Je remonte le col de ma parka contre le bas de mes joues, frottant mes mains congelées l’une contre l’autre dans une tentative désespérée de les réchauffer. Je marche tranquillement dans la lueur décroissante du jour, expirant un mélange de fumée de cigarette et de la buée de ma respiration qui se condense, se cristallise dans l’air glacé New-Yorkais. J’observe les silhouettes que je suis à bonne distance s’engouffrer dans une bouche de métro, disparaître en quelques secondes, comme happées vers le centre de la Terre.
Shit. J’envoie valser ma clope dans les restes sales de neiges qui recouvrent le trottoir avant de presser le pas, descendre les marches à la volée et sauter par-dessus le portique de sécurité. Je peux toujours voir le pardessus noir de ce petit crevard arrogant qu’on me fait suivre à la trace depuis deux semaines accompagné du crâne glabre et luisant de son bras droit, un type dénué de toute conscience morale genre bon gros
freak qui sait comment éliminer la concurrence dans le biseness avec un 39 mm. Je me méfie de lui d’ailleurs, je crois qu’il m’a repéré et finir avec une balle coincée quelque part entre mon crâne et ma matière grise, non merci.
Je dois avouer que démonter le moteur de sa Bentley m’a fait souffrir – comme quoi, ces trous du cul de richards ont du goût- mais c’était un mal nécessaire pour pouvoir réellement me rapprocher du petit fils à papa qui m’intéresse. Un membre qui pourrait très bien devenir important à ce qu’il paraît. Je ne peux pas m’empêcher d’étouffer un grognement alors que les portes s’ouvrent devant moi dans un grincement sonore. Certes, pouvoir influencer la volonté des esprits faibles
obi wan kenobi /out/ comme on veut, en un claquement de doigt, ça à quelque chose d’indéniablement cool. Mais regardez-le, à faire toutes ses manières de gosses de riches, à dépenser l’argent par les fenêtres en boisson, en drogues, en putes. Il est détestable, méprisable. Non, je ne suis pas jaloux. Bon, ok, si je pouvais vivre en parasite de la société comme lui en attendant que le fric tombe dans mes poches miraculeusement tout en étant protégé par des mecs aux bras aussi épais que mes cuisses, je le ferai. Mais j’ai pas ce privilège-là. Alors laissez-moi être aigri en paix, merci.
Je me rapproche, l’air de rien. Le clebs humain de ma cible me juge du regard avant de poursuivre sa conversation. Je dois avoir le même air que tous ses mecs bourrés qui traînent dans le métro, le regard hagard, les yeux un peu fous, marmonnant pour moi-même en tanguant à cause des cahots du wagon. Il faisait vachement froid dehors et croyez-moi, si ça faisait deux jours que vous suiviez non-stop les même mecs flippants sans aucune autre interaction humaine, avoir une sérieuse conversation sur les conditions de déneigement dans les rues avec votre flasque de whisky vous paraîtrait pas aussi bizarre que ça. Mais ça m’arrange bien moi, d’avoir l’air aussi banal, aussi inoffensif parce que grâce à ça, je peux recueillir des informations précieuses et rentrer tranquillement faire mon rapport.
***
Douche, chemise propre, un litre de café et un sandwich avalé en trente secondes et je me pointe au club, frais comme si j’avais fait une nuit de douze heures. Je ne m’arrête pour saluer personne à part pour faire un doigt d’honneur à Clyde qui me regarde, désespéré, avant de frapper trois coups brefs à la porte au fond en riant.
« Oui ? » J’ai toujours un sourire immense alors que je pénètre dans le bureau en refermant délicatement la porte.
« Salut boss. » J’ai toujours l’impression qu’il déteste que je l’appelle comme ça ce qui ne m’encourage qu’à continuer.
« J’ai des nouvelles intéressantes sur Lawrence Gatling alias petit connard en chef. » Je fais une pause, pour le suspens, le frisson, l’exaltation ! –même si Roberto me regarde en ce moment avec la tête de quelqu’un qui se demande pourquoi il travaille avec un abruti pareil plus qu’avec celle de quelqu’un d’exalté.
« Apparemment, il sort ce soir au Red Light, une petite boîte de Brooklyn assez sympa d’ailleurs où j’avais rencontré un espagnol chaud comme la br… Peu importe. » Rester professionnel en toutes circonstances, c’est mon crédo,
my way of life quoi.
«Ça semble être l’occasion qu’on attendait pour pouvoir réellement l’approcher chef. » Toujours finir proprement et essayer de gommer le sourire stupide que je me retiens d’exposer à mon patron qui pourrait me botter le cul en trente secondes s’il voulait. Je le mériterai hein? Ouais, c'est sûr, je le mériterai. Peu importe, je continue.
« J’ai pût apprendre qu’il comptait s’y rendre sans Bull Dog» Oui, j’aime bien donner des surnoms aux gens, c’est plus fort que moi
«… ce qui nous donnerait l’avantage de pouvoir amorcer un recrutement sans prendre le risque de se retrouver avec un colt collé contre la tempe" Aller Bob, félicites ton petit Sasha qui a bien travaillé et emmène le avec toi:
ça, c'est ce que mes yeux essayent de faire passer comme messages à Roberto. Ce qui lui dit clairement tout ce que je viens de baragouiner d'un air ravi:
n'emmène pas ce petit crétin avec toi si tu veux que la mission réussisse.