Une journée avec Mahé-Lou
11:30-« J’habite à Manathan, il me sera donc relativement aisé d’arriver à l’heure chaque matin. Je possède aussi ma propre voiture, ce qui peut être un atout non négligeable pour d’éventuels déplacements professionnels. »-« Entendu. Statut matrimonial ? »
-« Je suis mariée et mère de deux enfants. »-« J’ai relevé dans votre CV que vous aviez travaillé trois ans en Angola dans un institut de recherche… »
-« C’était du bénévolat. »-« Heu d’accord, je disais donc que vous aviez travaillé
bénévolement trois années consécutives en Angola dans un institut de recherche sur les maladies tropicales, et de ce fait vacciner plus d’une dizaine d’enfants. Cette expérience serait donc positive pour un éventuel poste d’interne dans note clinique. »
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« Oui en effet. Et d’ailleurs j’ai adopté mes deux petites filles là-bas. »-« Très touchant. Pour terminer, vous nous affirmé parler parfaitement français et italien, et être diplômée de l’université de Florence. »
-« Mais mes diplômes ont brulé le mois dernier en même temps que ma maison, au Texas. C’est pour ce qui m’a amené à New-York, nous avions besoin d’un nouveau départ. Ce fut une expérience incroyablement douloureuses pour mes filles, qui… »De grosses gouttes larme salées coulèrent des ses yeux opalins, tandis que sa voix se perdit dans un hoquet théâtral. La petite femme à lunette assise en face d’elle, d’un mouvement rendu maladroit par l’incroyable épaisseur de ses avants bras, lui tendit un paquet de mouchoir. Son air à la fois gêné et compatissant la remplit de satisfaction.
-« allons mademoiselle Darla, n’y pensez plus… Un nouveau départ est la perspective d’un bonheur neuf… »
-« Oui, vous avez raison… »Les deux femmes se sourirent, rendues complices par le malheur de l’une et la compassion de l’autre.
-« Bon hé bien je pense qu’on va s’arrêter là. »
-« D’accord. Je vous laisse mon adresse : Darla Cambridge, 5 Long Street à Manathan. Vous pouvez me contacter au 212-112-2334. Passez une bonne fin de journée. »Elle prit son sac et sortit. D’autres femmes patientaient à côté, elles aussi intéressées par le poste vacant de cette prestigieuse clinique New-Yorkaise. Elles étaient au nombre de cinq, et toutes semblaient très à l’étroit dans leurs tailleurs à la coupe irréprochable. Rien l’odeur de leurs parfums suggérait une certaine aisance financière. Mahé-Lou sentit une vague de regards critiques déferler sur ses cheveux multicolores et son jean rapiécé. Un sourire espiègle ourla ses lèvres et elle décida de donner à cette bande de dindes friquées un peu plus de matière pour médire sur elle une fois qu’elle aurait tourné le dos.
-« Heu mesdames, excusez moi ! « Elle parlait fort et avec de grands gestes désordonnés.
« Vous sauriez ou se trouve le service toxicomanie ? »Sa question n’était posée à personne en particulier, et quelques une détournèrent rapidement le regard er feignirent de n’avoir rien entendu. Mais comme elle ne bougeait pas d’un pouce, un hasardeux « aucune idée » finit par lui répondre. Satisfaite, elle tourna les talons, et se permit d’éclater de rire une fois sortit de la clinique.
Il n’y avait pas de 5 Long Street à Manathan, de Darla Cambridge. Tout comme il n’y avait pas de petites filles adoptées en Angola, de mission humanitaire, de maison brûlée au Texas ou de diplôme de florentin. Mahé-Lou Novarina, du haut de ses vingt deux ans, n’avait mis les pieds dans aucun des lieux qu’elle avait mentionné, ne savait dire que « spaghetti » en italien, et voyait les enfants comme les gigantesques ours en peluche qu’on gagne à la foire : mignons, mais très encombrants. Elle rit à nouveau en songeant qu’elle avait –peut-être fournit une véritable adresse, et que –peut-être un illustre inconnu recevrait un courrier lui annonçait sa prise de fonction en tant que médecin. Que cet illustre inconnu s’appelle Darla Cambridge relevait d’un hasard quasi impossible, mais sait-on jamais. Peut-être venait-elle de créer un énorme quiproquo dont elle serait la seule à rire ?
Inventer ce genre de jeu de rôle ne relevait, de son point de vue, d’aucune malveillance. C’était seulement un jeu. Rien qu’en jeu, ou des acteurs qui n’avaient même pas conscience de leur rôle l’aidaient à peaufiner son personnage. Chacune des personnalités qu’elle inventait était soigneusement consignée dans un carnet à reluire de cuir qu’elle trimballait partout : tous les personnages qu’elle avait secrètement joués à un public qui n’en avait même pas conscience y étaient détaillés.
16:45L’appel de la nicotine coupa court à ses pensés et elle fouilla ses poches dans l’espoir d’y trouver un billet. Les tintements de deux malheureux cents lui annonça, comme dans un ricanement métallique, qu’elle devrait taxer aux passants. Elle en alpagua quelques un qui s’excusèrent poliment et continuèrent leur chemin, leva discrètement son majeur en direction d’un homme qui passa devant elle sans même lui adresser un regard. Une âme charitable lui fit don d’une Marlboro, qu’elle garda précieusement jusqu’à ce qu’elle arrive à Central Park.
