Durant quelques secondes, elle laissa un doigt courir sur la vitre, suivre le chemin délicat d’une goutte d’eau qui quelques secondes plus tard s’explosera sur le sol, dans un léger bruit presque inaudible. Enfermée dans une cabine téléphonique en plein New-York, Jules les idées brouillées par sa vie qui se retrouvait chamboulé depuis bientôt un an, osait à peine prendre le téléphone qu’elle reposait très vite en se demandant si une telle chose était bien raisonnable. Oui, était-ce bien raisonnable de les appeler ? Shit. On lui avait toujours dit ce qu’elle devait faire, ce qu’elle devait dire, comme s’habiller et elle avait prit le large. Enfin. En quelques secondes, ses lèvres emprisonnèrent une cigarette qu’elle alluma très vite, histoire de se donner du courage, histoire de se dire qu’il fallait bien le faire un jour ou l’autre, histoire de se dire que c’était surement la dernière fois qu’elle leur parlerait. Lâchant dans l’air quelques volutes de fumées sombres, Jules fit rapidement le numéro, de toute façon le plus vite serait le plus simple. Une sonnerie, avant que quelqu’un ne décroche :

▬ Manoir Hendrick, qui est à l’appareil ?

▬ Edward, passez moi mère s’il vous plait.

Quelques secondes d’un silence lourd s’en suivirent avant qu’il reprenne la parole.

▬ Bien, Lady Gabrielle.

Lady … Erk. Elle avait toujours détesté ces marques de noblesses qu’on attribuait encore aujourd’hui, on est plus au Moyen-âge et même si sa famille semblait l’avoir oublié, les titres de noblesses avaient peut-être encore un peu d’influence en Angleterre mais il fallait se rendre compte que dans le monde entier, mis à part être prit pour des pédants nés avec des cuillères en or (oui tout a fait) dans la bouche, cela ne signifiait rien d’autre. Jules ou Gabrielle comme vous préférez, tira de nouveau sur sa cigarette attendant que la voix douce se fasse entendre, à la limite de la mièvrerie à son avis.

▬ Gabrielle ? Où êtes-vous ? Vous avez disparu du jour au lendemain ! Rentrez immédiatement !

Oui, où es-tu qu’on vienne te chercher pour te ramener à la maison te passer un savon et t’envoyer dans le fin fond de l’Angleterre pour que tu ne fasses du mal à personne. Rentre à la maison, dans ce petit confort que tu n’aurais jamais dut quitter, dans ce cocon qui protégeait si bien la famille de la réalité existante. Ah oui, au fait elle allait bien.

▬ Je ne rentrerais pas mère. Vous le savez parfaitement.

Elle imaginait parfaitement sa mère lady Anastasia, parfaitement coiffée, dans une petite robe parfaite, triturant de ses ongles parfaits son collier de perle comme à son habitude lorsqu’elle était anxieuse. A première vue la famille Hendrick était la famille parfaite, entre Alexander deuxième du nom siégeant au parlement, propriétaire d’un hôtel particulier en plein centre de Londres ainsi qu’un château en Ecosse et une maison de campagne en Irlande du Nord. Marié à une russe cousine au énième degré de l’ancien tsar, un beau pédigrée ma foi. Ils vécurent heureux et eurent trois enfants, Alexander troisième du nom (pour faire dans l’originalité) actuellement en cursus de sciences politiques à Oxford, suivi de près par Elianne qui quant à elle à préféré se consacrer aux études littéraires avec brio. Enfin on avait Gabrielle, elle, le vilain petit canard de la famille dont les seuls passe-temps était de fumer, boire dans des soirées de dépravés, qui savait mentir comme personne et qui plumait tout le monde au poker. Amen. Famille idéale, on aura vu mieux.

▬ Vous savez parfaitement que le mieux pour vous c’est de rentrer. Croyez-vous que c’est une attitude de partir sans donner d’explication en vidant les comptes en banques, en ne nous laissant aucune nouvelle ? Un tel comportement n’est pas digne de vous Gabrielle.

▬ Arrêtez votre baratin, je ne suis pas digne de cette famille que vous semblez idolâtrer. Les explications vous les connaissez parfaitement ne vous voilez pas la face, vos rides apparaitront plus vite. La seule chose dont je peux m’excuser ce sont pour l’argent, je m’excuse d’avoir vidé quelques uns de vos comptes, enfin ce ne sont pas quelques milliers qui vont changer votre vie.

Gabrielle avait toujours été la seule à prononcer des phrases pareilles, à se révolter contre la richesse familiale, la seule à ne pas suivre la voie qui lui semblait toute tracée, la seule de sa famille à gueuler contre cette guerre qui se préparait, à gueuler face à tous ceux qui se la fermait. La voix de sa mère légèrement tremblante laissait apparaître un léger accent russe qu’elle essayait de cacher à tout prix surtout par les années sombres qui s’annonçaient.

▬ Gabrielle ne faites pas votre enfant. Vous savez qu’en plus par les temps qui courent, avoir du sang russe n’est pas très bon. … Revenez … pour votre père.

Pour votre père, la phrase à ne pas dire. Comme si maintenant il en avait quelque chose à faire d’elle. La réaction de Gabrielle ne se fit pas attendre, en quelques secondes les vitres de la cabine explosèrent en éclats sous le regard médusés des quelques timides passants. Elles avaient explosées littéralement provoquant un bruit monstre. Se mordant les lèvres de n’avoir put se retenir, la jolie brune passa une main dans ses cheveux bouclés, écrasa sa cigarette sous son talon avant de dire d’une voix glaciale :

▬ Je dois y aller, de toute façon j’ai plus de monnaie.

Comme adieu, on avait vu mieux certes. Désormais Gabrielle n’existait plus, faites place à Jules.