Skyler avait mal partout. Son corps entier semblant étrangement douloureux sous l'effort musculaire désagréable et particulièrement intense qu'il avait dû fournir. La douleur n'était plus que vague brûlure à un certain point plus bas, résultat du passage forcé si souvent emprunté, avec si peu de considération pour sa personne. Oh, il avait l'habitude, dirait-il. Cela n'excusait en rien le geste.
Il sortait rarement en forme d'une rencontre avec un client. La plupart ne le voyaient pas comme une personne pourvue de sentiments, plutôt comme un objet qui n'était là que pour leur satisfaction personnelle... il est certain que la simple notion de payer pour avoir droit à ses services contribuait à le déshumaniser complètement. Le mot escorte voulait faire croire au contraire, mais personne n'accompagnait personne ici ... Ce n'était que froideur et passion à sens unique, un corps désincarné qui fait la sale besogne. Il dirait qu'il avait l'habitude. Il dirait qu'il ne méritait pas vraiment mieux, de toute façon. Mais lorsqu'il sortait des deux pénibles heures avec un homme, il n'en tolérerait pas une de plus.

« Votre deux heures est terminé. Faut payer plus pour plus longtemps. »

La main sur la poignée, il tenait tête à l'homme qui aurait voulu qu'il reste- qui était déterminé à ce qu'il ne parte pas comme ça, pas aussi vite. Sky avait beau se réduire à un si bas niveau, lorsque c'était terminé, ce l'était réellement. Il partait.

... ou peut-être pas. L'engueulade se poursuivit dans la rue.

« Reviens ici sale p'tite pute, j'en ai pas fini avec toi ! »

Les mots étaient durs, mais Skyler ne voulait rien entendre. C'était les règles et il ne les changerait pas pour un client trop exigent. Il était déjà suffisamment pénible de faire ce job pour de l'argent, il ne le ferait certainement pas gratuitement pour satisfaire les caprices d'un client. Il recula de quelques pas lorsque l'homme avança vers lui et son regard se voila de froideur. Pourtant, tout ce qui se cachait derrière cette attitude était de la peur, une peur qui lui glaçait le sang dans les veines et faisait remonter le long de son dos ce frisson désagréable. La main de l'homme se referma sur son bras, ces mêmes doigts qui avaient laissé des bleus sur ses hanches et le serraient une nouvelle fois à en faire mal. Skyler eut un geste brusque pour s'en défaire, reculant à nouveau. Il devait fuir. Il espérait simplement que ses jambes le supporteraient suffisamment loin. Ce coin n'était pas très fréquentable et il était loin de chez lui- enfin ... chez-lui, c'est relatif, il n'avait pas de chez-lui. Mais il y avait Lowie. Il devait retourner chez Lowie. Là-bas, il y serait en sécurité, là-bas, personne n'oserait venir le chercher parce que son pompier tout beau tout grand, il leur casserait la gueule, ouais.

L'homme s'empara de sa mâchoire sans qu'il ne l'aie vu venir. La douleur irradia aussitôt dans le bas de son visage, sans lèvre auparavant fendue au moment où son visage frappait durement contre la tête de lit sous un assaut plus intense le faisait souffrir en cet instant.Ce fut plus fort que lui, son genou parti tout seul et le coup eut l'effet escompté. Le râle de son agresseur l'alerta, la soudaine vue de deux policiers au coin de la rue encore plus. Son coeur, qui débattait déjà dans sa poitrine, rata bien quelques battements et sans demander son reste, il prit les jambes à son cou.

Skyler ne se repérait pas trop, dans ce coin de la ville. Il n'y venait pas si souvent en vue du danger que cet arrondissement représentait, principalement pour les garçons comme lui. Il préférait de loin le confort de Manhattan, où il était plus à l'aise de déambuler dans les rues parmi les touristes et les habitants en apparence plus civilisés.
Ses jambes le portaient, vers où, il n'en savait rien. Il se contentait de courir, courir pour échapper à toute menace, son seul but étant de fuir à cet instant. Son regard aperçu tout à coup une porte; pas une devanture de boutique, mais une porte quand même, et c'était mieux que de rester à découvert dans la rue. Sans réfléchir, il l'emprunta, se glissant à l'intérieur et la claquant derrière lui. Aussitôt, il s'y adossa, les jambes tremblantes, la lèvre inférieure en sang.

