Ce n’était rien. Qu’une petite broutille, qu’un mal entendu. Il avait rougis comme un coquelicot et s’était vivement détourné, le regard confus. Il aurait pu mourir, là, sur la voie publique, et il n’en avait pas conscience. La voiture qui avait failli le percuter de plein fouet s’était arrêté à quelques centimètre de lui. Le conducteur, en revanche, ne trouvait pas cette histoire aussi banale que la victime dont il faisait preuve. Il se sentait gêné qu’on lui hurler dessus d’une telle manière. Il ne réalisait pas non plus que les cris et les injures qu’on lui lançait n’étaient qu’effet secondaire d’une peur pour lui. Tuer quelqu’un parce qu’il n’a pas regardé avant de traverser la rue, on ne voit pas ça tous les jours… et ce n’est pas forcément facile à digérer. Il secoua la tête, les mains vaguement tremblotantes avant d’enfin daigner se dégager de la route, d’un pas distrait, comme si, au fond, rien de tout cela n’avait eut d’impact sur son quotidien répétitif. Un sourire fragile se dessina sur ses lèvres légèrement rosées. Il avait récupéré son calme olympien, sa légèreté, sa naïveté un peu enfantine. Il fixait, se déplaçant autour de lui comme s’il n’était pas, ces silhouettes fluides dont il avait du mal à prendre conscience, qui ne le voyait pas, qui ne se rendait pas compte que lui observait discrètement, mi amusé, mi content de leur présence. Ses yeux avaient ensuite doucement glisser vers les plumes, plus loin, qui flottaient dans tous les sens, en silence. Curieux, il s’était approché, pour constatée qu’elles étaient immobiles. Elles n’existaient pas… pas vraiment. Mais lui, il ne s’en rendait pas compte. Pour lui, elles étaient bien réelles, là. S’il ne savait pas très bien user de son don, il s’empoisonnait lui-même, involontairement, de ces images, de ces rêves qui n’existent que dans son unique esprit. Les plumes démontraient simplement qu’il était d’un calme et d’une humeur relativement bonne et plus joyeuse, sans doute, que d’ordinaire. Il les contemplait doucement, ravi, une expression de gaieté payant ses traits.

Il avait filé. Il s’était glissé loin des griffes de ces médecins. Ça lui arrivait, comme ça, fugitif et léger… comme un souffle, il s’était éclipser sans qu’on ne s’en aperçoive, discret et silencieux. Bien sûr, dans une heure ou deux, ils s’en rendraient compte. Dans trois, ils comprendraient qu’il n’est plus dans l’hôpital. Dans cinq ou six, ils auront remit la main sur lui, et dans six heures quarante-six minutes exactement, il serait de retour dans cette froide chambre, à contempler sa solitude. Et chaque jour, il retenterait le coup… Il continuera jusqu’à ce qu’on ne se décide à l’enchainer. La seule raison, en vérité, qui les empêchait de le retenir davantage prisonnier était qu’il n’était pas un danger public, ni pour personne ni pour lui-même, enfin… en général. Sauf lorsqu’il passait à deux doigts de se faire happé, alors là c’était une affaire un peu différente. Bien sûr, ils ne seront pas au courant de toute façon de sa petite expérience dans les rues si peuplées de la ville.

Il abandonna ses plumes pour détourner son attention, même s’il demeurait debout, sur place, dans l’immobilité la plus complète, son regard saphir posé sur un lampadaire qui, étrangement, lui était allumé en plein jour. Défaut de fabrication ? Problème électrique ? Il décida qu’il s’agissait la aussi de la réalité, même si, encore une fois, il n’en était pas le moindre cas. Seulement il avait sans doute l’air un peu étrange, le jeune brun, aux allures un peu maigrichonnes mais sympathiques, à garder les yeux lever vers le haut, sans plus se préoccuper des mouvements ou des sons l’entourant. Il vivait au jour le jour et ça, personne au monde ne pourrait le lui retirer. Pas même la silhouette qui attira soudainement son attention, avec son épaisse chevelure brune dansant derrière elle, comme un rideau, comme le fier drapeau d’Amérique flottant dans le vent, à l’image d’un voilier sur l’océan Pacifique. Et il se contenta agréablement, aussi surprenant cela puisse-t-il être aussi, de lui sourire simplement, comme s’il n’y avait plus rien au monde qui existait… pour l’instant.

