Elle était là, la victoire. La plus importante de sa vie à n’en pas douter, et qui plus est, il en était le principal artisan grâce à ses improbables prouesses athlétiques, ce saut de plusieurs mètres et cette course pour la victoire. Cette soirée, elle serait définitivement importante pour lui, il ne savait juste pas à quel point. Il y a un temps pour tout, un pour penser à l’avenir, et un pour profiter de l’instant présent. Gareth regarda sa montre, elle indiquait l’heure de faire la fête. Qu’à cela ne tienne, ils se dirigeaient de toute façon lui et son équipe vers les bars de New York, impatients de célébrer leur victoire du championnat universitaire de football américain.

Plusieurs bars les refoulèrent, il fallait dire qu’il faisait partie de l’équipe d’une université en Floride et qu’ils étaient venus jusqu’à la Big Apple pour y défaire les locaux. Pas évident de se faire des amis dans ces conditions… Finalement après plusieurs moments de tension, les jeunes hommes trouvèrent enfin un lieu à peu près convenable et surtout acceptant d’accueillir les étudiants pour une beuverie sans nom. C’était un bar plutôt sympathique, à l’ambiance plutôt boisée, il se dégageait une ambiance chaleureuse de cet endroit grâce notamment à la lumière légèrement orangée. Il y avait des grandes tables entourées de banquettes moelleuses dans le fond de la salle, ce fut tout naturellement que les compères s’installèrent. La nuit de folie pouvait commencer !

La bière coulait à flot, consommée sans modération, et peu à peu, les esprits se laissaient aller, de même que les mains, qui se baladaient notamment de temps en temps sur les postérieurs des serveuses qui avaient le malheur de passer par là, sous l’œil désapprobateur du barman (qui devait sûrement faire office de videur vu sa carrure). La soirée allait sûrement mal finir… Pour le bar en tout cas, parce que c’était typiquement le genre d’échauffourées qui faisaient rire ses coéquipiers… Ils n’avaient donc aucun respect.

_ Il est là le champion ! Pourquoi tu tires la gueule oh ! C’est toi le héros, bois un coup ! Normalement à cette heure-ci t’es déjà en passe de finir la nuit avec une gazelle ! Attends, je vais t’arranger ça… Hey, tu connais Gareth ?

Il avait tapoté l’épaule d’une jolie fille et pris la poudre d’escampette afin de laisser les deux jeunes gens seuls… Ah sacré Stinson, il n’en loupait jamais une ! Et pourtant, il avait raison, il fallait qu’il se lâche un peu. Alors il commença à parler à la jeune fille, petite brune aux yeux verts, au sourire lumineux. Et le mécanisme se lança, il commença à parler, sans pouvoir s’arrêter, des mensonges tous plus osés les uns que les autres. Et ça marchait ! Apparemment il ne passerait pas la nuit tout seul…

Mais quelque chose l’empêchait de profiter pleinement de l’instant présent, une sorte de mauvais pressentiment. Il n’aurait pas su dire pourquoi, mais il sentait que quelque chose n’allait pas. Pourtant, tous les signaux étaient au vert. Il venait de faire gagner son équipe par une splendide action individuelle, il s’était fait remarquer et allait sûrement bientôt être accosté par un recruteur qui voudrait lui mettre le grappin dessus avant les autres équipes pour jouer en ligue professionnelle. Une belle vie se profilait devant lui, qu’est-ce qui pouvait changer ses plans ? Sa vie était toute faite ! Malgré tout, ce désagréable sentiment flottait quelque part dans son esprit alors qu’il continuait de sortir son immonde baratin à son interlocutrice, telle une malodorante diarrhée verbale.

Avant de répondre, l’interlocuteur de Gareth pris son temps, s’autorisant même à siroter sa petite boisson. Ce vif instant paru des lustres au jeune homme et en quelques secondes, un nombre incalculable de scénarii vinrent à son esprit. Et si ce recruteur commençait à hésiter ? Et s’il essayait de le faire douter ? Et s’il tentait d’inverser le rapport de force entre le recruteur qui offre un contrat, et le joueur qui vend son talent ? Et surtout, c’était le comportement mal-assuré de son interlocuteur qui intriguait le plus Gareth, à des lieues de ce qu’on pouvait attendre d’un recruteur. On aurait pu s’attendre à quelqu’un de confiant, qui savait ce qu’il avait à offrir, prêt à vendre père et mère pour signer ne serait-ce que l’espoir d’une étoile montante. Pourtant, il n’en était rien, on aurait même dit qu’il ne voulait pas vraiment venir lui parler… Pourtant, il brisa enfin le silence.


_ Inespéré, c’est le mot. Ce que vous avez accompli sur le terrain était… incroyable. C’est certain que vous avez un talent extraordinaire.

