verre. Mais il aura hésité ne serait-ce qu’une fraction de seconde où elle lui aura sourit. Elle se sera adressée à lui avec un petit accent espagnol et un petit air timide. Il n’aura pas comprit ce qu’elle disait et il aurait sourit en retour en la regardant s’éloigner, bougeant son popotin et lui faisant monter le feu aux joues. Puis, maintenant, il est sans doute en train de repenser à elle en se…

Un nouveau petit rire gêné de sa part. Arthur était du genre bavard en règle générale et ses mots n’étaient jamais hésitants, mais il n’était pas de son genre de parler de choses que faisait un homme célibataire, seul dans une chambre d’hôtel. Non pas qu’il se disait que c’était offensant, mais ce n’était pas forcément ce qu’il y avait de mieux, bien qu’il ait l’impression de ne pas avoir à se gêner de parler de n’importe quoi en sa présence. Après tout, elle ne s’était pas gênée, elle, pour sauter dans son avant son arrivée.

—Il peut aussi travailler, mais ça me parait plus ennuyant. Quelle vie de chien, qu’il se dit!


Inventif? Il l’avait toujours été. C’était sans doute une des raisons pour lesquelles ont l’écoutait tant : il avait toujours quelque chose à dire ou à raconter.

Meaghan oubliait totalement qu'elle se trouvait dans la chambre d'une célébrité. Elle était simplement allongée à coté d'un garçon qu'elle avait l'impression d'avoir toujours connu. C'était assez bizarre, d'ailleurs, comme sensation. Peut-être était-ce dû au petit jeu qu'elle avait lancé ou à la facilité qu'ils avaient eu à communiquer. Et puis, il ne l'avait pas renvoyé en se prenant pour un homme intouchable. Il aurait pu. Après tout, il était connu. Il exerçait un certain pouvoir sur les employés de cet hôtel, qui voyaient en lui un bon coup de marketing, mais également sur la sécurité. En un claquement de doigt, il aurait pu faire dégager la jeune femme s'il l'aurait souhaité. Les célébrités étaient toujours surprotégées pour éviter les débordements, ce qui était tout à fait légitime. Heureusement pour les deux occupants de la chambre, aucun d'entre eux n'avait de mauvaises intentions à l'égard de l'autre. Ils étaient tout simplement allongés sur un lit, à contempler le plafond en se demandant qui était leur voisin du dessus.

Lorsque Arthur prit la parole, Meaghan tourna son regard vers lui pour l'observait. C'était toujours très amusant de regarder une personne s'exprimer. On découvrait toujours des tics nerveux, des habitudes d'expressions, des petits détails qui pouvaient faire sourire. Bref, Meaghan était du genre à analyser les gens qui l'entouraient et Arthur n'allait pas échapper à la règle. Puis, elle se perdit dans le récit de la célébrité. Plus il parlait et plus les lèvres de la jeune femme s'étiraient. Il fallait entendre ce qu'il était en train de raconter. Une histoire qui n'était pas faite pour les enfants. Meaghan ne put retenir un petit rire. Arthur fit de même mais semblait gêné. Enfin, il conclut son histoire en donnant une nouvelle version, qui était moins drôle. « Oui, sa vie doit être plutôt triste, dans les deux cas.» La jeune femme tourna une nouvelle fois sa tête, pour observer Arthur. « Et toi, pourquoi es-tu ici ? Si tu as envie d'en parler, bien-sûr. » Ses yeux se tournèrent en direction du plafond, encore. « J'imagine que c'est strictement professionnel. Heureusement que tu n'étais pas accompagné. Parce que, j'imagine bien la tête de la personne à ton bras si elle m'aurait vu dans cette pièce. » Machinalement, Meaghan prit la télécommande de la télé qui se trouvait face au lit et appuya sur le bouton d'un numéro quelconque, en réduisant le son aussi bas que possible pour ne pas masquer les paroles d'Arthur.