Le sourire flottait inlassablement alors que son regard parcourait doucement la silhouette qui se mettait en marche, d’un pas particulièrement féminin. Lorsqu’elle arriva à sa hauteur, il détourna momentanément les yeux, comme s’il signifiait qu’il approuvait sa présence sans particulièrement la chercher davantage. Elle était là et c’était très bien ainsi. Les mots ne sont pas toujours utiles pour exprimer ses sentiments. Il s’était détaché, à l’exemple qu’il avait fait quelques instants plutôt avant de risquer de mourir sur la chaussée… Rêveur, il contempla une dernière fois la lueur du lampadaire. Une lueur qui n’existait pas vraiment, mais qu’il continuait pourtant de voir. Camille le traiterait probablement encore de cinglé. La jeune fille s’était prostrée près de lui, à ses côtés, sans dérangement, du moins jusqu’à ce que sa jeune voix de gamine se répercute dans son être et qu’il reporte son attention sur elle. Ce sourire que ne le quittait plus… C’était bon signe pour elle. Elle ne le mettait pas mal à l’aise. Elle ne le faisait pas douter. Elle ne provoquait aucun sentiment particulier, finalement. Il nota discrètement la timidité qui perçait à travers cette douce voix qu’elle lui adressait, à lui plus particulièrement, à son plus grand ravissement. Ses yeux, toutefois, semblait trahir quelque chose… Impossible de dire s’il l’avait réellement écouté ou si elle s’était adressée à une sourde oreille.

« Je cherche l’oiseau jaune… Il a perdu ses plumes… » murmura-t-il sur un ton rempli de mystères… sur un ton, surtout, lointain, distant, comme s’il était sur une autre planète, comme si la jeune fille n’était rien de plus qu’un fantôme du présent pour lui. Il ne semblait pas même s’adresser à elle en particulier. Il se contentait simplement d’exprimer quelque chose qui lui passait par la tête, comme s’il avait brusquement décidé d’oublier un instant, un très court instant, ce brouillard de l’esprit qui l’assomme. Peut-être était-ce aussi en partie du aux injections que lui pratiques la médecine… Médecine qui espère désespérément, ou qui désespère d’espoir de lui trouver un remède. Et Dieu seul savait que ce remède n’existait pas. Parce qu’il n’était pas malade comme ils semblaient si bien le croire.

]« Je crois qu’il ne reviendra pas les chercher… » murmura-t-il de nouveau, presque inaudible, un brin de tristesse dans les vibrations de sa voix, comme s’il était déçu que cet oiseau pourtant inexistant soit partie. Comme s’il aurait aimé le saisir et se languir de sa présence au creux de ses mains. Comme si, justement, il avait ressenti ce besoin urgent d’un touché réel.

Il eut un haussement d’épaules et chassa cette étrange scène aussi rapidement qu’elle était apparu dans son regard plus enfantin que l’âge dont il paraissait avoir. Il semblait soudainement se souvenir de la présence féminine en face de lui et posa distinctement un regard avec un point d’interrogation invisible dansant dans ses iris, sur elle, par curiosité. Il semblait toujours aussi fasciner par l’impression qui lui procurait ses cheveux et ce n’était, par conséquent, pas son visage qu’il observait de la sorte, mais bien cette longue chevelure qui semblait étrangement l’obnubiler. Il renifla l’air, rapidement, avant de se gratter le bout du nez délicatement avec l’ongle de son index, clignant des paupières, paraissant réfléchir, enfin, au questionnement qu’elle lui offrait. Elle avait une odeur légèrement sucrée… Il secoua finalement la tête et fourra sa main dans le fond de la poche de son jeans, comme s’il n’y avait rien de plus naturel au monde.

