Aaron avait une notion toute particulière du temps. L’avance ou le retard ne comptaient pas pour lui. L’essentiel était de partir lorsqu’il était psychologiquement et physiquement prêt à s’ouvrir sur le monde extérieur. Enfin bon, tout ça c’est bien joli à dire mais quand on avait pas encore décuvé de la veille, c’est pas une simple « Salutation au Soleil » qui va enlever la gueule de bois.

Enfin bon. Il payait le prix d’être un boute-en-train. Pensant faire plaisir à ses nièces, il avait organisé une boum. Et attention, pas de la boum de tapette. Ballons et confettis à gogo. Si Calypso avait fait l’effort de mettre un chapeau pointu, il n’en allait pas de même pour Callisto. Et ce n’est que face à leur manque évident d’enthousiasme qu’il réalisé qu’il était arrivé une vingtaine d’années trop tard, comme le lui rappela l’ainée des deux sœurs de manière acerbe. Finalement, la soirée s’acheva devant le bêtisier de l’été, entouré de canettes de bière.

Et c’était la même douce et charmante jeune femme qui s’était chargé de son réveil. Hop là que je te fous la lumière d’une blancheur insupportable dans la tronche en ouvrant grand les rideaux puis la fenêtre avant de tirer la couverture. A sa décharge, il fallait bien avouer qu’elle avait tout déjà tenté auparavant pour le tirer de son lit. Le réveil King Size, les cris hystériques, les claquements de portes, rien n’y faisait.

Tout ça pour dire qu’il avait pris son temps. Trainé devant la télé, trainé dans la cuisine, trainé dans à peu près toutes les pièces de l’appartement. Et puis finalement, à la dernière minute, un rayon de lumière. Un rayon de lumière émanant presque miraculeusement de la baie vitrée qui illuminait son sac de sport vaguement préparé. Il avait toujours trouvé le Yoga très…Groovy. Notamment en raison des filles de rêve sur le câble dans leurs positions exotiques. Mais c’était un tout autre débat.

Il jeta un coup d’œil à l’adresse. Lui qui ne connaissait encore rien à la ville de New York, ça promettait d’être mouvementé. Bah, il se trouvera surement, dans cette jungle urbaine, une personne prête à lui venir en aide. Oui, Aaron était un doux rêveur.

Et ses illusions s’évanouirent bien vite aussitôt le pied posé dans la rue. En a peine quelques minutes, il n’avait déjà plus assez de doigts (même en utilisant ceux des pieds) pour compter les vestes et autres brises d’été qu’il s’était prise en tentant de demander son chemin. Il avait beau se regarder dans les vitrines, aucun troisième bras ne lui était poussé nulle part. Goddamnit, il n’avait même pas de persil coincé entre les dents. Ces new yorkais ne tournaient vraiment pas rond.

Regardant le nom des rues, au cas ou par extraordinaire un nom lui serait familier, il n'eut pas le temps d'éviter la silhouette qui marchait d'un pas décidé dans sa direction. La collision fut inévitable, tout comme le bleu qui ne tarderait pas à orner son menton.

-AIE !!! Fichtre que cela fait mal !!

Grimaçant, il baissa les yeux et eut une charmante surprise. Une femme jeune, svelte et brune, les mains gantées, s'affairait à ramasser ses affaires. De bon coeur, il lui tendit la main pour se relever.

-Désolée de notre collision ! Rien de cassé ?

- Je pense que je survivrais, mademoiselle...?

Une feinte vieille comme le monde pour obtenir le nom de quelqu'un. Mais visiblement, la jeune femme y resta insensible puisqu'elle enchaîna aussitôt, sans même se soucier de sa réponse.

-Ce n’est pas que je sois pressée mais je suis pressée j’ai un cours dans moins de deux heures !

Sautant sur l'occasion, il prit derechef le bras de la malheureuse en lui emboîtant le pas. Aurait il été un peu plus empathique et attentif, il aurait surement ressenti chez sa "toute nouvelle amie" comme une étrange crispation. Mais voilà. Le fait était qu'Aaron était un texan qui avait toujours vécu dans la même ville depuis sa naissance. Aussi, la notion de 'personal space' était elle très vague chez lui.

- Quel heureux hasard! La vie est si bien faite. J'ai également un cours. Vous avez déjà essayé le yoga? Non? Bon, ben rien ne nous empêche de chercher le chemin ensemble non?

La question de savoir s'ils étaient dans le même club ou même si la jeune femme désirait sa compagnie ne lui avait pas effleuré l'esprit. Ou si tel était le cas, il faisait de son mieux pour l'ignorer.