Keira pris le service vers 18 heures, habillée d’un simple chemisier rouge et d’une jupe moulante blanche, elle noua le tablier à sa taille. Rouge le tablier, blanc les souliers, les cheveux impeccablement coiffés mais pas noués : elle savait comment obtenir des pourboires. Et un complément de salaire était toujours le bienvenu. Keira était typiquement la serveuse mignonne, voir sexy et surtout toujours souriante. Même quand elle remettait les gens en place, y compris son patron.

Elle attrapa une bière et la servit au pilier de comptoir avec une rondelle de citron :

« - Je sais que vous la préférez comme ça !
- Oui, mais le patron trouve que ça tue le goût ![/color]
- Je ne suis pas le patron, moi je suis là pour vous servir ce qui vous fait plaisir…
- Y devrait embaucher plus souvent des jeunes femmes charmantes comme vous ! »

Jeune femme, c’était vite dit. A son âge on n’était plus vraiment tout à fait jeune. Mais enfin elle sourit à l’habitué et retourna prendre sa place derrière le comptoir ; sous le regard réprobateur du patron.

« - Vous n’êtes pas obligé de fricoter avec tous les clients !
- Je ne fricote pas, je suis commerçante !
- On ne fait pas commerce du cul ici, ça c’est au bar playboy, je vous verrais bien le cul à l’air en tenue de bunny.
- Alors je tiens à préciser, que les bunny batifolent chastement avec les clients pendant le service mais n’ont pas le droit de fricoter après le service… c’est tout le contraire de ma technique, je batifole pendant et je baise après.
- Pas étonnant que vous ne trouviez pas de mari avec un vocabulaire aussi élégant.
- Je me mets à votre niveau patron. Mais j’ai fait des études je peux vous parler de coït et de copulation et de tout un tas de choses très ennuyeuses.
- Fermez votre bouche et vos cuisses et travaillez un peu !
- Ca risque d’être compliqué de faire les trois en même temps ! »


La jeune femme se moqua ouvertement du Patron, se déplaçant tel un pingouin les cuisses serrées jusqu’à la table où un client venait d’arriver, et mima quelque chose comme « je vous sers quoi ? » mais sans remuer les lèvres. Le patron arriva en furie, pris la commande et la traina derrière le comptoir. Keira était consciente d’avoir abusé.

Mais lorsqu’elle était arrivée au début de la semaine, l’homme avait déjà commencé à l’asticoter, se moquant de son âge et de sa situation non marital, insinuant que cela devait cacher quelque chose… elle l’avait ignoré, sans aucun état d’âme et sans s’en offusquer. Lorsqu’elle avait commencé à sympathiser avec les clients, juste pour le plaisir de bavarder, il l’avait regardé d’un œil réprobateur et lui avait glissé quelques mots à base de « les filles biens ». Keira était une fille très bien à son propre goût. Et au goût de certains des clients. Elle était célibataire, et un peu de drague n’avait jamais nuit à personne.

Il avait alors commencé à être beaucoup moins sympathique le patron, en utilisant des mots aussi charmant que cette trainée de nouvelle serveuse. Après tout c’était lui le chef et elle pouvait bien le laisser dire du moment qu’elle récupérait son argent. Et qu’elle ne faisait rien de mal sur son lieu de travail. Mais ce soir c’était trop, elle était lasse d’écouter ses paroles de vieux con rétrograde et c’était son dernier jour, elle avait été payée… elle pouvait partir s’il devenait trop pénible.

Le Patron l’amena donc derrière le comptoir dans un angle discret de la pièce, hurla quelques mots sur la respectabilité de son établissement et leva la main sur la jeune femme. Erreur grave, Keira n’était pas une de ces douces demoiselles faite de sucre. Elle arrêta le bras en plein vol, y enfonçant ses ongles longs et sans ménagement le lui tordis.

