« Ma vie est une routine ? Non, c’est pas vrai : je lis tout ce qui me tombe sous la main, je m’occupe de mes animaux, je monte des arnaques... Non, en fait, vous avez raison, ma vie est non seulement routinière, mais aussi ennuyeuse... Faut se faire une raison, je crois...»

Les journées sont longues, les nuits, encore plus...

23h30, un vendredi soir. A cette heure-là, la plupart des jeunes gens sont occupés, sans doute à se préparer, pour sortir. A moins qu’ils ne soient dans un bar, en train de boire un coup, avec leurs amis. Peut-être sont-ils au cinéma, à voir le dernier film dont tout le monde parle. Certains sont probablement en train de réviser pour des examens à venir, certainement avec des camarades, afin de rendre les révisions plus ludiques. Eventuellement, ils se trouvent à un repas de famille, dans lequel tout le monde est content de se revoir et de passer un bon moment ensemble.

Toutes ces activités de « groupe », somme toute, si banales, Nikolaï en était exclu depuis toujours. Se faire des amis quand la grosse majorité de la planète vous considère comme l’être le plus répugnant, détestable et haïssable qui soit, ça n’aide pas vraiment... Le seul point positif d’être ainsi reclus involontairement, c’est que l’on peut apprendre plein de choses, pour peu que, comme le jeune russe, on aime lire et développer sa culture générale tout seul, mais aussi se découvrir quelques talents.

Ce soir, comme tous les autres soirs, Nikolaï cherchait comment s’occuper. Les journées étaient longues, pour lui qui, bien souvent, passait des jours entiers enfermé dans son appartement. Mais, le pire, c’était la nuit. En effet, le jour, il se plongeait dans les nombreux livres qui se trouvaient dans sa grande bibliothèque, ou encore dans ceux qu’il empruntait à la bibliothèque (chose qui était assez rare.) Parfois, il jouait de la musique, ou s’exerçait, seul, bien entendu, au combat, afin d’extérioriser sa rage. Il testait ses capacités artistiques certaines fois, en prenant des photos depuis son balcon, et, depuis peu, il s’essayait à la peinture. Bref, il parvenait à s’occuper, étant du genre touche à tout, même si, bien souvent, il délaissait certaines activités, car elles finissaient par l’ennuyer, ou parce qu’il manquait de talent flagrant pour oser s’y améliorer....

Cependant, si, le jour, Nikolaï parvenait à s’occuper, la nuit, c’était une toute autre histoire... Le sommeil le fuyait des heures durant, car, son cerveau, inoccupé car ayant épuisé toutes idées d’activités pour s’affairer dans la journée, le guidait, sans qu’il ne le désire, dans les méandres de son passé. Et, ce soir, son cerveau était bien décidé à ressasser les instants que Nikolaï avait passés avec ses parents. D’aussi loin qu’il se souvienne, songea le jeune russe en se passant une main dans les cheveux, ses parents l’avaient toujours méprisé et même craint ! Pendant ses plus jeunes années, il avait fait de son mieux, pourtant, pour « gagner » leur affection. Il s’était toujours porter volontaire pour faire les tâches ménagères (genre mettre la table, la débarrasser, passer un coup de balai, bref, tout ce que certains parents peuvent parfois demander à leurs enfants d’accomplir à la maison...), avait toujours fait de son mieux pour rapporter de bonnes notes à la maison (en dépit du fait que ses profs ne le supportaient pas...), se montrait poli en toutes circonstances, et il s’était même plier de bonnes grâces quand ses parents l’avaient forcés à prendre des cours de piano (idée qui ne l’avait guère enchanté au départ, et qui, selon ses parents, devaient le rendre plus acceptable...). Mais, rien n’avait fonctionné : il n’avait jamais connu d’étreinte maternelle, de conseils paternels chaleureux, ni de compliments remplis de fierté parentale... Il avait vite abandonné, lorsqu’il avait prit conscience que ce rejet systématique qu’on lui offrait était dû à un pouvoir qu’il avait.

Lorsque Nikolaï prit conscience qu’il relisait la même phrase depuis près de 15 minutes, il décida d’abandonner sa lecture. Il délaissa son fauteuil, ainsi que les souvenirs qui l’assaillaient, pour se rendre vers une fenêtre de son appartement, celle-ci donnant sur la rue. Tout en tirant sur sa cigarette, il observa la danse nocturne des jeunes américains. Des bribes de conversation parvenaient jusqu’à lui, ainsi que leurs éclats de rire. Il ne put supporter ce spectacle bien longtemps, c’était bien trop douloureux pour lui. Ca ne servait qu’à lui montrer ce à quoi il n’aurait jamais le droit : des amis, des gens qui l’appréciaient et ne le comparaient pas, du plus profond de leur être, à un rejeton du diable... Il n’y avait que lorsqu’il était seul, chez lui, qu’il délaissait la carapace qu’il arborait en permanence, qu’il admettait alors qu’il souffrait des effets de son pouvoir. C’était durant ces instants qu’il se plaisait à croire qu’un jour, il trouverait quelqu’un qui l’accepterait, malgré son pouvoir. Après tout, la vie lui avait sourit une fois, par l’intermédiaire d’Anastasia, sa petite sœur, qui avait aidé Nikolaï à ne pas baisser les bras, à croire que certaines personnes pouvaient l’apprécier, comme tout à chacun peut espérer l’être par certains de ses congénères... Elle aussi, était mutante, mais, à la différence de lui, elle avait toujours fait la fierté de leurs parents. En dépit de ça, Nikolaï ne lui en avait jamais voulu, bien trop heureux qu’il y ait enfin une personne pour apprécier sa compagnie. Pendant de longues années, ils s’étaient épaulés, se confiant souvent l’un à l’autre, ce qui énervait souvent leurs parents, craignant que l’aura néfaste de leur fils ne déteigne sur leur petite dernière. En dépit de bons nombres d’épreuves, ils avaient toujours été là l’un pour l’autre... Pendant de longues années, elle avait été la seule personne qui ait occupé une place importante dans la vie de Nikolaï. *Oui, mais elle est morte*, songea amèrement Nikolaï, *et je sais bien que la vie aime blesser les gens...* Et oui, la plus grande hantise du russe était de trouver quelqu’un qui l’aimerait en dépit de son pouvoir, pour finir par perdre cette personne... C’était une autre conséquence du pouvoir : ça l’avait rendu quelque peu pessimiste...

