On approchait des dix heures et cela faisait maintenant près d’une heure qu’elle patientait, assise sur le banc dont ils avaient parlé, comme convenu. Elle aurait déjà du être partie néanmoins, elle aurait même déjà du être sortie du parc. Consultant à nouveau la fine montre en argent qu’elle avait au poignée comme si cela pouvait changer quelque chose, Sara se dit une nouvelle fois qu’elle devait se rendre à l’évidence. On lui avait posé un lapin et ça ne servait plus à rien d’attendre. Parce qu’elle était têtue néanmoins, elle attendait toujours. Elle était quasiment certaine qu’elle le faisait pour rien et que dans le meilleurs des cas (c’est-à-dire si son rendez-vous ne l’avait pas volontairement planté), il n’arriverait pas avec autant de retard, mais préférait organiser une autre rencontre plus tard.

Elle n’aimait pas l’idée de repartir bredouille néanmoins et l’idée d’avoir perdu son temps la contrariait tout autant, aussi ne se leva t-elle pas plus que les fois précédentes et continua au contraire à s’entêter, à rester assise et à attendre Dieu seul savait quoi.

Au bout d’un moment néanmoins, elle fini par cesser de fixer pensivement le sol entre deux coups d’œil à sa montre et balaya les environs du regard. De tout ce qu’elle vit alors néanmoins, rien ne semblait vraiment sortir de l’ordinaire. Même la jeune femme qui semblait avoir perdu quelque chose un peu plus loin semblait normale et elle eu alors l’étrange impression que cela la décevait, tout en se moquant un peu d’elle-même en se demandant ce qu’elle s’était attendue à trouver pour être aussi déçue.

Elle observa ensuite un instant une mère avec ses deux enfants, avant de réaliser que c’était idiot et qu’elle se faisait du mal. Elle n’avait pas d’enfants et n’en aurait surement jamais. Techniquement, elle pouvait encore en avoir bien sûr, mais il fallait être réaliste, peu de femme avaient des enfants à son âge à l’heure actuelle, surtout si elle était seule. Elle avait donc loupé le coche comme on disait et elle devait se faire une raison. Sara détourna donc son regard et ce dernier vint à nouveau se poser sur la jeune femme qui avait perdu quelque chose et semblait encore être en train de chercher.

C’était peut-être banal comme situation, mais après tout c’était peut-être aussi ce qu’il lui fallait. Sara n’eut d’ailleurs même pas le temps de formuler complètement cette pensée qu’elle était debout et commençait à se diriger vers elle. Si elle l’aidait à retrouver ce qu’elle cherchait, elle pourrait au moins se dire que son attente a servi à quelque chose. Ça ne changerait rien au fait qu’on lui ait planté un lapin, mais elle se sentirait surement mieux après l’avoir aidé.

- Vous avez l’air d’avoir perdu quelque chose, peut-être puis-je vous aider ? lui demanda t-elle ainsi quand elle arriva à sa portée, avant de lui adresser un léger sourire.

Soyons tout à fait franc, je n'avais pas l'habitude de fréquenter ce genre de lieux. Même adolescente, je les trouvai trop souvent peuplés et pas assez divertissant. Relaxant, sûrement, mais je n'étais pas ce qu'on pourrait dire une fervente du calme et du farniente. La seule pensée de rester des heures sans rien faire et à seulement papillonner à droite à gauche me donnait des frissons. Pour être heureuse et pleinement détendu, je devais m'occuper la tête et les mains, tout simplement. C'est pour ça que j'évitais autant que possible de rester enfermée chez moi ou, en l’occurrence, de venir traîner au parc. Je préférais généralement faire un bon footing en ville ou réviser. Car oui réviser était un moyen de me rendre zen. Étrange oui je sais, mais on me refera pas.

Et là, on peut dire que j'étais des plus occupée. Lors d'un de mes footings j'avais malheureusement égaré mon bracelet en argent, qui avait une très grande valeur sentimentale ayant appartenu à ma mère. Et je m'étais donc mis en tête de fouiller tous les endroits où j'étais passé, où l'objet serait susceptible d'être, à commencer par Central Park. Et heureusement pour moi, je passais toujours par un seul endroit, toujours le même, ce qui m'éviterait d'avoir à fouiller de fond en comble tout le parc. Autant chercher une aiguille dans une meule de foin. Non mais c'est pas vrai, ça t'apprendra à faire attention à tes affaires Neli.

