Ashlyn était revenue finalement, après des jours passés à se retourner l’incident dans sa tête et à réfléchir, à se demander ce qu’il était le plus judicieux de faire, elle s’était finalement décidée à revenir voir Qassim, se rendant directement de son travail à l’hôpital. Elle-même n’y était restée que le temps de soigner sa brûlure et d’obtenir des médecins la confirmation que le vendeur qu’elle avait fait bruler vif survivrait à ses blessures. Après elle était certes passé plusieurs fois, mais s’était contenté de rester hors de la chambre, n’avait pas voulu le voir et lui parler tout de suite. Une foule de pensée s’était bousculé chez elle depuis l’incident, la plupart cherchant à expliquer comment il avait pu survivre à l’explosion. Sa conclusion la plus logique étant que Qassim était en fait comme elle et non un simple humain ordinaire. C’était choquant au fond , la façon dont tout s’était précipité avec l’explosion. Elle avait pensé fuir, était finalement resté, elle avait voulu s’excuser auprès de lui et simplement partir mais l’évidence qu’elle avait affaire à un mutant l’avait retenu. Elle n’avait quand même pas osé se confronter à lui tout de suite, il fallait qu’elle reprenne le dessus sur elle-même avant.

Car oui elle ne digérait toujours pas le laisser aller et le naturel qu’elle avait eu avec lui autour de cette voiture. Elle n’aimait pas cette facilité avec laquelle il lui faisait perdre ses mots et ses idées. Le problème c’est qu’au fond Qassim elle l’aimait bien, même avant d’en venir à la conclusion que c’était un mutant et ça, ça l’énervait. Non pas qu’elle déteste le monde entier non, mais elle gardait toujours une certaine réserve dans ses relations et elle avait tendance à fuir des que cette réserve était sur le point de s’envoler, afin de ne plus être blesser comme elle avait pu l’être. Et pour Qassim la réserve n’avait même pratiquement jamais existé. Il y avait quelque chose chez le personnage qui l’avait touché au fond et qui du coup la rendait plus douce en sa présence. Du coup elle avait l’impression de redevenir faible et était donc déterminé si elle entrait dans cette pièce à ne pas laisser retomber si facilement son armure.

Ce besoin de contrôle si cher à ses yeux, cette tendance à manipuler plutôt que demander elle avait fini par les retrouver. Dans ce couloir d’hôpital, fixant une des porte, elle était toujours bien décidé à ne plus se laisser reprendre à ce genre de laisser aller. Elle était toujours très exigeante envers elle-même, elle n’avait aucune confiance concernant l’avenir et les personnes normales, mais elle ne pouvait ni les fuir ni les faire disparaitre, alors elle se fondait dans la masse commune, tout en essayant de s’élever et de finalement sortir un peu du lot pour se donner toutes les chances de survivre. Elle assumait et était fier d’être une mutante, mais elle n’était pas stupide, elle fonçait rarement tête la première, préférant les moyens plus détournés et subtils. Il fallait vraiment qu’Ashlyn discute avec Qassim, elle n’avait pas le droit de le laisser dans l’ignorance de ce qu’il était, elle n’avait pas le droit de le priver du monde qui s’offrait à lui. Il était un mutant, un être exceptionnel, il ne devait pas gâcher son potentiel. Elle allait lui offrir la même chance qu’on lui avait offerte à savoir celle de ne pas être un rebut et un poids de la société. Le problème c’est qu’apprendre à quelqu’un qu’il était mutant elle ne l’avait jamais fait. Les autres mutants qu’elle avait rencontré n’ignorait en rien leur condition et réfléchissait au meilleur moyen d’amener le sujet.

Elle ignorait si quelqu’un avait mentionné sa présence discrète et ses visites où elle finissait toujours par repartir à l’occupant de cette chambre dont elle fixait désormais la porte depuis dix bonnes minutes. Elle ignorait qu’elle genre d’accueil lui serait réservée. Elle ignorait si Qassim avait compris qu’elle était la responsable de ce qu’il lui était arrivé. Elle savait juste que son mensonge avait marché pour qu’on ne pose pas de question gênante pour le moment. Il fallait qu’elle entre pour faire un nouveau point sur tout ça. Elle leva la main et frappa, la marque de brûlure toujours bien voyante sur son bras, rappel cuisant de toutes ses erreurs faite en une simple et banale journée. Et ce n’est qu’après une longue inspiration et ses résolutions bien en tête qu’elle entra.

Il avait l'impression qu'on se foutait de sa gueule depuis plus d'une semaine. Ou était-ce deux? Ou plus? C'était à dire qu'il avait quelque peut perdu la notion du temps depuis qu'il n'avait qu'une occupation quotidienne: fixer les tuiles du plafond, regarder l'infirmière s'Appliquer doucement à le réconforter alors qu'il se contentait d'une grimace douloureuse ou de mauvaise humeur évidente. Il n'avait certes pas été le patient plus agréable qui soit. Non pas qu'il avait mauvaise langue. Il s'était montré très doux, compréhensif, bien que peu bavard. Son visage se décomposait toujours un peu à la présence d'autre gens et il ne semblait pas particulièrement ravi de l'état dans lequel il se trouvait. Qui le serait, d'ailleurs? Il s'était rapidement habitué à ces présences régulière et s'en était aussi rapidement blasé. Il n'avait pas souvenir des premières heures, premiers jours, passé en ses lieux. Après l'accident, ils avaient constaté sa conscience très fébrile. Son état d'éveil, surtout, les avait inquiété. Et on l'avait drogué. Suffisamment pour qu'il ne sente plus rien. Suffisamment pour qu'il en perde le nord et toute notion de réalité. Lorsqu'on l'avait considéré moins douloureusement, on le laissa plus libre de ses pensées et de ses mouvements. Il s'était habitués à leur pas dans les couloirs. Au vacarme de jour comme de nuit. Il s'était habitué aux visites de sa mère harcelante qui s'inquiétait trop. Il l'avait vu se mettre en colère contre tout, contre la moindre faute, aussi minime fut-elle. Il l'avait vu pleurer et rire tout à la fois. Et il s'était écouté la rassurer. Comme s'il l'avait fait sans en avoir réellement conscience. Comme s'il n'était plus tout à fait lui-même. Et ses pensées se tournaient parfois vers les flammes de ses souvenirs et il se questionnait: pourquoi?

Il passa une main contre son abdomen encore rouge. Il baissa ses yeux gris contre les bandages blancs qui lui montait jusqu'au cou. Il se dépêcha de mettre sa veste neuve pour les dissimuler sous une épaisse couche de vêtements, malgré les protestations de son corps tout entier, devenue boule souffrante, depuis, qu'il cherchait à ignorer. Il se demanda comment c'était possible, en passant devant le miroir, récupérant ses quelques effets personnels qui trainait ici et là dans la petite pièce. On lui avait dit qu'il avait eut plus de chance que le plus chanceux des hommes. Que n'importe qui aurait dû souffrir plus que lui. Que n'importe qui ne serait plus là pour en parlé. Que la pointe de métal qui l'avait traversé de part et d'autre aurait dû le tuer. Sans oublié les brulures qui l'avait quelque peu métamorphoser. Brulures qu'il dissimulait mieux qu'il ne l'aurait prévu, d'ailleurs.