Bizarrement, il insista sur les deux derniers mots… Comment l’interpréter ? Est-ce qu’il soulignait simplement ses talents d’athlète ? Ou bien s’agissait-il là d’ironie ? Peut-être se moquait-il tout simplement de l’engouement qu’il suscitait ? La paranoïa envahit alors peu à peu l’esprit de Gareth, et toutes sortes de scénarii improbables devinrent tout à coup les plus plausibles. Toutes sortes d’idées négatives lui virent en tête. La pression de son futur, l’absence de porte de sortie, toute la vie idéale qu’il était imaginée jusque-là.

_ Pourquoi dites-vous ça de cette manière ?

Puis, progressivement, l’interrogation et la crainte laissèrent place à la certitude fausse d’une esprit embrumé. Son mécanisme de défense psychologique se mit en route, celui qui l’empêchait de montrer le moindre signe de faiblesse et qui le remplaçait purement et simplement par de la violence. La colère monta en lui et son impulsivité fit le reste.

_ Pourquoi vous dites ça HEIN ? Quel est le problème avec mon talent ? Qu’est-ce que vous essayez de faire ? Vous voulez me détruire c’est ça ? Ca vous plaît pas que j’aie ces capacités ? Je suis plus fort que les autres et alors ? Où est le problème ? Qu’est-ce que vous allez faire hein ? Hein ? HEIN ?

Pris dans un élan de folie, Gareth essaya d’attraper Zachary par les épaules dans le but de la plaquer au mur. Tout ce qu’il réussit à faire fut de faire exploser quelques briques et de causer un gros nuage de poussière autour des deux hommes. La respiration haletante, bouche grande ouverte, Gareth ne put s’empêcher de tousser, ce qui l’altéra pas sa rage soudaine.

_ Et bordel, t’es qui, PUTAIN ?

Sa folie passagère derrière lui, Gareth reprit son souffle petit à petit. Progressivement, son rythme cardiaque ralentit. Il prit le temps de réaliser ce qu’il venait de se passer. Il venait de s’énerver sur son interlocuteur, et plutôt violemment. Il avait même essayé de le frapper. A en juger par l’état du mur et le nuage de poussière qui s’était dégagé, il y était allé un peu fort. Si Zachary n’avait pas évité son coup de poing, il aurait été dans un bien sale état. Oui mais voilà, il l’avait évité, bien heureusement. Une autre question se posait alors : Comment avait-il pu réaliser cet exploit ?

_ Mon nom est Zachary Hawkins. Et je ne veux pas vous « détruire ». Bien au contraire, je suis là pour vous aider.

Pas le détruire ? L’aider ? Et comment il comptait faire ça ? Gareth fronça les sourcils. L’excitation puis la rage s’étaient maintenant estompées, laissant place à l’incompréhension la plus totale. Mais avant qu’il n’ait pu le questionner, le dénommé Zachary embraya.

_ Oui, tu as des capacités hors du commun, et c’est très bien. Mais cela peut aussi être dangereux. Ce n’est pas dangereux pour ta santé. Cependant, certaines personnes ont peur de cette différence et pourraient vouloir s’en prendre à toi à cause de ça. C’est pourquoi il faut que tu fasses très attention.

Et ce fut là qu’il perdit totalement Gareth. Bien sûr qu’il avait des capacités hors du commun, il le savait déjà ça, c’était d’ailleurs grâce à cela qu’il en était arrivé jusqu’ici aujourd’hui. Mais il l’avait dit sur un ton un peu spécial qui avait l’air de vouloir dire autre chose. Pourquoi les gens auraient-ils peur de cette différence ? Et pourquoi décrivait-il ses capacités de la sorte ? Pourquoi en aurait-on après lui à cause de ça ? Et bon sang, c’était qui ce mec exactement ?

La tension était retombée. De longues secondes de silence s’écoulèrent. Gareth avait maintenant repris son souffle et était à peu près calme. Il se tourna alors vers le dénommé Zachary et le dévisagea. Alors qu’il voyait quelqu’un de peu assuré au début, il vit au contraire quelqu’un qui savait ce qu’il disait. Cet homme n’était sûrement pas un recruteur. Il semblait observer le sol avec attention et surtout éviter son regard. Après un soupir pour finir de se calmer, Gareth prit la parole. Il était temps de jouer cartes sur table. Zachary n’en avait certainement pas dit assez.

_ Vous aviez ma curiosité, maintenant, vous avez mon attention. Mais il va falloir m’en dire un peu plus à présent. Un léger regard vers l’impact qu’il venait de faire et il prit un ton un peu plus gêné. Tout d’abord, veuillez m’excuser pour ce petit incident. Maintenant, j’aimerais avoir un peu plus d’explications… Qui êtes-vous et que faites-vous ? Vous semblez en savoir plus que moi-même sur mes propres capacités. Pourquoi cela pourrait-il être un danger ? Que recherchez-vous et qu’attendez-vous de moi ?Et aussi, comment avez-vous réussi à m'éviter ?

Le jeune mutant s’assit sur le trottoir, coudes sur les genoux, les mains pour soutenir son menton. Il voyait déjà tous ses rêves de joueur professionnel s’envoler. Il ne savait pas pourquoi, mais il avait le sentiment que les réponses que lui donneraient Zachary n’allaient pas lui plaire.