Ce n'est qu'à ce moment qu'il remarqua l'homme qui se tenait dans la pièce. Son coeur fit un bond et il déglutit, restant là sans bouger, à le toiser du regard avec les yeux d'un animal effrayé et pris au piège. La police dehors ou cet inconnu devant. Coincé, il était coincé.

Je profitais de ce moment de recul pour me calmer. Il fallait que je me calme.

J'avais cette vilaine tendance à prendre tout au pied de la lettre. Les mauvaises habitudes de la prison.

Ne pas attendre que la menace surgisse. Il faut intervenir aussitôt qu'on ose te contredire. Tu n'as pas le temps de penser, ni de discuter. C'est tout de suite ou jamais. Sinon, on se retrouve au sol à recevoir les coups de tous ceux qui veulent rester debout. J'ai appris cela rapidement. La réputation de mon père avait déjà traversé les murs de cette prison. Donc, à mon arrivé, je n'ai pas eu d'accueil chaleureux. Mon père et moi sommes une menace pour un des grands clans de New York. L'idée de nous achever derrière les barreaux n'est plus que propice. Heureusement, certains étaient de mon côté. J'ai dû faire des pactes de protection avec d'autres gars afin d'assurer ma sécurité et la leur. Bref, nous sommes loin de la cour d'école. C'était du sérieux. Chaque déplacement pouvait être une attaque...

J'avais donc la réplique facile fasse à de la provocation et Dieu sait que Hanson avait le don de me brûler de l'intérieur. Je ne comprenais pas son attitude si nonchalante, comme si tout lui était dû. Tous ceux que je connais, ici, n'ont pas cette attitude. Au contraire, nous sommes des battants qui travaillent dur pour obtenir quelques dollars. Pourquoi faut-il que je me batte constamment avec sa mentalité de paresseux ? Devrais-je, un jour, le brasser et lui faire comprendre la réalité de la vie de commerçant dans le Bronx ? Je prends de plus en plus conscience que je vieillis voyant la génération qui me succède aussi défaitiste et inanimée. Il n'a que quelques années de différence avec moi, mais c'est une grande faille de responsabilité entre nous.

La fumée jaillissait entre mes lèvres reprenant le travail. Je marchais entre mes étagères de vinyles dans l’entrepôt. Tout était en ordre et j'en étais très fière. J'avais pris la peine et le soin de ranger afin que tout soit placé convenablement afin de repérer facilement chaque style, chaque artiste et album. Avec le nombre de découvertes par semaine, je me devais d'être précis afin de ne pas nous perdre après un mois. C'est pourquoi qu'il y avait que moi et Will qui entrait ici. Je ne voulais pas qu'un autre joue dans mes étagères. Je voulais être conscient de chacun des changements apportés.

Encore une fois, Will me demandait d'être plus ouvert. De faire confiance aux autres.Malheureusement, je n'y arrivais pas. Je ne pouvais faire confiance à une personne qui ne met pas du coeur, qui ne saisit pas l'importance de son travail. J'étais dure, peut-être, mais il s'agissait de la boutique de mon père. Je voulais qu'il soit fier de voir sa boutique dans cet état à son retour et je sais qu'il va revenir...bientôt.

J'accumulais les vinyles sur mon chariot. Je voulais en prendre le plus possible afin d'éviter des déplacements inutiles. J'avais assez de force pour transporter grand volume. De plus, malgré mes convictions, moi aussi je voulais terminer le plus rapidement possible. La fatigue se faisait sentir...