Je ne me souciai guère des gens autour de moi, ils auraient tout aussi bien pu être des aliens que je ne m'en serai pas aperçu, tant j'étais absorbée par mes recherches, qui jusqu’à présent, se montraient des plus vaines. Mais je m'entêtai toujours et encore, comme la plupart du temps. Et d'ici la fin de l'après-midi il faudrait bien que je me résigne et me dise que perdre un objet aussi petit dans New York c'était peine perdue. Et je n'étais pas suicidaire, enfin pas totalement.

Mais cette fois, mon entêtement se montra plus persistant. D'autant plus que je tenais vraiment à ce bracelet. Et je m'en voudrais à vie pour l'avoir perdu. Pire, je ne me le pardonnerai jamais si quelqu'un d'autre le trouvait et osait y toucher. Hors de question que des inconnus souillent les souvenirs familiaux. Et c'est bien sûr tellement concentré sur mon objectif que je n'entendis pas une femme s'approcher de moi. Vous avez l’air d’avoir perdu quelque chose, peut-être puis-je vous aider ? Je sursautai, sans prendre garde à ne pas mettre un coup de coude involontaire à mon interlocutrice. Ces derniers temps mes réflexes étaient comment dire, assez incontrôlés. Dévisageant la nouvelle venue, je me méfiai un peu avant de me résigner. A deux nous avions peut-être de meilleures chances de retrouver mon bracelet. Je n'y vois pas d'inconvénient. Avant-hier j'ai perdu un bracelet en argent, un objet très précieux à mes yeux car il appartenait à ma mère, et je ne me le pardonnerai jamais si je ne le retrouve pas. Inutile de détailler toute ma vie non plus. Je doute qu'elle intéresse de toute manière. Je savais que je passerai pour une fille beaucoup trop sentimentale à l'égard d'un simple et vulgaire bracelet mais cela représentait bien plus pour moi que n'importe qui.

Parfois Sara avait l’impression qu’elle ne s’était jamais vraiment remise de ce qui s’était passé pendant la seconde guerre mondiale, qu’elle n’avait pas vraiment réussit à tourner la page et qu’une partie d’elle était toujours bloquée quelque part dans les massifs du Vercors. Plus étrange peut-être, elle regrettait parfois cette époque, parce que malgré tout ce qui s’y était passé, elle était alors habitée par la conviction de faire ce qu’il fallait, elle était sûre de ses choix et avait aussi l’impression de participer à quelque chose d’important et d’incontestablement nécessaire. Toutes ces choses malheureusement, elle ne les avait vraiment ressenties que pendant cette période. Elle n’avait jamais vraiment cessé de chercher à les retrouver, mais n’y était jamais vraiment parvenue, et parfois ces sensations lui manquaient. Parfois même, tout ce qu’elle entreprenait lui semblait futile et tout ce qu’elle ressentait lui paraissait fade et c’était justement un peu ce qu’elle ressentait à présent.

Malgré ça, Sara laissa la jeune inconnue la dévisager un instant avant d’esquisser un sourire entendu lorsque celle-ci accepta sa proposition. Sara écouta ensuite la jeune femme lui parler de l’objet qu’elle avait perdu et en retint principalement la description avant de commencer à chercher du regard tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à un bracelet en argent, la suivant au besoin dans ses déplacements, si elle se déplaçait.

- Que faisiez vous au moment où vous l’avez perdu ? demanda t-elle également, afin d’avoir une idée un peu plus nette de la tâche à laquelle elle venait de s’atteler.

Elle aurait aussi voulu que sa morosité passagère disparaisse au moment où la jeune femme avait précisé que cet objet comptait beaucoup pour elle, mais elle n’y était pas encore parvenue, pas plus que la mention de la mère de la jeune femme et son rapport avec l’objet perdu ne lui redonna l’impression de faire quelque chose qui comptait vraiment. Ça comptait surement bien sûr, ça comptait peut-être pour elle, mais pas vraiment pour Sara.

- Je m’appelle Sara, au fait, dit-elle ensuite en continuant à fouiller le sol du regard.

- Vous êtes à New York depuis longtemps ?