« Non… C’est un homme bon. Je lui ais fait très peur. Les gens ne savent pas toujours comment réagir, à dire vrai. Je… je crois que je l’ai rendu très nerveux et inquiet. Je l’ai… effrayé, c’est terrible de ma part… »

Il parlait comme s’il avait réellement ressentie ces émotions, alors qu’il se les imaginait ainsi, ne cherchant pas à voir le mal, même lorsqu’il lui pissait dessus. C’était un autre de ses gros problèmes… Il voyait le bien partout. Il ne pensait pas que tel ou tel individu puisse lui chercher le moindre tord. Peut-être parce qu’il se sentait en sécurité derrière ces rêves ? Peut-être parce qu’il croyait sincèrement que toute cette ville venait de son imaginaire ? Peut-être même qu’il ne croyait pas que ses propres pensées puissent vraiment l’affecter ? Si son cas était aussi grave, oui, peut-être avait-il réellement sa place dans un asile…

« Mais je vais bien. Très bien. Qui es-tu ? »

Et il sourit de nouveau, paraissant avoir littéralement oublié cet étrange monologue dont il lui faisait part, à elle, tout à fait inconnue de sa personne.

Il admira momentanément le sourire qu’elle lui offrait, splendide dans ce drôle d’atmosphère qui s’offrait à eux, entre eux. Ça lui rappelait étrangement quelque chose qu’il avait déjà dû voir par le passé car il lui offrit un air léger en penseur, comme si son unique présence auprès de lui avait c’est étrange influence sur lui, cette provocation de pensées qu’il n’aurait pourtant pas s’il était seul. Il se rendait compte qu’elle ressemblait à un souvenir. Et Dieu seul savait que ses souvenirs, il les confondait tous, l’un en travers de l’autre, à l’image du casse-tête brisé qu’il était. Elle avait répondu en se présentant et, brusquement, il avait secoué la tête, avec un rire de gamin paraissant presque ne pas venir de lui, comme si rire était quelque chose de trop absurde pour que sa provienne de sa propre personne, comme s’il s’en était d’ailleurs trouvé plus que ridicule, il ne lui laissa pas l’occasion de l’entendre davantage, et réprima purement et simplement une légère grimace qui restait tout de même un fragile sourire innocent. Même s’il paraissait, parfois, mentalement plus jeune que son âge, ça ne faisait pas de lui un débile léger, bien au contraire. Ses yeux voyaient peut-être les choses différemment, mais c’était ce qui le caractérisait, au fond, n’est-ce pas ? Il ne répéta toutefois pas sa question… Elle n’avait pas compris ce qu’il avait demandé, mais ce n’était pas plus mal puisqu’elle lui offrait gratuitement son identité, sans qu’il ne cherche à la connaître, un nom secret qu’elle aurait aussi bien pu lui murmurer à l’oreille de peur qu’on ne l’entende. Ce qu’il aurait véritablement voulu savoir demeurera pour elle un mystère existentiel. Pour lui, être n’était pas avoir un nom. Être poussait à davantage que cette simple apparence de questionnement. Pourtant, ils ne la comprenaient jamais… Peut-être était-il trop borné pour s’arrêter de croire en la capacité naïve de voir les choses. Grand enfant qu’il était, il avait gardé son cœur jeune. Il ne lui avait pas reposé la question selon son point de vu à lui. Éventuellement, peut-être qu’elle comprendrait ce qu’il était ? Parce que oui, au fond de lui, il se sentait bien, juste là, près d’une âme comme la sienne, qui ne le dérangeait pas ou qui ne semblait pas affecté par la folie qui régnait chez lui.

