Entretien avec un pigiste

Sujet: Entretien avec un pigiste Mar 9 Sep - 19:47

Jules regarda une dernière fois dans son sac si tout y étais. Carnet, stylo, lunette de soleil, sifflet et bombe lacrymo'. Parce que ce qu'elle s'apprêtait à faire restait angoissant. Voire carrément flippant. Et un peu excitant. Ce Nick Rydell, elle ne le connaissait que de nom et par les mots qu'il couchait régulièrement sur le journal local. Des textes qui avaient fini par attiser la curiosité de la blonde pour son contenu ... atypique. Rien de bien scandaleux. Juste quelques faits divers qui parlaient étrangement à la jeune femme et dont le journaliste semblait se délecter puisqu'il demandait des témoignages. Jules avait déjà défini trois possibilités quant à la personnalité de ce type. Soit il était atteint d'une folie douce, le genre de folie qui vous amène à croire que les extra-terrestes existent, que la zone 51 également et qui vous donne des frissons dès que vous voyez un nuage plus ou moins allongé. Bref, un gentil allumé, un peu lourd mais pas méchant. Soit un taré complet qui voit des complots partout doublé d'un pervers qui justifie votre séquestration par la volonté de vous protéger de tout le mal qui règne sur Terre. Ça, c'était beaucoup moins drôle. D'où la bombe lacrymogène et le sifflet. Troisième solution, un mec plus ou moins normal qui croit et à des preuves tout à fait concrètes de ce qu'il avance dans ses articles. C'est cette perspective qui avait motivé Jules à composer le numéro indiqué en bas de chacun de ses écrits. Rien n'était jamais clair ni réellement flagrant, mais il lui avait quand même bien semblé qu'il faisait référence à des évènements, des hommes et des femmes avec une caractéristique extraordinaire. Et Jules pouvait se vanter, ou pas, d'en faire partie.

Durant le trajet en métro, la blonde se conditionna sur plusieurs points : rester calme quoi qu'il arrive et quel que soit le type auquel elle allait avoir à faire. Faire en sorte de ne pas trop en dire sur elle-même et en apprendre le plus possible sur l'origine des histoires racontées par Mr. Rydell. Elle n'y allait pas dans l'optique de raconter sa vie, comme s'attendait certainement le journaliste. Après tout, son annonce allait dans ce sens. Elle souhaitait juste savoir si les évènements qu'il développait avaient un fond de vérité. Rien qu'avec ça, Jules se sentirait peut-être un peu moins perdue. Un peu moins seule. Un peu moins étrange. Elle cherchait juste quelque chose auquel se raccrocher qui lui feraient dire qu'elle n'était pas si unique que ça. Si monstrueusement et terriblement unique. La jeune femme se leva précipitamment de son siège et descendit rapidement du wagon. Elle se devait d'avoir les idées claires et ne pas se laisser envahir par tous les questionnements qui la tenaient depuis plusieurs années. Elle ne devait pas espérer, pour ne pas être déçue.

Jules se dépêchait. Elle se dépêchait toujours lorsqu'elle avait un rendez-vous. Sa manie de mal calculer son temps de trajet, volontairement ou non la mettait souvent en retard. Elle se présenta ainsi à l'angle de la rue ou se trouvait le café avec un bon quart d'heure de retard. C'est elle qui avait insisté pour être dans un endroit public. Un café suffisamment au calme pour être propice à la discussion mais pas trop en retrait pour ne pas se sentir soudainement prise au piège. Le seul roux du coin, un tout jeune homme, là, assis à une table. Elle ne l'aurait pas cru aussi jeune. Il ne cadrait déjà pas dans l'un des trois profils qu'elle s'était imaginé. Peu importe, Jules se savait trop en retard pour hésiter encore.

« Nick Rydell ? » Osa-t-elle en tentant non sans peine de contrôler sa respiration haletante.

Sujet: Re: Entretien avec un pigiste Mer 10 Sep - 20:35

Si au départ le journalisme était synonyme de voyages, découvertes, réflexions, pour Nick, ses motivations changèrent radicalement au fil du temps et ce depuis son arrivée sur le continent. Mais surtout avec son pseudo engagement dans la Confrérie, il fallait dire. Ce n'était plus cet épanouissement personnel, ce savoir étranger partagé avec les populations indigènes qu'il visait dans un premier temps. Non. En réalité, tout ceci n'était que poudre aux yeux en sachant cette bataille qui grandissait doucement dans l'ombre.

Les enjeux devinrent naturellement plus grands. Oh bien sûr, il aurait pu mettre à contribution ses dons, au potentiel dévastateur cela dit en passant, en suivant l'idéologie de ses frères et sœurs mutants. Cependant sa juste place ne se trouvait, à ce jour encore, dans aucun des camps qui se précisaient.
Anti-mutant. Pro-mutant ou Anti-humain. Il était cet entre-deux, cette éponge qui absorbait la haine de chacun des partis, apaisant les tensions inévitables. Le jeune homme ne pouvait soulager l'esprit des siens au risque que cette arme ne se révèle à double tranchant. Ne restait plus alors qu'à étouffer le bruit courant au sujet de leur existence en même temps que l'animosité injustifiée de certains êtres qualifiés de normaux. Ce n'était pas son rôle au départ, pourtant Nick était né avec cette faculté extraordinaire et bien qu'il se considérait toujours comme un simple Homme parmi tant d'autres, il se devait de faire quelque chose, aussi minime soit-elle. Faire en sorte que le futur soit moins dramatique, oui, c'était son principal objectif. Lorsqu'enfin le jeune journaliste eut droit à sa petite place dans un périodique new-yorkais, ni une ni deux l'engrenage se mit en marche.