Comme à chaque fois qu’elle était dans un état d’esprit de ce genre, Sara avait finit par s’agacer elle-même. Elle n’aimait pas broyer du noir, pas plus qu’elle n’aimait avoir l’impression de s’apitoyer sur son sort et elle avait donc décidé de faire un peu la conversation, ce qui parviendrait peut-être à la divertir assez pour chasser les pensées qui la gênaient, sans compter sur le fait que papoter en cherchant serait surement plus agréable que de chercher en silence.

C'est marrant, mais depuis que j'avais quitté le Portugal, un tas de mésaventures m'arrivaient en nombre. Pas aussi importante que le meurtre de mes parents ou la découverte plus ou moins terrifiante de mes pouvoirs, mais assez gênante pour me mener en bourrique et me rendre complètement dingue. Je m'acclimatai mal aux us et coutumes des États-Unis et avaient beaucoup de mal pour m'accorder avec ses habitants. Lorsque j'étais arrivée dans la grande pomme, je ne pensais pas du tout à tout cela en réalité. Mais j'étais toujours mieux ici que dans mon pays natal ou n'importe où ailleurs. Sans savoir pourquoi, je me sentais en sécurité à New York, même si je n'adhérais en aucun cas à toutes ses extravagances. Ici, à l'autre bout du monde, je me sentais renaître, sans pour autant oublier quoique ce soit de mon passé assez calamiteux je dois l'avouer. Mais en aménageant ici et en obtenant la double nationalité, cela m'avait permis de démarrer une nouvelle vie, loin de tous ces malfrats que mon père avait l'habitude de côtoyer et qui menaçaient toujours de me tuer. Pourquoi avoir gardé la citoyenneté portugaise ? Je crois seulement que je n'étais pas prête à abandonner tout espoir de retourner un jour dans mon pays natal pour pouvoir y revivre tous ces souvenirs, enfouis en moi depuis beaucoup trop longtemps.

Mais malgré tout cela, je continuais de vivre ma vie au jour le jour, sans vraiment me soucier de tout ce qui se tramait en bas de chez moi. Je restais sur mes gardes, attendant le jour où ils finiraient par me retrouver et où il faudrait à nouveau que je leur fasse face. Mais je crois qu'après ce que j'avais fait à leur chef, ils ne reviendraient pas me chercher de sitôt. Et je crois que c'est ça que je craignais le plus; mes dons. Je ne savais pas d'où ils viennent et j'avais un peu de mal à les contrôler, même si cela s'arrangeait avec le temps.

Continuant de bouger dans tous les sens et incapable de rester à un endroit plus de cinq secondes, je fus finalement ravie que quelqu'un me rejoigne dans mes recherches, qui jusqu’à présent s'étaient révélées des plus vaines. J'espérais seulement que mon impulsivité et mon incapacité à rester calme plus de deux minutes ne la feraient pas fuir. Que faisiez vous au moment où vous l’avez perdu ? Je ne répondis pas de suite, persévérant dans mes mes déplacements répétés. Je dus bien mettre une minute avant de finalement répondre; Je faisais mon jogging usuel de la journée. Et j'ai du le tomber en courant. Mon accent avait tendance à pas mal ressortir quand je me mettais à parler vite et à stresser ou à culpabiliser. Et dans le cas présent, les trois à la fois. Et je détestais quand cela arrivait, car je n'aimais pas que les gens me questionnent sans arrêt à propos de ça. Pas que j'ai quelque chose contre eux ou contre mon accent, mais je n'étais pas le genre de fille à parler du beau temps ou de mon passé à un inconnu, à personne en fait. Spécialement de mon passé. Je m’appelle Sara, au fait. Sara, j'avais connu une Sara au Portugal, une vraie garce, toujours à essayer de me rabaisser ou de me faire pleurer. Mais je doute que cela intéresse quelqu'un. Nelinha. Nelinha-Shawnee pour être exacte, mais je préfère la version courte de mon prénom. Elle n'avait pas besoin d'en savoir plus, et je n'aimais pas m'étaler sur ma vie privée comme je l'ai dit. Non, j'y vis depuis trois ans en réalité. Je ne suis même pas né aux USA. Une petite discussion ne faisait pas de mal après tout. Mais trop absorbée par mes recherches, je ne fis même pas attention à l'état d'esprit de ma locutrice. Et vous ?

Nelinha. Sara se demanda un instant si ce mot avait une signification particulière dans une langue ou dans une autre, tout en le répétant machinalement mentalement afin d’être sûre qu’il soit durablement inscrit dans sa mémoire. Elle était sûre de ne l’avoir jamais entendu nulle-part, mais ne fit pas de commentaire et garda aussi ses questions sur son origine et son éventuelle signification pour elle.