Un se calla contre les couvertures et le matelas doux dans son dos, alors qu’il passa une main sur un drap en constatant qu’on n’avait pas hésité sur la qualité. Il ne se plaignait pas, habituellement, mais il aimait tout de même avoir un maximum de confort s’il était pour payer pour. Satisfaction personnelle, sans doute. Dire que personne, avant, n’aurait cru qu’il parviendrait à se payer ce genre de chambre, simplement parce qu’il n’avait pas été le plus doué à l’école ni lui plus passionné par les études. Mais les gens changent, n’est-ce pas, et il ne faisait pas exception à cette règle. Il n’avait pas non plus l’impression de la stupidité de ce qu’il était en train de faire. C’était vivre légèrement, simplement, sans trop se poser de questions. C’était vivre comme n’importe qui d’autre, à défaut de ne pas toujours avoir l’impression d’être n’importe qui. Mais Arthur se transformait en une toute autre personne lorsqu’il se tenait loin des projecteurs.

Il avait tourné la tête à son tour et fit un face à face avec son visage, tout souriant qu’il pouvait l’être malgré la fatigue du voyage. Il songea que ses sacs étaient toujours en plan devant la porte d’entrée. Il songea qu’il lui faudrait les enlever de là… se connaissant, il les oublierait et marcherait dessus par inadvertance le lendemain matin. Parce que le matin, il était de ces humeurs si différentes que c’était à se demander s’il s’agissait de la même personne. À vrai dire, il se transformait en véritable monstre qu’il valait mieux éviter jusqu’à ce qu’il n’ait au moins pris une première gorgée de café ou de jus d’orange. Lorsqu’elle se détourna, son propre sourire s’élargit davantage. Il avait toujours eu l’habitude de parler boulot avec les gens qu’il rencontrait, mais cette fois, ça lui semblait tant inusité que la réponse logique semblait lui manquer.

—J’aimerais être ici pour prendre des vacances, mais puisque ce n’est pas vraiment le cas, je me contente de dire que c’est pour le boulot.

Vrai. Sans doute aurait-il aimé pouvoir profiter de son séjour pour faire autre chose que trainer dans les bureaux, sur scènes, à s’exaspéré du trafique et à dépenser son fric dans les taxis. Mais il reviendrait. Il revenait toujours pour telle ou telle raison. Il eut finalement un rire soudain qu’il laissa échapper de façon un peu trop spontanée. Le commentaire l’amusa davantage par le fait qu’il s’imaginait très bien en tête la scène en question. Il riait encore lorsqu’elle ouvrit la télévision et ne le regarda de nouveau que lorsqu’il se calma.

—Je crois que je me serais sans doute pris une claque monumentale, de répondre Arthur sur ce ton ironique et amusé tout à la fois. Oui, ça, il l’imaginait bien. ¸

—Je te rassure, ce n’est pas le genre de scène hilarante qui se produit habituellement dans mon quotidien.

Il signifiait surtout par là qu’il n’y avait aucune chance pour qu’il entre avec qui que ce soit pendu à son bras. Et son célibat était sans doute connu à travers la planète. Il avait toujours vu ceci comme une bonne chose : on s’intéressait à lui parce qu’il était libre comme l’air et on espérait désespérément le voir tomber entre les mains d’untelle ou d’une autre. Et il semblait toujours désespérément résister aux charmes, comme s’il en était immunisé, ou plutôt comme s’il fuyait les relations trop sérieuses. Ou plutôt avait-il appris à ne se fier à aucune intention : les gens devenaient parfois tout à fait irrationnels en sa compagnie…

Beaucoup de filles auraient certainement adoré se trouver à la place de Meaghan à l'heure actuelle. Seulement, la jeune femme ne s'en préoccupait pas. Elle avait totalement oublié à qui elle tenait compagnie si ce n'était que ce garçon était amusant et plutôt agréable. Meaghan apprenait à connaître une personne qu'elle n'avait jamais rencontré, comme si c'était tout à fait naturel de se retrouver coincée dans la même chambre qu'un type qui, contrairement à elle, avait payé pour réserver le lieu. Puis, rapidement, la réalité rattrapa Meaghan qui demanda à son nouveau camarade s'il était ici par plaisir ou pour son travail. La seconde option fut la réponse. Mais la jeune femme n'approfondit pas la discussion à ce sujet, car elle n'avait pas envie de mettre Arthur mal à l'aise. À la place, elle imaginait plutôt une scène quelconque qui aurait pu se dérouler si la célébrité était venue accompagnée dans cette chambre.