Mon regard s'arrêtait sur les vinyles de Hank Williams. Je constatais rapidement que je n’en avais pas assez pour remplir la section. Aussitôt, je pris le calepin des commandes...

... je m'arrêtais d'écrire...

Des vibrations étranges...un battement de coeur rapide tout prêt... J'étais pourtant seul dans cette pièce...

Il s'approchait...rapidement... Des sirènes de police...

Je me retournais aussitôt voyant la porte de ma sortie de secours s'ouvrir....Elle n'était pas fermée de l'extérieur ?!?

Un jeune homme essoufflé...devant moi.

Je le remarquais en premier avant qu'il lève son regard sur moi.

Je sentais le rythme de son coeur, la panique de sa respiration et la peur dans son regard. La couleur rougeâtre de sa lèvre.
Il saignait. Ce n'était pas une menace. Non, c'était une victime.Bref, rien qui vaille...

Je ne disais rien... Ne faisant que le regarder... À en juger par son accoutrement, ce n'était sans doute pas un gars de la haute. Non, plutôt un gars d'ici, mais je ne l'avais jamais vu dans le coin. La sueur lui perlait le visage. Cela devait faire longtemps qu'il court...

Je pris le temps de fumer...

Je ne voulais pas l'effrayer, mais je n'avais pas la tête d'une personne accueillante. Le moindre faux pas et il repartait ,sans doute, dans le sens contraire... À entendre les sirènes de police au loin, il n'avait pas de chance...

" Hey ! Je peux savoir ce qu'est-ce que tu fuis comme cela ? " dis-je tout bas...

Fuir. Il fallait fuir.
À coup sûr, ce ne pouvait pas être bon. Skyler n'avait aucune idée dans quel genre de situation il venait de se mettre, mais à coup sûr rentrer dans l'arrière-boutique d'un inconnu par la porte de secours pour ensuite tomber face à face avec le-dit inconnu, ce n'était pas la façon la plus convenable de faire connaissance. Il aurait pu faire demi-tour. Repartir aussi vite que possible d'où il était venu sans le déranger plus, mais cela voudrait aussi dire s'exposer aux dangers de l'extérieur, notamment la police qui était à ses trousses et dont les sirènes se faisaient plus proches désormais. Bien que sa panique ne semble pas en voie de se calmer, Sky prit une profonde inspiration et se résolu à ne pas bouger.
Valait mieux cet homme que les cops.

Ami ou ennemi ? Skyler en eut une plus vague idée lorsque l'homme prononça ses premiers mots. Rien qui ne lui semblait agressif ou menaçant à première vue, mais peut-être le gamin avait-il simplement tendance à accorder sa confiance trop rapidement. Toujours est-il qu'un certain soulagement passa sur son visage et il porta un doigt à ses lèvres alors que les sirènes atteignaient leur force maximale, signe que la voiture venait de les passer. Skyler attendit que le son commence à faiblir légèrement avant de murmurer :

« Eux, bien sûr... »

Il pouvait toujours les entendre et cela ne le rassurait pas trop, mais il était clair que personne ne viendrait le chercher ici. Quelles étaient les chances, vraiment ? Au premier coup d'oeil, ils vendaient des vinyles ici. Il y en avait là toute une collection, des rayons trop bien organisés et classés de façon systématique qui devait permettre à leur propriétaire- l'homme ici présent ? - de les retrouver rapidement. Si ceci n'était que le back-store, la boutique devait en être pleine, ce qui accumulait une charmante panoplie de musique. Un peu artiste dans l'âme, Skyler ne pouvait que sourire à cette perspective. Il était plus dessin que musique, mais toute forme d'art lui paraissait agréable et attirait son attention.

« Je n'ai rien fait de mal ... Je suis seulement ... victime des circonstances... » ajouta-t-il comme pour se justifier, par crainte soudaine que l'homme ne le croit coupable d'un acte quelconque contrevenant à la loi. Après tout, pour quelles raisons se fait-on poursuivre par la police autrement ?