Elle nota aussi que la jeune femme préférait la « version » courte de ce dernier et s’attarda donc moins sur la longue, tout en continuant à chercher du regard tout ce qui pouvait ressembler à un bracelet en argent.

- Non, j'y vis depuis trois ans en réalité. Je ne suis même pas né aux USA.

Quelque chose de légèrement brillant attira son regard lorsque la jeune femme répondit à sa question, mais elle se rendit compte en se rapprochant que c’était en réalité un morceau de verre brisé et entendit très bien sa réponse. Elle sourit même légèrement lorsqu’elle précisa qu’elle n’était pas née aux USA : à son accent, aussi léger fut-il par moment, elle aurait aisément pu le deviner. Dans le même temps néanmoins, ces histoires d’accent étaient parfois trompeuses. Certains en avaient alors qu’ils avaient toujours vécus ici, par exemple, tandis que d’autres, comme elle, n’en avait pratiquement pas alors qu’elle n’avait même pas passé la moitié de sa vie sur le sol américain.

Nelinha lui ayant retourné sa question, cependant, là encore, elle ne commenta pas sa réponse, mais se contenta d’en formuler une à son tour.

- Je suis revenue dans la région il y a quelques mois, dit-elle ainsi.

Quelques mois ou un peu plus d’un an, on n’allait pas jouer sur les mots. Elle avait vraiment l’impression de n’être là que depuis quelques mois en outre, peut-être parce qu’elle n’avait pas encore tout à fait retrouvé ses marques.

- J’ai déjà vécue ici il y a quelques années, reprit-elle ensuite, mais j’ai aussi un peu voyagé et j’ai passé une partie de mon enfance et de ma jeunesse en Europe, en France en fait.

De fait, Sara ne se sentait pas plus Américaine que ça d’ailleurs. A une époque, elle l’avait voulu et avait même essayé, peut-être parce que ça lui semblait plus facile que de sentir française, mais les États-Unis avaient eux-aussi fini par la décevoir et depuis Sara n’essayait même plus, parce qu’elle en avait perdu l’envie. Autant elle n’avait pas de mal à parler des différents endroits où elle avait vécu néanmoins, autant elle préférait garder ce genre de chose pour elle, surtout dans un pays comme celui-ci où un manque aussi flagrant de patriotisme aurait pu être mal vu ou mal interprété.

Comme souvent pourtant, parler lui faisait du bien. Il y avait longtemps qu’elle avait cessé de voir le monde comme un merveilleux terrain de jeu peuplé de personnes tout aussi merveilleuses ou de monstres gentils. Qu’ils le portent ou non sur leur visage, elle savait à présent que les véritables monstres existaient tout autant que les autres et avaient même cessés depuis longtemps de leur chercher des excuses. Elle ne s’était pas mise à bouder ou à fuir les gens cependant. Au contraire, elle avait fait assez de jolies rencontres, entre deux moins belles, pour savoir combien ces dernières pouvaient valoir le coup.

De part son caractère ou de part l’existence de sa particularité, Sara avait néanmoins un peu tendance à vivre enfermée dans sa bulle, qu’il lui fallait souvent faire éclater avec une épingle pour qu’elle s’intéresse aussi un peu à ce qu’il y avait autour d’elle. En d’autres circonstances, elle aurait donc pu passer à côté de la jeune femme sans faire attention à elle, en la voyant sans la regarder ou la regardant sans vraiment la voir. Ce n’était pas ce qui s’était passé néanmoins et tandis, qu’elles commençaient à discuter, Sara sentit sa curiosité, la plus fidèle de ses compagnons de route, refaire son apparition et gagner en importance au fur et à mesure que Nelinha parlait, lâchant au compte-goutte quelques bribes d’information sur sa personne.

