Il n’est rien de plus délectable que de pouvoir se défouler au gré des notes d’un classique de l’an passé. Lise s’était levée de très bonne heure exprès pour avoir l’opportunité de danser sur un air connu à l’aide d’un disque dont elle venait juste de faire l’acquisition. Elle avait fait en sorte que le son ne dérange personne et s’était retrouvée comme seule au monde, pendant un temps qui lui parut semblable à une seule minute. C’était son petit moment de paradis, un instant qui lui appartenait et durant lequel elle oubliait complètement et son handicap, et sa difficulté à utiliser sa mutation. Alors que bien d’autres élèves de l’institut Xavier manipulaient déjà leur habilité avec un brio certain, Lise, elle, restait dans son coin. Le monde des autres ne pouvait être le sien, et pour cause, elle ne pouvait qu’imaginer les pourtours de cette immense demeure dont personne d’extérieur à l’institut ne pouvait connaître l’emplacement exact. Cela faisait quelques mois désormais qu’elle avait eu l’opportunité d’y entrer et d’y étudier, pourtant, c’était comme si elle restait cette éternelle étrangère au regard vide et au désir de solitude incontrôlable. Il était bien plus aisé de se protéger d’éventuelles souffrances lorsque l’on est seul, aussi, Lise ne pouvait se défouler qu’en exerçant une ancienne discipline exigeante pour laquelle elle était rudement douée : La danse. Ses quelques enchaînements étaient gracieux, audacieux, et pourtant elle ne ressentait aucunement le besoin d’avoir sa canne d’aveugle à la main. Elle se laissait guider au rythme de la musique, s’encrant parfaitement dans chacune des notes que son ouïe entraînée lui permettait de sonder. Afin de ne pas glisser et d’éviter tout incident, elle avait ôté ses belles chaussures noires et avait attaché ses cheveux pour ne point être gênée. Elle avait également fait en sorte de choisir la salle lui paraissant la plus spacieuse, et par conséquent la plus adaptée à ses entraînements quotidiens. C’était le seul moyen qu’elle avait trouvé et pour se vider l’esprit, et pour dépenser la folle énergie présente en elle. Lise avait toujours été hyperactive, et son accident de voiture remontant à quelques mois n’avait rien arrangé. Elle ne savait pas rester en place plus de deux minutes d’à filée, et puisque désormais elle ne pouvait plus se plonger corps et âme dans ses anciens bouquins de médecine, elle se rabattait sur la danse et sur l’apprentissage du braille, étude qui lui demandait un effort intellectuel on ne peut plus poussé. Mais ce matin là, Lise était d’humeur mélancolique. Elle n’avait ni envie de lire, ni envie d’apprendre…Simplement d’oublier. Qui, à sa place, n’aurait pas craqué depuis longtemps en découvrant que son regard allait probablement rester vide pour le restant de son existence ? N’importe qui se serait mis une balle dans la tête, ou aurait sauté du haut d’un building pour mettre un terme à cette souffrance indicible que son cœur ressentait de manière quotidienne et incontrôlable. La seule chose qui aidait Lise à tenir, c’était probablement le souvenir de son frère aîné. Celui-là même qui l’avait conduite à son dernier examen de médecine en voiture, alors que la route était boueuse et que la pluie était torrentielle ce jour là. Sam avait toujours eu la bonté dont Lise était bien incapable de faire preuve, surtout maintenant. Il était parti du principe tout à fait justifié que sa petite sœur allait bientôt rentrer en internat, et que cet examen était déterminant pour la suite de sa carrière en tant que médecin. Il avait pris ses clefs et l’avait conduite jusqu’à ce qu’un camion perde le contrôle de son véhicule et ne les emplafonnent, les poussant à percuter un arbre. Lise avait simplement reçu un énorme choc sur le crâne, mais Sam, lui, était passé à travers le pare-brise. Il était mort sur le coup, et Lise n’avait appris que bien des jours plus tard ce qui s’était réellement passé.

LISE – « Qui est là ?! Je vous préviens, je suis armée et n’hésiterait pas à m’en servir ! »

Malgré la musique, la jolie blonde était parvenue à distinguer un bruit résonnant tout près de l’immense fenêtre ouverte. Les rideaux s’agitaient à cause du vent sans doute, et ce n’était probablement rien, mais ce bruit suffit à mettre les autres sens de Lise en alerte. Elle partit à tâtons vers le disque afin d’éteindre la musique, et mieux se saisir de sa canne d’aveugle. Il n’y avait plus de danse, plus de séance de sport qui tienne…Lise n’avait aucune confiance en ce fameux bruit, que n’importe qui d’autre aurait pu trouver tout à fait anodin. Elle brandissait déjà sa canne d’aveugle, son regard d’un bleu saisissant toujours dans le vague, prête à frapper dans le vif si jamais quelqu’un l’espionnait en train de danser. Son rythme cardiaque s’était brutalement affolé et elle était incapable de faire la part des choses…Encore moins d’essayer de devenir de qui il pouvait bien s’agir à l’aide de son pouvoir. Son esprit ressemblait à un immense trou noir, et sa respiration ne s’en emballa que plus férocement. Un violent coup de vent fit se fermer et se rouvrir brutalement la fenêtre, aussi Lise ne pu que laisser échapper un petit cri d’épouvante avant de frapper effectivement dans le vif et de heurter au passage un tableau dont elle n’aurait jamais pu imaginer l’existence jusqu’à lors. Celui-ci se décrocha et acheva sa chute à terre, tandis que Lise était pétrifiée sur place, incapable de bouger ne serait-ce qu’un orteil ou même d’ouvrir les yeux, et ce bien qu’elle soit incapable de voir la scène ridicule qu’elle était en train de vivre. Il se passa bien cinq minutes avant que ses muscles ne parviennent à se détendre légèrement et qu’elle n’ait le courage d’ouvrir véritablement les yeux. La raison ? Une sensation humide présente sur le bout de son pied, lui indiquant non pas la présence d’un humain, mais plutôt d’un animal qui n’était pas plus haut que trois pommes. Ce fut seulement à partir là qu’elle commença à respirer plus normalement, après avoir poussé un énorme soupir de soulagement.