Il se risqua enfin à doucement s'écarter de la porte, l'air soucieux et la démarche un peu chancelante. Son corps le faisait souffrir, les bleus devaient avoir déjà commencé à apparaître contre sa peau au niveau des hanches et des côtes et il les sentait très bien à chaque mouvement. La brûlure, qui restait encore, énième trace de ce client qu'il gardait avec lui jusqu'au lendemain, parfois plus longtemps, parfois moins... Ces horribles expériences ne le quittaient jamais rapidement, une fois les heures payées terminées. Elles le poursuivaient en marques laissées sur son corps, constant rappel que la prostitution était son seul moyen de survivre dans ce monde empli de bêtes avides prêtes à vous dévorer au moindre signe de faiblesse.

« Je... Je ne resterai pas longtemps, je, hum ... Dès qu'ils seront assez loins, je partirai... »

Sky essuya sa lèvre inférieure sur le dos de sa main, jetant un oeil vers la porte, puis un regard vers l'homme, et enfin s'appuya contre le mur à l'opposée de celui-ci afin de maintenir une distance respectable entre eux.

« Tu crois me tenir tête, Walker. »

Le torse pressé contre le mur froid de ma cellule, j'avais ce policier derrière moi qui me plaquait comme une crêpe. Je sentais son souffle dans mon coup. Une odeur de vieux tabac mélangé avec son goûter composé d'oeufs, sans doute. Sa matraque créait un point solide dans le bas de mon dos. Je ne grinçais pas des dents, mais la douleur était constante m'empêchant de le repousser.

J'aurais pu le faire. Le repousser comme une vieille chaussette, mais je savais les conséquences. La seringue dans le cou et être clouer dans une cellule immobile pendant des jours. Je préférais me plier, même si pour cela je devais sentir ce policier jouer les dures derrière mon épaule. Le regard de ces confrères policiers qui regardaient la scène en hurlant comme des animaux...

J'avais conduit un des gardiens à l'infirmerie. Il refusait de le rendre mon paquet de cigarettes. Il avait simplement le nez trop sensible. Ça aurait pu être pire...

***

Je plissais des sourcils sentait le crie des sirènes me taper les tympans. Ils étaient encore loin, mais je pouvais les capter et avec une très forte fréquence. Ces gars ont un certain plaisir à faire hurler leur voiture pour faire sentir leur présence, surtout ici. La plupart des gens s'en sont même habitués ne les voyant plus comme une menace, mais un obstacle. Cela se termine souvent avec le policier et son revolver contre la nuque du suspect couché au sol. Aucune sympathie, aucune concession. Ils ne passent pas par 4 chemins...Probablement que la menace est plus lourde ici que dans les quartiers de riche...Encore là, ce ne sont que des préjugés.

Je déposais mon calepin sur le chariot alors que la voiture passait dans la ruelle juste à côté de nous. Je me concentrais afin de diminuer ce son qui me perçait le crâne. En fin de soirée, après une grosse journée, c'était plus difficile pour moi de me concentrer. De réduire mon champ de mes sens. Je n'arrivais plus. La moindre petite percussion pouvait me titiller.J'attendais donc que ce foutu bruit diminue avant de quitter la rangée où j'étais...

« Eux, bien sûr... »

Je sortais de mon coin pour m'approcher du gamin. Enfin, je disais gamin, mais il semblait aussi âgé que moi. Cependant, son allure frêle et agitée , il ressemblait encore à un jeune garçon. J'étais plutôt à l'ombre comparativement à lui. Je me présentais tranquillement écoutant toujours la distance de la voiture de police...Je semblais être ailleurs, mais je me permettais de vérifier si ces agents de l'ordre allaient revenir sur leur pas ou continuer leur route...