Arthur répondit après que Meaghan ait décidé de mettre le téléviseur en marche. D'après lui, il se serait pris une claque monumentale. La jeune femme arqua les sourcils, surprise. « Une claque ? Pour si peu ? » Eh bien oui. Mais parfois, certaines femmes ne cherchaient pas à comprendre le pourquoi du comment et se vexaient pour un rien. Ce n'était pas vraiment le cas de Meaghan, du moins, elle n'avait pas le souvenir d'avoir une seule fois agi de la sorte. Chacun est différent de toute façon, n'est-ce pas ? Certains gars étaient pareil. Meaghan en avait connu quelques uns, susceptibles au possible. Enfin bref, là n'était pas le sujet. Arthur avait rattrapé sa phrase, en disant que ce genre de scène n'arrivait pas dans sa vie. Heureusement pour lui. « Tant mieux, dans ce cas. » La jeune femme reporta son attention sur la télévision qui diffusait un vieux film des années cinquante mettant en scène un couple. La femme semblait exagérément excédée par le comportement de son époux, ce qui fit rire Meaghan. « Soit je ne suis pas tout à fait normale, soit ils considéraient les femmes comme des êtres sans cervelles dans ce mauvais film. Pourquoi la femme a toujours le rôle de la capricieuse qui ne fait que brailler ? » Féministe, Meaghan ? Dans un sens, oui. Elle n’appréciait pas les clichés et le faisait savoir. « Et bien-sûr, son époux est représenté comme le plus fort des deux. Tu sais que certains gars n'arrivent même pas à ouvrir une boîte de cornichons ? » Elle braqua son regard sur Arthur, qui était un homme. Elle ne savait pas quel était son avis sur le sujet homme/femme mais tant pis. Meaghan ne gardait pas sa langue dans sa poche, que ça plaise ou non. « Enfin, je sais que l'homme veut se montrer protecteur et que la femme aime voir qu'on s'occupe d'elle, mais quand même. »

Beaucoup de filles rêvaient sans doute se simplement se retrouver en tête à tête avec l’animateur. Et c’était sans doute ce qui différenciait la blonde de toutes ces autres filles complètement dingues. Parce qu’elle n’insistait pas sur la vi privée du brun, chose qui lui décrochait ce drôle de sourire. Comme dans une incertitude face à ce qu’il devait penser vis-à-vis de la jeune femme. On aurait dit qu’il la connaissait depuis toujours. Et pourtant, il ne savait pas même son nom. Il eu finalement un haussement de épaules, puis inspira un bon coup avant de daigner fermer les paupières sur le plafond, monde imaginaire qui s’ouvrait au-dessus de leur tête de rêveurs rebelles. Réalisant qu’il avait toujours ses chaussures aux pieds, il bougea plus que d’accoutumée, appuyant la pointe du pied droit contre le talon du pied gauche pour se débarrasser d’une première chaussure et répéta le manège pour la seconde. Comme un soulagement, il s’étira et revint en sa position initiale, complètement allongé sur le dos, yeux mi-clos sur le plafond, écoutant à peine le faible bruit émanant de la télévision mise en fonction, comme un grésillement audible en fond.

—Pour si peu, peut-être bien que oui, peut-être bien que non. J’aime à m’imaginer des scènes inusités…
Il aurait sans doute voulu ajouté que toute sa vie était une grande pièce de théâtre farfelue où les scènes farfelues se multipliaient, se reproduisaient comme des lapins de campagnes. Lorsqu’il entendit le rire de la jeune femme, il leva la tête, pour suivre ce qui se passait dans l’écran, bien que ce genre de film n’était certainement pas dans ses favoris. Loin de là, d’ailleurs. Fallait dire aussi qu’il ne prenait que rarement la peine d’éduquer sa culture cinématographie par manque de temps ou d’intérêt. Un mélange idéal entre les deux options, sans doute. Il se redressa suffisamment pour s’appuyer sur les coudes et eu cet étrange sourire taquin, bon enfant, qui le caractérisait bien à l’écran.

—Peut-être parce que c’est ce qu’est la femme : capricieuse, princesse, gâtée, mégère… il se tut brusquement dans un éclat de rire avant de ne se prendre une claque en pleine poire, sans doute. S’il se payait sa tête? Évidemment. C’était bien le plaisir de ne pas sentir mal à l’aise avec quelqu’un. Au contraire, il semblait aussi à l’aise de discuter avec qu’elle que de parlementer avec un membre de sa famille, à quelques détails près. Je ne sais pas, sinon, je t’avoue avoir du mal à ouvrir un pot de confiture!