Il fourra le tout dans un sac, resserra une échappe à son coup, attrapa la feuille de permission de sortir et posa la main sur la poignée au moment où cette dernière se tournait en sens inverse. Il recula d'un pas ou deux, question de ne pas se prendre la lourde porte métallique en pleine tête. Se serait bien le comble de ses problèmes. Son regard muet s'arrêta sur le visage féminin, sur la douce chevelure brune qui l'aurait fait rougir habituellement. Il cligna des paupière à quelques reprises, comme s'il n'était pas certain de la réalité de la chose, son esprit toujours un peu sous l'effet des calmants qu'on insistait pour lui faire prendre encore. Et comme si on avait appuyé sur l'interrupteur de son cerveau amorphe, son visage s'éclaira.

-Ashlyn! Qu'est-ce que tu...

Il s'interrompit, confus à travers ses propres propos. Elle n'était jamais venu. Pas dans ses souvenirs, du moins, et il avait cru qu'au fond, c'était mieux ainsi. Il n'avait jamais eu l'intention de la revoir, dès le départ, même si ça présence lui avait réchauffer le coeur, le temps d'une courte rencontre mouvementée. Mais il n'avait s'empêcher de ressentir ce vague sentiment d'abandon en constatant son absence. Avait-il réellement espéré qu'une inconnue qu'il ne connaissait pas, malgré le fait d'avoir exploser dans la voiture de cette dernière, vienne seulement lui prêter davantage attention? Mais elle était là, pour son plus grand étonnement.

-Je sortais... Aujourd'hui, en fait. Tu vas bien? J'ai cru que peut-être, enfin...

Il ne s'était pas arrêté à savoir si elle avais tété blessé et ne le faisait que maintenant, ce petit air ahuris sur ses traits, comme s'il réalisait soudainement la réalité même.

Elle avait franchi le pas et finit par tourner cette fichue poignée de porte pour entrer dans la petite chambre d’hôpital, à la décoration aussi morne que le reste du bâtiment. Ashlyn n’avait d’ailleurs pas fait deux pas qu’elle était déjà nez à nez avec Qassim, debout, ses yeux gris la fixant comme s’il était face à une apparition. Le silence prit place, la technopathe préférant évaluer l’état et le degré de réaction du vendeur avant de se lancer dans un quelconque discours. Elle le fixait droit dans les yeux, sa détermination à ne pas laisser tomber ses barrières trop vite brandit tel un masque. La lueur de vie furtive qui apparue sur le visage du mutant l’ébranla quelque peu, mais elle tint bon, ne cédant pas à son envie de lui décrocher un mince sourire d’excuse. L’explosion avait été pire qu’une claque, la faisant revenir sur terre de façon on ne peut plus brutale. Déjà sur son manque de prudence à se servir de son pouvoir devant une personne normale, ensuite sur son absence totale de méfiance et la totale incohérence de son comportement par rapport à ce qui lui était habituelle.

Une fois la surprise de l’homme passé, le silence se réinstalla. Elle se demandait vraiment qu’elle serait sa prochaine réaction. Si la mutante avait été de ses bonnes personnes, celles qui, dans de telles situations, s’inquiètent et sont présentes pour de quasi inconnu, un peu dans le genre de Qassim au fond, la situation aurait été nettement plus simple pour elle. Mais ce n’était pas dans son caractère, loin de là. Il fallait être honnête, les gens comme eux n’étaient pas amenés à se fréquenter plus que ça ou à sympathiser. Aucune des relations de la technopathe n’était semblable au vendeur, qui malgré tout était parvenu à l’amadouer. Alors qu’allait-il faire face à se lâche abandon –qui avait failli être bien réel finalement. Lui crier dessus ? La fusiller du regard ? Ashlyn n’arrivait pas à imaginer Qassim faire ce genre de choses, mais elle aurait préféré, c’était des choses qu’elle savait gérer et qui ne l’atteignait guère plus. La colère froide alors ? Non ça c’était plus son genre et imaginer le vendeur ainsi était nettement plus terrible pour ses défenses. Et dire que le pire dans cette journée serait sans doute le moment où ils en viendraient à comment il avait survécu.

De plus, il sortait le jour pile où elle se décidait à lui parlé enfin…elle ne savait pas trop si c’était jouer de chance ou de malchance. Peut-être plus de chance en fait, elle pourrait aborder les sujets sérieux avec plus de sérénité que si elle avait eu la crainte qu’on les surprenne ou qu’on les entende. Elle se détendit un poil à cette idée, mais cela s’estompa bien vite quand la première chose que fit Qassim, fut de s’enquérir de son état. D’un coup sa culpabilité monta d’un cran. Oui toujours chose rare chez elle, elle se sentait coupable. Coupable d’avoir fait exploser sa voiture –de façon inconsciente, mais tout de même volontaire. Coupable de ne pas faire partie de ses personnes aimables et parfaites aux yeux du monde. Son passé était pourtant jalonné d’actes peu catholiques et même criminels aux yeux des lois, mais jamais elle n’avait ressenti de culpabilité pour ça. Alors cela venait-il du fait qu’elle aimait bien ce nouveau mutant qui avait croisé sa route ?

« Je vais bien merci. »

Elle eut un léger réflexe et passa la main gauche sur son avant-bras blessé en continuant de soutenir le regard gris du vendeur. Physiquement parlant elle allait beaucoup mieux que lui s’était à n’en pas douter. Intérieurement une foule d’émotions se succédaient, son ego avait été mis à mal par l’incident, sa désinvolture aussi. D’ailleurs elle ne posa pas de question sur son état à lui. En fait elle le connaissait à peu prêt, s’en étant informé, mais de loin. Sauf que ça il ne le savait certainement pas et ses barrières étant toujours là elle ne le ferait sans doute pas. Elle desserra à nouveau les lèvres, il était grand temps qu’elle s’explique et surtout qu’elle aborde le sujet très important de la mutation –qu’elle n’avait pas vraiment bien défini- de Qassim.

« Je suis venu m’excuser en fait. Et je pense qu’il y a d’importantes choses dont nous devons discuter. »

Elle soutenait toujours son regard, n’avait pas baissé les yeux une seule fois. En cet instant elle était tout ce qu’il y a de plus sérieux, important parallèle avec le comportement bon-enfant qu’elle avait eu avant l’explosion.

Elle hésita. Il le perçu inévitablement. Elle hésita peut-être dans un étrange malaise qu'il ne saisissait pas entièrement. Peut-être parce qu'elle non n'avait, au final, jamais vraiment désirer se retrouver de nouveau face à lui. Mais alors, pourquoi s'être pointé le nez? Mental, il se renfrogna. Il n'avait pas eu conscience de ce qui avait pu se produire après les évènements et il n'avait plus eu de nouvelle d'elle. Sur un coup de tête, ça lui avait semblé important de prendre de ses nouvelles. Mais elle ne semblait pas aussi enclin que lui à ce genre d'inquiétude amicale dont il aurait sans doute fait preuve envers n'importe qui. Elle allait bien. N'était-ce pas la seule chose qui comptait vraiment? Elle ne semblait pas du même avis que lui sur ce point.