« Je n'ai rien fait de mal... Je suis seulement... victime des circonstances... »

Je m'approchais, il s'éloignait. C'est ce que je craignais...Que ma taille, mon allure et mon teint blanc l'effraient. Sa démarche m'incitait à croire que ce n'était pas seulement une fuite, mais une agression. Oui, il avait la lèvre ensanglantée, mais je pouvais voir qu'il avait du mal à bouger normalement...Ses muscles étaient crispés se contentant de faire que des gestes lents et saccadés. Il a été tabassé, sans doute...Un règlement de compte, peut-être. Toujours est-il que je n'arrivais pas à replacer ce visage...Non, il ne venait pas du Bronx...

Je continuais d'avancer pour démystifier ce garçon, mais je constatais que cela ne faisait que l'effrayer davantage...Il s'était rendu de l'autre côté de la pièce tentant toujours de fuir. Me fuir...

« Je... Je ne resterai pas longtemps, je, hum... Dès qu'ils seront assez loin, je partirai... »

Je me tournais vers la porte de sortie, celle par où il était entré. Je déposais ma main contre elle tendant l'oreille. Je captais les vibrations, le son....Où cette voiture se trouvait ? Je fermais les yeux pendant un moment...

J'étais indécis. On m'a inculqué d'aider mon prochain, de ne pas souhaiter le pire envers les autres, mais je ne voulais pas non plus risqué ma tranquillité. Je ne voulais pas retourner en prison seulement à cause que j'ai protégé un gamin...

Je réfléchissais un moment...

Puis, je fermais la porte, d'un coup de poignet . Je venais de tourner la poignée venant d'enclencher l'engrenage de fermeture. Je complétais le tout en insérant la clé dans la serrure.

" Non,ils vont revenir,crois-moi. Ils sont comme des mouches...Ça ne me surprendrait même pas qu'ils viennent cogner à ma porte... »

Je me retournais vers lui. Je n'ai fait que l'effrayer davantage, probablement, mais il fallait mieux qu'il soit conscient des possibilités que ces flics ont pour l'attraper.

Je ne suis pas très sociable, encore moins réconfortant, mais si je pouvais utiliser mon expérience avec les flics pour le tirer de là, je le ferais...Oui, je voulais l'aider. Je suis peut-être rapide en interprétation, mais je ne croyais en aucun cas que ce garçon a fait quelque chose contre l'autorité.

" Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais pour qu'ils te poursuivent comme cela, ils ne jetteront pas la serviette si facilement. Mieux vaut que tu restes ici...De toute façon, tu ne pourrais pas courir encore longtemps dans ton état... »

Je le regardais du coin de l'oeil au-dessus de mon épaule. C'était facile de voir qu'il n'allait pas bien. Son adrénaline diminuait tranquillement et les douleurs surgissaient. Il ne pouvait pas rester comme cela dans le coin de mon entrepôt. J'étais prêt à l'aider, pas le nuire:

" Vaudrait mieux que tu arrêtes d'avoir peur de moi...Sois que tu sors de là et que tu entres dans ma boutique ou soit que je t'offre en cadeau aux flics...Décide . »

Bête, je le sais, mais je n’étais pas patient. J'étais prêt à offrir mon toit en guise de cachette...et je ne le connaissais même pas.Je me demandais encore pourquoi je faisais cela...Avoir ma place au paradis, sans doute.

L'homme s'avançait, sortant de l'ombre. Il était d'une pâleur inhabituelle, d'une froideur qui jeta sur Skyler un frisson de peur. Dire qu'il ne se sentait pas à l'aise ni en sécurité serait une triste réalité; à l'instant même, il souhaitait simplement partir au plus vite. Avec la chance qu'il avait, il devait être tombé sur un maniaque, un étrange dont le crâne se remplissait d'idées louches. Il en avait connu de toutes sortes; des plus pervers et des plus violents. Certains aimaient le dominer brutalement, d'autres lui laissaient étrangement tout le contrôle. Des clients, il en avait vu des tas. Mais ceux qu'il détestait le plus, c'était ceux qui avaient l'air de vrais psychopathes. Dont la tête vous laissait dans l'incertitude quand à ses émotions, ses intentions. Cet homme, qu'il avait devant lui à l'instant. Que lui voulait-il ? Bien, mal ?