Bon, s’il était d’humeur suffisamment bonne pour taquiner une inconnue, ça ne voulait pas forcément dire qu’il était ce type d’homme macho qui se sent supérieure à la femme. Étrangement, il était loin d’être l’image misogyne qu’on peut se faire d’une personnalité connue des médias. Il reprit un air plus sérieux en se laissant de nouveau complètement retomber contre le matelas, à croire qu’il préférait cette position à toutes les autres.

—Si nous nous mettions à nous révolter pour tout ce qui cloche, on écrirait une encyclopédie révolutionnaire de mille volumes…

C’était vrai. S’il lui fallait écouter toutes les plaintes du monde entier, il ne s’en sortirait pas. Il avait pourtant ce côté franc et humanitaire. Seulement, il ne croyait pas qu’un seul homme puisse changer quoi que ce soit à la vision d’un monde. Même si, niveau influence, il en avait beaucoup.

À la première réflexion d'Arthur, la jeune fille ne voulut rien ajouter. À la place, elle se concentra sur le film qui était diffusé à la télévision et grimaçait en entendant les dialogues bourrés de clichés et niais au possible. Elle avait d'ailleurs donné son avis sur ce qui en découlait et se fichait bien d'avoir l'air d'une féministe. Certaines scènes lui donnait presque des envies de meurtres - au sens figuré du terme, bien évidemment. Et sans plus attendre, puisque l'envie lui prenait de continuer à critiquer le long métrage, Meaghan se lança dans des questionnements existentiels, en se demandant pourquoi la femme était vue comme une pauvresse sans défense alors que l'homme endossait le rôle du super-héros capable de tout faire. Arthur commença alors à répondre, en disant que la femme était exactement comme le caractère fictif de l'héroïne. À ces paroles, Meaghan ne se gêna pas pour prendre un coussin et tapa le bras de la célébrité avec. Cependant, elle affichait un petit sourire et s'amusait de la situation. Elle ne lui en voulait pas d'avoir dit ça mais lui faisait comprendre qu'elle n'était pas d'accord.

La plaisanterie avait quand même eu le don de les faire rire un petit moment, mais Arthur s'était repris en disant ne pas être capable d'ouvrir un pot de confiture. Meaghan eut un petit éclat de rire et haussa les sourcils, drôlement étonnée. « Oh, eh bien, je pourrai t'apprendre si tu as du temps devant toi ! » À la suite de cette proposition peu sérieuse, la jeune fille donna un petit coup de coude dans le bras d'Arthur, qu'elle commençait à bien apprécier. Il était loin du type qui se la joue parce qu'il est célèbre et ne lui avait pas sauté dessus. Il marquait beaucoup de points. Puis, il continua la discussion, en déclarant qu'à force de se plaindre de ce qui n'allait pas dans le monde, ils pourraient écrire une encyclopédie. Meaghan était d'accord, mais tenait à ajouter un détail. « C'est vrai. Mais on a parfois besoin de donner notre avis, même si on ne peut rien y changer. C'est ce qui créer une conversation, un lien avec les gens.» La jeune femme changea de chaine pour se retrouver sur un documentaire animalier. « Les animaux par exemple, je les adore. Ils sont vraiment adorables et intelligents. » Les Koalas qui passaient à l'écran étaient absolument craquant. Meaghan aurait bien aimé pouvoir en adopter un. « Il y a des discussions que tu aimerai aborder ou tu es trop épuisé pour vouloir continuer ? » Il se faisait tard et le jeune homme avait sûrement eu une journée de folie. Mais quelque part, Meaghan avait bien envie de profiter de sa présence ici pour apprendre à connaitre cet Arthur, qui semblait vraiment être quelqu'un d'intéressant à connaître.

Arthur n’était pas de ceux qui considéraient la femme comme une bête créature superficielle qui ne servait qu’à deux trois choses. Il avait plutôt tendance à avoir envie de balancer son poing dans la figure du premier qui insinuait ce genre de choses en sa présence. Mais il était plaisantin et son ton ne laissait absolument pas penser qu’il avait été sérieux une seule seconde. Et le rire qui s’étranglait dans sa gorge éclata brusquement lorsqu’il vit le mouvement et le coussin dans son champ de vision. Heureusement que ce n’était qu’un coussin, d’ailleurs. Il le repoussa vivement d’un mouvement du bras, le laissant voler par-dessus lui et s’écraser contre le premier mur du bord. Il s’affala non plus sur le dos mais se retourna sur le ventre pour étouffer un nouvel élan de rire incontrôlable. Il avait aussi plaisanté concernant l’histoire du pot de confiture. Arthur était le genre d’homme à renverser la vapeur, à tout mettre à l’envers, à transformer le drame en comédie, et la comédie en tragédie. Il enfouie sa tête dans l’oreiller pour étrangler le drôle de bruit qui émanait de lui, semblable à un cochon, lorsqu’il perdait le contrôle de son propre rire. Lorsqu’il se calme, il releva un regard à la limite des larmes, toujours ce drôle de sourire aux lèvres. Il n’avait pas rit autant et si sincèrement depuis trop longtemps.

