S'il y avait bien une chose que Castiel haïssait encore plus que les brimades de son père et ceux qui tuaient des araignées pour s'amuser – combien de fois avait-il eu le cœur brisé en « sentant » le cri d'une bête à qui on arrachait les pattes, durant son enfance ? - , c'était quand, lors des remplacements qu'il assurait en tant que légiste, il se retrouvait à devoir autopsier un mutant clairement identifiable comme tel. Une jeune femme, la vingtaine, cheveux noirs, la peau rouge vif et les yeux jaunes, ligotée et battue à mort par des anti-mutants, selon toute probabilité, gisait sur la table d'autopsie, attendant que le jeune homme s'occupe d'elle. Et il le fit avec tout le respect et la déférence qu'elle méritait. Il lui parla, lui dit à quel point il était navré de ce qu'il lui était arrivé. Quand il devait remplacer le médecin-légiste, il procédait toujours ainsi, en particulier envers les mutants. Ils étaient ses frères et sœurs.
Une fois l'autopsie finie et son rapport terminé, Castiel alla poser sa blouse dans son casier, enfila son manteau et rentra chez lui prendre une bonne douche. Laissant l'eau chaude couler sur sa peau, il finit par abandonner son masque et se mit à pleurer. Chaque fois qu'il voyait le corps d'un mutant et que ses collègues lui faisaient clairement comprendre que les coupables avaient de grandes chances de s'en tirer, il devait lutter pour ne pas leur dire tout net qu'il était mutant et que s'il prenait ça tellement à cœur, c'était parce que la personne qui n'obtiendrait pas justice était comme lui ! Personne ne se souciait d'une belle jeune mutante lâchement tabassée à mort, mais si elle avait la peau blanche et les yeux verts, les flics remueraient ciel et terre pour retrouver les enfoirés responsable de cette atrocité.
Il finit de se laver pour enlever l'odeur de mort qu'il traînait toujours après une autopsie, sortit de la de la douche et s'habilla avec élégance. Il jeta un œil à ses cheveux et soupira en passant un coup de peigne peu convaincu. Après tout, ce n'était pas comme s’ils avaient un jour consenti à faire ce qu'il voulait. Il se parfuma légèrement, alla prendre soin de ses araignées, puis attrapa son blouson et sortit de l'appartement. Il avait vraiment besoin d'un verre et d'un peu de compagnie. Il se promena un moment dans Central Park se vidant la tête pour l'emplir des rires des enfants en se demandant si l'un d'eux était un mutant. Lui-même en tant qu'enfant n'avait jamais eu le cœur à rire, particulièrement quand il avait commencé à percevoir les « voix » des araignées. Les gens avaient commencé à s'éloigner de lui et il avait vite préféré s'isoler de lui-même. Ça faisait moins mal quand c'était un choix.
Après avoir marché une bonne heure, il décida de se mettre en quête d'un bar sympa. Il était sorti pour boire un verre, après tout. Il entra dans un bar assez branché et chercha des yeux une table où s'asseoir. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant sa soeur adorée, Lauralee, assise dans un coin sombre, en train de mater un homme, ma foi, tout à fait charmant. Dans cette situation, elle avait vraiment l'air d'une prédatrice. Avec un sourire, il s'approcha d'elle.
- Salut, frangine ! dit-il assez fort pour que la proie de sa soeur l'entende.
Il ne voulait pas gâcher la chasse de sa cadette et mettre les points sur les « i » directement permettait d'éviter les malentendus.

Castiel fit la bise à sa soeur et s'assit à côté d'elle en souriant. Lauralee avait la beauté et le côté prédateur d'une panthère en chasse. Elle avait beaucoup plus souffert du regard des autres en tant qu'adolescente quand ses pouvoirs s'étaient déclenchés. Et son amertume s'était muée en haine au fil des années. Une haine destructrice envers tous les humains. Le jeune homme, lui, était beaucoup plus nuancé. Tous les humains n'étaient pas comme leur père ou son ex-petit copain, mais il était vrai que depuis cette histoire Castiel avait beaucoup plus de mal à faire confiance aux non-mutants. À beaucoup de monde, en fait. Il avait donné son coeur sans réserve, sans peur et il s'était retrouvé plus bas que terre, et il n'était pas près de refaire la même erreur. Il avait mis une barrière autour de son coeur excepté pour Lauralee et sa mère. Il ne voulait plus souffrir comme il avait souffert et il s'était juré de ne plus jamais faire quoi que ce soit qui pourrait le séparer de sa chère Sicca. Il serait toujours là pour la protéger et la soutenir, quoi qu'il arrive.
L'entomologiste jeta un regard discret à la proie de sa cadette. Il était mignon et visiblement très intéressé par la jeune femme. Etait-il un mutant ou un humain ? Telle était toujours la question qui lui venait à l'esprit quand il observait quelqu'un, même si cette interrogation n'était que dans un coin de sa tête. Il ne voulait pas faire de mal à ses frères et soeurs. Les humains se débrouillaient assez bien comme ça pour le faire eux-même. À dire vrai, il ne détestait personne au point de leur vouloir du mal. Il voulait protéger sa soeur et les siens. Il n'avait pas soif du sang des humains comme pouvaient l'avoir certains membres de la Confrérie, mais sa loyauté envers Erik et sa soeur était extrêmement importante.
- Merci, je prendrai un double bourbon « on the rocks », s'il te plaît. Ma journée ? Son sourire se teinta de la mélancolie qui lui était devenue coutumière depuis sa tentative de suicide, quand son masque se fendillait. On m'a encore demandé d'en autopsier une. Une jeune femme d'à peine vingt ans, ligotée et tabassée à mort...
Il n'était pas sensé parler des enquêtes en cours, surtout pas à une journaliste, mais Lauralee était sa soeur, il lui faisait confiance pour ne rien laisser filtrer. Il lui parlait souvent des cas qui le marquaient, humains comme mutants. Il avait déjà dû autopsier un garçon victime des pouvoirs pyromantiques d'un mutant et cela l'avait tout autant fait mal que cette pauvre fille à la peau rouge dont il s'était occupé aujourd'hui.
- Mais je ne veux pas te pourrir ta soirée avec mes histoires sordides de légiste. Excuse-moi. Et toi comment s'est passé ta journée?