Il se contenta d'un sourire rassuré. Il n'insista pas sur le mouvement qu'elle eut, comme on guète une ombre. Il ne l'interrogea pas comme elle ne l'interrogea pas non plus sur son propre état. Désirait-il en parler, de toute manière? Il n'en avait certes pas l'énergie à ce moment de détailler tous les petits problèmes que l'incident lui causait à ce jour. Et son doux sourire ne s'était pas effacé parce qu'il ne comprenait pas où elle voulait en venir. Elle s'excusait franchement sous son regard silencieux. Pour tout dire, même dans un rêve fou, il ne lui paraissait pas logique qu'elle fut impliquée d'une manière quelconque dans ce qui s'était produit. Et il n'avait pas songé une seule seconde à devoir pardonner qui que ce soit. Elle moins qu'une autre. Par réflexe, il eut ce haussement d'épaules caractéristique chez lui d'un état de lassitude évidente. Bien que cette fatigue morale autant que physique était principalement due aux drogues en pilules qu'on lui donnait depuis son débarquement improvisé dans ces lieux aseptisés qu'il détestait tant, finalement. Il avait noté dans un coin de sa tête qu'elle semblait avoir changée depuis l'explosion et il n'était pas certain de devoir prendre les choses de manière enthousiasme. Et pour tout dire, il sentit qu'il devait se méfier de ce qu'elle insinuait, même s'il ne voyait pas de quoi il s'agissait.

Il passa le bras valide dans la ganse du sac et le passa à son épaule, bien que le moindre mouvement le déséquilibrant le torturait, il s'avança finalement pour passer le seuil de la porte, porte qu'il laissa se refermer d'elle-même derrière lui.

-Ch'ai pas pourquoi tu t'excuses. À moins que t'ai foutue une bombe sous le siège de la voiture... Je t'aurais sans doute hanté de longues années.

Même si son ton était un peu mâché, il ne pouvait s'empêcher de faire de cet humour vocal d'un naturel chez lui qu'il exprimait à qui voulait bien l'entendre, et puisque ça avait fonctionné sur elle au début, il ne s'imaginait pas la voir se braquer contre la moindre de ses paroles. À dire vrai, il avait préféré ignorer la tension qu'il sentait chez elle. Il ne lui demanda pas son avis lorsqu'il repris sa marche pour se rendre d'un pas vague, presqu'étourdis, et malgré tout fiable, jusqu'à l'accueil, comme si trainer son propre corps lui était une idée insupportable qu'il faisait tout de même par égo. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle reste planté derrière lui et lui lança toujours ce même regard insistant. Si elle voulait parler avec lui, elle l'accompagnerait d'une manière ou d'une autre vers cette sortie.

-Je pense que l'air frais va m'aérer le cerveau suffisamment pour comprendre cette chose importante dont il faut s'entretenir! lâcha-t-il finalement, faisant mine de savoir de quoi il s'agissait, peut-être pour intriguer la moindre oreille curieuse, ou simplement parce qu'il ne savait trop que faire d'autre pour attirer son attention à elle.

Son visage était grave, son ton aussi sérieux que possible alors qu’elle prononçait ses faibles mots d’excuses, et pourtant face à ça Qassim restait toujours…Qassim. Il n’avait pas perdu son sourire gamin, avait eu ce haussement d’épaule, assez désinvolte et qui semblait être une sorte de reflex caractéristique. Peut-être ne comprenait-il pas ce qu’elle semblait lui dire ou ne la croyait-il pas. Après tout il ne pouvait pas se douter qu’elle était capable d’imposer sa volonté aux machines, mais il y avait son histoire à lui non. La question de comment il avait réussi à survivre avait bien du lui traverser l’esprit au moins une fois. Et quand bien même ce ne serait pas le cas, elle s’attendait à ce que l’accident dont il avait été victime l’ait au moins un minimum secoué. Mais non face à elle Qassim semblait toujours rester Qassim…Toujours ce même humour, ce manque de sérieux alors qu’il s’éloignait et que cette porte si longuement fixé se refermait devant son nez.

Elle ne mit pas longtemps pour le suivre. Elle lâcha un soupir face à l’ampleur de la tache qui semblait l’attendre pour faire comprendre au mutant ce qu’il était et se détourna pour le suivre. C’était à son tout de se trouver à quelques pas derrière et de le suivre, comme si elle n’était toujours pas prête à affronter le sujet malgré toute sa volonté. A vrai dire elle était plutôt contente de quitter les murs de l’hôpital, déjà parce qu’elle ne les aimait pas beaucoup et surtout parce qu’elle pourrait discuter avec le vendeur au calme, sans mots couvert ni sans interruption d’aucune sorte à part les questions ou objections que ce dernier lui opposerait sans doute. D’ailleurs à qu’elle réaction devrait-elle s’attendre quand ils auraient enfin abordé ce fameux sujet de la mutation. Elle avait imaginé plusieurs scénarios, mais Qassim semblait exceller dans la discipline consistant à la prendre à contre-pied, à lui faire perdre ses moyens et à complètement la détourner de ses idées. Un vrai calvaire pour sa volonté et ses nerfs en cet instant. Pourquoi ne pouvait-elle pas se comporter comme à son habitude avec lui. Elle préféra finalement laisser tomber, et attendre de voir ça quand ils y seraient. Elle fit disparaitre les quelques pas qui la séparaient de lui pour finalement marcher côte à côte alors qu’ils continuaient sur le chemin menant à la sortie.

« Je pense en effet que tu auras besoin de tout tes esprits pour bien comprendre ce que je vais te dire. Et je suis sérieuse, je suis vraiment venue m’excuser.»

Elle n’avait pas vraiment l’impression que ce qu’elle avait sous-entendue en s’excusant ait bien fait son chemin dans son esprit. Elle était toujours autant déstabilisée par le vendeur et ne parvenait du coup plus à être bien juge de ses réactions ou de ce qu’il semblait penser. C’était décidément très agaçant et terriblement frustrant pour Ashlyn et pourtant elle ne pouvait s’empêcher de vouloir en savoir plus sur lui, sur sa mutation, mais aussi de vouloir l’entrainer à sa suite dans cette histoire.

« D’ailleurs puisque tu sort aujourd’hui, quelqu’un passe te chercher ou tu te débrouilles pour rentrer chez toi ? Parce que je pense que notre discussion pourrait être un peu longue. »

Et elle ne se voyait franchement pas aborder le sujet avec le risque que des oreilles imprévues écoutent ce qu’elle avait à dire. Elle se voyait également mal expliquer ce qu’elle faisait là et qui elle était à la famille ou aux amis de Qassim. Au final elle ne savait toujours pas ce qu’elle préférait, qu’il sorte ou qu’il ne sorte pas. C’était le retour de cette fichu indécision qu’il était là encore l’un des rares à lui coller.

Pourquoi ne fuyait-elle pas ? Pourquoi se laisser t’elle amadouer et mener ainsi ? Elle n’en savait fichtrement rien en dehors du fait qu’au fond d’elle-même elle appréciait le mutant et l’aimait bien. Voilà les questions qui se bousculaient alors qu'ils quittaient le grand bâtiment.

