♣ John et Elaine avaient toujours voulu deux filles, c'était comme ça. Quand ils avaient fait leur plan de vie à deux et cherché des prénoms pour leurs futurs enfants, ils avaient tout de suite dit : on aura une Sara Grey, et une Jean Grey. Ils s'étaient tout de suite mis d'accord, et c'était ce que la vie leur avait donné. D'abord était venue Sara : une petite fille magnifique blonde comme les blés, souriante et pleine de vie. Puis, quelques années plus tard, était née Jean, leur deuxième adorable petite fille. Ses cheveux roux tirant vers l'acajou avaient aux premiers abords surpris ses parents, mais sans plus : après tout, qui pouvait prévoir la distribution des gênes ? Le roux étant récessif, il était assez fréquent que deux parents blonds donnent naissance à un enfant roux ! Le jeune professeur d'Histoire et sa femme n'auraient pu être plus heureux : ils avaient leurs deux filles, et elles étaient parfaites à leurs yeux.

♣ Plus elles grandissaient et plus les deux soeurs s'éloignaient. Il n'y avait pas de différence pourtant dans l'amour que leurs parents leurs portaient, pas de jalousie apparente entre les deux petits filles ; malgré tout, l'une grandit mieux que l'autre. Sara était toujours plus ouverte, plus enjouée, tandis que Jean semblait plus sensible, plus en retrait vis à vis des autres. L'une se faisait beaucoup d'amis et multipliait les rencontres, tandis que l'autre semblait plus intéressée par la solitude et la lecture que le monde extérieur. Sara, pourtant, acceptait volontiers de prendre sa petite soeur avec elle, mais elle ne semblait pas s'intégrer, comme si toute tentative de contact de la part des autres avec elle échouait, ou l'effrayait. Jean semblait constamment mal à l'aise dans un environnement qu'elle ne connaissait pas. Sûrement parce qu'elle ne contrôlait rien. Parfois, même, des phénomènes étranges se passaient quand on la touchait sans sa permission et, ça lui faisait peur. Ses parents prirent ça pour de la timidité ; or il n'en était rien, puis que même en grandissant, cela ne s'améliorait pas. Le fait était que Jean ne faisait pas confiance aux gens, dès qu'elle avait pu mettre un mot dessus, voilà ce qu'elle avait dit en penser : elle les trouvait hypocrite. Quand sa mère lui demandait pourquoi, elle répondait sans détour, ses grands yeux d'un sérieux implacable :


N'est-ce-pas terrible qu'à seulement 13ans, déjà, le monde nous semble tellement hostile ? Pourtant, dans toute cette négativité que ressentait la jeune fille, une personne avait réussi à se frayer son chemin, au delà de toute cette incompréhension que ressentait la jeune femme. Elle s'appelait Annie Robinson. En plus d'avoir presque le même âge que Jean - à un an près - et d'être dans la même classe qu'elle qui avait sauté une classe, Annie était arrivée dans le voisinage à l'occasion de son entrée au lycée. Jean, qui n'avait alors pas d'amis, n'étant pas arrivée à s'en faire de vrais au collège puisque les gens étaient tous tellement si faux, avait remarqué que cette jeune fille était différente. De toute façon, tout le monde la trouvait bizarre... Étrangement, Annie n'était pas comme tous ces gens : d'une candeur incroyable, elle n'usait pas de faux semblants, elle se contentait d'être elle-même. Sincère. Jean se sentit alors immédiatement proche d'elle. Nouvelle à New York, c'est avec plaisir qu'Annie si lia avec Jean, et c'est ainsi qu'elles devinrent les meilleures amies du monde.