Ce fut pour cette raison que Sara chercha comment poursuivre convenablement leur conversation, sans la monopoliser ni avoir l’air de l’inquisitrice-en-chef du parc et ce avant que le silence ne s’y invite. Peut-être parce qu’elle en savait très peu sur elle, Sara eut en effet brusquement envie d’en savoir beaucoup plus. Qui-était-elle ? Qu’avait-elle déjà fait de sa vie ? Que souhaitait-elle en faire ? De quoi avait-elle peur ? L’histoire de sa vie aurait-elle l’air horriblement banale à ses yeux ou serait-elle au contraire plus captivante qu’un bon polar ? En regardant les déplacements fébriles que celle-ci effectuait dans le parc, Sara éprouvât également un peu de compassion à son égard, tandis qu’elle aurait voulu lui dire que quelque soit son histoire, ce bracelet n’était qu’un bracelet. Le perdre ne détruirait pas la relation qu’elle avait avec sa mère et si celle-ci avait disparue et bien le retrouver ne la ramènerait pas. Malgré cela, une partie d’elle comprenait qu’elle attache de l’importance à ce dernier et Sara garda donc ces paroles pour elle.

- Comment vous a t-il été donné ? demanda t-elle en revanche en parlant du bracelet en question.

C’était peut-être personnel comme question et elle en était consciente, mais dans le même temps, les questions personnelles n’étaient-elles pas les plus à même de vous permettre d’en apprendre réellement un peu plus sur une personne ? Certes, cela pouvait aussi déranger, mais dans le fond Sara avait peut-être toujours été une adepte du quitte ou double. Sa question étant plutôt de circonstance en outre, cette dernière pourrait aussi passer sans soucis.

Faites que ça brille, faites que ça brille. Je ne pouvais m’empêcher d’espérer, de prier ciel et terre - même si j’étais loin d’être croyante -, pour qu’un miracle arrive et me fasse retrouver ce précieux objet auquel je tenais presque autant qu’à ma vie. Rien qu’un petit signe, montrant que mes prières avaient été attendu, m’aurait suffi. Un objet scintillant à ma droite attira mon attention et je m’approchai sans trop grande conviction cependant. Perdu, des clés. Je me dis cependant que le propriétaire des clés en question devait bien plus s’en vouloir que moi à cet instant. Soupirant plus d’exaspération et de mécontentement qu’autre chose, je repartis dans mes recherches vaines, sachant pertinemment que dans une ville aussi grande que New York, un objet de cette taille pouvait tout aussi bien s’être volatilisé, cela revenait au même. En clair; autant chercher une aiguille dans une meule de foin.

J’ai déjà vécue ici il y a quelques années mais j’ai aussi un peu voyagé et j’ai passé une partie de mon enfance et de ma jeunesse en Europe, en France en fait.

Cette remarque me fit lever la tête. J’étais déjà allée en France enfant, en réalité j’y passais presque tous mes étés. Mais je regrettai de ne pas avoir assez visité et de ne pas m’être assez intéressé à la culture, à la gastronomie et à la langue. Beaucoup de monde rêvaient d’y vivre et de s’y installer, la comparant à un paradis terrestre. Cependant avec les tragédies qu’avaient engendrées la guerre, je doutais qu’il reste un semblant de cette magie dont tout le monde parlait. Le Portugal n’avait d’ailleurs pas échappé à cette fameuse guerre ayant compté presque la moitié de la population terrienne. Mais nous n’avions eu qu’un rôle mineur dans toute cette histoire, contrairement aux autres qui s’étaient battus et avaient péri, pour leur peuple. Mais je n’étais encore qu’une enfant à cette époque et mes souvenirs ne sont pas des plus fiables.

Peu importe, le fait est que la France ramenait un flot de souvenirs qui affluaient à ma mémoire. Je revoyais mes parents, essayant tant bien que mal d’amarrer le yacht au port. C’était bien les seuls fois où nous vivions dans une maison. Du moins pendant deux mois. Soixante jours sur trois cent soixante cinq.

J’allais souvent en France quand j’étais petite, du côté de Nice, c’était plus proche de chez nous que la Capitale. Il faudra que j’y aille un jour, juste pour voir si c’est bien la ville Lumière comme tout le monde l’appelle.

Rester le plus flou possible dans mes propos, voilà le plus important. Je refusais qu’on sache mon passé, mais je crois qu’en fait, je refusais de m’en souvenir moi-même et la perspective que les gens l’apprennent me faisait peur dans le sens où ils auraient pu me rappeler des choses que je voulais à tout prix laisser derrière moi. Et puis en gros je ne mentais en rien sur ce que je disais, ce n’est pas comme si je m’étais inventé une nouvelle vie, toute belle et sans aucune tâche pour venir ternir cette banalité que j’avais toujours enviais. Je cachais simplement certains faits qu’il valait mieux oublier et ne pas connaître. Et puis ça n’intéressait personne des histoires de meurtres et de règlements de compte entre escrocs de premier ordre. Mon père l’avait bien cherché en quelque sorte mais jamais je ne pourrai lui en vouloir, je l’aimais trop pour cela. Mais pourquoi avait-il fallu qu’ils s’en prennent à ma mère, la douceur et la pureté incarnée ?