« - de deux choses l’une, je ne suis pas une trainée parce que je décide de vivre ma vie comme n’importe quel homme peut le faire sans qu’on lui en tienne rigueur, et des deux, la respectabilité de votre établissement est à peu près à l’égale de votre intelligence. Autant dire que le président ne viendra pas diner ce soir. Maintenant vous allez me laisser bosser sans m’insulter, profiter de toutes les consommations supplémentaires que j’ai fait vendre cette semaine. Ne soyez pas ingrat. J’ai été payée, rien ne m’empêche de partir maintenant. Ah oui, et si vous levez encore la main sur moi, vous pouvez être sûr que je saurais m’occuper de vos couilles. Je viens de la campagne et je sais me servir d’une pince à émasculer les bœufs. »

Lissant les plis de sa jupe et de son tablier, la jeune femme afficha un beau sourire sous les yeux écartillés du patron, et s’approcha vers la table du dernier client arrivé.

« - Bonjour monsieur, je peux vous servir quelque chose ? – elle eut un petit rire espiègle – à moins que vous ne veniez ici juste pour admirer le décor ? » Décidemment songea-t-elle, les phrases toutes faites étaient vraiment stupides… et elle était surement très fatiguée pour le dire si ouvertement.

S’il était déjà saoul ? Sans aucun doute. Son état d’alcoolisme semblait d’ailleurs aller en aggravant depuis quelque temps. Depuis que ses querelles avec l’Homme Mystère le dérangeaient. Depuis que ce dernier le harcelait littéralement au téléphone pour le convaincre de décrocher du Club. L’odeur du vin et du whisky collait à ses plumes comme une malédiction Inca. L’incompréhension était complète. N’était pourtant pas lui qui, au tout début, l’avait encouragé dans cette voix ? Pourquoi vouloir sauver le Damné aux ailes de corbeau à tout prix puisqu’il l’avait lui-même lancé et introduit en Enfer ? Brutal, il avait raccrocher le téléphone en pestant, jurant et maudissant tout ce qu’il y avait de plus sacré sur cette terre, sans se préoccuper d’autre chose que de lui-même, son ego surdimensionné l’obligeant à ne se soucier de rien d’autre que sa propre personne, aussi confus dans la boisson puisse-t-il l’être.

Pour une rare fois, il tenta de se ligoter lui-même, retenir toute la puissance contenue dans cette unique paire d’ailes qui ornait son dos tatoué. Des sangles improvisées en cuir, retenue par ses épaules, à la manière d’u sac de voyage, les maintenait tant bien que mal en place, bien qu’il trouva ceci particulièrement désagréable et agacement. Il voulait sortir et c’était probablement l’unique moyen pour lui de paraitre un minimum normal malgré la déformation que ceci créait dans son dos. Tant pis, se ne serait que pour quelques heures, le temps de dire ouf et il serait revenu. Il passa donc un jeans plutôt sobre et un haut de toute évidence trop grand pour lui normalement. Mais le choix n’était pas. Il enfila un manteau long et sorti en coup de vent de son immeuble avant de rejoindre la rue publique d’un pas des plus décidés. L’avocat ne craignait rien ni personne habituellement et s’il était accoutré de la sorte, ce n’était pas par peur. Ce n’était que pour la tranquillité, dans l’unique but de ne pas rameuter toute la ville à ses trousses parce qu’il n’était pas dans leurs normes. Non, mieux valait pour sa santé de rester le plus discret possible.

Dès que le grand blond mis les pieds dans ce bar, il fut aussitôt accosté, la porte franchie. Il craint un court instant avoir déjà été repéré, mais apparemment, ce n’était absolument pas le cas. La gamine tout juste majeur semblait chercher autre chose, qu’il comprit toutefois bien assez tôt. Mais les jeunette dans son genre l’exaspérait particulièrement et il ne se fait pas attendre pour se faire comprendre d’un regard particulièrement horripilé avant de la repousser et de se glisser dans la masse de gens, sous l’étourdissante musique habituelle, l’odeur de tabac flottant dans l’air, le parfum de l’alcool qui semblait déjà coller à ses vêtements et à ses plumes comme une pandémie contagieuse.

Il se glissa à une table, en grand solitaire qu’il était, et balaya la pièce d’un regard froid, mais curieux, jusqu’à ce qu’il perçoive quelques éclats de voix qu’il ne parvenait pas vraiment à comprendre, mais dont le ton était franc, clair et probablement rempli de reproche. Enfin quelque chose d’amusant et d’intéressant à se mettre sous la dent. Lorsque la jeune femme, non pas furie, mais plus posée que ce qu’il aurait pu croire sortie enfin de derrière le comptoir pour prendre la direction de l’Ange Noir, il ne pu faire autrement que sourire de manière plus carnassier que ce qu’il aurait vraiment voulu. Il darda son regard d’acier sur elle jusqu’à ce qu’elle ne décide de prendre la parole devant l’avocat. Il n’y avait en vérité que les serveuses, justement, qui osaient réellement faire les premiers pas devant lui. Les gens se tenaient généralement à distance devant le Corbeau. À croire qu’il donnait une forte impression sur eux. Une désagréable impression, même, sans doute.

