L'irlandais, le flic et la mutante
Mon histoire commence tout d'abord par celle de mon père. Il a vingt ans, il est ambitieux et plutôt doué dans ce qu'il fait - la boxe. Son nom est connu dans presque tout Dublin; facile, puisqu'il le partage avec de grands noms de la boxe. C'est un sport qui s'est transmis de générations en générations chez les Anderson et auquel aucun membre masculin de la famille ne peut échapper. Pour lui, ce n'est pas un problème. Pour son frère qui est loin de l'égaler et qui peine à se faire connaître, ça l'est beaucoup plus. Mais cela, mon père l'ignore. Il m'a souvent raconté, du regret dans les yeux, qu'il ne faisait pas attention à ceux qui l'entouraient dans sa jeunesse.
Un jour, il participe à un petit tournoi organisé par un bar - pas franchement ce qu'il y a de plus glorieux, mais il savait que c'était ce genre d'attitude humble qu'aimait ses supporters. Enfin, il n'était pas du genre fou mon père, il savait très bien qu'il ne tomberait sur personne de son calibre à ce genre de mêlée locale. C'est pour ça que lorsque la foule a scandé son prénom quand il a gagné ("Allister, Allister!"), il avait l'esprit ailleurs. Et devinez sur qui il est tombé? Ma mère. Une jeune femme audacieuse qui n'était à Dublin que depuis quelques mois et dont les yeux verts l'avaient fait fondre immédiatement. Et à partir de ce moment là, ils ne se sont plus quittés.
Les deux amoureux ont rapidement emménagés ensemble, dans un appartement modeste au nord-est de Dublin. Au début, tout allait pour le mieux, mais ma mère avait rapidement compris que la passion de mon père pour la boxe était trop importante, dévorante. Pour ne pas arranger les choses, elle était prise entre deux feux : cette passion et sa famille. Celle-ci, voyez-vous, n'approuvait pas du tout le couple, jugeant la présence de ma mère comme un obstacle dans le métier de leur gendre et éprouvant un profond mépris à l'égard de sa nationalité américaine.
Plus le temps passait et plus l'ambition aveuglait mon père : aller toujours plus loin, entendre son nom scandé par toujours plus de monde. Elle qui ne travaillait pas passait ses journées à se morfondre et attendre son retour. Cette situation si insupportable pour elle a duré deux ans. Puis un jour, après une semaine à devoir entendre les plaintes de la famille et mourir d'ennui, ma mère avait coincé mon père à la maison et avait lancé toute sa rancœur et son désespoir au visage de celui-ci, en lui disant qu'elle était à deux doigts de le quitter. Je vois encore mon père me le dire, les yeux perdus dans son souvenir : "C'était la plus grande claque que m'a donnée la réalité."
Alors, mon père a pris une décision qui a non-seulement surpris tout le monde, mais aussi changée sa vie à jamais. Réunissant l'argent qu'il avait gagné jusqu'à maintenant, il a pris un aller-simple pour New-York avec ma mère et est parti sans même se retourner.
Ils s'était installés dans un appartement tout aussi modeste que le précédent, ma mère accumulant les petits jobs et mon père essayant de maintenir une balance saine entre travail et famille. Et pendant deux ans, ils ont été heureux.
Jusqu'à mon arrivée.
L'idée, c'était de faire un enfant et de vivre heureux pour toujours - la réalité, c'est un accouchement qui emporte la mère et laisse le père seul avec l'enfant. Et cet enfant, vous l'aurez deviné, c'est moi.
Là où certains m'en aurait voulu d'avoir tué ma mère ou aurait rejeté toute responsabilité, mon père m'a élevé avec une affection et une discipline indicible.
Dès le départ, je n'ai jamais réellement été une fille normale. Là où toutes les autres petites filles étaient d'une niaiserie insupportable, j'étais turbulente et régulièrement qualifiée de garçon manqué. Je crois que les autres tentaient de me le faire ressentir, de m'empêcher de me faire des amis, mais j'étais bien trop occupée à me bagarrer avec des garçons pour m'en rendre compte.
Le temps passait toujours lentement pour moi et j'étais d'une hyperactivité qui faisait pleurer certaines maîtresses. Mon père avait même cédé sous mon insistance et avait commencé à m'apprendre la boxe.
Puis, sont venus mes dix ans.
Vous savez ce cadeau empoisonné que vous refile mère nature dès votre puberté? Et bien c'est tout un pack qu'elle m'a offert. Dès l'arrivée des premières règles, mon père - déjà bien dépassé par l'évènement - a rapidement constaté que quelque chose n'allait pas. Mon bras droit commençait à se couvrir d'écailles et à enfler légèrement.
Il lui a fallu prendre une autre de ces décisions qui changent votre vie.
Ne pouvant pas m'amener chez le médecin sans risquer une réaction exagérée ou dangereuse pour moi, il a tout simplement décidé que je resterais à la maison jusqu'à ce que les choses s'améliorent.
De mon côté, je vivais très mal la transformation. Non seulement celle-ci m'avait condamnée à rester chez moi sans aucune activité autre que physique, mais elle m'apparaissait également comme une punition injuste. Plus le temps passait et plus je devenais renfermée, méfiante à l'égard des autres et d'un calme olympien.