—Le temps, très chère, n’est qu’un mot pour désigner tout ce que je n’ai pas.

Vrai. Même s’il continuait un peu sur sa laissée de plaisantin, le temps était un luxe. Le temps de prendre le temps, de vivre, de respirer. Il n’y avait même jamais songé. Il vivait à cent à l’heure, sur la voie rapide de l’autoroute de la vie, quitte à sauter des étapes importantes d’une existence normale, qu’il risquait peut-être de regretter une fois tout vieux et fripé comme un crouton en couche et sénile. Drôle de vision. Mais il s’imaginait bien devenir un vieux sénile insupportable qui crierait contre tous les passants.

Puis retour au sérieux, il se perdit un instant dans ses propres réflexion tout en écoutant les mots qu’elle produisait. Il avait toujours aimé discuter, débattre sur tel ou tel sujet. Ce n’était forcément pas sans raison qu’il animait toute sorte d’émission télé. Il ne ferait pas ce boulot s’il n’était pas du genre à vouloir communiquer et discuter, à pousser parfois le boucher du sujet un peu loin, là où on n’osait parfois aller.

—J’aime discuter. J’aime débattre de tous les sujets, je ne suis pas bordé sur ça. Mais j’essaie d’être réaliste tout à la fois. Admettons… Les femmes ont tous les droits, vous êtes toutes merveilleuses… Et mon avis est qu’il y a autant de reines qu’il y a de femmes. Je sers à ça : me positionner sur des points et faire face au monde entier, ou tenter de le convaincre de quelque chose dont, parfois, la majorité s’oppose. Mais ça ne veut pas dire que j’ai raison ou que j’ai tort par rapport à mes opinions.

Il sourit doucement, haussa les épaules, comme pour clore la discussion, question de ne pas provoquer plus de réactions chez elle, alors qu’il sentait que le féminisme était peut-être un sujet sensible sur lequel il ne fallait pas trop s’aventurer, bien que ça lui permette de mieux la comprendre.

—Hé bien… parle-moi de toi? Je ne sais pas ton nom.

Il hésita une seconde à rajouter quelque chose, et décida de ne rien dire : ce qu’elle faisait là, bien que la question lui était momentanément sortie de la tête, revint à la charge. Il ne savait rien d’elle, après tout.

Le rire de Arthur était de plus en plus bizarre, si bien qu'il devint communicatif. Meaghan eut d'ailleurs du mal à se calmer, surtout lorsque son nouvel ami fit des bruits étranges, comme celui d'un cochon ou d'une truie en pleine agonie. Pour tenter de le calmer et se calmer par la suite, la jeune fille lui donna une petite tape sur le bras mais rien n'y fit. Ils étaient portés dans une crise de rires à n'en plus finir. Mais il fallait bien trouver le courage de se concentrer sur autre chose pour continuer la discussion et surtout pour éviter de réveiller tout l’hôtel. Et ce fut finalement Arthur qui se calma le premier, les larmes aux yeux, en disant manquer de temps. Meaghan arrêta de rire à son tour et tapota le poignet de la célébrité qui devait passer son temps à courir partout. « Il faudrait en trouver un peu alors. Si c'est possible. »

La vie d'une célébrité devait être difficile malgré les apparences. D'accord, il y avait de nombreux avantages, mais ne plus avoir de vie privée devait être extrêmement compliqué. Ne plus avoir de secrets pour personne, être reconnu partout où l'on va, être suivi par des fans, des admirateurs... ce n'était vraiment pas le style de vie dont voulait Meaghan. Mais peut-être que Arthur s'était adapté à ce genre-là. Peut-être que l'amour pour son métier le poussait à faire certains sacrifices, qui sait ? Et malgré ces interrogations, la jeune femme n'osa pas les faire partager avec Arthur. Pas pour l'instant. Là, il donnait son avis sur le débat actuel, faisant parfois sourire Meaghan qui le trouvait vraiment très intelligent et sensé. Il était rare de croiser un homme qui puisse avoir de tels propos au sujet des femmes et ces paroles faisaient plaisir à entendre, même si Arthur disait ne pas prétendre avoir tort ou raison.