« Un décor rustre, trop sombre. L’odeur qui y plane peut être agréable, mais trop à l’image d’une taverne. Il n’y a pas d’intérêt au décor si ce n’est de vous qui vous baladez à l’intérieur. »

Le sourire carnassier devint plus provocateur, cette fois. Il ne cherchait rien de très particulier, mais l’alcool lui était déjà monté au nez plus tôt, bien qu’il n’en laissa rien paraitre, son don d’orateur toujours aussi implacable.

« Surprenez-moi. »

Commande parfaite pour attiser quelque chose qui n’existait pas forcément. Même si le grand blond n’avait pas forcément l’habitude de fricoter avec le genre féminin, rien de telle qu’une sauvage assez téméraire pour l’affronter sans politesse pour l’amuser.

Keira planta ses grands yeux bruns dans ceux du client. Elle n’était pas impressionnée, des hommes comme lui, sûrs d’eux, passablement soûl s et probablement plus fort qu’elle, elle en avait vu beaucoup. Elle ne s’attaquait jamais à eux comme elle l’avait fait avec le patron braillard. Cependant elle jouait avec et n’hésitez pas à répondre. Avait –on jamais vu une gazelle s’arrêter en pleine course pour laisser le Lion la déchiqueter ?

L’homme n’était pas à proprement parlé beau. Il se tenait d’une façon bizarre pour commencer. Et son visage était sombre, le sourire qu’il lui avait lancé était tout sauf avenant. Peut-être aussi pour cela qu’elle avait comme l’envie de mordre ses lèvres hautaines, animales, qu’elle devinait souvent emprunte de mépris. Mais quelque chose de puissant et de sombre émanait de lui, quelque chose qui valait le coup de jouer le jeu sans tourner les talons. Ce n’était malheureusement pas la seule chose qui émanait de lui... Il évoqua l’odeur qui planait à l’image d’une taverne dans les lieux, l’homme lui rappelait plutôt un tonneau d’alcool. Il était dommage de laisser un si petit détail gâché la discussion. Elle s’en occuperait une fois qu’elle serait tranquille.


- Il est évident que dans cet endroit morne, n’importe quelle donzelle apporterait une touche de distraction. Vous avez de la chance, je ne suis plus une donzelle qui perd ses mots au premier compliment… et je suis tout à fait prête à me balader dans ce sombre décor.

Et pour sûr, personne ne pouvait la manquer, avec ses cheveux roux et sa tenue rouge, il aurait fallu être aveugle. Elle devinait dans son dos le regard désespéré du patron, probablement choqué par des propos indignes d’une jeune fille. Il lui sourit à nouveau avec cette étrange lueur dans le regard.


- J’espère que vous êtes vraiment sûr de vouloir être surpris. Je ne traiterais pas votre demande par-dessus la jambe. Bien que je sois assez souple pour le faire ne vous méprenez pas.

Sans plus de cérémonie elle quitta la table et retourna derrière le bar. Elle observa quelques instants son hôte. Elle ne fera pas un cocktail sucré, même si ça le suprendrait sûrement, il n’était probablement pas le genre d’homme à aimer ça. Le gin, le vin et autres spiritueux tout ça était vu et revu. Elle avait bien une idée… et s’il y avait bien une chose qu’on ne pouvait pas reprocher au patron c’était l’achalandage extra de son bar.

Elle attrapa une bouteille de jus de tomate et la fit couler dans le shaker. Elle ajouta une dose de vodka conséquente, suffisamment pour qu’on la sente, mais pas assez pour tuer un foie. Elle ajouta une bonne pincée de gingembre frais et très épicé, et des glaçons. Elle secoua le tout. Elle versa le liquide dans un grand verre à cocktail et ajouta un filet de sirop de basilique et quelques feuilles de menthe.