Le déclic que fit la porte l'obligea à relever les yeux vers l'homme pour constater la situation. Il avala difficilement sa salive, sa déglutition bien audible dans le quasi silence de la pièce, maintenant que les sirènes s'étaient éloignées. Ce n'est jamais rien de bon, lorsque la personne qui vous fait face bloque votre seule issue. À coup sûr, cela n'aida pas Skyler à se calmer, loin de là... Verrouiller la porte comme cela, mais quel idiot. Alors qu'il prétendait être ami, y allant d'un commentaire sur les policiers. Oh, qu'ils reviennent, cela n'était pas impossible ... Mais alors, pourquoi l'enfermait-il ? S'ils arrivaient ici et le découvraient séquestrant un jeune homme, tout irait mal pour lui ...
Alors peut-être lui voulait-il réellement du bien...

« Je ne crois pas qu'ils reviennent ... Je ne vaut pas la peine qu'ils se donnent autant de mal ... » laissa-t-il platement tomber dans un soupir, secouant légèrement la tête.

Skyler n'était après tout qu'un gamin qui courrait les rues et se retrouvait dans des situations délicates avec des hommes matures. Lowie désapprouvait, et ce n'était pas pour rien. Sky avait le don de se retrouver dans les problèmes jusqu'au cou et il n'était pas rare qu'il rentre en mauvais état ou en panique après avoir couru sur quelques kilomètres pour échapper à je ne sais trop quelle menace il s'était encore attirée. Il ne disait rien, ignorait le regard lourd posé sur lui les soirs où l'homme était sobre, et s'estimait presque chanceux de le trouver si saoul, les fois où il avait le malheur de rentrer en piteux état et probablement en larmes. S'occuper de Lowie le détournait de ses propres problèmes ne serais-ce qu'un instant et il savait que toujours, toujours cet homme serait là ... Toujours, mais pas en cet instant, alors qu'il était si loin de chez lui, coincé dans l'arrière-boutique d'un inconnu qui dardait sur lui un tel regard.

« Je ... Je peux toujours marcher ... Ou appeler mon père. Il viendra me chercher. Dans son camion de pompier, wais. »

Skyler détestait avouer qu'il n'avait aucun parent. Que sa mère était disparue du décors depuis sa naissance et que son père aurait préféré ne pas avoir d'enfant du tout. Lowie était en quelque sorte un père pour lui. Il avait accepté de l'héberger et avec un toit sur la tête et trois repas par jour dans le ventre, Skyler lui devait tout ... jusqu'à sa vie, probablement. Il l'adorait, tout simplement, et le mentionnait comme paternel sans hésiter devant les inconnus, parce qu'il en était fier, en quelque part, c'est vrai ... et qu'il voulait se rattacher à ce lien tout spécial. Cet inconnu se tiendrait peut-être tranquille en entendant parler d'un père dans le décors...

« ... Ou je peux ... attendre dans la boutique quelques instants, aussi ... » bredouilla-t-il pourtant aux dernières paroles de Dwayne, conscient que sa seule option du moment était d'accepter l'invitation, qui se formulait en obligation, plutôt que de risquer d'affronter la police.

Il passa une main légèrement tremblante dans ses cheveux, se redressa en bombant le torse comme pour se donner l'air plus imposant qu'il ne l'était vraiment et son regard se fit plus dur, plus déterminé. Quelles que soient les réelles intentions de cet homme, il ne ferait pas son bébé; il allait les affronter, point. Ce pourquoi il fit un petit signe de tête vers la porte qui semblait mener vers la boutique, en prenant la direction avec un « C'est par là ? » , question purement rhétorique puisqu'il n'attendit pas de réponse et poussa la porte.

