Je hante les couloirs, me perd dans les tapisseries, me fond dans les miroirs. Je suis comme le fantôme pâle de ces lieux, tout semble me traverser, rien ne m’atteint, rien ne me touche. Je lève les yeux vers le plafond, le visage toujours grimaçant, aveuglé par la lueur trop vive que diffusent les centaines de cristaux précieux qui constituent le lustre qui pend au-dessus de moi. La preuve que les guerres fabriquent plusieurs types de personnes : ceux que sa gueule béante et goulue a rendus plus pauvres qu’ils ne l’étaient auparavant, ceux qui rentrent sans visage, sans membres, sans vie et qui laissent les femmes seules dans les maisons tristes, ceux adulés comme des héros pour avoir délivrés le peuple de l’oppression avant de les y replonger encore plus profondément. Et il y a ceux qui savent toujours profiter, ceux que tout semble épargner. Mon père par exemple. Un homme plus que convenable. Je ne peux empêcher mes lèvres blafardes de s’étirer dans un sourire sans joie et je m’allonge sur le tapis persan, la tête reposant entre mes mains jointes, mes yeux bleus vrillés sur la photo déchirée au milieu qui repose sur les fibres de laine tressées, colorées et poussiéreuses qui me soutiennent. Un visage rond les pommettes saillantes, un sourire timide et de belles boucles blondes qui tombent sur ses épaules. Maman –une maman pas encore malade- qui pose sa main bienveillante sur mon épaule. Malheureusement, la déchirure n’a pas pût enlever la main carrée et autoritaire qui repose sur ton bras, trônant possessivement sur ta peau. Comme à chaque fois, cette constatation me donne l’impression d’imploser, que mes entrailles sont en train de se détacher, de prendre feu, de se faire la malle. Pourquoi les gens ne le voient-ils pas ? Pourtant ils sont capables de voir tout ce qui brille, l’or, l’argent, les voitures. Ne sentent-ils pas l’odeur de tristesse, l’aura de colère, les tremblements, le goût de rouille dans la bouche, les dents qui claquent et la chair de poule ? On dirait qu’ils ne veulent pas voir et qu’ils se contentent de sourire d’un air faux et condescendant. On ne savait pas diraient-ils. Nous ignorions l’enfer d’un enfant, nous ne pouvions pas deviner les cris et la souffrance, nous ne savions pas pour les chambres à gaz non plus monsieur, je le jure.

J’entends la porte qui s’ouvre et un courant d’air glace le bureau. Je range la photographie en noir et blanc dans ma poche et je me fige. J’attends, les muscles tétanisés, les nerfs brûlants, les yeux fermés pour ne pas voir la ceinture qui claque quand on l’enlève du pantalon, pour ne pas entendre les pas lourds sur qui monte l’escalier et la respiration sifflante qui l’accompagne. Je n’ai rien à faire ici, j’enfreins le sacro-saint règlement de cette maison. Le parquet grince, ses chaussures raclent le parquet, raclent mes côtes et j’ai mal. Une douleur résignée. Le coup de ceinturon sur mon bras à certainement entaillé la chair mais qu’importe. Tu ris en m’entendant gémir sous la pluie de violence et tu t’en vas, me laissant brisé, espérant que la leçon me sera profitable.

Et c’est là, à cet instant précis, que j’ai senti l’étincelle se rallumer. Du côté gauche, sous la poche de ma chemise, contre le cœur, contre ta photo. Elle était là, vive, insaisissable, invisible. Et elle consume tout le reste, elle me pousse à me lever, à me traîner dans ma chambre. A rassembler des affaires, à ouvrir la porte du bureau, à ouvrir les tiroirs, à prendre de l’argent. Et il est là, dans mon dos, je peux sentir l’odeur de cigare qui emplie l’espace. Mais je n’ai plus peur. C’est comme si l’étincelle avait ton visage maman et qu’elle me protégeait de tout, même de ce qui me terrifie le plus. Il n’a même pas l’air inquiet, comme si l’idée que je puisse me soustraire à son emprise était trop ridicule pour être imaginée. Et ça met le feu aux poudres. Je me mets à hurler «nazi, collabo, connard, enfoiré, t’avais pas le droit ! » C’est comme si ma rage se mettait à dégueuler de moi, qu’elle débordait, que l’atmosphère crépitait. Et d’un coup la fenêtre explosa et la pièce sembla trembler alors que des morceaux de verres se fichaient dans ta peau. Le cœur battant, sans chercher à comprendre, je me mis à courir, dévalant les escaliers, volant une de tes voitures avant de disparaître dans la nuit grisante.


