Les idées se bousculaient dans son esprit. Assis en tailleur sur son lit, son regard fixait l'herbe parsemant le jardin du Professeur X. Le vent semblait la caresser comme une main se passe dans les cheveux. Le ciel, d'un bleu typique de cette saison estivale, semblait était le support de nombreux nuages cotonneux ayant des formes plus différentes les unes que les autres. D'un œil enfantin, Joshua y devina un dragon d'un côté et de l'autre un ours en peluche. En ricanant, il s'étala de tout son long sur ses draps en croisant ses bras sous sa tête blonde. Le temps passait si vite. Il avait l'impression que cette nouvelle journée qui commençait était sa première journée à l'Institut. Enfin non pas jusque là... Cela faisait tout de même huit ans qu'il foulait jour après jour le sol de ce pensionnat si particulier. Il revenait quelques fois à la maison, pendant les vacances surtout, mais New York ne lui manquait pas tant que ça, il était bien ici.

Il ferma les yeux. Depuis son réveil, une idée trottait interminablement dans sa tête. Pourquoi n'y avait-il pas pensé avant ? Non mais sérieusement. Il l'avait peut-être imaginer furtivement sans imaginer que cela pourrait marcher, surtout à l'époque où sa mutation n'était pas encore tout à fait développée. Aujourd'hui, il pouvait guérir les blessures plus graves avec plus d'aisance. Déterminé, il se jeta hors de son lit. Il prit une douche la plus courte possible puis se brossa les dents. Vêtu d'une chemise, d'un jean et passant une écharpe légère autour de son cou, il sortit dans les couloirs.

Passant ses mains dans sa chevelure blonde, il se dirigeait à grands pas vers l'escalier principal. Il croisa plusieurs têtes familières de tout âge qu'il prit tout de même la peine de saluer.

- Au fait Joshua, tu peux me refermer cette coupure ?
- Hein quoi... ?
N'ayant pas immédiatement percuté la demande de la jeune demoiselle, Joshua parut désorienté.
- Euh oui bien sûr.
Prenant la main de la mutante, il posa sa paume sur la blessure qu'il referma en un clin d'oeil.
- Voilà, ça fera cinq dollars.
- Comment ?!
- Je blague.

Pris d'un rire partagé, Elixir, ainsi était-il surnommé, dévala les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée. Jetant un rapide coup d'oeil dans le salon pour remarquer un attroupement de jeunes gens autour d'une console de jeux, il se posta face à la porte d'entrée du bureau de Charles Xavier. Maîtrisant sa respiration et son angoisse de mal tomber, il frappa trois coups sonores à la porte en attendant d'être invité à entrer.

L’adolescence n’est pas une période facile dans la vie d’un Homme. Pourtant, celui-ci la regrette au bout d’un certain temps. Secrets, études, premiers amours et changements, tout ceci pourrait sans doute être les principaux ingrédients de cette recette formant un adolescent. Les pensées se bousculent dans la tête, on ne sait plus où regarder, où se diriger quand quelque chose ne va plus. On pleure, on rit, cela se succède. On grandit, on vit, mais le temps passe trop vite que des fois il semble long. Les pieds nichés au fond des baskets, les garçons se moquent et les filles complotent. Au cou de beaux bijoux, elles savent qu’elles grandiront mais persistent à demeurer telles qu’elles sont. L’adolescence n’est qu’un trajet sans retour et ça, c’est inévitable. Les rêves sont présents, rêves d’évasion, de liberté mais d’autres peuvent rêver d’égalité. Ces « autres » dont on parle sont les Mutants. Se faire accepter de la Société, tels qu’ils sont, voilà leur souhait. Ne plus se cacher. D’autres sont bien là où ils sont, le changement n’est pas vraiment important à leurs yeux, ils ne souhaitent qu’une paix durable, assez durable pour que leurs enfants puissent en profiter.

Joshua, un mutant arrivé il y a huit ans à l’Institut, s’apprêta donc à frapper à la porte du télépathe. Ce-dernier, il le connaissait donc depuis tant de temps. Il lui devait tout, littéralement tout. Chassé de sa famille, rejeté d’une certaine manière, il l’avait emmené, Sean et lui, ici, à l’Institut, alors qu’il n’était qu’un gosse de douze ans. Il ne savait même pas s’il avait pris un jour la peine de le remercier vraiment…

- Joshua ? Vous pouvez entrer...

Un sourire s’étira sur les lèvres du grand blond creusant ses fossettes d’enfant. Il avait toujours été captivé par les dons de Charles. A vingt ans, il en paraissait toujours seize. Peut-être dix-huit, mais on peut dire qu’il fait jeune pour son âge. Il tient toujours à conserver un caractère agréable aux yeux de ses camarades et amis ainsi que professeurs, s’il ne les considère pas déjà comme amis. Car arrivé à douze ans à l’Institut signifie en 1964 et qui dit 1964 dit ouverture officielle de l’académie. Joshua Foley est donc l’un des premiers élèves de l’Institut donc Sean Cassidy, Hank McCoy ou même Alex Summers sont des noms qui lui sont familiers lorsqu’on les énonce. Une fierté ? Non, plutôt un soulagement. Être mutant l’a fait sourire la première fois qu’il l’a su, mais la réaction de sa mère, puis celle de son père l’a rapidement effrayée. Une terreur qui l’incita à ne plus retourner chez lui…

Elixir ouvrit donc la porte aussi rapidement qu’il fut arrivé puis la referma malgré tout soigneusement derrière lui. Il était toujours essoufflé d’avoir couru dans les couloirs. En même temps, l’idée qui avait germé dans son esprit le hantait depuis la nuit. Il aurait pu venir à trois heures du matin sortir le prof du lit pour lui annoncer la nouvelle pour avoir l’esprit en paix, mais non, il avait attendu. Et maintenant, l’excitation était à son comble.