Et le voilà, baillant à s'en décrocher la mâchoire derrière sa main, avec un café trop chaud et trop fade dans l'endroit le plus calme des environs. Clairement, il y avait bien davantage de passage devant qu'à l'intérieur même du bistrot. C'était dire sa popularité. Nick eut tout le loisir d'admirer ses quatre murs avant de commencer à tromper l'ennui en se plongeant dans un bon bouquin.
Un quart d'heure qu'il patientait maintenant. Sa rubrique évasive au sujet de faits étranges attirait, sans réelle surprise, peu de gens. La plupart lui faisait perdre son temps pour un canular grotesque voir même pour le simple plaisir de lui poser un lapin. En résumé, moins d'un dixième eut droit à une légère modification de son histoire. Et il fallait croire que le rouquin était bien parti pour rentrer bredouille. Une fois de plus, son piège se refermait sur du vent. Une véritable déception. Nick jeta un nouveau coup d'oeil à sa montre et soupira.

"Encore cinq minutes", se dit-il en rouvrant son livre.

Le jeune homme n'eut guère le temps de finir sa page qu'une voix féminine l'interpella. Voix qu'il reconnut aussitôt.

"Oh, bonjour !", fit-il poliment, bien que ces quelques mots sonnèrent malgré lui comme un "Eh bien ?!".

Le bouquin glissa sur la table, alors qu'il se levait pour saluer son invitée, et alla percuter de plein fouet le café oublié sur le côté. Le fond de celui-ci se répandit sur le bois déjà pas bien en forme... Mais essentiellement sur le calepin laissé-là. Une maladresse qui ne l'étonna pas. Qu'importe si ce geste faisait tâche et que la demoiselle lui colle l'étiquette Novice désespéré sur le front, ce n'était pas le cas. Pas vrai ? Et puis Nick passait au-dessus de ce genre de détail.

"Je pensais que vous ne viendriez pas...", avoua-t-il après une brève poignée de mains, un léger sourire flottant sur ses lèvres.

Nick releva la tasse et essuya rapidement le peu qui avait épargné son bloc-note à l'aide de sa serviette en papier, attendant que l'inconnue s'installe pour en faire autant.

"Je peux vous offrir quelque chose peut-être ?"

Il croyait s'être trompé, que cette voix à l'autre bout du combiné n'était pas celle d'un véritable témoin. Et pourtant, c'était un conteur en chair et en os qui se tenait ici, devant lui, avec vraisemblablement une histoire authentique à partager. Avant qu'elle ne tombe dans les méandres de l'oubli.

Sujet: Re: Entretien avec un pigiste Sam 13 Sep - 21:02

Jules se recula vivement en voyant le café se rependre sur la table et le calepin du journaliste, ce qui quelque part, confirmait que s'en était un. La jeune femme laissa échapper un « ah ... » embêté. Embêté pour le calepin de ce tout jeune monsieur parce qu'il fallait être lucide, du café sur du papier, c'est totalement irrécupérable. Et parce qu'il avait bien remarqué qu'elle était en retard. Naïvement, elle espérait à chaque fois que son rendez-vous ne s'en aperçoive pas. Comme un gamin pris sur le fait qui continue ses activités comme si de rien était en espérant très fort que sa mère n'ait rien vu. « J'ai l'habitude de me faire désirer ! » Dit-elle en riant un peu mal à l'aise, malgré le sourire du jeune homme.

Après quelques secondes de flottement, Jules finit par s'asseoir sur le bord de la chaise avant de se retourner vers le comptoir à la demande du journaliste. Boire quelque chose lui ferait peut-être du bien, effectivement. Et ça lui permettrait de s'occuper les mains. « Vous croyez qu'ils ont du lait de soja ? » Jules jeta un regard sur le barman au look un peu sinistre et au reste de l'établissement totalement dépourvu de charme. Elle était plutôt contente de son choix, mais doutait fortement de la présence d'un quelconque breuvage blanc dans le café. « Laissez tomber ... Deux cafés, s'il vous plait ! » Cria-t-elle au barman. Une élévation de voix qui contrasta subitement avec l'attitude calme qu'elle avait pu avoir jusqu'à présent. Et deux cafés, parce que le journaliste venait d'en perdre la moitié et que les journalistes, ça boit beaucoup de café, non ?