Ce n'était pas de l'indifférence qu'il éprouvait. Mais son manque de sérieux l'affligeait alors qu'il lui faisait face. Il décrocha un sourire provoquant de frustration à l'infirmière de garde qui elle, en retour, lui lança un regard d'une méfiance sans borne lorsqu'il posa les papier sur son comptoir vitré. Elle le fixa encore un moment avant de se mettre à fouiller dans les dossiers, faisant mine d'ignorer son patient agaçant. Non, il n'avait de toute évidence pas été le plus sage d'entre tous depuis son arrivée. Sans doute parce qu'il détestait particulier ce lieu au point d'en faire une phobie nerveuse. Il plaisantait sur un oui ou sur un non. Sur un rien. Et il avait bien capté l'humeur de la brune qu'il qualifia de purement féminin. Il ne s'y arrêta guère longtemps en songeant qu'elle se montrait peut-être que sous une lueur plus naturelle maintenant qu'ils avaient fait plus connaissance entre incident bruyant et flambant. Elle montrait toutefois une sensibilité qui l'étonnait: il ne s'était pas vraiment attendu à la revoir après tout ce qui s'était passé. Il avait conclu qu'elle lui fuyait peut-être... Ils ne se connaissaient pas plus que ça, après tout. Se sentait-elle responsable de lui? Il en avait l'impression au vu du sérieux qu'elle arborait tout au contraire du blond.

-Bien sûr, je te crois que tu es sérieuse, lâcha-t-il toujours face à la vitrine, d'une voie un peu ironique, comme s'il ne comprenait pas ce qu'elle cherchait, ou ignorait-il volontairement les messages que le timbre de voix ou les mots qu'elle disait signifiait. Peut-être craignait-il, au fond, ce qu'elle était venu faire en ce jour précis. Parce qu'il sentait que ce n'était pas seulement de s'excuser pour rien qu'elle était venu se présenter à lui précisément le jour où lui obtenait ses ailes de la liberté. Il tourna finalement ses yeux vers elle, dans une incertitude. Il se montra pourtant calme et aussi léger que d'habitude. La regarder effaçait cette crainte subite du ridicule. Avait-elle changé quelque chose dans son état de lassitude quotidien? Il eut un haussement d'épaules désinvolte qui lui arracha un soupire douloureux qu'il retint devant elle, par orgueil sans doute.

-J'en ai parlé à personne. Je serais probablement entourer de cinquante gardes du corps à l'instant, sinon. Tu sais ce que c'est, la célébrité...

L'infirmière lui donna quelques conseils de santé rapide: prendre le lit serait une bonne solution pour effacer les quelques drogues en surplus qui l'assommaient toujours. Elle semblait presque ravi de le voir accompagner, comme si elle avait craint de le voir prendre le volant... De toute façon, il ne s'y reprendrait sans doute pas deux fois, ayant sans le savoir développé une terreur certaines pour ce qui concernait tout véhicule. Il décrocha finalement un nouveau sourire zombifié à Ashlyn et pris la direction de la porte coulissante, sans demander son reste. L'air frais s'engouffra entre les portes et il eut sur le coup l'impression de faiblir devant la clarté douloureuse de la lumière du jour. Comme s'il ne l'avait jamais vue. Comme un nouveau né.

-Bon alors, quel est don ce sujet siiiii important dont je devrais être au courant? questionna-t-il, non pas insolant, mais sur ce ton toujours un peu gamin et sans grand sérieux.

Spoiler:

Elle le scruta longuement tandis qu’il s’occupait des papiers avec l’infirmière, sans doute dans le vain espoir de distinguer le fond de sa pensée. Ses yeux verts se plissèrent légèrement, méfiance légère quand à la sincérité avec laquelle il affirmait la croire. Finalement elle abandonna l’idée de prévoir ses réactions. Elle attendrait patiemment qu’ils soient dehors pour engager la vraie bataille. Celle de convaincre Qassim qu’il faisait parti du monde mutant. Sur ce point Ashlyn doutait très peu que le vendeur lui facilite la tache d’une quelconque façon. Il y avait même des chances qu’elle soit déçue s’il ne lui opposait aucune résistance. Elle n’aimait pas la facilité après tout et là il y avait des chances qu’elle soit servie. Après tout elle avait en quelque sorte trouvé en Qassim un adversaire redoutable, tant par leur caractère opposé que par la facilité avec laquelle il la déstabilisé. Elle n’en était donc que plus prête à relever le défi. Ce ne serait donc qu’un retour d’ascenseur qu’elle lui fasse perdre ses repères en l’entrainant avec elle dans le monde mutant. Rien de trop méchant non, un simple petit bottage de fesse amicale qui avec un peu de chance le pousserait à se réveiller un peu.

Elle ne put s’empêcher de rouler des yeux face à son comportement et sa remarque alors qu’ils quittaient enfin l’hôpital. Elle avait beau se dire qu’elle allait lui faire ouvrir un peu les yeux, au fond ce n’était pas gagné. Heureusement pour lui qu’elle l’aimait bien parce que sinon il y avait des chances pour qu’elle lui ait déjà mit un véritable coup de pied dans le derrière. Mais elle ne devait pas se faire avoir tout de suite par le naturel dont elle faisait preuve avec Qassim. Ses défenses étaient toujours en place, prête pour ce qui allait suivre. Le vendeur aborda même le sujet de lui-même, l’étonnant à nouveau. Ashlyn était persuadée que ce serait à nouveau à elle de faire un pas dans cette direction. Il avait toujours son petit air gamin, mais mieux valait ne pas s’y fier pour le moment. Repassant toutes ses stratégies mentalement elle décida finalement d’amener le sujet avec une certaine douceur. Elle voulait le mettre face à la réalité des faits certes, mais il était plus judicieux de ne pas l’effrayer dès le départ.

« Le sujet siiii important concerne l’accident qui t’as amené tout droit à l’hôpital. Je pensai même que tu aurais un tas de questions à me poser sur ce sujet. »

Elle n’avait pas pu s’empêcher de l’imiter, bien que son intonation à elle sonna un peu plus comme un reproche pour son manque d’intérêt. Ils continuaient d’avancer, s’éloignant un peu plus de l’imposant bâtiment à chaque pas. Qassim ne semblait pas plus curieux que ça de comprendre tout ce qu’il s’était passé. De comprendre son comportement à elle et semblait encore moins pressé d’obtenir des justifications à cette fichue histoire. Très bien ! Qu’à cela ne tienne, elle allait donc poser les questions pour lui.

« Je ne sais pas si tu te rends compte mais normalement on ne survit pas à une explosion de voiture...»

Elle espérait de tout cœur qu’il ne se braquerait pas ou dévierait du sujet par une pirouette habile. Elle avait la ferme intention d’aller jusqu’au bout, de lui faire comprendre qui il été et les possibilités que cela lui ouvrait. Après tout il était possible de faire ça bien sans qu’aucun n’en souffre. Ca pouvait parfaitement se dérouler comme n’importe quelle conversation normale. Une conversation entre « amie ». Elle grimaça intérieurement. Non pas à l’idée qu’elle finisse par devenir amie avec le vendeur, mais du fait qu’elle s’éloigne dangereusement de ses principes. Normalement elle n’aurait eu aucun scrupule, mais, au fond d’elle-même, cette petite part de faiblesse que Qassim avait fait ressortir la suppliait de ne pas le blesser par ses propos.

