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10.10.69 – « Je suis faite de la même matière que la glace »
L'hiver n'a jamais été froid pour moi. J'ai toujours adoré prendre des glaçons dans ma bouche, ou même m'allonger dans la neige de Central Park. Mais j'aime tout autant la chaleur, la sensation des rayons du soleil sur le bout du nez, et porter des lunettes de soleil. Je me rappellerai toujours ce jour d'automne où les premiers flocons se sont mis à neiger sans aucune raison.
C'était un jour tout à fait normal. Quelques jours suivant le déménagement à New-York. J'étais encore un peu perturbée par ce changement et je ne me faisais pas à la vie américaine. La France me manquait terriblement. J'y avais laissé mon passé, et on ne me donnait pas assez de temps pour construire un présent assez stable. Mon père était occupée avec son travail, et ma mère s'occupait des jumelles tous les jours. Nous sommes plutôt nombreux dans la famille, on a toujours eu une indépendance pour s'occuper de nous même. Je pense être devenue même trop « adulte » à cause de ça.
Mais revenons à ce jour précis, à ce jour là, exactement où tout m'a paru très claire. Même si j'étais morte de trouille et que je me pissais presque dessus c'était une évidence, un constat sans doute : j'étais quelque chose d'autre qu'humaine.
La pause déjeuner avait commencé depuis une grosse demi-heure, et depuis trois jours le surnom de « French Bitch » me collait aux fesses. Allez savoir pourquoi, il paraît que chez vous, parler aux garçons de l'équipe de base-ball et manger dès le premier jour à leur table lors de la pause déjeuner serait de la prostitution. Gênée de ce surnom et pour éviter la houle qui pourrait faire glisser mon surnom à mon grand frère, j'avais tout simplement décidé de squatter les tribunes devant le stade de sport. Pas grand monde, à part les ados révoltés déguisés en punk fumant des joints en cachette et les intellos essayant de comprendre la physique quantique, je pouvais déguster le repas que je m'étais préparée le matin même. Plongée dans un recueil de Paul Eluard, je ne faisais pas réellement attention aux cheerleaders qui passaient par là. Ayant entendu la fausse rumeur de mon ouverture sexuelle, je les entendais glousser devant moi. Je n'y prêtais pas vraiment importance. Elles répétaient sans cesse que je n'étais qu'une pauvre fille des rues, qu'il faudrait que je sois sur les trottoirs au lieu d'étudier. Mais mes yeux ne pouvaient s'empêcher de jeter des coups d’œils un peu stressé. Je ne vais pas non plus me faire passer pour la fille forte qui n'en a rien à battre. Quand on est une ado, en dernière année de lycée, on s'occupe plus de l'acné et des dires des gens que les notes et le résultat au test d'aptitude. C'est lorsque j'aperçus que mon frère était avec cette équipe de pimbêches que la colère commença à déclencher un fluide froid dans mes veines, dans tout mon corps. Sous le coup de l'émotion, je sentais simplement une terrible énergie, comme de l'adrénaline.
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Tu ne défends même pas ta sœur, Icare?Il releva sa tête vers moi avec des yeux fuyants, un sourire faux et une tête de crétin. Les autres nunuches avaient fermés leurs becs, le regardant pour avoir confirmation. Il ne savait pas vraiment où se mettre, et petit à petit je descendais de mon perchoir pour arriver à la hauteur du groupe. Icare déglutit difficilement.
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C'n'est pas parce que t'es ma sœur que t'es pas une pute...Les mots frappèrent violemment ma cage thoracique et mon cœur. Mon propre frère, qui m'amenait chaque jour au parc quand j'étais petite, dont j'étais si proche, que j'avais réconforté lorsqu'il a appris qu'il n'avait pas réussis son test d'aptitude pour les études supérieures, mon propre sang... L'admiration que je lui vouais jusque la venait de se briser en morceau de glace dans mes artères... J'étais tellement furieuse que j'en devenais blanche de haine. Le vent se mit à souffler, quelque chose de froid qui souleva les jupes des filles aux côtés de mon frère.