- Professeur !

Les mains posées sur le rebord du bureau, Joshua faisait face à Charles. Il se dit qu’il avait sans doute déjà sondé son esprit et qu’il connaissait alors la raison de sa venue, c’est pourquoi il fit tout pour enchaîner avant qu’il ne lui réponde.

- Je peux vous sortir de votre fauteuil, je… je n’y avais pas pensé avant mais, j’étais trop jeune… je n’y avais pas pensé. Je suis tellement désolé, je suis égoïste de ne pas avoir pensé à vous plus tôt, je ne sais pas pourquoi mais cela m’avait… échappé.

Ces mots sortirent de sa bouche à une telle vitesse que lui-même en fut surpris. Il en fut également par les larmes qui se formaient dans ses yeux. Pourquoi pleurait-il à cet instant ? Quelle honte, devant son professeur non mais quelle honte. Il ferma les yeux un instant pour tenter de faire disparaître ces larmes inutiles. Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Il ne le comprenait pas.

- Je suis désolé.

Tout au long de son discours très catégorique, les yeux de Joshua n’avaient pas quitté le regard de son professeur. Sa respiration s’était brutalement accélérée et son cœur ne cessait de battre au rythme de son angoisse. Il culpabilisait, ô combien s’en voulait-il. De ne pas y avoir pensé plus tôt, que s’en voulait-il. Voir son professeur et directeur dans un fauteuil roulant depuis son arrivée à l’école. Non il ne l’avait jamais vu marcher, voilà pourquoi il souhaitait remédier à ça, tout de suite.

Le regard de Charles quitta celui de son élève. Il semblait pensif. Joshua parut scandalisé du fait qu’il semblait réfléchir à sa proposition. Non ! Il n’avait pas à réfléchir ! C’était normal, parfaitement normal qu’il soit guéri de son handicap, qu’il puisse de nouveau enseigner sans avoir à avancer sur deux grandes roues lourdes à supporter. C’était naturel, humain, qu’il puisse se mettre debout pour venir en aide aux mutants égarés, en proie à une solitude inégalable qui ne pourrait être effacée que grâce à l’aide du professeur. Il n’avait pas à réfléchir !

- Je ne pense pas que tu aies été égoïste Josh. Je ne t'ai jamais demandé de me guérir et j'ai passé le plus clair de mon temps à être un professeur pour toi.

Leurs yeux se recroisèrent. La bouche légèrement entrouverte, le cœur de Joshua semblait s’apaiser tout comme son esprit. Il se demanda même si son professeur n’était pas en train de le calmer sans qu’il ne s’en aperçoive. Qu’il rentre dans sa tête ne le dérangeait pas, pas comme certains élèves. Au contraire il en était fasciné, il aurait aimé être doté de cette capacité, ressentir ce que cela faisait de parcourir la mémoire d’autrui, de provoquer en lui d’intenses illusions… Sa mutation propre à son rang de guérisseur lui suffisait tout de même, c’était grandiose. Guérir n’importe quelle maladie, blessure, contusion, il en était très fier.

Foley recula légèrement pour laisser son professeur se placer à ses côtés. Ce-dernier semblait tellement pensif que Joshua en venait à croire qu’il ne voulait pas guérir, ou qu’il hésitait. Ces pensées s’avérèrent justes.

- Ton offre me tente énormément mais... je ne peux accepter.

Cela fit l’effet d’un véritable électrochoc dans l’esprit du jeune adulte, pour ne pas dire adolescent. Il entendit distinctement le soupir de Charles. Pourquoi refusait-il ?! C’était insensé ! Elixir se perdit bientôt dans la contemplation du jardin par la fenêtre derrière le bureau du professeur X. S’il le guérissait, il pourrait de nouveau marcher avec ses élèves sur les sentiers tracés à travers les étendues d’herbe. Il pourrait faire cours extérieur plus souvent, aider les mutants plus… facilement. Il pourrait s’en aller sans accompagnateur en ville pour venir en aide aux jeunes mutants. Joshua ne comprenait pas. Y avait-il au moins une raison sensée ?

- Mais professeur ! C’est insensé ! Pourquoi ne pourriez-vous pas accepter ?! Vous remettre debout pour venir en aide aux jeunes mutants ! Marcher dans votre Institut autrefois VOTRE maison ! La vôtre professeur ! N’aimeriez-vous pas courir dans vos jardins ? Je ne comprends pas votre réaction !

L’indignation de Joshua était telle qu’il en venait presque à s’énerver. Les sourcils froncés, il se demandait si le professeur Xavier se rendait compte qu’il n’avait presque pas dormi à cause de cette idée qui lui trottait en tête, des fautes qu’il jetait sur lui-même. Comprenait-il ça ?

- Si vous tenez vraiment à votre fauteuil, je peux vous guérir mais vous pourrez toujours vous y asseoir !

Se laissant tomber sur la chaise la plus proche, Joshua passa ses mains dans ses cheveux blonds qui commençaient d’ailleurs à lui tomber sur les yeux. Il s’énervait, il s’en rendait compte.

- Personnellement, je préfèrerais nettement vous voir debout.