L’air extérieur lui fit plus de bien qu’il n’aurait voulu se l’avouer. Il mit un temps, d’abord, à s’accoutumé à la clarté plutôt lumière comparativement à sa chambre, et ce n’était pas forcément pour lui déplaire. Il ne s’était jamais attendu à la revoir, et c’était peut-être son visage, derrière la porte ouverte, qui l’avait tant perturbé, sans qu’il ne veule se l’avouer directement. Et s’il ne la regardait pas de face, ou qu’il évitait un peu de croiser ses traits qu’il sentait plutôt tendu, sans qu’il ne s’explique vraiment lui-même pourquoi, il ne pouvait s’empêcher de se demander : pourquoi? Pourquoi était-elle là, en cet instant? Qu’avait-il eu de si particulier pour qu’elle ne daigne s’inquiéter ou seulement se préoccuper de sa santé? De sa vie, comme elle semblait vouloir l’entendre? Et si ça lui avait suffit, à lui, de ne pas sortir vivant de cet incident? Et s’il l’avait souhaité? Bien sûr, entre les cris presque déments de la douleur, avant qu’on ne le force au coma, il y avait songé. Il y avait songé, et il n’était plus certain de le vouloir toujours ainsi. À vrai dire, depuis son réveil, tout semblait avoir changé : sa vision, le monde. Lui. Lui avait changé plus que n’importe qui d’autre. Il le sentait, là, chatouillant quelque part, quelque chose au fond de son ventre. Comme une vibration, une dictature qui prenait le dessus sur chacune de ses pensées. Il ne croyait pas qu’il aurait dû s’en sortir. Et pour tout dire, ceci l’étonnait encore.

Il haussa les épaules, ignorant volontairement le ton qu’elle utilisait pour s’adresser à lui, comme une mère faisant des remontrances à son enfant. Il n’était pas encore certain de la manière avec laquelle il devait s’y prendre : peu importe ce qu’il faisait ou disait, elle semblait bien décidé à lui faire la tête pour une raison qui lui échappait. Il avait pourtant cru bien s’entendre avec elle, au départ, et c’était ce qui lui avait le plus plu, chez elle. Mais ils ne se connaissaient pas. Du moins le réalisait-il, à présent. Son pied buta contre une minuscule pierre. Lui-même semblait boudeur en cet instant. À quoi aurait-il dû s’attendre venant d’elle? Il ne savait trop. À vrai dire, elle l’étonnait. Elle ne lui devait rien, pas plus qu’il ne lui devait quoi que ce soit. Était-ce du harcèlement? Il ne s’en plaindrait certainement pas qu’une femme, aussi belle fut-elle, lui harcèle les fesses de cette manière. Il était de ces êtres capables de mettre de côté ce qui le dérangeait et de sourire, comme si de rien n’était, et de pensée, amèrement, quelques insultes sans jamais les prononcer véritablement. Mais sa voix continuait, comme si elle ne pouvait s’empêcher de créer une réaction qu’il s’efforçait à tant dissimuler. Que cherchait-elle, exactement? Une crise? Des larmes? De le voir s’apitoyer sur son sort? Qu’en avait-il à faire? Le monde n’avait pas cessé de tourné parce qu’il avait sauté avec une voiture. Il fixa son regard devant lui, reniflant un coup, plissant du nez, dans un énervement retenu. Pourquoi le suivait-elle si c’était pour lui faire ce genre de commentaire? Ne pouvait-elle faire comme tout le monde, le saluer, prendre de ses nouvelles, l’invité à manger un bon spaghetti et le quitter en bon terme? De toute évidence, ce n’était pas le cas.

Il s’arrêta brusquement, dans un effet de tension et d’agacement, sans forcément le rejeter sur elle. Il venait de passer plusieurs semaines infernales, et il n’en était toujours pas sorti avec ces douleurs qui ne le quittaient jamais vraiment, désormais. Il n’en disait toutefois mot.

— Bien sûr que je me rends compte, qu’est-ce que tu crois? C’est simplement… tu sais! Je n’avais pas forcément envie d’aborder le sujet parce que je le côtoie à tous les foutus jours depuis.

Allait-il lui dire qu’il savait depuis longtemps qu’il y avait quelque chose qui clochait avec lui? Que ce n’était pas tout à fait la première fois, mais que c’était fois, c’était bien plus grave, bien plus marquant, mille fois plus évident? Non, bien sûr que non. Elle le prendrait pour un taré, sans doute… Bon à enfermer.

— Qu’est-ce que t’en as à faire, de toute façon? On aurait pu juste aller prendre un putain de café et se raconter de conneries du genre «Hooo ouais, y’a mon voisin de chambre qui m’a vomis dessus, hier matin!»

Mauvaise humeur. Elle n’y avait jamais goûté. Il parlait davantage sur un ton boudeur que sur un ton en colère.

Tandis qu’elle marchait de front avec Qassim, l’observant quelque peu à la dérober, un phénomène pour le moins inattendu semblait prendre place. Ce haussement d’épaule plus marqué, cette mine un rien renfrognée et boudeuse qui semblait tout faire pour éviter de la regarder donnait à Ashlyn le faible espoir que peut-être elle avait fini par provoquer une réaction nouvelle à son comportement habituel. Le cerveau de la technopathe se mit en marche afin d’analyser au mieux la situation. Est-ce qu’au fond cette attitude de gamin, pas motivé pour un sou n’était pas un mécanisme de défense qu’avait développé le vendeur. Du même genre que l’armure qu’elle s’était faite à partir de son statut de femme d’affaire. En ce cas, elle venait sans doute d’y ouvrir une brèche, le rendant d’un coup plus accessible à ses yeux, gommant aux passages quelques unes de leurs différences. Mais si elle se trompait ? Elle était désormais habituée à douter de ses capacités quand il s’agissait du vendeur. C’est dans des moments pareils, face à des personnes comme Qassim qu’elle pensait que tout serait plus simple si les Hommes fonctionnaient comme des machines. La technopathe serait alors capable de les lire, de les comprendre avec une réelle facilité, échappant ainsi à jamais au risque de souffrir ou de se faire avoir encore et encore.

Mais si réellement elle était parvenue à franchir un pas dans sa compréhension de Qassim alors elle se devait d’en profiter pour amener le sujet de la mutation. Elle devait continuer de le suivre et d’amener la discussion jusqu’au fameux sujet qui expliquerait le paquet d’ennui qu’elle avait provoqué le jour de l’accident. La situation semblait enfin tourner plus à son avantage. De ce fait elle se sentait mieux, plus à l’aise en sa présence au point qu’elle avait à nouveau baissé ses défenses, jusqu’alors brandit pour le maintenir éloigner tandis qu’elle se fustigeait pour sa stupidité. Le mutant lui semblait être arrivé au bout de sa patience et s’arrêta brusquement, la faisant se retourner vers lui, alors qu’il partait en un petit éclat.