Il y a quelques fois, j'apprécie la réaction que je dégage lorsqu'on me voit pour la première fois. Surtout quand j'étais plus jeune, alors que ma réputation était synonyme de crainte et de frayeur. J'avais cette facilité à me frayer un chemin sans demander quoi que ce soit. Je passais devant sans entendre une mouche volée, sans entendre aucun commentaire. Ce n'est qu'après avoir franchi le corridor que je comprenais pas grandeur de mon apparence. On m'évitais comme la peste par peur d'être une de mes victimes, tels les victimes des ragots qu'on racontait sur moi.

Personne ne détenait la vérité sur mon passé, sur mon enfance...C'était toujours exagéré ou complètement rocambolesque. Du règlement de compte au bâton de baseball allant jusqu'à l'incendie d'une maison de quartier. Selon eux, j'avais fait les pires agressions qu'un être vivant pouvait faire. C'était pire après mon arrestation...

Cependant, au fond de moi, je déplore d'avoir laissé les rumeurs se promener et faire de moi cet être terrifiant qui émane à mon sujet. Bien sûr, mon apparence ne m'aide en rien; c'est une des choses dont je ne peux rien changé. Je n'ai jamais pu rester longtemps à la lumière. Ma peau brûle et rougit formant des plaques vifs. Je n'ai jamais su véritablement la source de ces problèmes. Je ne fais qu'éviter la douleur...et garder ce teint blanc qui me donne cet air fantomatique.

« Je ne crois pas qu'ils reviennent ... Je ne vaut pas la peine qu'ils se donnent autant de mal ... »

Alors, oui, je suis conscient de ce genre de réaction de la part du gamin,mais je m'y habituerais jamais.

Je croyais lui faire comprendre que mon intention était de le protéger. Je le voyais encore trembler devant moi, alors que je venais de lui proposer ma boutique comme cachette. Je bloquais tous les issues possibles où les policiers auraient pu y entrer sans avertissement. J'étais prêt à me mettre dans l'eau chaude, mais ce gamin me craignait encore...

Que faut-il que je fasse de plus ?

« Je ... Je peux toujours marcher ... Ou appeler mon père. Il viendra me chercher. Dans son camion de pompier, wais. »

Bon, d'accord, je n'avais pas le meilleur comportement, mais j'ai de la difficulté à sourire ou montrer une parcelle de douceur à un pure inconnu, surtout quand celui-ci tente de jouer les plus forts....

Son père....pompier. Venir avec son camion. Me prenait-il pour un idiot ? C'était le discours enfantin d'un gamin cherchant à me faire peur....C'était raté. J'aurais pu clairement lui rire en plein visage.Pensait-il vraiment que j'allais fléchir en larme lui réclamant de rien me faire par peur de voir son père arriver avec un camion de pompier...

D'un autre côté, s'il avait au moins son père tout près, c'était déjà cela. Je n'ai pas pu m'empêcher de pincer mes lèvres entendant ces propos comme si cela ne fait que rappeler le mien...en prison.

« ... Ou je peux ... attendre dans la boutique quelques instants, aussi ... »

Je le voyais s'approcher simulant un air confiant et fort. Il continuait de jouer le dure envers moi comme si j'allais tenter quoi que ce soit contre lui. Je ne faisais que le suivre du regard. Ses blessures étaient évidente. Ce gamin n'allait pas bien. Il ne résisterait pas longtemps comme cela.

C'est par là ?

Je laissais mon chariot et mon calepin derrière moi, suivant le jeune garçon. Je le laissais prendre l'initiative de pousser la porte avant de la tenir, par la suite, pour le laisser passer.

" Tu n'as rien à craindre, avance..."dis-je d'un ton que je croyais être plus doux...

Nous étions jusqu'à côté de mon atelier. J'avais laissé une guitare sur la table qui devait être réajusté. Devant nous se trouvait les comptoirs de vinyles avec les nombreux style musicaux. Hanson était là, nous regardant sans comprendre...

" Dwayne, qu'est-ce que..."

" Vas chercher ma trousse de premier soin..."

Heureusement, cette fois-ci, Hanson m'écoutait et couru dans notre petite salle de cuisine.Je ne pris pas de temps pour refermer la porte de l'arrière boutique derrière nous.