Elle trempa sa cuillère dedans et gouta : exactement ce qu’elle souhaité, fort, légèrement salé, à la fois chaud grâce aux épices et à l’alcool, mais rafraichissant grâce au basilique et à la menthe. Certainement pas pour les gorges sensibles. Mais elle était persuadée que monsieur ne se contentait pas seulement de jouer les durs.

Elle nettoya le shaker et s’occupa en même temps du problème précédemment évoqué… elle se concentra sur l’air ambiant, son parfum chargé des odeurs de la journée et murmura « du frais ». Imperceptible, un courant d’air frais s’engouffra sous la porte d’entrée. Elle attrapa le plateau et posa le verre dessus et l’apporta sur la table dans une démarche chaloupée.


« - Surprise – Murmura-t-elle »

Le sourire qu’il affichait ne se ternissait pas un seul instant. Un sourire qui se fit tout aussi provocateur que méprisant, cette fois. Elle n’avait pas très bien comprise le sens subtil de sa répartie, de toute évidence. Tant mieux si elle ne s’en choquait pas. Mais Nathaniel ne complimentait jamais. Or il ne pouvait s’empêcher de trouver sa réaction des plus intrigantes et amusantes. Elle ne semblait pas avoir perçu son ton mordant comme une insulte, bien qu’il ne s’agisse pas de cela non plus.

« Ce n’était pas un compliment, mais ravi que vous le preniez ainsi.» ne pu-t-il s’empêcher de dire, sans toutefois prendre la peine de souligner de quoi il pouvait bien s’agir exactement. Si elle était jolie, elle n’était pas merveilleusement aguichante. Ce n’était pas son genre. D’ailleurs, quel était vraiment son genre, s’il en avait un du moins ? Plus blonde ? Plus brune ? Plus grande ? Plus… mordante ? Il avait malgré tout apprécié le caractère dont elle faisait preuve face au simple client qu’il était à ses yeux. À vrai dire, il trouvait dommage de voir ces qualités précises se balader vainement dans le bar le plus puéril qu’il connaisse. Non pas qu’il n’était pas qualifié à ses goûts parfois minables, mais dans son cas à elle ? Bien entendu, il ne disait à personne quoi faire, encore moins à la poule qu’elle semblait vouloir faire croire qu’elle était, comme un rôle qu’elle se donnerait ici. Il se contenta de garder le silence. Un regard perçant suffisait pour lui répondre. Soit. Qu’elle se donne des aires ne le dérangeait pas, bien au contraire. La découverte, l’étonnement face à ce qu’elle semblait vouloir tramer face à sa demande ? Pas du tout. Mais le grand blond sentait qu’il mettait le pied sur une route qu’il avait toujours eut du mal à franchir. À l’époque de sa jeunesse, c’était chose facile. Mais ça faisait déjà un moment qu’il n’avait pas chercher à attirer une mouche dans sa toile.

Nathan ne pouvait s’empêcher de se dire que le langage employé n’était pas digne de la gens féminine. Ce n’était sans doute que pour l’ambiance décontractée du bar qu’elle cherchait à entretenir. Mais un brin de provocation se faisait sentir. Non pas à son égard et c’était justement ce qui le faisait le plus sourire dans cette situation quelque peu absurde. Absurde et surtout particulièrement controversée, contre toutes les attentes qu’il aurait pu avoir avant d’atterrir dans ce nid de couleuvres. Ou devrait-il plutôt changé son opinion et supposé qu’il s’agissait d’une couveuse humaine. Effectivement, pas de signe précurseur de mutant à l’horizon. Peut-être étaient-ils trop timides ou réellement inexistant en cet endroit puant la sueur humaine ? S’il trouvait la compagnie si désagréable, alors pourquoi rester ? C’était bien ce qu’il se demandait, au fur et à mesure que le temps passait, se disant que la ‘’Donzelle’’ s’amusait un peu trop avec ses nerfs en le faisant patienter plus qu’il ne le fallait. Certes, s’il avait demandé à être surpris, il n’avait pas demandé une attente interminable.