« Luna… » répéta-t-il enfin de manière rêveuse, une petite étincelle vrillant son regard embrumé par on ne savait trop qu’elle pensée qui le parcourait, quelle idée ce surnom lui avait donnée. Il semblait avoir oublié le détail que son prénom, c’était Melusine que Luna n’était sans doute qu’un doux pseudonyme qu’elle employait au quotidien ou sous lequel elle avait simplement pris l’habitude de se présenter. Peut-être parce qu’elle n’aimait pas son prénom ? Non, impossible, si c’était le cas, elle ne l’aurait même pas prononcé. Et ne lui aurait pas offert de faire ce qu’il voulait des informations qu’elle lui avait fourni.

« Luna, ça me fait penser à… »

Il ne compléta pas sa phrase qu’il garda en suspend, comme perturbé de dévoiler quoi que ce soit sur ses pensées, comme si, brusquement, il s’était mis à avoir peur, à craindre quelque chose. Ça ne se voyait pas, ça ne se comprenait pas. Il n’y avait que cette petite lueur, vague, peu familière qui avait traversé momentanément ses prunelles. Changement de direction, il obtempéra pour un chemin moins douteux, finalement, avec elle, s’interrogeant tout de même sur ce qu’elle était ou ce qu’elle pouvait bien tramé face à lui, comme si, au fond, il doutait des pensées qu’elle pouvait secrètement gardé à son propos.

« Stas. » Son identité… l’était-elle vraiment ? « Aujourd’hui, je suis rouge… La terre porte l’odeur de l’herbe fraichement coupé et le ciel sent la pluie. »

Était-ce des révélations ? Lorsqu’il abordait le sujet des odeurs, ça ne voulait pas dire qu’il avait raison. Il trouvait simplement que l’humidité sur leur corps, petit point à travers tout un univers, portait la lourde odeur de la pluie, ce qui ne signifiait pas nécessairement que c’était le cas puisqu’il ne s’agissait là que d’un point de vue plus que personnel. Il lui parlait sur ce ton continuellement pensif. S’il était d’humeur relativement bonne en ce jour, il semblait aussi particulièrement plus confus que d’ordinaire. Mais ça, elle l’ignorait, n’est-ce pas ? Comment aurait-elle seulement pu savoir qu’il n’était pas toujours aussi… aussi… déboussolé qu’il l’était présentement ? Tant pis… Qu’elle juge si son cœur le lui dictait…

Une énigme vivante. Un mystère de curiosité et de question. Ce qui se tramait derrière ce regard gamin n’appartenait qu’à lui et à lui seul. Elle ne semblait décidément rien comprendre à ce qu’il tramait, à ce qu’il lui disait, à ce qu’il pouvait bien être entrain de raconter et encore moins à ce qu’il pensait. Et c’était d’autant plus amusant, il devait bien l’avouer. Hum ! Ils avaient raison de penser qu’il pouvait être cinglé avec ce comportement. Il ne faisait rien pour leur mettre le tord sous le nez. Rien. Il préférait les laisser croire, les laisser parler pour cacher un jeu, le tapir dans les ténèbres, dans la pénombre de sa tête, de ses réflexions, de sa propre philosophie de vie. En même temps, le brun semblait ravi de la voir s’intéresser un tant soit peu à ce qu’il racontait, quitte à entrer dans le jeu de mot qu’il lui proposait depuis le début. Et même si elle n’en saisissait pas toutes les subtilités, elle se montrait vis-à-vis du jeune homme d’une patience dont il n’avait pas encore trouvé la faille. Elle voulait, malgré tout, essayer de le saisir et le questionna, lui laissant réprimer un nouveau rire cristallin, trop jeune pour son âge. Rouge ? C’était la plus belle couleur du monde… Pourquoi rouge ? Parce qu’elle était merveilleuse, tout simplement. Parce qu’il n’y avait pas de couleur plus intense qu’elle !