Mon père était aux petits soins avec moi, essayant de me changer l'esprit et organisant même des sorties nocturnes dans le plus grand secret. Il fallait toujours être discrets, de peur de tomber sur des voisins qui étaient persuadés que j'étais atteinte d'une maladie rare qui me clouait au lit. Par chance, nous n'avons jamais fait de mauvaises rencontres et je chérissais chacune des ces escapades au côtés de mon père.
Puisque ma vie n'est pas franchement passionnante, faisons un petit saut en avant dans le temps. C'est vers mes seize ans que mon père m'a introduit à deux personnages particuliers.
Le premier était un flic du nom de William Collins, un gars très réglo qui avait connu mon père lors d'une bagarre à un match de boxe qui avait dégénérée - les deux étaient inséparables depuis. Thomas Thompson quant à lui était le manager de mon père : un type sympa mais à qui donnais une trouille pas possible (sûrement parce qu'il était croyant).
C'est deux hommes sont devenus les seules autres personnes que mon père que je pouvais prétendre connaitre un peu. Ils venaient régulièrement chez nous jouer au poker ou à d'autres jeux d'argent, sans rien miser de plus que la corvée de vaisselle.
De mon côté, la mutation s'était arrêtée après avoir plus ou moins envahie tout mon corps. Et je dois dire qu'avec le temps, j'étais venue à l'apprécier. Je me sentais spéciale, mais surtout plus forte de l'expérience, comme si la vie avait voulue me donner une leçon.
Vous connaissez à connaitre le refrain maintenant, le temps passait, j'étudiais comme je pouvais et je m'entrainais toute la journée avant de faire des sorties avec mon père la nuit.
Tout ce beau manège a duré jusqu'à mes vingt-et-un ans.
Le souvenir est encore gravé dans mon esprit, malgré la confusion générale dans laquelle j'étais :
J'ouvre le frigo pour en ressortir deux bières. Je peux entendre d'ici les cris de protestation de mon père qui se prend une raclée au poker contre William tandis que Thomas rigole éclate de rire. Avec un sourire, je sors de la cuisine en fermant le frigo au passage. Une bière à chaque main, je m'approche de la table et ne peut m'empêcher de faire une remarque :
"Tu sais p'pa, à ce rythme là tu vas finir par faire la vaisselle chez les Collins aussi."
Je tends une bière de mon bras normal à Thomas et de l'autre sert William.
"Encore heureux que ce ne soit pas un strip-poker..." soupire mon père.
Les trois hommes éclatent de rire à l'unisson avant de se tourner vers moi avec un regard coupable.
"C'est bon les gars, j'vais pas mourir, je vous rappelle que j'ai vingt-et-un ans quand même."
"Oui mais tu es encore une si délicate petit fl..." me répond William avant de se faire interrompre par des coups à la porte.
Des regards inquiets sont échangés. Personne n'est attendu ce soir.
Mon père me fait signe de rester dans l'ombre du couloir et s'avance vers la porte. A peine commence-t-il à l'ouvrir que quelqu'un défonce le verrou de sûreté d'un grand coup de pied. La porte s'ouvre à la volée et mon père a à peine le temps de s'écarter que deux hommes entrent, armés de pistolets.
"Thomas Thompson. Tu as des dettes à régler."
"Mais... j'ai dit que j'aurais l'argent..." tente de répliquer l'intéressé.
Devant ses balbutiements, les deux hommes échangent un regard et lève leurs armes dans sa direction. Et immédiatement, mon père assène un crochet à l'homme le plus proche. Je comprends en une fraction de seconde ce qui va se passer. Et c'est là que tout devient flou. Je me vois m'élancer vers les hommes, je me rappelle de cris de douleur, puis seules de vagues impressions restent. Douleur, colère, satisfaction. Puis, sans transition, mon lit.
J'ai appris par la suite que j'étais restée groggy pendant presque deux jours, en pleine confusion mentale que mon père a tout de suite attribué à un choc émotionnel. Tout en s'occupant de moi, il m'a raconté ce qui s'était passé. Le fin mot de l'histoire était que Thomas avait emprunté de l'argent à la mauvaise personne pour des mises qu'il avait ensuite perdu. D'où l'intervention de ces hommes de main. Personne hormis ceux-ci n'avaient été blessés, grâce à mon intervention pendant laquelle, je cite, je "ressemblais à une véritable furie". William avait quant à lui embarqué les individus au poste en faisant croire qu'ils les avaient trouvés dans la rue (sans leurs armes bien évidemment).
L'histoire aurait pu en rester là. Mais moins d'une semaine plus tard, j'ai eu la visite de Charles Xavier à ma porte. Et c'est là que j'ai appris qui j'étais réellement. Une mutante, qui pouvait vivre une vie normale, au sein de gens qui ne l'étaient pas.
L'envie de m'émanciper était forte, mais la pensée de laisser mon père me faisait hésiter.
Au final, sur son impulsion, j'ai déménagé mes affaires et je suis maintenant étudiante à l'institut Xavier. J'espère simplement que mon père ira bien et que mon futur ne contiendra pas d'autres accidents de ce type. Mais je rêve, n'est-ce pas?