« Le crépitement s’effrite, s’entorse et s’essouffle dans un bruit subtil de déchirement. Le contact fusionne le toucher et le milieu qui s’évapore au bruissement d’un envol où seule la main qui perce subsiste. L’odeur de chaleur transperce l’état second et plus rien n’est comme avant, autre que destruction, rage et amertume.

C’est la fragmentation qui crépite. Qui craque. Qui tremble. »

Elle tremblait sur l’horizon crépusculaire caniculaire d’un présage de feu et de beau temps. La silhouette plongée dans la chaleur humide de l’air amplifiait l’étouffement reposant sur le vaste étendu où l’avoine doré se perdait à travers les champs, tout juste derrière la vieille maison aux jointures blanches et bleues. Cette forme humaine paressait se fondre dans la cuvée mouvante des grains flottant au vent de juillet.

Le souffle court, l’échine ployée et la transparence d’une angoisse enfouie s’afférait sur les traits de l’homme qui serrait son crâne de paumes meurtries. Le sang rougissait la surface des jointures sous l’effet de la pression, puis, un son uni-syllabique galvanisa la scène. « Tues », Dit-il d’un chuchotement ordonné dans les airs, comme si ce mot s’adressait à une entité mythique se cachant quelque part entre la conscience et la folie. Une teinte de pitié suintait dans l’expression lorsqu’il le répéta une deuxième fois. La douleur du souvenir qui crachait ses ronces amères, le cri en sourdine d’une enfant suffoquant de détresse, puis un tissu rouge s’envolant pour l’éternité.


Le petit garçon faisait danser ses mèches aux teintes de bruns sombres qui divaguaient au rythme de ses enjambées le long du petit muret de pierres moussues. Grande était l’étendue séparant le gros arbre à la maison, mais s’y aventurer valait mille fois la chandelle. Peut-être que le silence de la solitude profonde portait un réconfort charnière à son équilibre de petit homme de 9 ans, son arbre secret avait pourtant le don de lui redonner le sourire. Si sa grande sœur lui donnait sa part de dessert ce soir, il avait bien réfléchit et il se pourrait qu’il lui montre son repère et ce qu’il avait réussi à briser tout juste à l’aide de ses mains!

Ses chaussures noires et blanches frottaient sur l’herbe coupée, au fil de sa course, en direction de la maison aux jointures blanches et bleues. Un large sourire pompé par la jeunesse, pur, immaculé par l’innocence et la vitalité qui s’effaça pourtant : une faille perçait les lieux, l’odeur âcre de la détresse et une voiture inconnue était garée de travers sur la cour avant du bâtiment. Il ralentit le pas et frotta ses mains terreuses sur sa chemise blanche en fixant la porte d’entrée entrouverte. Un manque de salive le fit déglutir et lorsque la porte s’entrouvrit dans un cri de peur, cette expression gutturale dont il croyait être le seul à faire sortir de la bouche de sa sœur en réaction à ses mauvais coups, une page imaginaire se déchira à l’intérieur de sa petite tête. Un coup de feu, une seconde et le bruit sourd et ferme de la chair qui frappe le bois du portique. Elle l’avait fixé de ses jolis yeux verts en tombant, transpercée par le projectile, la terreur qui lui figeait le sang.

Une deuxième détonation et encore une autre frappa son âme de plein fouet. Pourtant, le bruit s’échappait de la maison et rapidement deux hommes, l’un à la peau aussi noire que l’encre et l’autre de petite taille avec une casquette des Rangers de New York, sortirent en regardant derrière eux, enjambant le corps inerte et fragile de la jeune femme. Sans même remarquer la présence du petit garçon, ils traversèrent de quelques enjambées, l’arme au poing, le par terre qui menait à ce qui devait être leur voiture. Le grand noir transportait une valise en cuir qu’il colla à sa poitrine comme un trophée de baseball. Lorsque les portes de taules claquèrent, le partisan des Rangers tourna la tête et fronça les sourcils en regardant directement où le gazon s’aplatissait légèrement. De ses lèvres, on aurait pu lire : « saletés de mutants ». Bien sûr, ce détail lui échappa, mais un petit garçon se trouvant là aurait pu voir toute la scène sans manquer le moindre détail, la moindre odeur, le moindre froissement de robe rouge qui virevolte et s’emmêle dans la chute finale d’une vie qui s’arrache au monde et à l’amour d’un petit frère. Sa joue frêle collait sur la terre fraîche du buisson près des escaliers, son corps camouflé par la végétation.

Il y resta jusqu’à ce que le soleil disparaisse à l’horizon.


Encore aujourd’hui, il se rappelle l’odeur de la terre humidifiée par la peur et elle lui serre le cœur pour l’empêcher de rejoindre des songes de jours meilleurs. Ils sont si loin maintenant, rires et chaleurs au ventre de l’enfant qui ne fait que vivre. Ses genoux s’enfonçant entre les filaments longilignes de la plantation d’avoines, son regard se brouilla vaguement et la détresse le submergea à nouveau dans un effluve de rage.

« TUES! »

Les mains entourant son front, des tatouages de sigles circulaires aux géométries particulières traversaient ses avant-bras jusqu’à atteindre le bout de ses doigts. Ceux-ci plongeaient dans une chevelure courte, teint d’un bleu presque mât. Un film de sueur perlait à sa chair sous l’effort dirigé vers sa tête où une vision d’horreur régnait sans remords. Le souvenir amère de sa sœur et de sa mère tuées par de purs inconnus. Le tissu rouge flottant au vent. Souffrances.

L’instant sembla s’étirer durant de longues minutes où l’homme resta agenouillé sur ce paysage hétéroclite contrastant au calme du soir d’été. Un couple d’oiseaux passa tout près et il finit par se relever doucement baissant les yeux sur la pierre aux arrêtes effilées qu’il tenait dans sa paume, remplissant celle-ci presque totalement. Il avait le pouvoir, le don. « Un mutant » comme d’autres le désignaient. Il pouvait briser, détruire, anéantir la matière, mais sa propre chair était immunisée par ce don exceptionnel qu’il portait en lui. Sa mâchoire se serra dans l’impuissance de ses propres facultés et la pierre se fissura de toutes parts en s’émiettant lentement entre ses doigts étirés.

Le vent au loin, baignant dans un soleil de feu et de vengeance, camoufla partiellement la colère d’un cri. Un couple d’oiseaux s’envola.