« Rouge est synonyme d’intensité et de passion. Mais rouge, c’est aussi la couleur des roses et de coquelicot, du Cardinal, là-bas. Et puis… c’est la couleur de mes lacets… »

La dernière phrase fut prononcée vaguement différemment, un peu plus distante alors qu’il baissait les yeux au même moment sur ses chaussures en constatant au même instant, à sa grande surprise qu’il ne cachait pas qu’il avait menti. Ses lacets n’étaient pas rouges, mais aussi blanc que l’ivoire. Gêné, le jeune Russe se redressa, ses joues rosirent légèrement et il détourna le regard avant qu’elle ne l’interroge. Qu’est-ce qui lui prenait ? S’il ne partageait pas ses idées et ses rêves, personne d’autre ne pouvait voir par ses yeux ce que lui avait la chance de contempler. Il inspira un coup, et son expression changea du tout au tout en une fraction de seconde. Un instant plus tôt, il aurait semblé sur le point de craquer dans une crise de névrosé et l’instant d’après, plus rien, il avait récupérer ce calme olympien qui le gardait là, sur place, sur ce trottoir.

« Je… désolé. Je me suis juste trompé… ils sont blancs… » marmonna-t-il de manière à faire entendre son mécontentement face à la situation. Un mécontentement qu’il n’adressait clairement pas à elle, toutefois. Il semblait se décevoir devant son incapacité à vraiment reconnaître les choses telles qu’elles sont plutôt que de les voir telles que lui les concevaient.

Il secoua doucement la tête pour chassée l’absurdité de mensonge devant laquelle il venait de devoir faire face, comme pour définitivement s’en débarrasser et faire comme si rien ne s’était produit, qu’il était tout à fait normal, même si… eh bien, même s’il n’agissait pas forcément dans les normes de la normalité, justement. Il se demanda s’il devait arrêter de s’excuser maintenant, surtout qu’il s’apprêtait à remettre ça, ou s’il devait simplement se taire. D’un autre côté, à l’observer soudainement, de la sorte, comme s’il avait cherché à y déceler une réponse pourtant inexistante, il devait forcément la mettre dans une situation plus qu’embarrassante. Si seulement elle était là. Qu’arriverait-il s’il tendait la main ? Disparaitrait-elle comme un mauvais rêve ? Comme l’oiseau jaune quelques instants plus tôt ?

Sa montre sonna. Elle était bien réelle, celle-là. Il mit tout de même plusieurs secondes avant de prendre le risque d’y croire, d’y jeter un œil et de l’éteindre avant de récupérer un sourire gamin, naïf, et d’une douceur sans son pareil. Il semblait préparer quelque chose, un mauvais ou bon plan, difficile à dire, mais quelque chose s’était déclenché entre deux neurones, apparemment.

« Excuses-moi… je vais te paraître très bizarre sans doute… Mais viens avec moi, je ne peux pas rester au même endroit très longtemps, ils pourraient me retrouver. Il faut bien que je leur donne un peu de fil à retordre… Et puis… S’il te plait ?»

Qu’allait-il dire, au final ? Mystère et boule de gomme, lui-même ne semblait pas le savoir. Il ne lui tendait rien, ni main ni regard, mais espérait qu’elle lui colle au pas, comme son ombre, du moins juste le temps de changer de lampadaire, rien de bien compliquer…

Elle avait été suffisamment curieuse envers lui, et on pu facilement lire sur son visage un peu pâle une expression de ravissement plus qu’évident. Ça semblait toujours le rendre heureux. Enfin, pour dire vrai, rien ne semblait vraiment le rendre plus malheureux que ce qu’il aurait dû être. S’il le paraissait parfois, il n’en était rien. Carpe Diem, vous dirait-il, un sourire aux lèvres, un regard brillant, entre imagination et franchise. Vivez au jour le jour sans vous souciez du reste du monde. C’était être tranquille, ainsi, sans inquiétude aucune, sans persécution par leur parcimonieux sourires. Le jeune homme se contenta de marcher un moment en silence. Il n’était pas toujours bon de se montrer bavard et il ne l’était pas. Pas vraiment. Pour toute réponse au questionnement de la jeune fille, il haussa les épaules, simplement. La simplicité même faisait quotidiennement partie de sa vie, comme la part d’un tout qui créer ce qu’il est au bout du compte.

