A QUOI J'ASPIRE DANS LA VIE ?
; NE DEPENDRE DE PERSONNE ET NE LAISSER PERSONNE DEPENDRE DE MOI.

A PART CALYPSO.

Elle n'avait pas dormi des jours. Nerveuse, ses doigts jouaient avec un stylo d'une valeur inestimable. Stylo volé à son père, jeté dans une trousse miteuse et traîné dans toute la fac de droit. Des centaines de dollars pour le droit pénal, civil, ou encore pour quelques gribouillis dans le coin d'une feuille. Non, Callisto n'avait aucun respect d'aucune sorte pour les affaires de son défunt géniteur. Elles traînaient au milieu des siennes, désacralisées. Elle s'était approprié tout ce que l'héritage familial lui avait légué. La partie concernant sa soeur était à la banque, sous scellé, et Callisto veillait bien à ce que personne n'ose ne serais-ce que réclamer le butin.

Elle jeta un dernier regard courroucé à la tige noire qui avait perdu toute sa fonction, devenu baguette entre ses mains pâles. Puis, l'espace d'un instant, elle songea à le convertir en fléchette pour le lancer au travers de la pièce. Elle préféra cependant le reposer sur la surface polie de son bureau. Les feuilles de ses cours étaient étalées au petit bonheur la chance, tantôt entrecoupées d'un dossier ou d'un livre épais comme un grimoire. Mais ses pensées n'allaient pas du tout vers ce qu'elle étudiait, contrairement à ce qu'elle tentait de faire croire à sa petite soeur depuis quelques jours. Elle pensait à son petit-ami. Ou plutôt, son fiancé.

Samuel. Elle l'avait choisi dans les hautes sphères new-yorkaises. Il était beau, il était riche, et avait juste ce qu'il fallait de gentillesse et de galanterie. Le choix était stratégique. Et uniquement stratégique, car la jeune femme n'avait que faire des sentiments. Elle se sentait investie d'une mission bien plus importante, celle de maintenir ce qu'il lui restait de famille en place, sans que l'on ne découvre les dons, ou malédictions, au choix, qu'elle partageait avec Calypso. Elle se devait de les cacher toutes les deux aux yeux du monde. Et c'était une mission pour le moins périlleuse. Car si elle avait appris au fil du temps à contrôler ses pouvoirs, sa petite soeur semblait au contraire perdre les pieds au cours des années. Et c'était elle, en grande soeur responsable, qui passait nettoyer les pots cassés par la jolie brune.

Mais aujourd'hui, il n'était pas question de Calypso, ni même d'elle. Il s'agissait bien de Samuel, Samuel qui commençait à comprendre la mécanique qui animait l'étrange et singulière famille Amberfield. Une mère disparue trop tôt, un père suicidé dans de mystérieuses conditions, et surtout la façon dont on ne résistait pas aux deux sublimes jeunes femmes. Lui-même n'en faisait pas les frais, mais Callisto avait senti dans son regard une certaine appréhension depuis quelques semaines. Il essayait sans cesse de ramener d'étranges sujets sur le tapis, doutait de ce qu'elle faisait, et elle le suspectait même d'avoir engagé quelqu'un pour glaner des informations sur elle.

Le problème était apparu depuis sa demande en mariage. Sans grand enthousiasme, Callisto avait répondu oui. Après tout, ils étaient jeunes, riches, et lui était fou amoureux. Il la considérait comme la femme de sa vie, aveuglé par l'amour qu'il lui portait. Il ne semblait pas distinguer ce qu'il se cachait sous le vernis à cet époque. Mais ce oui, un peu trop froid, un peu trop désintéresse, lui avait douloureusement ouvert les yeux sur celle qu'il jugeait comme la créature la plus parfaite jamais faite sur cette terre. Le charme qu'elle dégageait, le peu de gestes qu'elle avait pour lui, tout ça lui paraissait disproportionné. Contrôlé. Malsain.

Et la blonde l'avait lu dans ses yeux à la minute même où il avait réalisé qu'en vérité, l'amour qu'il lui portait n'était peut-être pas de l'amour. Peut-être étais-ce un peu plus compliqué que ce que les autres, là dehors, éprouvaient. Peut-être était-il sous un charme qui n'avait rien d'humain. Alors était née la crainte, l’inquiétude, le doute. Il avait douté de lui-même pour finalement douter d'elle.