Enfin il exprimait le fond de sa pensée, sortant de cette indifférence qui l’avait jusqu’alors tant perturbé. Enfin il réagissait et se décidait à parler, à s’ouvrir sur ce qui s’était passé. Il eut un très bref moment de flottement avant de repartir dans sa tirade. Comme s’il avait été sur le point de laisser échapper quelque chose. La technopathe était désormais presque certaine qu’un grand nombre de questions devait tourner dans sa tête. Il ne lui restait alors plus qu’à le convaincre d’écouter les réponses qu’elle était venue lui apporter. Ils n’avaient toujours pas bougé et elle se contenta de hausser un sourcil quand il lui reprocha ce début de conversation d’un ton boudeur. Il en fallait beaucoup plus pour l’impressionner ou la décontenancer. Elle se décida à entrer dans le jeu et lui répondit d’un magnifique sourire.

« Tu crois vraiment que raconter des conneries empêchera tout ça de hanter un coin de ton cerveau ? »

Elle avait posé cette question d’un ton calme, serein, sans marque de reproche, sans colère, une simple interrogation sincère et rien de plus. Le Qassim qu’elle avait à l’instant sous les yeux n’avait pas tant à voir que celui qu’elle avait rencontré dans cette boutique si ce n’est ce naturel et cet élan d’affection qu’il déclenchait chez elle.

« Je peux comprendre que tu ne souhaites pas aborder le sujet, mais comprendre et répondre à toutes ses interrogations qu’il a du susciter est le meilleur moyen de t’en libérer crois moi. »

Elle était sincère dans son affirmation. Ce que semblait ressentir Qassim elle en avait fait l’expérience bien avant lui et en venant lui parler, elle lui apportait son aide. Chose qu’elle n’aurait jamais reconnu en face, arguant plutôt qu’elle se devait de lui dire qui il était vraiment.

« C’est vrai qu’on aurait pu juste aller prendre un putain de café comme tu le dis si bien, mais je n’ai pas pour habitude d’agir comme une personne normale et je pense que ce n’est pas fait pour toi non plus. »

Elle ne l’avait pas quitté des yeux de tout son petit discours, sa voix ne s’élevant pas d’une octave. Elle avait glissé de petits sous-entendus à sa phrase, afin de voir sa réaction. Etrangement la situation semblait désormais complètement inversée, comme si en perdant un peu de son sang-froid, Qassim avait redonné de son caractère à Ashlyn. Joueuse, un brin manipulatrice, elle décida de changer radicalement de stratégie. Bien que la confrontation porta un peu ses fruits, le vendeur la suivait à reculons dans cette histoire. Mieux valait qu’elle le laisse venir à lui. Elle s’avança et une fois proche ajouta sur le ton de la confidence « Je ne doute pas de ton intérêt pour le vomi de ton voisin et libre à toi de m’écouter ou non, mais ce que j’ai à te dire est bien plus fascinant que ce dont tu dois avoir l’habitude. », avant de faire quelques pas de plus, lui tournant ainsi le dos, attendant sa réaction.

Qassim était un être d’un naturel assez doux et passif. Il n’était pas celui qui avait pour habitude de confronter tout le monde à tout bout de champ. Il n’était pas celui qui avait tendance à impressionner les gens par un talent d’orateur insultant. Il n’était certes pas le plus poli, ni le plus beau, ni le plus fantastique des hommes. Il était même plutôt minable, et c’était sous un œil souvent riant qu’on l’observait. Il s’en moquait. Il s’était toujours moqué de ce que les gens pouvaient penser de lui. Il se moquait de regards, des murmures. Il n’était pas celui qui se révoltait violemment contre les injustices du monde. Il s’apitoyait un peu en silence, se recroquevillait dans son coin, boudeur. Et la plupart du temps, il souriait stupidement, naïvement, à tout passant, à tout être. Sa mère lui disait que sa bonne humeur rendait les gens heureux. Vrai. Il n’était jamais vraiment de mauvaise humeur malgré sa passivité parfois dérangeante. Peut-être l’aimait-il cette vie là d’insignifiances quotidiennes. Peut-être ne voulait-il pas changer de ces mornes et ennuyeux jours qui se répétaient.

—Oui, je le crois, répondit-il entre ses dents et plus pour lui-même, alors qu’elle continuait à déblatérer ses propos pour le convaincre d’il ne savait trop quoi exactement. Oui, il avait toujours cru que rire et plaisanter était le meilleur moyen pour se faire croire qu’il menait une existence un minimum digne d’être vécu. Oui, il croyait que raconter ce genre de conneries lui permettait d’oublier à quel point il n’était qu’un rien du tout. Oui, ça lui remontait le moral. Était-ce une faute? Il la fixait de cet air toujours aussi renfrogné, reprenant peu à peu les habitudes de celui qui préfère contourner et ignorer le problème plutôt que de lui faire face directement.

Il ne savait pas exactement ce qu’il voulait. Ashlyn l’étonnait depuis le début. Elle était l’image de la femme forte, celle qui ne se laisse abattre par aucune tempête. Et il était là, roseau cassant à la première brise menaçante. Il ne comprenait toujours pas pourquoi elle s’était de nouveau présentée à lui, comme une amie, comme un ange gardien, comme celle qui voulait assommer sa conscience endormie. Elle n’était pas en colère. Posée, elle avait bien meilleure allure que lui. Du coup, il s’en voulait presque d’avoir haussé le ton contre elle. Elle n’y était pour rien. Elle n’y avait jamais été. Il ne lui en voulait pas personnellement. Et s’il avait pu le dire, il lui aurait déclaré qu’il n’en voulait qu’à lui-même de sa stupidité. Elle lui parlait de chose dont il n’était pas certain de comprendre entièrement. Il devinait, ou tentait de deviner entre les lignes de ses paroles qu’elle semblait vouloir rassurantes, peut-être même amicales. C’était comme si son cerveau refusait d’écouter, et lui, il se contentait de regarder ses lèvres se mouvoir plus rapidement que sa propre réflexion.

La normalité. S’il y avait bien un être normal, c’était Qassim. Qassim qui représentait la banalité même de toutes ces vies grouillantes en la grande ville de New-York. Qassim qui n’avait jamais rien représenté pour personne. Qassim qui n’aspirait pas à grand-chose. Qassim qui respirait l’insignifiance. Et elle lui disait qu’il n’était pas fait pour la normalité. C’était un peu comme pousser l’oisillon en bas de son nid, sa lui avoir montré comment voler au préalable. Était-il prêt à se jeter dans le vide, sans attache, sans support? Non. Il aurait répondu que non. Mais le visage sérieux de la brune l’empêcha de penser ainsi. Il la considéra un moment, en silence, ne sachant comment ordonner ses propres idées à ce moment. Il n’était ni le plus brillant ni le plus logique des hommes. Lorsqu’elle se rapprocha de lui, il serra son emprise sur son sac, toujours pendant sur son épaule. Il ne bougea pas, se sentant toujours prisonnier de cet air boudeur qui le caractérisait si bien, en cet instant. Il mit un moment à dire ou faire quoi que ce soit, se contentant de la regarder comme si elle allait lui dire que Dieu existait! Puis, il détourna les yeux. Fuite. Fuir un problème qui l’effrayait sans qu’il ne sache véritablement pourquoi et depuis quand. Depuis son accident, sans doute. Il y avait déjà réfléchi, même si elle ne semblait pas le croire.

—J’aimerais quand même mieux aller prendre un bordel de putain de café à la con, lâcha-t-il sur un ton beaucoup moins sérieux, cette fois, appuyant bien sur chaque vulgarité comme si, pour lui, c’était son instant de défoulement, comme s’il signifiait par là qu’il s’était libéré de sa frustration du moment. Qassim resterait le Qassim passif de toujours. Il n’y avait que quelques mots pour le trahir, et c’était très bien ainsi.