« Je ne sais pas. Je vais où je peux. Un jour, je serai libre… »

Son ton était rempli d’une douceur rêveuse qu’il ne se cachait pas, comme s’il souhaitait réellement, comme s’il venait de lui dévoiler son avenir, ses peurs, ses idéologies, ses désirs. Même si Luna n’était qu’une inconnue, il semblait étrangement à l’aise près d’elle. Elle ne le connaissait pas encore, certes, et ne le connaîtra probablement jamais autant que Jean, par exemple. Mais c’était déjà un bon début de sa part, qu’il se laisse ainsi faire, qu’il accepte la présence, qu’il ne semble pas non plus la considérer comme un mirage. Il semblait d’ailleurs déjà l’avoir classé dans la catégorie ‘’réelle’’ de son esprit. Ce qui était en soit un miracle, de l’avoir fait si rapidement et sans restriction aucune.

Ils croisèrent, en route, un groupe d’individus fort peu recommandable qu’il ne sembla pas voir. Il se contentait de marcher droit devant lui, sans s’occuper du reste, comme s’ils n’avaient aucune importance sur lui ou ses pensées. Ce n’était pas tout à fait vrai, il ne s’agissait là que d’une impression. La vérité était qu’il ne le voyait pas du tout, tout simplement parce qu’il ne croyait pas qu’ils existaient. Un mystère comme un autre. Du moins le jeune homme dû-t-il, malgré tout, s’obliger à prendre conscience de leur présence lorsqu’un des voyous se positionna de telle manière qu’il lui marche dessus s’il ne s’arrête pas d’avancer à l’aveuglette. Il rejeta directement sur lui un regard d’un bleu acier, rempli d’interrogation, ne comprenant pas plus que ça ce qu’il voulait. Enfin, jusqu’à ce qu’il ne s’exprime sur la démarche étrange dont il avait fait preuve en se dirigeant vers eux. Stas lança malgré tout son calme un regard quelque peu confus vers Luna, comme s’il la cherchait en aide, brusquement, ne sachant comment se dépêtrer d’une telle situation, n’en ayant guère l’habitude. Ils poursuivirent, puisque le voyou misérable semblait vouloir en faire voir par fierté mal placée. Mais le Russe n’aimait pas son comportement. Pire. Il le détestait vraiment et un élan de frustration passa en travers ses prunelles. Ce n’était toutefois pas suffisant pour déclencher une attaque de sa part… Aussitôt pensé, il se tourna brusquement vers Luna, l’attrapant par le bras et effectuant un demi-tour monumental dans lequel il voulu l’entrainer pour l’éloigner… Ils ne suivirent pas, fort heureusement…

« Je suis désolé. Peut-être… peut-être que tu devrais t’effacer. Ça arrive souvent… Ils… On me prend pour un cinglé, je crois. » susura-t-il, dans un mélange étrange de colère, tout en gardant un sang-froid précieux. Il ne voulait pas l’entrainer dans ses problèmes, même s’il n’était pas certains qu’ils fussent réels. Peut-être avait-il même parlé seul et… Et il n’osait imaginer ce qu’elle penserait de lui !