Il sentit les muscles se tendre dans son dos, serrant contre les sangles qui enserrait les ailes de corbeaux. C’était amusant comme ce seul accessoire lui rappelait le faible angelot blanc qu’il avait croisé. Bien sûr qu’il se sentait un peu ridicule dans cet accoutrement et pas spécialement à l’aise. Ça devait être plus visible que ce qu’il l’aurait voulu d’ailleurs, installé d’une drôle de position sur sa chaise, ne pouvant décemment pas s’asseoir directement sur les ailes d’os, de muscles et de plumes, il se blesserait plus qu’autre chose. Non, il était décidément beaucoup plus à l’aise sans rien, aucun tissu ou quoi que ce soit pour brimer ses liberté, raison pour laquelle il passait, libre et seul, le plus clair de son temps à moitié nu, le haut du corps sans la moindre restriction. Le cuire le brulant, le démangeant, il grommela quelque mots incompréhensible, se redressant tant bien que mal dans un soupire d’agacement. Il n’avait de toute façon pas l’intention de s’éterniser ici. Et parlant de s’éterniser, il fut contraint de reporter son regard d’acier sur la rousse qui revenait dans sa direction. Il lui décrocha cette fois un sourire beaucoup moins glacial, en guise de remerciement rapide et parfaitement discret avec avant de lui sortir ni vue ni connu un billet d’il ne savait quoi exactement, sans doute un moment d’argent bien trop élevé pour le tari normal de cette… chose qu’elle posait devant lui… Mais l’avocat avait tout pour se le permettre, à dire vrai…

« Gardez la monnaie. »

Il hésita un instant, bien que l’expression et le regard qu’il affichant n’en disait rien. Un parfait contrôle de lui-même. Trop peut-être. À un tel point qu’il avait complètement fait disparaitre ce qu’il avait pu être par le passé.

« Je vous proposerais bien de prendre un verre en ma compagnie, mais votre patron vous tue du regard. »

Il ne pouvait s’empêcher de remarquer. Il n’était pas bête, pas le moindre du monde, et bien au contraire, il semblait même s’en amuser bien plus que voulu. Ou peut-être cherchait-il seulement à attiser le caractère de la jeune femme, simplement pour découvrir ce qu’il en était avec elle ?

Keira répondit simplement « Je prends les choses comme elles viennent.». Et compliment ou pas, ses mots ne l’avaient pas blessé. Elle considéra l’homme quelques instants : il ne semblait pas plus à sa place dans ce bar qu’elle ne l’était elle-même. Physiquement, il n’était pas à jeter, très blond, probablement fort à en juger par sa corpulence, et surtout imposant. A sa manière d’observer, de parler, de se mouvoir, elle pouvait deviner qu’il ne faisait pas partie des petites gens qui venaient échouer ici. Il était probablement quelqu’un d’important. Mais à aucun moment elle ne vint à penser qu’il était quelqu’un de bien. Peut-être l’instinct ? Néanmoins elle n’était pas une blanche brebis non plus...
Elle fronça les sourcils lorsqu’il lui tendit un billet bien trop gros pour un cocktail accompagné d’une demande certes intéressante, mais pas contre de l’argent. Ce n’était pas son genre. Alors, elle rendit la monnaie, prenant néanmoins un pourboire de 10% comme la tradition le suggérait.

« Vous n’avez pas encore touché au verre, me donner une telle somme peut être inappropriée, si le breuvage ne vous sied pas. »

Elle sourit imaginant des balles sortir soudainement des orbites du patron, après tout elle pouvait bien faire causette aux animaux, peut être que d’autres pouvaient tuer avec les yeux… mais une chose était sûre pas le patron !

« Et bien je crains n’avoir encore jamais entendu parler de personnes tuées par un regard… Et tout bien considéré, s’il pouvait me tuer avec ses yeux je serais morte depuis longtemps. J’accepte néanmoins votre offre, c’est mon dernier jour ici et je fais la fermeture… »

Elle le supposait suffisamment intelligent pour comprendre de lui-même ce qu’elle entendait par là : un grand bar plein d’alcool et vidé des clients et du patron.

D’ailleurs celui-ci devait fermer plutôt aujourd’hui pour aller récupérer sa charmante serveuse habituelle à la gare, elle n’avait pas bien compris si c’était sa femme ou sa fille, mais il l’avait suffisamment bassiné avec cette fille bien, ou plutôt bien mieux qu’une quelconque autre fille sur terre. Elle s’éloigna quelques instants de la table pour encaisser les dernières consommations, le patron signifiant aux habitués qu’il n’allait pas tarder à fermer. Il lui indiqua où cacher les clés du bar avant de partir, puis quitta les lieux.