Maintenant tournée vers le jeune rouquin, Jules l'observa sans réellement de gêne. Il avait l'air plutôt normal, a priori. Un peu maladroit, mais elle ne pouvait lui en tenir rigueur. Il ne ressemblait pas à un ufologue fantaisiste ni à un fou dangereux prêt à lui sauter dessus. Il était étrangement normal, en réalité. L'habit ne fait pas le moine, disait-on. Mais la perspective d'avoir une discussion avec quelqu'un à première vue sensé lui permit de se détendre un peu. « Je pensais que vous alliez être plus tordu que ça. » Avoua-t-elle finalement de manière tout à fait naturelle en se plaçant plus confortablement sur sa chaise. Pas de provocation, juste une constatation qu'elle se sentait en droit de partager.

« Juste avant que l’on commence … » La jeune femme se tortilla malgré tout un peu sur son siège. « J’aimerais que ça là, ne soit pas trop ébruité, vous voyez ? » Un léger signe de la main les englobant tous les deux pour indiquer que ce rendez-vous devait rester quelque chose de clandestin. Elle ne souhaitait pas être mêlée à une quelconque affaire, si affaire il y avait ou allait avoir. La discrétion était son maitre mot depuis plusieurs mois et c’était la première fois qu’elle s’autorisait à sortir de sa monotonie qu’elle s’était imposée. « Genre pas de nom, rien qui pourrait laisser penser que c’est moi que vous avez rencontré, tout ça … » Jules avait baissé la voix jusqu’à presque chuchoté et sa tête était rentrée dans ses épaules. En fait, s’il pouvait ne rien écrire dans sa chronique était encore mieux, mais ça, elle ne pouvait se permettre de le lui demander.

Jules regarda fixement le jeune homme pour déceler une quelconque approbation ou peut-être cherchait-elle quelque chose qui lui permettait de lui faire penser qu’il était quelqu’un d’honnête. Elle finit par se redresser en sentant l’aura lugubre du serveur près d’elle. Un simple merci et elle commença à tourner mécaniquement la toute petite cuillère dans la tasse de café. « Sinon, vous vous intéressez aux phénomènes paranormaux ? » Demanda-t-elle sur un ton bien plus léger que ces dernières paroles.

Sujet: Re: Entretien avec un pigiste Sam 20 Sep - 22:35

"Plus tordu ? C'est bien la première fois qu'on me dit cela mais... J'accepte le compliment... !", fit-il en riant de bon cœur.

Et dire qu'on accuse les journalistes d'avoir la langue bien trop pendue la plupart du temps ! Les places semblaient bel et bien inversées pour le coup, son invitée prenant dors et déjà bien ses marques. D'un côté, cette situation amusait Nick et lui donnait l'air d'un psychologue, à l'écouter sans prononcer le moindre mot et à acquiescer d'un bref hochement de tête lorsqu'elle mentionna ses conditions. Néanmoins, même si cette profession demeurait admirable, il espérait secrètement ne pas avoir besoin de camper ce rôle. Et un léger malaise s'installa derrière ses quelques sourires.

La jeune femme avait une personnalité formidable à première vue, vivant pleinement ses émotions: enjouée dans sa voix mais aussi originale dans ses choix, mystérieuse et impulsive à la fois dans sa manière d'être... Puis son discours se fit plus étrange alors qu'elle se mit à baisser d'un ton et la curiosité céda sa place à un tout autre sentiment. Des doutes flottèrent dans son esprit.

Avait-il décroché le gros lot en tombant sur une parfaite aliénée ? Ou, pire encore, sur une comédienne maîtrisant brillamment son petit jeu, dans le but de lui soutirer des informations sur les mutants, comme ces gens ayant enlevé Nigel le frère de sa tendre amie ?

"Sinon, vous vous intéressez aux phénomènes paranormaux ?", lui avait-on demandé.

La transition un peu trop sèche gêna le rouquin.

"Si je crois aux phénomènes paranormaux ?", répéta aussitôt le journaliste sans réfléchir.

Il parut rire à ses sourcils haussés et le ton de sa voix presque sarcatisque. Pourtant le sérieux restait là. Et Nick plongea le nez dans sa tasse.

Il ne pouvait trancher à coup sûr sur les réelles motivations de cette femme et perdre quelques précieuses secondes qui auraient tôt fait de rendre cette discussion hostile si la blonde le jugeait trop lent à répondre... Louche à ses yeux donc. Pourtant, Nick aurait pu s'y attendre, ses articles traitant plus ou moins de ce sujet. Cependant, et dans ce cas, la réponse n'était-elle pas évidente ? La prudence, le britannique connaissait. Mais l'impulsivité le guidait bien plus encore dans son quotidien. Le café retourna en douceur sur la table.

"Voulez-vous dire par là..."

Nick croisa alors ses mains sur le bois et se pencha légèrement en avant, détaillant un instant les yeux de Jules. Mais ce qu'il vit le surprit quand bien même ce scénario aurait dû s'imposer à lui telle une évidence. L'endroit choisi pour ce rendez-vous lui devint tout d'un coup logique. Le jeune homme reprit alors la parole, murmurant presque:

"Des ampoules qui s'affolent sans raison apparente, par exemple ?"

Bien sûr, Nick la testait. Mais si Jules était venue jusqu'ici, il y avait bien une raison. Inutile de tourner plus longtemps autour du pot.

Sujet: Re: Entretien avec un pigiste