Il semblait plus que désemparé devant elle. Il lui offrit de grands yeux ronds, comme s’il n’en revenait pas de ce qu’elle venait de lui dire. S’il avait été pris de court quelques instants plus tôt seulement, il était maintenant tout à fait désorienté devant elle, elle qui lui faisait à présent face, elle à qui il ne savait plus quoi dire si ce n’était qu’une série d’excuse interminable et un peu pitoyable. Il l’avait refait… Il avait recommencé…

« Tu… tu ne les vois pas ? » avait-il bégayé bêtement, comme pour se convaincre qu’elle avait tord, comme s’il avait subitement cherché à lui faire avouer qu’elle avait rêvé et que oui, bien sûr, elle les avait vu, entendu, senti, qu’elle en gardait une mémoire intacte.

Mais elle ne les voyait pas. C’était la seule chose qui lui revenait vraiment en tête, comme un coup de fouet pour lui zébrer le dos, comme un coup de massue sur le dessus de la tête. Elle ne les voyait pas. Et elle ne les voyait pas tout simplement parce qu’ils n’existaient pas. Il avait encore remis ça. Il inspira un coup, secoua la tête pour s’en remettre. Ce n’était pas la première fois, mais à chaque fois qu’il semblait en prendre conscience, ce n’était, pour lui, jamais une partie de rigolade au terrain de jeux. Mais, au fond, il n’y avait qu’un fait, un seul, qui revenait : elle ne les voyait pas. Il grommela quelque chose sur le fait qu’il n’avait pas besoin de se cacher, qu’il avait seulement besoin de reprendre ses esprits embrumés. Et semblant plus confus que jamais, lorsqu’elle lui proposa tout simplement, peut-être par bonté d’âme ou par pitié, de s’installer quelque part dans le parc pour discuter, il accepta sans créer la moindre résistance. Ça ne pouvait pas lui faire de tord. Il ne savait pas ce qu’il croyait à son propos, mais peut-être… oui, peut-être qu’elle pourrait saisir toute la complexité de sa situation ? L’espoir fait vivre, dit-on. Il s’avança donc en sa pourtant bien agréable compagnie jusqu’à une table à pique-nique où il s’installa face à elle, tranquille, toujours aussi calme bien que quelque chose semblait s’être momentanément brisé en lui, comme s’il avait perdu un morceau de plus à ce satané casse-tête qui régissait sa vie. Il hésita à dire quoi que ce soit parce qu’il se sentait, soudainement très bien, le chaud soleil tapant agréablement dans son dos, réchauffant son âme, son corps, alors qu’il profitait de ce calme, du son des oiseaux dans les branche du grand chêne près d’eux. Juste le calme, bien que le brui des voitures, plus loin, n’était jamais absent, comme une chose omniprésence à la conscience, qu’on ne peut pas oublier même si on le souhaite plus que tout. S’expliquer, c’était une chose. Faire part d’évènements qu’il ne saisissait lui-même qu’à moitié, s’en était une autre.

« Tu vois… c’est pour cette raison exactement qu’on me prend pour un… » Il ne prononça pas le mot, à la vue de la réaction qu’elle avait eut quelques instants plus tôt. « Si tu n’as pas vu ces gens, c’est qu’ils… n’existent pas, mais sont pour moi bien réel. »

Il ne savait strictement pas pourquoi il faisait ça, comme une folie soudaine qu’il lui prenait de dire quelque chose, ses émotions, son ressentit vis-à-vis de tout ça, comme s’il espérait trouvé à sa le remède à son côté un peu débile, un peu taré, un peu cinglé… un peu anormal, surtout. Il lui sourit tout de même, d’un véritable sourire parce que malgré tout, rien ne semblait vouloir déranger ce côté optimisme de sa personne, même s’il n’en semblait pas toujours être le cas.

« Je… vis dans un monde d’imaginaire. Enfin, c’est ce que Camille se tut à me dire, en général… Mais… mais j’ai le sentiment, parfois, de toucher ce qui est… vrai. »

Était-il entrain de déclaré qu’il ne faisait pas la différence entre Luna et un lampadaire ? Apparemment… Il pencha légèrement la tête de côté, ouvrant de grands yeux brillants sur elle, plein de curiosité, d’intrigue, de questionnements, comme s’il n’était encore une fois pas certain de s’adresser à quelqu’un, comme s’il craignait de découvrir que Luna n’était en fait qu’une poubelle près de lui.