Et aujourd'hui, il touchait du doigt ce qu'elle avait enfermé sous clef, jeté à l'océan. Un secret froid et familial, une épave glauque à mille lieux sous les mers. Alors Callisto avait dû faire un choix. Un choix éprouvant, qu'elle avait déjà fait une fois auparavant. Mais il s'avérait que cette fois-ci, il était beaucoup moins difficile pour elle de voir la vérité en face. Il n'y avait qu'un moyen de se sauver, de sauver Calypso, si fragile, si petite au milieu de tout ces requins. Elle avait pour mission de la protéger, elle, le seul rempart entre la brune et le monde extérieur.

Et si Samuel devenait gênant, il irait rejoindre ces autres qui avaient eux aussi failli détruire le délicat équilibre que Callisto avait réussi à instaurer dans leur existence. Elle regarda l'heure et le lourd téléphone qui trônait sur le bureau. Elle avait donné rendez-vous à son fiancé, là dehors. Sous prétexte de devoir éclaircir les choses entre eux. Dehors la neige commençait à tomber, emportant avec elle les bruits de la ville, les noyant dans le coton blanc qui couvrait New-York chaque Noël.

La blonde se leva enfin, enfilé un épais manteau à la hâte ainsi que des gants en cuir avant de quitter la maison. Elle n'avait pas beaucoup de trajet à faire, mais le peu de pas qu'elle devait aligner lui paraissaient un trajet infini. Tuer n'avait jamais été agréable pour elle. Tuer ses proches encore moins. Elle n'en tirait aucun plaisir, aucune satisfaction. Elle l'avait fait par nécessité à chaque fois, quand il ne semblait plus y avoir d'autre issue possible.

Ses pas la menèrent jusqu'au lieu de rendez-vous. Un pont qui surplombait la mer. Le brooklin Bridge. Perturbé par la circulation. Samuel était déjà là, enroulé dans un long manteau noir. Il s'avança vers la jeune femme l'air de ne pas comprendre pourquoi elle l'avait convié dans un endroit aussi singulier. Le regard de Callisto erra un peu autour puis elle poussa un soupir lourd de significations. Le jeune brun s'était avancé vers elle, les sourcils froncés.

" Samuel. Je suis désolée. "

Le jeune homme fronça les sourcils et la regarda un peu plus intensément. Dans son esprit, les pièces manquantes du puzzle de la logique s'étaient assemblées. Il lui sembla que pendant une seconde, il perçut enfin une émotion dans les yeux de celle qui devait devenir sa femme. Le regret. Il recula, mué par un instinct soudain.

" Il faut que tu sautes du pont. J'aurais aimé que les choses se passent autrement mais il n'y a pas d'issue plus sûre."

Les yeux du jeune homme s'écarquillèrent. Elle avait toujours vu que ses victimes se rebellaient contre ses décisions. Si leur corps ne répondait qu'à ses désirs, leur esprit lui était parfaitement conscient. Il se dirigea lentement vers la rambarde et l'escalada. Callisto ne voulait pas voir cela. Elle jeta un regard vers l'eau qui ruait sous le pont et se retourna, pour tomber nez à nez avec sa petite soeur. Cette dernière affichait un air horrifié, glacée par les évènements. La blonde ne sut quoi faire. S'excuser ? Non, elle avait eu raison. Sa bouche s'ouvrit puis se referma. Les mots lui échappaient les uns après les autres.

Et si pour elle les mots ne venaient pas, ils sortirent de la bouche de sa petite soeur bien assez vite.

" Mais qu'est-ce que tu as fais ? Callisto, qu'est-ce qu'il t'es passé par la tête ?! Tu l'as...tu l'as tué ! "

Là encore, elle ne savait que lui dire. Oui elle l'avait tué, et Calypso était la mieux placée pour savoir que c'était effectivement elle qui l'avait fait. Elles partageaient les mêmes pouvoirs, toutes deux.

" Il ne t'avait rien fait... Pourquoi ? Pourquoi, explique moi ! Réponds-moi !"

La blonde chercha dans la neige la bonne réponse, celle qui calmerait Calypso, qui la ferait retourner sagement à la maison, ne lui arracherait aucune larmes. Mais il n'y en avait aucune. Elle leva encore les yeux vers elle et se mordit la lèvre le plus fort qu'elle le pouvait, elle était au pied du mur.

" Il allait découvrir. Tout découvrir. Viens. On doit rentrer. Je lui ai déjà ordonné d'écrire une lettre chez lui, il y a deux jours. Il l'a laissée sur son bureau. Nous ne serons pas inquiétées et personne ne nous découvriras. Jamais. Je te le promets. Je l'ai fait pour notre liberté..."

Leur liberté. Un prix exorbitant.