Il s'obstinait à torturer maladroitement une pierre qui trainait devant la semelle de sa chaussure, sur le bitume sur lequel lui-même prenait place depuis un moment, en silence, les mains restées dans le fond de ses poches depuis tout ce temps à la recherche dont ne sait trop quoi, restant soigneusement à l'ombre qui bougeait, lentement, comme pour lui indiquer à quel point, parfois, il avait l'impression de perdre son temps. Ce n'était pas de se retrouver là qui lui faisait croire ça. Ce n'était pas non plus la tache de papoter gentiment avec une étudiante mutante qui l'importunait. C'était cette attente passive et interminable qui le rendait quelque peu irritable, sans qu'il n'ose jamais le démontrer, pourtant. Et lorsqu'ils avaient appris enfin les activités de la gamine qu'ils cherchaient, il n'avait plus rien fait sinon torturer cette pierre du bout du pied, inlassablement.
Il n'avait échangé que quelques brefs paroles toutes faites avec Zachary. Non pas qu'il le détestait. Non pas qu'il aurait voulu l'ignorer volontairement. Il avait plutôt l'impression que c'était mieux ainsi. Ils ne se comprenaient de toute évidence pas plus qu'il le fallait: non pas qu'il n'avait pas fait d'efforts de son côté, mais il optait pour ne pas créer plus de malaise en se taisant volontairement. Et c'était un véritable miracle de sa part: dire bêtises par dessus bêtises, c'était dans sa nature. Se taire le rendait un brin nerveux. À vrai dire, il sentait que c'était davantage son collègue qui refusait de le laisser approcher. Il s'était donc contenté de rester à distance avec lui, pour ne pas provoquer davantage de frustration. Autant que possible, il évitait les querelles et conflits.
Ils se tournaient autour sans savoir quoi faire ni quoi dire envers l'autre. D'un côté, il n'osait pas froisser Zachary une fois de plus. De l'autre, il ne prenait pas conscience du malaise inverse. Il attrapa finalement le petit caillou, s'inventa un jeu de marelle imaginaire avant de la lancer et de sautiller stupidement, comme un gamin, sur le trottoir. S'il ne parlait pas, il devait inévitablement sortir sa folie gamine d'une autre façon. Il buta, au bout du petit chemin, quelques mètres plus loin, dans une inégalité du bitume, perdant momentanément l'équilibre, faisant quelques pas pour se retenir et de justesse parvint à rester sur ses pieds. Il avait lancé un drôle de sourire vers Zachary, un haussement des épaules, puis avait réajusté sa chemise dans laquelle il se sentait vaguement ridicule. Il avait tenu à faire bonne impression. Pourtant, ce n'était pas dans ses habitudes, plutôt du genre à agir le plus naturellement du monde. Il avait observé l'école, plus loin, dans une réflexion rapide en se demandant s'il n'était pas mieux d'inventer une excuse pour la sortir de ses occupations, ou si ce n'était pas assez délicat, ou s'ils pouvaient se permettre de s'éloigner un peu, au risque de la rater. Peut-être pourraient-ils la rencontrer autrement, plus aisément, plus tard, après ses activités, en un autre lieu qu'ici. Chez elle, sans doute. Elle devrait bien finir par y retourner, non?
Lorsque la voix de son collègue résonna, il revint sur ses pas, vers lui, de cet air toujours légèrement incertain. S'il percevait la tension dans sa voix, il avait encore l'impression que c'était contre lui. Peu importe ce qu'il faisait, il l'énervait peut-être. En tout cas, il en avait l'impression.
«Ho hey bien, si je t'énerve au point de trouver le temps long, nous pouvons faire une rotation... disons à toutes les demi-heure, tu vas faire ce que tu veux et ensuite c'est mon tour, comme ca, ca règle tout. »
Il n'était pas sec. Un peu. Il était surtout préoccupé par la tension palpable qu'il y avait entre eux deux.