Lorsqu’elle se retourna, sa réaction fut plus forte que lui, et surtout inattendu. Elle s’éloigna, lui faisant dos. Il coupa net la distance entre elle et lui en tendant une main pour la rattraper, la saisissant doucement par la main, comme pour la retenir, bien qu’elle puisse se débarrasser de lui d’un regard désapprobateur.

—Je t’écoute, mais je te jure que ce vomi était fascinant… Ch’ai pas ce qu’ils lui avait donner pour déjeuner, et j’suis pas sûr de vouloir le savoir!

Voilà. Retour à un naturel plus rassurant : Qassim l’humoriste, Qassim le simpliste, l’unique.

Elle faisait tout pour amener la situation en douceur bien que Qassim persiste dans son attitude d’enfant boudeur. Elle ne put s’empêcher de sourire face à sa réaction et même à rire un peu. Un rre léger, d’amusement et non de moquerie. Elle ne lui reprochait pas de se refermer comme une huitre, mais s’il pensait la décourager ainsi il se trompait. Après tout si elle était restait au lieu de fuir, si elle était revenu à cause de cette foutue culpabilité c’était pour lui. Bien qu’il semble se complaire dans sa monotonie, Ashlyn voulait qu’il prenne conscience de son potentiel, car au fond elle était certaine qu’il apprécierait le monde dans lequel elle s’apprêtait à le faire entrer, celui des mutants. Elle ne lui reprochait pas non plus son énervement, plutôt légitime et qu’elle méritait sans doute un peu. Le pauvre semblait d’ailleurs assez perdu, ne semblant pas comprendre ce qu’elle lui voulait ou ce qu’elle attendait de lui. Pourquoi fallait-il que ce soit tellement difficile pour elle de s’exprimer avec le vendeur ? Pourquoi perdait-elle ses moyens ainsi ? Elle aurait sans doute pu faire les choses beaucoup mieux, sans qu’il se sente pressé comme un citron ou harcelé par la technopathe. Mais si le sujet lui tenait tellement à cœur, si elle tenait a aidé Qassim en lui faisant comprendre qui il était c’est parce qu’elle avait l’impression qu’ils étaient semblable par certain coté. Elle n’avait pas été toujours aussi forte et déterminé. On lui avait permis d’évoluer dans le bon sens, on l’avait aidé pour ça et aujourd’hui elle souhaitait aider le mutant de la même façon. Bien qu’elle ne semblait pas être très douée pour ça vu la tête qu’il tirait.

Elle le sentit se crisper en se rapprochant, il paraissait presque tétaniser, comme si elle avait été un fauve sur le point de l’avaler ou une sorcière sur le point de lui jeter un sort. Et quand il reprit le dessus ce ne fut que pour détourner le regard face à la menace qu’elle représentait. Il semblait quand même vouloir reprendre la maîtrise de la situation d’une pirouette. Usant de ce petit ton vulgaire qu’il avait déjà eu lors de leur première rencontre. Ashlyn était trop habile, trop habitué aux jeux de pouvoir et de manipulation pour se laisser berner ainsi. Elle avait réussi à se frayer une brèche, elle n’allait pas perdre son avantage. Elle ne s’était pas détourner pour l’abandonner, mais au contraire pour le ramener à lui. Il l’avait rattrapé, sans surprise, adorable et gentil qu’il était. Face à n’importe quelle nouvelle connaissance autre que lui, elle aurait tout de suite mit fin au contact qu’il avait initié. Elle avait au lieu de ça marqué une pause, toute calculé, laissant défiler les secondes avant de lui faire à nouveau face. Manipulatrice elle l’était, mais ce n’était pas vraiment par plaisir qu’elle en usait aujourd’hui sur Qassim. Il semblait désormais plus prêt à l’écouter, bien que toujours un peu à reculons vu ses dires, mais elle ne demandait pas plus.

Elle lui fit un mince sourire, puisqu’il semblait tant s’y accrocher, elle lui offrirait sans doute un café et le laisserait lui parler de vomi une fois ce dernier au courant du sujet mutant. Mais il fallait d’abord se débarrasser des choses qui fâchent, enfin qui fâchait plus Qassim qu’elle apparemment.

« On continu d’avancer dans ce cas ? Je vois bien que cette conservation ne t’emballe pas mais elle est nécessaire. »

Voilà que c’était reparti… Elle ne trouvait plus ses mots, n’arrivait plus à rester cohérente sur sa façon d’amener le sujet. Le retour de l’effet Qassim. Tant pis il était grand temps qu’elle se lance.

« J’ai retourné ce qu’il s’est passé un très long moment dans ma tête, et je ne serai pas revenu si je n’étais pas sûre de moi. J’imagine que ça a été très pénible de ce que je sais et que ça doit surement l’être encore, alors je vais te poser une simple question.»

C’est vrai, sa réaction normale aurait été de l’ignorer, mais elle n’était pas normale avec Qassim ou était ce au contraire qu’elle l’était avec lui ? Et de toute façon le vendeur ne pouvait désormais plus non plus être qualifié de normal. Tout allait se jouer sur cette question et sur l’interprétation qu’il en ferait.

« Est-ce qu’il t’est déjà arrivé de te sentir complètement différent du reste du monde ou spécial ? Moi oui… Tu peux peut être te voiler la face, mais tu ne peux pas non plus nier ce qu’il t’est arrivé dernièrement. A vrai dire je pense que toi et moi somme pareil…des êtres hors du commun. »

Elle adressa à son interlocuteur un faible sourire. Elle n’était pas du tout à l’aise face à lui. Ashlyn avait décidé de jouer la carte de la franchisse, de lui dire directement qu’elle était différente, au risque qu’il fui à nouveau ou la prenne pour folle. Elle décida de lui laisser le temps de la réflexion avant de poursuivre ou de répondre aux questions qu’il risquait de lui poser.

Ashlyn avait ce drôle d’effet sur lui de déstabiliser un minimum ses fondations quotidienne, comme si elle le faisait exprès, comme si elle en avait fait une obsession de lui détruire tous ses points de repaire. Il ne lui en voulait. Il s’en voulait, lui, peut-être, de se laisser si facilement amadouer par cette femme. Il avait eu l’impression qu’elle s’était créer l’obsession de ne pas le laisser filer si aisément. Il n’était pas certain de saisir tout ce manège qu’elle déployait, juste pour lui, avec lui, ou peut-être contre lui, et en fait, il n’était pas non plus certain de réellement vouloir comprendre ce qu’elle lui voulait. Il y avait quelque chose, c’était certain, et il avait l’impression d’être concerné plus qu’il ne l’aura jamais été par quoi que ce soit.