♣ Les 16ans de Jean arrivèrent bien vite, et c'est une jeune fille plus épanouie, plus disposée à s'ouvrir aux autres malgré une perpétuelle méfiance, qui avait remplacé la petite fille perdue. Les "sweet sixteens", comme on les appelait, auraient pu être la plus belle période de la rouquine, qui avait finalement accepté le monde et ses aléas. Elle avait des amis, elle sortait, elle avait laissé de côté sa carapace et son mutisme de désespoir face à l'attitude incompréhensible des gens, s'étant forgé à la place un fort caractère à la répartie bien trempée... Jean avait fini par tourné à son avantage ses ressentiments pour, enfin, profiter de la vie et de ce qu'elle lui offrait. Elle avait même laissé une chance à l'Amour quand elle avait rencontré ce garçon, l'an dernier, lors d'une soirée chez Lucy Griffiths. Ils s'étaient séparés sans regret de son côté quand elle avait compris leur incompatibilité de caractère sur le long terme mais, elle gardait ça en mémoire comme une jolie histoire. De plus, ayant toujours été une jeune fille intelligente, elle allait finir le lycée un an en avance. Tout semblait aller pour le mieux chez la plus jeune Grey. Mais tout bascula le soir de la fête suite à leur remise de diplôme.

Les deux jeunes filles, devenues inséparables, étaient en pleines réjouissances d'avoir acquit leur graduation pour partir à l'Université quand, ayant légèrement trop bu, elles avaient décidé de rentrer chez elles à pied. Habitant à côté, elles s'accompagnaient mutuellement. Riant sur le trajet, Jean se souvenait qu'avec le froid, l'effet de l'alcool commençait à s'en aller de son organisme ; mais pas de celui d'Annie, qui avait un peu plus forcé qu'elle sur la boisson. Annie avait alors traversé sans regarder, ni prévenir.


Elle n'avait eu le temps que de tendre la main vers elle avant qu'une voiture de la percute. Complètement dévastée, elle avait accouru auprès de son amie, tremblante de tout son corps. Il y avait du sang partout, mais ça, Jean n'en gardera qu'un vague souvenir... Ce qu'elle se souviendra toute sa vie, en revanche, c'est de son esprit, fusionnant avec celui de sa meilleure amie. De s'être vue à travers ses yeux à elle, des larmes pleins le visage, la supplier de tenir le coup à travers une vision qui se brouille de plus en plus alors que la peur l'étreint. Puis, de s'être entendue hurler, et enfin, de s'être sentie mourir, en même temps qu'elle. Alors, ce fut le trou noir...

♣ 3 ans se sont écoulés depuis l'incident. Trois longues années que Jean a passées sans parler, sans presque bouger, ses yeux verts constamment dans le vague. Les docteurs appellent ça "un état catatonique". Certains tentent de la diagnostiquer, pensant jusqu'à de la schizophrénie, sans toutefois réussir à établir le moindre contact avec elle. Ils n'expliquent pas un blocage si long et ne savent pas comment s'occuper de son cas. Alors que tout le monde la pense perdue, condamnée à rester dans cet état stationnaire, un miracle se produit à sa rencontre avec le Professeur Charles Xavier. Ce dernier, simplement en la regardant - deux doigts négligemment posés sur sa tempe - réussit à capter son regard, alors qu'elle n'a plus regardé personne dans les yeux depuis des années. Les autres personnes présentes n'en ont pas conscience, mais un dialogue silencieux s'établit alors entre eux. Un dialogue par la pensée. Charles Xavier lui certifie qu'il peut l'aider, mais elle ne le croit pas. Il lui explique alors en détail ce qui lui arrive, lui expliquant qu'il est comme elle, qu'il peut la comprendre. Jean reste toutefois persuadée que personne ne le peut : elle est morte, morte en même temps que sa meilleure amie, elle a tout ressenti. ▬ Avez-vous déjà ressenti ça, Professeur ? Non. Mais il veut l'aider à faire en sorte que ça ne se reproduise pas, en maîtrisant son don. Pour ça, il a une solution : qu'elle intègre son école, une école avec d'autres gens comme elle, d'autres mutants. Au bout de quelques minutes de silence total, deux mots finissent par dépasser les lèvres de la jeune fille :


Puis, une fois que les médecins sont sortis, le deuxième homme lui montre ce dont il est capable en faisant léviter une petite cuillière en métal. Alors, Jean sourit tandis qu'il la repose sur le plateau :


Et, d'un regard, elle fait à son tour léviter la cuillère avant de la tordre sous le regard impressionné des deux hommes. Oui, cette jeune femme leur réserve bien des surprises encore...