Au bout de vingt minutes de recherches pour le moins infructueuses, je me rendis compte que Sara avait un effet des plus étranges sur moi. Elle me donnait envie de parler, et plus encore, me faisait parler plus que je ne l'avais jamais fait depuis que j'étais arrivée ici. En général mes discussions avec les gens se limitaient à "bonjour", "au revoir" et "merci". Pas de super grand discours. Et pour cause, je n'aimais pas me lier avec des gens, pas depuis leur mort. Seul Grace avait su faire la différence et j'en restai encore étonnamment surprise.

Je n'aimais pas parler, mais ça n'avait pas toujours été ainsi, et là m'entendre parler avec une simplicité déconcertante me fit l'effet d'une douche froide. New York avait-il donc cet effet là ? Me rendre ma chaleur d’antan, mon épanouissement ? Non ce n'était pas la ville, mais ses habitants, tous plus excentriques les uns que les autres, mais qui reflétaient cependant une part de gentillesse que je n'avais jamais vu ailleurs. Je refusais de redevenir cette adolescente naïve et excentrique que j'avais été dans le temps. Mais au fond, était-ce si mal. J'avais toujours tant cherché à me renfermer sur moi-même pour oublier tous mes problèmes. Mais cela avait-il marché tel que je l'avais espéré ? Pas vraiment. Et maintenant que j'y pensais, c'est en parlant avec des gens comme Sara et Grace que mes problèmes semblaient s'atténuer et se dissiper. Comme s'ils n'avaient existé. Et j'avais parfois la nette impression de pouvoir atteindre un bonheur parfait si je le voulais. Mais je luttais sans cesse, comme si la perspective d'être heureuse était mal. Comme s'il m'empêchait de me souvenir de mes parents. J'avais l'impression qu'en agissant ainsi je les oublierai toujours, et cela je ne le tolérerai jamais. D'où l'importance de retrouver ce bracelet. Peut-être qu'un jour je me permettrai de goûter au bonheur à nouveau, mais pour le moment quelque chose au fond de mon cœur m'en empêchait.

Comment vous a t-il été donné ?

Je ne répondis pas tout de suite, analysant chaque mensonges que j'aurais pu inventer mais finalement aucun ne me satisfaisait et je décidai de dire la vérité, et entière, pour une fois.

Ma mère me l'a donné juste avant de mourir. Elle m'a fait promettre de ne jamais le perdre et de toujours penser à elle, où qu'elle aille. Voilà pourquoi j'y tiens tant. Le perdre me donnerait l'impression de ne pas avoir tenu cette promesse et de l'avoir trahi et...

Je fus incapable de continuer. Ces souvenirs étaient trop douloureux et me hantaient désormais comme une véritable décharge électrique. Je me surpris à verser une larme mais je ne pleura pas, je refusais de me laisser abattre et me ressaisit aussi vite que je m'étais laissé aller à mes émotions.

Enfin bref, c'est sans importance. Je ne voudrais pas vous incommoder avec mes problèmes et antécédents familiaux.

Tout en continuant à chercher, Sara écouta les réponses que lui fit Nelinha. Son allusion à ses voyages en France, à la ville de Nice et à son désir de voir la capitale. Parler de la France lui rappelait des souvenirs bien sûr, mais une partie de ces derniers s’étant déroulé pendant la seconde guerre mondiale, elle associait plus facilement la France au rationnement et aux bombardements qu’aux lumières de ses villes. C’était peut-être dommage et certainement réducteur, mais c’était comme ça et Sara ne s'arrêta pas longtemps là-dessus.

Nelinha répondit ensuite à la question qu’elle avait posée sur le bracelet qu’elle cherchait et, comme, elle l’avait plus ou moins prévu, sa réponse lui en apprit plus sur la jeune femme et sur son histoire.