Le jeune homme fut tiré de ses pensées par l’intervention de l’un de ses chats du Bengal, Akira, qui vint se frotter contre sa jambe. Nikolaï se laissa glisser contre le mur pour s’asseoir en tailleur, son dos reposant contre le mur. Le chat vint s’installer aussitôt sur les genoux de son maître, ce qui arracha un sourire à celui-ci. « Faudrait que t’arrête de me materner, mon vieux, tu sais », lui conseilla le russe. Il avait bien remarqué que ces deux amis poilus étaient doués pour ressentir ses émotions et faire de leur mieux pour tâcher de le réconforter. « Tiens, c’est drôle, ça, Ayamé, je m’attendais pas du tout à te voir maintenant, tu sais ! », s’exclama Nikolaï lorsque son autre chat fit son apparition, se faisant une place sur les genoux du jeune homme. Les minutes s’écoulèrent, dans le silence de l’appartement seulement troublé par les ronronnements des félins. Sans vraiment le vouloir, Nikolaï vit se dessiner dans son esprit les paysages de son pays natal. Dieu que c’était étrange : il y avait pourtant vécu des centaines de mauvais moments, cependant, la Russie lui manquait : ses paysages, ses coutumes, ses plats... Il avait beau être en Amérique depuis des années, sa terre natale lui manquait bien plus qu’il ne le croyait, même s’il avait rêvé des années durant, en Russie, de venir enfin ici... *Mouais, enfin, de toute façon*, pensa Nikolaï, *ici où ailleurs, tu verras pas de grandes différences : les gens te méprisent, mon vieux !* Ce n’est qu’en ressentant les muscles de ses genoux protester de rester longtemps assis en tailleur que Nikolaï se leva, dégageant doucement ses amis poilus du siège qu’il leur avait offert jusqu’à présent. Le jeune homme s’étira avant de se diriger dans sa cuisine. Tout en buvant un verre de jus d’orange, il jeta un coup d’œil vers l’horloge, qui, pour son plus grand désespoir, n’affichait que 00h30.

Ce soir, une fois de plus, Nikolaï tourna longtemps en rond dans son appartement. Il s’occupa en dessinant, puis, une fois lassé, décida d’aller voir les photos qu’il avait mit à sécher (après les avoir développé), dans la journée, dans la pièce qu’il avait transformé en chambre noir. La plupart finirent dans la poubelle, car ne correspondant pas à ce qu’il avait désiré. Par la suite, voyant qu’il était presque 2h, il se glissa dans ses draps, tentant de trouver le sommeil. Manque de chance, il ne cessa de tourner dans son lit, à la poursuite du sommeil, pendant ce qui lui parut des heures, et finit de l’énerver. Lorsque Liam, son berger belge à poil long vint vers son lit en couinant, pour demander à sortir, Nikolaï céda. Il enfila un jean et un tee-shirt, ainsi qu’une veste, puis il alla se promener avec son chien. Bien entendu, Nikolaï fit de son mieux pour éviter de croiser qui que ce soit, ce qui fut assez simple, au vu de l’heure très matinale qu’il était... De surcroît, il savait, à force de faire souvent de son mieux pour éviter les autres.

Lorsqu’il rentra enfin dans son appartement, il se promit d’essayer dès que possible un nouveau traitement contre l’insomnie. Il en souffrait depuis des années, et avait enchaîné divers traitements, en vain. En réalité, il savait que son côté insomniaque venait de son passé difficile, qu’il lui faudrait se confier et effectuer un long travail sur lui-même, mais, au vu de son pouvoir, trouver quelqu’un qui accepterait de l’écouter sans être dégoûté par sa simple présence, voire même, par sa simple existence, était mission impossible. De plus, Nikolaï détestait parler de son enfance et des traumatismes liés à sa vie en Russie, tout comme il détestait parler simplement de lui… *Ouais, mais faut vraiment que tu dormes, mon vieux*, se conseilla-t-il en voyant qu’il était un peu plus de 3h, lorsqu’il se glissa enfin dans ses draps. Il esquissa un sourire en sentant ses chats le rejoindre, à leur place habituel, Ayamé, au dessus de sa tête, Akira, juste à côté de Nikolaï.

« Bonne nuit à vous aussi », souffla-t-il, tout en se promettant que, dans les jours à venir, il allait se mettre à la recherche de la personne qui l’intriguait depuis plusieurs jours maintenant. Il ne saurait dire pourquoi, en effet, mais il sentait qu’il y avait en ville un(e) autre mutant(e) comme lui, et désirait faire sa rencontre, persuadé qu’il/elle serait à même de le comprendre, presque aussi bien que sa défunte sœur, et parvenir à le tirer de la triste monotonie qu’était sa vie, depuis toujours… *Ouais, on a bien le droit de rêver, sombre crétin*, se rabroua-t-il avant de fermer les yeux, dans l’attente que Morphée lui ouvre enfin grand les bras, et peut-être même les yeux, sur le fait que, décidément, la vie, en particulier la sienne, était loin d’être simple....