♣ « Nelinha chérie, tu vas être en retard pour l’école. » « J’arrive maman, juste le temps d’enfiler mon jean et... » je déboulai en plein milieu de la mini cuisine familiale, si tant est que l’on pouvait nommer cela une cuisine car cela ressemblait bien plus à un mini restaurant, un sac à dos à la main « ... me voilà. ». Je souris à ma mère avant de prendre une des tartines qu'elle me tendait et de l'embrasser sur la joue. « Dis à papa que je l'embrasse. Je sais qu'il est occupé en ce moment. Ah et ne le laisse pas entrer dans ma chambre, il va encore dire que la troisième guerre mondiale a éclaté. » Ma mère rit avant d’acquiescer. Nous vivions sur un yacht d’environ deux cent mètres carré et grâce à la fortune colossale de mon père, même si à l’époque j’ignorais son métier exact je savais que son poste était important, nous pouvions sans soucis faire ce que nous souhaitions sans craindre de trouer notre budget. Je fréquentais le lycée le plus huppé de la ville: le lycée « O perdão » (littéralement «pardon») et en fréquentais en quelque sorte l'élite. Pourtant à l'époque j'étais très loin de ressembler à celle que je suis maintenant et d'être une véritable garce. J'étais plutôt du genre populaire, première de la classe et membre d'une chorale. Tout le monde m'aimait sans que je ne l’ai demandé, sans doute à cause de mon argent. Ou peut-être que le fait de vivre sur un bateau en impressionait plus d’un. Je n’ai jamais réellement su ni chercher à comprendre. Ce matin là, je partis en direction du lycée sans savoir que le pire m’attendait. Une hécatombe digne des pires scénarios était sur le point de se produire.

« Maman, je suis rentrée. Comment a été ta journée ? Papa est à la... ». Un hurlement déchirant me stoppa net alors qu’un frisson montait le long de mon échine. Je courrai en direction du salon où je vis avec horreur mes parents gisant à terre, du sang se répandant de parts et d’autres de la pièce. Leur sang. Je constatai avec horreur que ma mère avait déjà succombé et c'est vers mon père que je me tournai alors non sans verser des larmes. « Papa, qu’est ce qui s’est passé ? Je vais appeler les secours. Surtout ne ferme pas les yeux tu m’entends ? J’ai besoin de toi, tu ne peux pas m’abandonner comme ça; maintenant que maman est partie. » « Ne pleure pas ma fille, tu te dois d’être forte. Les Tchekov ne pleurent pas, tu te souviens ? Les secours ne pourront rien pour moi, j'ai déjà condamné mon âme. Je m'apprête à rejoindre ta bien aimée de mère dont la seule erreur fut de m'avoir rencontré. Tu ne seras jamais seule, nous veillerons sur toi et sache que nous t'aimerons... pour toujours. » Sa tête bascula sur le côté et je sus que c’était la fin. Après cela je me souviens avoir pleuré trois bonne heures avant de me décider à appeler la police. Je ne suis pas allée à leur enterrement, j’ai seulement quitté le portugal et vendu le yacht pour partir vivre en Angleterre et commencer une nouvelle vie loin de tout ce que j’avais toujours connu.

J’appris bien trop tard à mes dépends que l’on échappe pas à son passé. Personne ne le peut. C’est en essayant qu’on se retrouve un jour à devoir l’affronter, qu’on le veuille ou non. Et je crois que ce jour maudit restera à jamais gravé dans ma mémoire. La peur et le battement acceléré de mon coeur rendait ma respiration saccadée et difficile mais courir restait ma seule échappatoire. « Ca sert à rien de courir ma jolie. Tôt ou tard on te rattrapera, et là, crois moi, ça fera mal. ». Je pouvais presque sentir ses bras se refermer sur moi pour me briser en deux et lorsque je tombais au sol, ma chute fut si douloureuse que je fus incapable de me relever. « Tu t’es finalement résigné à courir. Bien, nous allons peut-être pouvoir commencer. » L’homme me surplombait de toute sa hauteur et me menaça avec un revolver. « Qu’est-ce que vous me voulez et qui êtes-vous ? ». « Qui je suis n'a aucune importance mais ton père t’a bien élevé à ce que je vois. Il t’a même enseigné sa langue maternelle. Impressionant. Moi qui pensais qu’il essaierai le plus possible de te mêler à tout ça. « Me mêler à quoi ? » « Laisse moi t’expliquer un truc. Ton père n’était pas clean du tout. Il travaillait avec nous, il nous vendait des explosifs, des armes, vois-tu. ». Il me dévisagea comme si je lui inspirait de la pitié et je pouvais déceler une once de haine dans ses yeux. « Il a voulu arrêté, pour vous protéger toi et ta mère à ce qu’il paraît et nous avons donc été dans l’obligation de le faire taire et de lui rappeler qu’on ne quitte pas le navire comme ça. Nous avons malheureusement été contraint de faire de même avec ta mère même si ce n’était vraiment pas notre intention. Je suis sûre que tu comprendras pourquoi nous devons finir le sale boulot en t’éliminant. Autant ne pas prendre de risques. »

Mais alors que je croyais la fin venue, quelque chose d'incroyable se produisit. Mon interlocuteur me jeta un regard affolé avant de détourner la tête et de trébucher avec fracas. Ses yeux tombèrent nez à nez avec son reflet et son visage changea du tout au tout. « Que m'as-tu fait ? Espèce de monstre.... mon visage... non !!! ». Je ne compris d'abord pas mais en tournant la tête sur le côté, ce que je vis me coupa le souffle. Le visage de l'homme semblait se décomposer alors qu'il était parfaitement normal. Plus son reflet se dégradait, plus l'homme semblait mourir à petit feu, sans aucune raison apparente. Quand son dernier souffle se fit entendre, mon corps refusa de bouger, tellement je fus sous le choc.

Aujourd'hui, je ne suis plus que l'ombre de moi-même. J'ai de nouveau déménagé, et ai obtenu ma naturalisation américaine. J'essaie de fuir mon passé, et par la même occasion, de me fuir un peu moi-même. Je n'ai pas pour autant renoncé à mes origines mais cela ne signifie pas que je retournerai au Portugal un jour. Tant de souvenirs douloureux s'y trouvent. J'ai décidé de reprendre mes études et de prendre un emploi à mi-temps, afin de faire quelque chose de ma vie et de ne pas finir sous les ponts. Je n'accepte pas du tout celle que je suis et ai encore du mal à accepter ma mutation et mes pouvoirs, même si je dois avouer que cela est plutôt sympa. Mais j'ai peur que la race humaine ne m'accepte jamais; c'est pour cela que j'essaie de garder profil bas le plus possible.