Will croisait son neveu et arrivait dans mon champs de vision tout aussi surpris de voir notre invité surprise...

" Will, tu peux sortir le reste de notre dîner et chercher une autre bière, s'il-te-plaît ?..."

" Euh...oui, bien sûr..."

Je me retrouvais, de nouveau, seul avec le gamin.Il fallait que je me redresse. Que j'évite de garder ce visage terne et noir.J'y arrivais pas.Toutefois, je voulais faire preuve de bonne foie. Je le regardais un moment tout aussi instable que lui...

Je pointais notre divan en cuir noir dans le coin de la boutique...

" Euhhh...Tu peux...Tu peux t'installer là, si tu veux. As-tu besoin d'aide pour marcher jusque là ? Où tu es blessé au juste ? " dis-je en le regardant attentivement essayant de découvrir ses maux sous sa posture.

Rien à craindre. Facile à dire.
Skyler avança pourtant dans la pièce sans dire un mot, la tension dans ses épaules semblant lentement diminuer alors qu'il voyait Dwayne s'adresser à d'autres hommes présents dans la pièce, demander une trousse de secours ... Il ne devait réellement pas lui vouloir de mal. Il n'oserait rien devant les autres, de toute façon, non? Ou alors étaient-ils tous complices? Pourtant l'un d'eux avait semblé surpris de le voir là, lui, gamin massacré qui venait d'être tiré du pétrin.

Les deux autres hommes disparurent, les laissant seuls à nouveau. Skyler se tint debout un peu maladroitement au milieu de la pièce, clairement mal à l'aise mais plus aussi inquiet qu'auparavant. Il laissa son regard errer autour de lui tranquillement, se balançant nerveusement sur ses pieds comme s'il se demandait vraiment ce qu'il faisait là. Il n'avait pas à importuner ces gens. Il aurait dû se sortir lui-même du trouble. Comme un grand. Il avait l'air gamin ... Peut-être l'était-il réellement au final. Il refusa doucement l'offre d'aide d'un geste de la tête, se rendant de lui-même jusqu'au divan sur des jambes un peu tremblantes. Maintenant que l'adrénaline retombait, elles peinaient à supporter son poids et la brûlure constante entre ses jambes lui était durement rappelée par chaque minuscule mouvement. Il souffrait, et peinait de plus en plus à le cacher.

Il commença d'abord par se tourner vers Dwayne, sans s'être assit, se contentant de relever son t-shirt sans un mot. Pas de beaucoup, juste assez pour dévoiler ses hanches, sur lesquelles se formaient déjà de grands bleus aux formes de mains, des mains d'homme qui avaient dû presser la chair assez fort pour blesser, assez fort pour faire mal. Là. Il était blessé là, mais pas uniquement à cet endroit. Il y avait pire. Il y avait sa lèvre, salement fendue, et ... et pire encore. Une fois assis, Skyler hissa de douleur et se pencha vers l'arrière afin d'éviter que ses fesses soient en contact avec le meuble, s'appuyant plutôt sur le bas de son dos.

Maladroitement, il défit sa ceinture et poussa à la fois pantalon et sous-vêtements vers le bas, suffisamment pour dévoiler ses fesses sans aucune pudeur apparente. Il semblait tout à coup étonnament à l'aise, ou peut-être sa carapace craquait-elle tout simplement. Il avait beau vouloir jouer au dur, il y avait des limites à ce qu'il pouvait cacher, des limites à ce qu'il pouvait prétendre. Il n'arrivait plus, à faire semblant. Ses yeux brillaient de larmes à peine retenues alors qu'il exhibait l'ampleur de tout sous mal comme ça sous les yeux d'un pur inconnu.

« J'crois pas que vous puissiez faire quoi que ce soit ... J'ai déjà été baisé plus violemment que ça, j'vais m'en remettre... »

Et encore, malgré l'unique larme qui s'était glissée sur sa joue, il prétendait que tout irait bien, il tentait de rester fort...