LISE – « Nom d’un chien, j’ai manqué l’arrêt cardiaque… »

Celle-là, jamais Lise n’aurait pu la voir venir. Ce n’était pourtant pas faute d’être on ne peut plus téméraire lorsqu’elle était encore voyante. Elle ne craignait pas le danger et le mot « peur » en lui-même ne faisait pas partie de son vocabulaire. C’était sûrement ce trait de son tempérament, mêlé à son acharnement au travail, qui l’avait poussée à sauter quelques classes et à s’inscrire rapidement en médecine dans une faculté prestigieuse. Sam n’avait de cesse de lui répéter qu’elle était surdouée et se devait d’en être fière, mais ce temps lui paraissait révolu. Sa capacité à réfléchir était certes intacte, mais aujourd’hui, Lise était même effrayée par son ombre. Cela ne l’empêcha certes pas de s’agenouiller afin de frôler du bout des doigts l’animal n’ayant de cesse de la renifler, avant que celui-ci n’émette un aboiement très léger. Un chiot ! Lise laissa échapper un petit rire avant de s’asseoir complètement par terre tout en essayant de devenir de quelle race il pouvait bien s’agir. Il avait le poil doux, la truffe fraîche et la façon dont tombait ses oreilles lui firent aussitôt penser à un labrador. Mais de là à en être sûre, peut-être ne fallait-il pas trop croire à la poupée qui tousse.

LISE – « Alors mon joli, tu es perdu toi aussi ? Est-ce que tu aurais une plaque avec un nom par hasard… »

Du bout de ses doigts fins, la jolie blonde commença à tâter légèrement l’animal au niveau du cou dans l’espoir d’y sentir un collier avec une plaque. Hélas, le pauvre chou devait être véritablement abandonné, puisqu’il n’y avait aucun signe, aucun détail qui pourrait la mettre sur la voie de ses origines. Ce n’était pas bien grave visiblement, car l’animal semblait l’avoir déjà adoptée : Il venait juste de monter sur ses genoux et de se blottir contre elle en se frottant joyeusement, tandis qu’il remuait la queue. Lise semblait être sa sauveuse, et d’une certaine façon, elle avait comme l’impression que la réciproque serait vraie un jour. Pour cette demoiselle perdue dans un monde sans couleur, sans lumière, quoi de plus logique que de choisir pour yeux nouveaux un petit chiot prometteur comme celui-ci ? C’était comme si Sam lui-même lui envoyait un signe, bien qu’il ne soit plus de ce monde. Lise avait l’impression de retourner de longs mois en arrière, au moment où elle s’était réveillée dans le noir, dans ce maudit lit d’hôpital, avec pour seule compagnie une infirmière changeant ses perfusions. Il ne lui avait pas fallut longtemps pour se rendre compte que son cerveau avait dû être touché dans l’accident et que le plaisir de sa vue lui avait été enlevé. La perte de son frère fut tout aussi dure à encaisser, du reste…Elle n’avait jamais eu que Sam pour veiller sur elle. Ils avaient été abandonnés par leur mère biologique près d’un carrousel en plein milieu de Washington, leur ville natale, à l’âge de trois et cinq ans. Ils avaient été recueillis par des gens très corrects, avant que ceux-ci n’aient plus les moyens de les élever. Sam s’était mis à travailler très jeune, pour subvenir à leurs besoins, hélas, la découverte de la mutation de Lise avait comme accéléré leur déchéance commune. La jeune fille était considérée comme une bête de foire et avant cet accident, sa réussite en médecine était bien la seule chose qu’elle avait l’impression de mener à bien dans sa terne existence. En d’autres termes, l’apparition de ce chiot aujourd’hui était un véritable cadeau qu’elle acceptait sans même hésiter une seconde…Comment aurait-elle pu, alors que c’était bien la seule nouvelle ne lui apportant ni souffrance ni chagrin ? Uniquement de la joie, celle de ne plus être solitaire et d’avoir l’impression d’être accompagnée par un être de confiance.

LISE – « On va t’appeler Sam. Qu’est-ce que tu en penses ? Par contre, on ferait mieux de remonter si je ne peux pas me faire appeler Arthurette. »

Lise ne savait pas si les animaux étaient autorisés. Elle n’avait pas envie de le savoir, dans le cas où ils ne seraient justement pas admis…Elle ramassa donc sa canne d’aveugle, pris le chiot entre ses bras fins et commença son perpétuel périple : Monter les escaliers lui paraissait être l’un des douze travaux d’Hercule, et pourtant…Elle sentait que son existence au sein de l’institut Xavier allait être nettement plus coloré désormais.