Les Etats-Unis. Cela faisait peut-être neuf ans que j’avais quitté la Pologne mais jamais je ne me ferai à l’immensité des rues, des maisons. De l’impression de liberté qui se dégage de l’air. Je coupais le moteur, fermais la porte d’un air désinvolte, rajustant ma chemise avant de pénétrer dans le club. J’ignore ce qui me poussait tant que ça à vouloir sortir ce soir. Il faisait trop chaud dedans mais peu importe. Ça me donnerait une bonne excuse pour commander un whisky. Alors que j’étais tranquillement en train de boire, une blonde sublime –problème œdipien- est venue s’installer à côté de moi et commença à me parler. Première fois de ma vie qu’une fille venait spontanément me parler, c’était comme si j’avais l’étiquette gros lourd plaquée sur le front. Elle m’a dit que je n’étais plus seul, elle avait l’air de comprendre ce que je vivais, qui j’étais. Elle m’a dit toute ces choses que j’aurais aimé entendre encore et encore. Emma –il semblerait que même les anges aient des prénoms- m’a d’ailleurs proposé de m’embaucher comme photographe lors des soirées et moi j’ai accepté, bien sûr. Bon, dès qu’il s’agit de nanas, autant le dire tout de suite, je deviens con. Donc je me suis laissé faire comme un petit agneau docile. Ce n’est que quelques jours plus tard que j’ai compris dans quoi je m’étais engagé et que la blonde était bien plus intéressée par les hommes mûrs avec une carte de crédit bien garnie que par un polonais rachitique qui vit à l’arrière de sa bagnole la moitié de l’année et qui passe l’autre moitié à vomir dans des ruelles. Tant pis pour elle. Mais il faut dire que l’homme en question était loin d’être inintéressant. Il m’exposa sa vision du monde, me montra les immenses possibilités qu’offraient nos pouvoirs à tous. A tous. Je n’étais plus le seul à être différent. Et comment résister à cette perspective magnifique. Ne plus galérer tout seul, ne pas avoir à tout affronter par moi-même, partager des choses, des idéaux, des projets et je sentais mon cœur de solitaire épuisé s’emballer à cette idée.




Qu’elle expression débile. J’écrase ma clope dans le cendrier qui trône sur le rebord de la fenêtre de mon studio. Je me retourne, la fille est toujours endormie dans le lit, paisible. Je secoue la tête, rallume une cigarette. Je déteste ce que je vois dans mon reflet. J’y suis resté finalement au club, je me suis transformé en fanatique et le pire, c’est que j’aime ça. J’aime l’idée qu’on puisse avoir plus de pouvoir que les gens normaux, que l’on soit supérieur à eux, faibles choses. Je me transforme lentement en ce père honni, le regard plus dur, des cernes qui cerclent mes yeux. Je me demande un instant ce qu’en aurait pensé ma mère. Ma douce et chaleureuse mère. Je secoue la tête pour chasser cette idée. Elle aurait aimé que je ne sois plus seul, que je fasse quelque chose pour faire changer les choses. Peut-être que j’essaye d’atténuer la culpabilité que je ressens à faire ce que je fais mais je m’en fous aussi. Je me retourne vers le lit et ramasse les affaires de la fille dont j’ai déjà oublié le nom avant de lui envoyer son jean dessus pour la réveiller. Sans un mot, je me dirige vers la douche. Le message est clair, dégage de mon espace vital.

Prénom : Lara
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Comment as-tu connu le forum : j'y suis déjà et je reviens avec un nouveau perso, hope you'll like him
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Commentaire(s) Cupcakes Et désolée, je me suis un peu lâchée sur la taille de la biographie