19:30Le jour déclinait quand elle alluma sa cigarette, assise sur un banc de Central Park. Entre chien et loup, mi figue mi raisin. Des expressions toutes plus fleuries les une que les autres définissaient ce moment de la journée, qui n’est ni le jour ni la nuit. Pourtant les mots pour décrire l’état qu’il inspirait manquait. Mélancolie ? Nostalgie ? Tout ceci était accompagné de tristesse, cela ne collait pas. C’était un spleen, oui, mais qui gonflait le cœur de liberté et de possibles. Elle se sentait seule au monde mais cela ne lui inspirait pas la moindre détresse. La promesse de la nuit était bien trop réconfortante. Pourtant, insidieusement, elle ne pouvait s’empêcher de faire la liste de tout ce qui la coupait du reste du monde. A commencer par ces gants noirs. Jamais ses mains ne pourraient rentrer directement en contact avec la peau de quelqu’un sans lui donner des hallucinations pour le moins déstabilisante. Bon certes ce n’était pas si grave. Mais ça la rendait différente. Mahé-Lou ne doutait pas qu’il existait un peu partout dans le monde des gens
comme elle , sa mère en était d’ailleurs la preuve vivante. Rencontrer des personnes qui comme elle, étaient en quelque sorte supérieures au commun des mortels la fascinaient et l’effrayaient. Des pouvoirs qui dépassaient l’imagination devaient exister, des pouvoirs puissants, grandioses, qui défiaient tout ce qu’elle avait connu jusqu’à présent. Mais elle ne savait pas si elle devait chercher à entrer en contact avec eux ou au contraire, les fuir.
11:48La nuit était tombée depuis déjà un bon moment. Minuit n’allait pas tardé. Cette pensé sortie Mahé-Lou de sa torpeur, et soudain, elle eu envie de courir, pour se sentir libre comme jamais. Même à cette heure là New-York pullulait, et les passants devaient s’écarter sur son passage pour la laisser passer. Elle courait à perdre haleine, et elle riait, comme une enfant, à gorge déployée. Que c’était bon de se sentir vivante !
00:19Elle était assise à une table, seule, dans la boite se strip-tease ou lui avait donné rendez-vous son père. Le numéro vedette venait de se terminer, et sur scène, une brune plantureuse saluait son public par des courbettes sensuelles, visiblement très étudiées, envoyait des baisers d’un air mystérieux. C’est alors que son regard tomba sur Mahé-Lou. Elle lui sourit et lui fit signe de la suivre en coulisse. La jeune s’exécuta sans se presser, slalomant entre les paires de seins dénudés des serveuses et les grandes carcasses titubantes d’alcool des clients. Elle poussa la porte des coulisses, ou la brune plantureuse l’attendait et lui fit signe de l’accompagner jusqu’à sa loge. Elle s’affala sur un fauteuil en velours rouge et entreprit de démaquiller l’épaisse couche de maquillage qui lui cernait les yeux.
-« Comment m’as-tu trouvé chérie ? »
-« Tu étais génial papa, comme d’habitude. »Charlie rit, mais ne répondit rien. Mahé-Lou comprit sa maladresse. Certes, cette femme affriolante qui se trouvait en face d’elle était
biologiquement son père. Mais cela devait être très embarrassant, pour un transsexuel, d’être confronté à son ancienne identité sexuelle qui ne correspondait en rien à ce qu’il était véritablement à l’intérieur. Elle décida donc d’appeler son père par son prénom.
-« J’adore ta nouvelle couleur ! C’est très original, vraiment je suis complètement fan. Mais ça ne t’abime pas trop les cheveux ? »
-« Ca va. »Si elle lui avait dit que c’était naturel, Charlie ne l’aurait pas crut. Elles mangèrent un morceau, rirent de bon cœur.
-« Il est tard, je dois rentrer chez moi. J’ai cours demain. »-« D’accord ma puce. Tu as besoin d’argent ? On dit que les étudiants sont tous fauchés ! »
-« Ne t’en fais pas je me débrouille. »-« Oh ! Ne me dis pas que tu tapines ! »
Mahé-Lou rit . Charlie lui tendit une liasse de billet.
-« Je t’ai dit que ça allait ! Et non, je ne tapine pas. »-« Shhhhh ! Tu m’obéis ! Et de toute manière ça, c’est juste mes pourboires. C’est ça la vie d’artiste !
3:21Maintenant la nuit ne lui donnait plus envie de courir pour se sentir libre, mais plutôt de la peur, comme une enfant effrayée par les ombres de sa chambre une fois la nuit tombées. Encore une fois, elle avait menti. Mais cette ce n’était pour les besoins d’un personnages fictif, juste pour les besoins de sa fierté. Elle n’était plus étudiante depuis quelques mois déjà, et de ce fait, n’avait plus de logement. Ce soir, comme les autres soirs, un hall d’immeuble si possible propre lui servirait de lit. Enfin, c’était déjà mieux que rien. C’était déjà mieux que d’avouer à ses parents qu’elle était à la rue, qu’elle n’arrivait pas à s’en sortir toute seule. Même quand même la nuit ça fait un peu peur.
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