Elle attrapa un verre de gin, et s’assit en face du client. Avec un sourire malicieux, elle lança :

« - Que fait un client si argenté dans un bar comme celui-ci ? »
On lui avait posé la question tant de fois cette semaine, qu’elle se faisait un plaisir de pouvoir la retourner à quelqu’un.

Il fit teinter les pièces de monnaie au creux de sa main, dardant un regard curieux sur la jeune femme, réfléchissant pour lui-même. C’était toujours quelque chose de particulièrement intriguant pour lui, analyser les diverses réactions toutes plus humaines les unes que les autres. Elle aurait facilement pu se remplir les poches avec un unique client et préférait se contenter d’une honnêteté un peu trop mal placé à son goût. Et d’un autre côté, elle ne s’amusait pas de lui, ne profitait pas non plus de la chance, dieu seul savait à quel point il n’était pas toujours aussi clément, qu’il lui offrait en cette soirée si peu palpitante. Il lui décrocha un nouveau sourire carnassier, n’appartenant qu’à lui. Il était vrai que beaucoup feintait la vérité en employant un comportement hautain, froid, acide. C’était heureusement (ou pas) pas son cas et il se montrait réellement sous un angle terriblement peu aimable, bien qu’il ne se montrait pas spécialement désagréable non plus vis-à-vis d’elle. Flairait-il quelque chose ? N’était-ce que l’ivresse qui s’emparait de ses sens ?

Ravis toutefois qu’elle accepta son invitation, il se contenta de garder un silence pesant. Il lui donnerait le loisir de discuter en sa compagnie plus tard. Il fixa son regard sur son verre qu’il s’enfila bien rapidement, après un court moment de réflexion. Le grand blond avait pour habitude de se tenir éloigner de tout ce qui concernait la gente féminine et, pour dire vrai, il n’était pas celui qui attirait plus les femmes, loin de là. Il avait même plutôt tendance à les agacer par son manque de tact, de séduction ou était-ce son côté trop direct et peu enclin aux câlineries. Et elle n’était pas forcément la plus jolie qui soit non plus sur qui il pouvait tomber. Alors pourquoi s’attarder à elle ? Elle pensa d’abord que ceci était dû à son ivresse, qu’il ne voyait peut-être plus très clair et que la colère de la veille, les frustrations du boulot quotidien, tout ça avait fini par altérer sa vision des choses et qu’il ne faisait que prendre les choses de la manière dont elles se présentaient à lui, ce soir là sous un corps féminin qu’il ne connaissait absolument pas.

Lorsqu’enfin l’heure de fermeture sonna, que les lieux ses vidèrent, que les ivrognes filèrent recracher tout ce qu’ils avaient ingérés en une si courte soirée, il se permit enfin de s’installé plus confortablement, sentant toutefois les courroies de cuire désagréable dans son dos faiblir. En effet, l’imposante paire d’ailes ne lui permettait pas nécessaire de sortir habituellement et, pour une fois qu’il en avait l’occasion, il se rendait compte que les garder en prison lui était particulièrement horripilant.

Elle vint finalement prendre place face à l’Ange Noir qui se contentait toujours de ne faire que la suivre des yeux, sans daigner prononcer le moindre son, le moindre mot, observant, analysant ses moindres faits et gestes. Le linguiste parvenait généralement à comprendre les gens en les observant, leur non verbal parlant davantage que leurs mots risibles. Elle, elle voulait démontrer son assurance, lui signalant qu’il ne l’impressionnait pas. Et c’était bien tant mieux.

« Je n’aime généralement pas que l’on fourre son nez dans mes affaires. » déclara enfin l’avocat sur un ton des plus sérieux, bien que léger malgré les apparences. Évidemment, que croyait-elle ? Qu’il lui livrerait absolument tout de lui ? La raison de sa présence ne la concernait que trop peu et, de toute manière, il n’aimait pas parler de ce qui entrainait généralement le sujet à son métier.

« Toutefois, les changements à la monotonie sont préférables. Et les bas monde est plus simple à côtoyer, quoi qu’il en soit. Ne le prenez pas mal… Mais vous êtes, comment dire… Une perle à travers un tas de poussière. Je pourrais vous retourner la question… ? »