Meaghan aurait pu donner son avis sur ce que venait de dire le jeune homme, mais celui-ci changea aussitôt de sujet en lui posant une question. Qui était-elle ? Meaghan ne le savait pas elle-même. Elle haussa alors les épaules et chercha de bonnes réponses à donner. « Je m'appelle Meaghan. J'ai vingt-et-un an et j'aime beaucoup voyager. J'aime aussi tomber dans la même chambre qu'un type qui sait parler et avec qui on peut passer un bon moment. » Elle eut un petit rire avant de reprendre. « Plus sérieusement, je ne sais pas encore qui je suis, mais je suis jeune non ? J'ai encore du temps devant moi avant de me découvrir. Et ce n'est pas faute de tenter de petites expériences par-ci par-là pour provoquer les déclics. » Meaghan eut un sourire et semblait pensive, un instant, avant de s'allonger sur le coté et de dévisager la célébrité. « C'est bête, mais j'ai la sensation que nous sommes de vieux amis qui viennent tout juste de se retrouver. Tu es plutôt sociable dans ton genre. Mais je ne sais pas qui tu es, toi. » La jeune femme avait conclu sa phrase par une question qui n'en était pas vraiment une. Si Arthur voulait parler de lui, il pouvait le faire. Sinon, ils pouvaient aussi changer de sujet.

Il sourit et ne répondit pas, sentant le rire toujours coincé, là, quelque part dans le fond de sa gorge. Et il se sentit léger, soudainement, comme si on venait de le libérer d’un poids lourd dont il n’avait jamais eu conscience jusqu’à maintenant. Pas entièrement, du moins. Du temps. Il ne s’était jamais arrêter à penser qu’il devrait en prendre pour lui-même, ou simplement pour avoir ce genre de conversation, ce genre de rencontre qui lui plaisait, ce genre de personne dans son entourage qui lui donnait l’impression de marcher normalement comme tout un chacun dans la foule, même si ce n’est jamais complètement vrai. Et il la remerciait, secrètement, silencieusement, de ne pas avoir relevé la note sur son emploie, sur ses passe-temps télévisuels quotidiens. Ou alors elle ne savait rien de lui, ou alors avait-elle volontairement choisit de taire ses idées. Et ça ne pouvait que lui plaire. Non pas qu’il était fatigué d’entendre scander son nom, mais une simple conversation, un verre tranquille, un rire comme celui-là, c’était lui redonner le l’énergie dont il avait besoin pour poursuivre cette existence de folie qu’il menait. Et lorsqu’on lui parlait d’à quel point sa vie été géniale, qu’on rêvait d’en faire autant, il répondait le plus sincèrement du monde que non : personne ne voulait cette vie-là. Il fallait être fou pour aimer vivre ainsi. Alors on riait de son clin d’œil quant à l’idée qu’il se dénaturerait lui-même dans ses propos.

Et il était là, appuyant sa tête qui lui semblait alors plus lourde qu’avant, sur le premier oreiller du bord, à fixer la blonde, drôle de sourire toujours glissé et bien présent sur ses traits. Se trouver du temps, vraiment? N’était-ce pas ce qu’il était en train de faire, justement? Et il sourit davantage encore en l’écoutant parler vaguement de lui, en le décrivant brièvement entre quelques mots et un rire qu’il qualifiait de doux et agréable. Tomber dans les même chambre, y’avait pas à dire. Il ne put d’ailleurs s’empêcher de se question sur la façon dont elle avait pu arriver à ce petit miracle inattendu.

—Tu as raison. Et ce n’est jamais urgent de trouver sa voie. Mais se trouver, ce n’est pas forcément de trouver ce que l’on fait de sa vie. Je crois… que c’est au quotidien que ça compte. Et ce n’est pas parce que moi je sais ce que je veux faire depuis que j’ai trois ans que c’est pareil pour tout le monde.