« Es-tu… Qui es-tu ? »

Il avait osé. Il avait posé de nouveau la question, comme s’il espérait qu’elle comprenne maintenant le sens de ses mots. Il ne cherchait pas une identité, il cherchait une vérité, une stabilité, quelque chose qui lui indique qu’il n’était pas victime de son propre don.

« D’accord… » murmura-t-il au bout d’un certain temps, après avoir darder de grands yeux bleus un peu perdus sur elle.

D’accord, si elle se disait réelle, il l’accepterait, d’une manière un peu résignée peut-être, mais il l’accepterait tout de même, parce qu’il n’avait guère d’autre choix. Il était fatigué, pour tout dire, de chercher à faire cette différence entre ce qui pouvait être vrai et ce qui ne l’était pas. Une fatigue qui semblait soudainement peser bien lourd sur ses innocentes épaules de gamin dans un corps presqu’adulte. Il ferma les paupières sur ce qui l’entourait, même elle, ne remarquant pas les mains qu’elle avait posé face à lui, comme si elle avait hésité à s’approcher davantage.

« Ils vont s’inquiéter si je ne rentre pas… » murmura-t-il entre deux inspirations, à travers sa propre respiration qu’il partageait avec la chaleur du vent d’été. Ce qu’il semblait lui dire c’était qu’il devait partir maintenant, ce qui n’était pas tout à fait faux. Mais il était heureux d’avoir fait sa connaissance, aussi inusité pourrait paraitre, pourtant, cette rencontre à laquelle il ne s’était pas du tout attendu. Ces Ils en question devaient même déjà être en route pour le récupérer, une fois de plus, pour le ramener dans cette froide prison blanche, entre un calmant pour le rendre encore plus zinzin qu’il ne l’était déjà et quelques paroles dans le but de lui faire la morale, encore et toujours.

Et comme il prononçait ses mots, on hurlait son nom plus loin, dévoilant non pas le prénom Stas, mais bien celui complet de Stanislav pour qui il mit une fraction de seconde de trop pour réagir, toujours absorber par la contemplation de l’intérieure de ses paupières. Il se força pour les ouvrir de nouveau avant d’adresser un sourire d’excuse à la jeune fille, son regard ayant retrouvé cette douceur, cet émerveillement enfantin, comme s’il avait simplement effacer les derniers évènements parce que ça l’avait momentanément fait souffrir de constaté qu’il en était toujours au même stade de sa mentalité. Il se leva donc, glissant ses mains contre ses vêtements comme s’ils avaient été sales, pour les dépoussiérer d’une poussière qu’il n’avait pourtant pas, ne s’étant pas trainé directement au sol, s’acharnant même contre une tâche sur son jean qu’il avait depuis toujours et qui ne s’était pourtant jamais laissé amadouer.

« Je te remercie, Luna. Pour tout. »

Tout quoi, qu’avait-elle fait exactement si ce n’était que de simplement embarquer dans l’étrange jeu qu’il lui avait offert ? Ça justement. C’était amplement à ses yeux, même si pour lui, il ne s’agissait absolument pas d’un jeu.

« Je serai privé de sortie si je ne file pas ! Y devrait y avoir de le tarte aux pommes à la cantine… À la prochaine, en tout cas ! » lui lança-t-il comme s’ils avaient été deux bons amis se rencontrant régulièrement, comme s’il s’attendait à la revoir rapidement. Comme s’il s’était attaché à elle.

Il lui tourna rapidement le dos, comme s’il venait de s’éveiller de ce pourtant bien doux rêve pour quitter cette chose et revenir à sa propre réalité, sa terrible réalité. Sa froide réalité dans ces murs, entre leurs mains, parmi eux. Et surtout… surtout, seul. Terriblement seul.