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Tu préfères choisir ta réputation que ta propre chaire... Je suis tellement déçue de toi.Mes cheveux volaient dans tous les sens, pendant que je courrais reprendre mes affaires, essuyant mon chagrin sur mes joues. Sauf qu'il n'y avait rien de liquide dans ces larmes. Je récupérais des sortes de petit grêlons lorsque les larmes tombaient des mes yeux. Je croyais halluciner. Je frottais mes yeux jusqu'à ce que je ne puisse plus supporter la douleur. Les larmes ne s'arrêtaient pas. Je me faufilait, honteuse et paniquée vers les toilettes des filles. Je me regardais dans un miroir, les cheveux en bataille.
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Ok ok, on se calme Cyrius, tu inspires, tu expires.Ma voix tremblait et résonnait dans mon corps entier. Je n'arrivais pas à arrêter ces cristaux froids qui roulaient sur mes pomettes. J'avais la sensation d'une « chaleur froide » me parcourant mes muscles. Mes mains attrapaient sans relâche les larmes congelées, jusqu'à ce que je ne puisse plus sentir mes doigts. Petit à petit, mes ongles se recouvraient d'une couche de glace. J'arrivais à les bouger petit à petit, ce n'était pas comme si c'était handicapant. Mais totalement perdue, je passais mes mains dans le lavabo sous l'eau chaude. Aucune réaction. Je devenais de la glace, et mes avants-bras devenaient bleus. Mes veines se congelait. Je ne pouvais pas nier : je me transformais moi même en couche de glace.
16.05.1971 - « Quand on parle trop du loup, il finit par l'apprendre »
J'avais finis par accepter cette malédiction. Le contrôler était devenue difficile. Lorsque j'étais très en colère ou voir trop heureuse, le pouvoir se manifestait par mes mains qui se transformaient en sorte de cœur d'énergie, où un jet de froid pouvait glacer n'importe quoi. Ne croyez pas que c'est un film ou un roman : je n'étais pas contente et je ne m'amusais pas à sauver le monde. Non, bien au contraire. J'étais devenue une femme sans cœur, je ne ressentais pas le besoin d'éprouver des sentiments, car je me faisais peur à moi même. Personne ne pouvait être au courant de ce fardeau. Même pas ma famille.
Après le lycée, un cœur de glace à la poitrine, ça a été sans regret que je quittais cet endroit pour poursuivre mes études en tant qu'ethnologue animalier. J'avais réussis mes études sans avoir besoin d'aide de quiconque. J'étais devenue un pantin animé par le froid. La seule chose qui me plaisait était être aux contacts d'animaux, surtout celui des loups. Je les avais étudiés, de très près lors de mon stage à Central Park. J'avais assistée aux accouchements de la femelle Alpha, j'avais joué avec les louveteaux, j'avais réconforté et soigné les blessures de l'Oméga lorsqu'il était prit en bouc émissaire.
Les loups ne sont pas des bêtes sanguinaires : ils sont les maîtres de la nature, nous enseignent le calme et la prudence. Ils sont les seuls à ne pas me juger. Ils me regardent, sages et cléments, entrer dans leur enclos. Ayant eu du courage, de la patience et de la ténacité, j'ai appris à me faire une place au sein de la meute. Certes je n'ai pas d'oreilles et je n'hurle pas à la Lune, mais je suis devenue presque louve moi aussi. J'aime les voir se réveiller en pleine nuit et faire des rondes pour voir si la troupe va bien. J'aime voir l'alpha veiller sur sa compagne. J'aime voir les jeunes essayer de hurler comme leurs pères. J'aime les bêta protéger les plus grands. J'aime ce boulot, j'aime les loups. Ils ne vivent que pour la survie. Ils ne vivent que pour les uns et les autres.
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