Dans son camion duquel s’échappaient quelques effluves de senteur de jasmin et de rose, Jules patientait. La tête posée sur le large volant, elle regardait la pluie tomber sur les fenêtres. Mariage pluvieux, mariage heureux, disait-on. Une petite bonne femme enveloppée dans ce qui ressemblait à une nappe en papier pour se protéger en vain de la tempête vint toquer à la vitre. Il était enfin temps de faire la livraison. L’une des plus grosses de ces derniers mois. Avec agilité, Jules passa à l’arrière de la camionnette pour ouvrir les portes. C’était les restes de toutes ses années passées dans un cirque à jouer les acrobates qui lui permettaient encore de se faufiler partout sans grande difficulté. Une souplesse qui lui était donc tout à fait utile dans son petit fourgon encombré de pots, de vases, de fleurs et de plantes. « Je vous suis ». Deux grandes gerbes de verdure dans chaque main et elle courrait derrière sa cliente dont la protection contre la pluie tombait en lambeaux.

Elle arriva alors dans le hall du château où Monsieur de « machin » allait épouser Madame du « truc ». Jules n’avait pas retenu leurs noms à rallonge. Quoi qu’il en soit, le lieu était magnifique. La jeune femme n’avait pas l’habitude de se retrouver dans une demeure pareille et faisait presque tâche dans ses vêtements un peu trop grands et mouillés. Même ses bracelets qu’elle adorait entendre et faire cliqueter l’incommodait. Elle était tout de même assez fière que ses compositions et ses fleurs aient été retenues pour un évènement pareil. Sans plus de délicatesse, la petite bonne femme qui se révéla être la préposée à la décoration lui donna un salve d’ordre avec une voix stridente que Jules ne retins pas non plus. A vrai dire, elle avait déjà en tête la manière dont elle pouvait disposer ses compositions dans la salle. Ça serait donc ainsi et pas autrement.

De toute manière, elle se retrouva rapidement seule dans la grande salle, la décoratrice ayant filé elle ne sut où. Il fallut peu de temps à Jules pour mettre en place toute sa verdure et lorsque ce fut terminé, sa cliente n'avait toujours pas fait sa réapparition. Seule à faire les cent pas, Jules finit par faire le tour de la propriété, allant de surprise en surprise. Sa vie ne ressemblait et ne ressemblerait jamais à celle que le jeune couple allait commencer. Elle était loin de sa caravane qu'elle occupait lorsqu'elle était encore la vedette du petit cirque familial. Et loin de son petit appartement de New-York encombré d'aujourd'hui. Loin de ses préoccupations qui la tenaient depuis son adolescence et des évènements tragiques qui avaient suivi. Tout semblait calme et propre ici. Peut-être même trop. Jules pouvait presque s'imaginer la vie qu'ils allaient avoir. Des enfants, un chien et un chat. Une petite famille qui s'agrandit pour au final faire de cette maison un lieu où parents et grands-parents, frères et sœurs, cousins, cousines se réuniraient. Une vie écrite presque à l'avance. La sienne était si incertaine ...

Elle sursauta lorsque la voix stridente l'interpella. Jules ne comprit pas tout de suite ce qu'elle lui dit, ce n'est que lorsqu'elle se retrouva emportée par une foule en grande robe et en smoking qu'elle comprit qu'elle aurait dû se pousser. Non sans mal, la jeune femme s'extirpa du groupe qui se dirigeait vers la grande salle. Adossée contre la porte d'entrée, Jules ne savait pas quoi faire pour attraper la décoratrice et demander sa paye. Elle commençait à étouffer ici. Sa cliente réapparut finalement pour lui fourrer dans la main une liasse de billets et lui fit signe de partir. Pas besoin d'hippie pour le mariage des bourgeois. Malgré tout, alors qu'elle allait claquer la porte en maudissant cette bonne femme, celle-ci l'interpella une dernière fois pour lui demander de s'occuper des lumières. Jules ne se sentait déjà pas à l'aise dans ce milieu, mais cette demande lui fit presque perdre pieds. La voyant devenir pâle et sans réaction, la décoratrice finit par lui indiquer avec un geste d'impatience, les lumières du jardin à éteindre avec les interrupteurs situés derrière la porte. La blonde s'exécuta raide comme un piquet et retourna dans sa camionnette vide. La pluie battait toujours et Jules avait très chaud.