Bon, sans doute exagérait-il un peu, mais il n’en démordait pas pour autant. Du plus loin qu’il se souvienne, il avait toujours voulu prouver qu’il était capable d’être un grand homme dont tout le monde parlerait. Il avait toujours voulu ne pas donner raison à ceux qui s’obstinaient à écraser ses rêveries sur le sol. C’est pourquoi à seize ans il quittait déjà le nid familial pour s’envoler vers New-York. Il eut un rire plus léger et se retourna complètement sur le dos, dans ce soupire de satisfaction, à fixer de nouveau le plafond.

—Je suis australien. Je me suis enfuie à seize ans pour voler de mes propres ailes. Mon père croyait que je deviendrais fermier ou quelque chose comme ça. J’étais un cancre à l’école, mais ça ne faisait rien… Je rêvais d’aujourd’hui. Et j’aimerais voir leur tête à tous, maintenant.

C’était vrai, il aurait aimé les entendre le féliciter d’une manière ou d’une autre, mais cet évènement ne s’était jamais produit, considérant sans doute leur propre sang comme s’il ne l’était plus depuis qu’il avait foutu le camp en claquant la porte, en hurlant, un simple sac sur l’épaule.

Arthur savait ce qu'il voulait faire depuis ses trois ans ? Il avait réussi dans cette voie-là ? Meaghan l'observait en se posant la question : avait-il toujours voulu être célèbre, passer à la télévision ? Et bien évidemment, cette interrogation resta dans son esprit. Comme elle le pensait depuis le début de leur rencontre, la jeune femme n'avait pas franchement envie d'ennuyer Arthur avec son statut de "star". Alors, elle laissa le doute planer, en réfléchissant aussi à son propre destin. Qu'allait-elle devenir ? Allait-elle voler dans les banques toute sa vie ou se poserait-elle un jour pour avoir une vie de famille ? Un mariage ? Des enfants ? Un époux, une copine ? Elle ne savait pas vraiment vers où elle se dirigeait et préférait laisser faire le temps. Même si elle n'allait pas rester les bras croisés en attendant que tout se passe, qu'elle prenait des décisions pour changer le cours des événements, Meaghan préférait ne pas trop se projeter dans l'avenir. Un avenir qui, pour une mutante, n'était pas vraiment certain. Les humains, continueraient-ils à penser que la mutation n'est que fiction ? Le gouvernement, est-il au courant ? Toutes ces interrogations intérieures donnèrent le tournis à la jeune femme qui se concentra sur les nouvelles paroles d'Arthur.

Le voilà qu'il se présentait à la jeune femme, en racontant quelques petits détails de sa vie. Le sourire aux lèvres, Meaghan imaginait très bien le garçon dans toutes les situations qu'il citait. Mais un détail retint l'attention de la blonde. Il s'était enfui. Puis, Arthur termina son court récit en disant qu'il aimerait bien voir les visages de ceux qu'il avait connu cancre à l'école maintenant qu'il était célèbre. Meaghan eut un nouveau sourire et haussa les épaules. « Je suis sûre que beaucoup doivent être étonnés. D'autres seront peut-être fiers de ce que tu as réussi à accomplir. Et... bien évidemment, reste ceux qui se mentiront à eux-même en se disant qu'ils t'ont toujours beaucoup aimé alors que ce n'était pas le cas.» Les hypocrites étaient partout. Beaucoup de personnes changeaient d'avis selon le cours des événements et Meaghan en avait beaucoup été témoin.

L'heure tournait encore et passait à une vitesse effrayante. Sentant ses paupières s’alourdir, Meaghan ferma ses yeux un instant et eut du mal à les rouvrir tant la fatigue la gagnait. Puis, de façon totalement innocente, la jeune femme s'allongea sur le dos en posant sa tête contre le buste d'Arthur. Elle n'avait jamais eu de frère, ne connaissait pas ses cousins ni les autres membres de sa famille. Elle avait seulement un père qui était devenu un pur inconnu aujourd'hui. Des amis ? Elle en avait, mais étaient-ils vraiment des amis ? Tout étant que ce soir, Meaghan avait besoin de sentir la présence d'une autre personne et pas de façon sensuelle ni trop intime. Elle ne connaissait pas Arthur mais avait cette petite impression de déjà-vu, comme si ce garçon, elle l'avait toujours connu. « Si ma tête est trop lourde, n'hésite pas à me pousser...» Un petit sourire illumina le visage totalement endormie de la jeune fille qui se sentait partir dans les bras de Morphée.