Elle réfléchit ensuite un instant à ce qu’elle lui racontait et commença par trouver étrange cette promesse que lui avait faite faire sa mère, avant que son esprit ne commence à trouver une ébauche d’explication. Mettre tout le poids des souvenirs que sa fille pourrait avoir d’elle dans un seul objet lui paru en effet d’abord particulièrement pesant, trop peut-être, mais Sara se dit ensuite que Nelinha avait peut-être eu besoin de ce symbole et que c’était peut-être aussi les paroles d’une femme qui connaissait bien sa fille.

Enfin bref, c'est sans importance. Je ne voudrais pas vous incommoder avec mes problèmes et antécédents familiaux.

- Vous ne m’incommodez pas, répondit d’abord simplement Sara, sortie de ces pensées par la phrase de la jeune femme.

Et elle était sincère.

Elle hésita néanmoins ensuite avant de poursuivre et laissa un instant le silence s’installer entre elles. Il lui paraissait en effet difficile de rebondir convenablement sur ce que la jeune femme venait de lui dire et ce d’autant plus qu’elle avait visiblement encore du mal à aborder le sujet. Faire comme si de rien n’était n’était pas son genre, elle était d’un naturel trop grave et trop sérieux pour ça, mais continuer sur le sujet lui paraissait cruel et elle hésitait aussi à commenter ces propos, de peur que ce qu’elle dise puisse être mal pris ou mal interpréter.

- J’ai perdu un ami qui m’était très proche étant plus jeune. Il ne m’a jamais offert de bracelet, mais je crois que si j’avais eu à lui promettre quelque chose quand il est mort, j’aurais fait tout mon possible pour respecter ma parole.

Elle se garda de lui dire qu’elle pensait qu’elle n’avait pas besoin de ce bracelet pour se souvenir de sa mère. Elle était persuadée que Nelinha en était consciente, ne voulait pas prendre le risque de la blesser en le lui disant et comprenait réellement son désir de retrouver le bracelet en raison de cette fameuse promesse.

Je ne m’attendais pas à ce que les gens comprennent ma vie ou mes résolutions. Et puis je ne le souhaitais pas. Qui voudrait d’une amie dont les parents se sont fait assassiner sous ses yeux par des trafiquants et qui possède des dons pas franchements communs de toute façon ? En tout cas je ne me voudrais pas comme amie. En réalité si j’avais été quelqu’un d’autre, je me serais fui comme la peste. Ceux qui me fréquentaient étaient en danger constant, et ça je ne le voulais pas. Voilà pourquoi je n’avais qu’une seule amie, que je savais capable de fuir et de se défendre en cas de coup dur de ma part. Et Grace était une excellente amie, qui comprenait mes craintes quant aux faits d’être extroardinaire. Elle parvenait à me rassurer et à me convaincre que mes dons n’étaient pas dangereux mais mangnifiques. Mais j’avais encore un peu du mal à m’en convaincre moi-même. Après tout j’avais tué un homme avec.

Vous ne m’incommodez pas.

C’était bien la première fois que l’on me disait une chose pareille. La plupart des gens n’aimaient pas entendre des histoires aussi tragiques que la mienne, ou alors se sentaient si mal à l’aise que cela se sentait à trois kilomètres. Sarah, pour une raison inconnue, me donnait l’impression de me comprendre sur beaucoup plus de points que je ne l’aurais imaginé, et j’appréciais cela.

J’ai perdu un ami qui m’était très proche étant plus jeune. Il ne m’a jamais offert de bracelet, mais je crois que si j’avais eu à lui promettre quelque chose quand il est mort, j’aurais fait tout mon possible pour respecter ma parole.

Je ne savais pas quoi répondre, une part de moi voulait se révolter et hurler que ce n’était pas pareil, que personne ne pouvait comprendre ce que je ressentais. Mais je comprenais malgré moi que je n’étais pas la seule à avoir vécu des histoires dramatiques. Au fond de moi je savais que ce bracelet ne me ramènerait jamais ma mère et que le perdre ne serait en aucun cas un affront à sa mémoire, vu qu’elle vivait toujours en moi, au fond de mon coeur et de ma tête. Mais d’une façon ou d’une autre, ce bracelet me permettait de continuer à avancer sans regarder en arrière, et de me dire que ma mère était fière de moi, même si je faisais des choses horribles.

Je... je suis désolée pour votre ami. Je sais que les maux sont long et difficile à guérir après une telle expérience.

Je la comprenais, et je m’en voulu d’être triste pour un bracelet pendant un moment. Après tout, le monde est trop cruel et la vie beaucoup trop courte pour qu’on s’attarde sur un petit bout de métal.