Lorsqu’enfin elle daigna se retourner doucement vers lui, il lui décrocha un sourire étrange, peu familier, un peu gêné par son impulsion soudaine à la rejoindre, comme s’il avait eu peur de la voir le fuir, soudainement. Il avait pensé «Attend! Je vais m’améliorer! Je sais pas ce qu’il faut que je fasse, mais…» Il se traita d’idiot. Sa main se relâcha et il la fit glisser loin d’elle, la remettant à sa place habituelle : dans le fond de la poche de son jeans. Peut-être réalisait-il, doucement, à petit feu, tout ce que ça vie avait de mal. À vrai dire, il en avait déjà pris conscience, bien avant l’accident. Il s’était contenté d’ignorer ces impulsions vers sa propre déchéance ou réussite, par peur, peut-être, de s’égarer dans un univers où il ne se serait pas senti à l’aise. Il était étrange de se sentir bouleverser pour une si peut-être chose qu’une seule personne pouvait faire : quelques mots, quelques têtes tournées, et il revenait au galop malgré son envie de fuir, de tourner le dos, d’ignorer et de retourner à sa monotonie ennuyeuse du quotidien. Mais il devait avouer qu’elle avait raison : ça ne l’emballait pas. Qu’est-ce qui l’emballait réellement, de toute façon? Ces ragots qu’il racontait à tout va parce qu’il ne voulait pas garder le silence et qu’il n’avait rien de mieux à dire?

Il se contenta donc de se taire, une bonne fois pour toute, d’écouter, juste écouter parce que c’est ce qu’elle voulait, en fin de compte. Et lui, depuis le début, il protestait, contre elle, contre ces mots auxquelles elle tenait tant, soudainement. Et lui de se répéter qu’il ne savait toujours rien d’elle, elle en connaissait plus sur lui, de toute évidence, que sa propre personne. Et lorsqu’elle se tut de nouveau, il lui répondit par ce silence évocateur, par un petit soupir qui se mêla sans doute à travers les quelques passants.

—Comme des super héros, tu veux dire, commença-t-il d’abord, sur ce ton toujours fuyant d’un humour qui le caractérisait si bien, de cet élan d’amusement, de simplicité, de gaminerie dont il semblait refuser de se départir.

—Je ne crois pas être si différent de la société. Il y a… peut-être quelque chose, mais je suis sans doute le type le plus banal de toute la planète, continua-t-il sur un ton beaucoup amer. Il savait. Il avait toujours su à quel point il était ennuyeux. Mais il savait aussi ce que tous semblaient ignorer, qu’il ne s’identifiait pas si facilement au commun des mortels. Pas en survivant à une explosion. Pas en ne se cassant rien en tombant d’un arbre. Pas en remontant à la surface du lac après dix minutes sous l’eau. Non, il y avait toujours eu ce petit quelque chose, chez lui, de douloureux, de perturbant. Il ne savait pas très bien depuis quand ça remontait. Il avait toujours eu l’impression que c’était là, comme une part de sa personne dont il ne pouvait se séparer.

—Mais toi, tout chez toi est hors du commun. La preuve, tu es revenue me voir. Je peux pas te dire ce je pense, je sais pas moi-même. Mais puisque tu veux parler de l’accident… Je crois pas une seconde qu’il est très normal que je sois là à bavarder avec toi. J’aurais dû crever ce jour-là. J’aurais dû crever bien des fois avant ce jour-là, en fait! Sauf que… c’est pas le cas, c’est tout, et je sais pas comment expliquer ça. Je suis peut-être juste chanceux, pas forcément… spécial.

Voilà. Il s’adressait à elle comme s’il s’était adressé à une amie très chère, à une amie qu’il côtoyait depuis longtemps, à une amie qui comptait pour lui. Qu’était-elle, finalement, pour lui?

Des super héros ? Était-ce comme ça qu’il la percevait, comme une super héroïne ? Elle ne fut pas loin de manquer d’éclater de rire à cette idée. La condition et le travail de super héros demandaient un sens civique et communautaire qu’elle n’avait certainement pas. L’idée même de mettre ses dons et capacités au service de personnes qui se lanceraient dans une chasse aux sorcières dès qu’ils connaitraient l’existence des mutants lui paraissait d’une absurdité sans bornes. Il ne faisait aucun doute pour la technopathe que les simples humains rejetteraient les mutants, que ce soit par simple crainte, jalousie ou seulement parce qu’ils étaient différent. Croire le contraire relevé de l’utopie selon elle et Ashlyn mettait ainsi toutes les chances de son côté en s’élevant au sein de la société.

Et Qassim ? Une fois au courant de l’existence des mutants et de son don allait-il se prendre au jeu des justiciers masqués ? Peut-être petit garçon avait-il été de ces enfants qui d’un morceau de tissu se font une cape. De ces enfants qui s’imaginent des dons incroyables qu’ils mettent à profit pour vaincre de terribles adversaires qu’ils se sont eux même crées. L’idée l’amusa et en poursuivant sur cette idée, elle-même serait alors la Faye venue lui offrir de véritables super pouvoirs. De quoi briser de façon définitive son ennui quotidien auquel il avait l’air de vouloir se raccrocher bec et ongle.

Enfin il semblait admettre, bien qu’à contre cœur d’après le ton qu’il employait, qu’il y avait peut-être quelque chose. Peut-être ?! Quand allait-il arrêter de se sous-estimer ? Ashlyn en avait presque envie de le tirer par une oreille et de lui remettre les yeux en face des trous. Ne comprenait-il pas que justement le fait exceptionnel qu’elle soit revenu au lieu de fuir à mille lieues c’était parce que le personnage qui avait provoqué ce fait était encore plus exceptionnel. Apparemment il été grand temps que quelqu’un pousse Qassim à se reprendre et puisqu’elle semblait être la seule à s’en préoccuper se serait à elle d’agir. Peut-être le vendeur n’apprécierait-il pas, mais après tout là où les simples amis se contentent de prendre de vos nouvelles et de vous adresser des mots gentils, les vrais amis sont là pour vous remettre les idées en places quand vous déraillez quitte à vous frapper si nécessaire. Cela signifiait-il qu’elle voyait en Qassim un véritable ami potentiel ? Loin de la faire fuir - elle commençait à être habituée à réagir de façon purement illogique à son contact- l’idée d’une amitié avec le mutant lui paraissait assez intéressante. Le laissant toutefois terminer, la technopathe laissa passer quelque seconde avant de lui répondre d’un sourire malicieux.

« Tu te rends compte que tu te contredits là ? »

Qassim venait en effet à l’instant de lui fournir les armes nécessaires pour prouver à quel point il avait tord. Par une démonstration logique, elle allait lui démontrer combien il se trompait sur sa banalité et si après ça il n’était toujours pas convaincu, il ne resterait guerre plus à la technopathe qu’une démonstration –non explosive- des ses propres dons.

« Tu affirmes être le plus banal des types et ensuite tu m’expliques qu’il t’es déjà arrivé un tas de choses normalement impossible. Navré de te dire que là tu confirmes plutôt mes dires à moi. Et quand bien même admettons que tu sois simplement quelqu’un de chanceux…m’est avis que tu en as bien trop pour être qualifié de normal ou de banal. D’ailleurs la chance par principe est quelque chose de spécial, alors le fait d’en avoir te rend également spécial non ?»

La technopathe était en train de mettre les arguments de ce pauvre Qassim au tapis à l’aide d’une logique digne d’une démonstration mathématique et semblait trop bien lancée pour s’arrêter en si bon chemin.

« D’ailleurs si je ne t’avais pas avoué tout à l’heure être moi-même une personne spéciale, je te dirai à l’instant qu’en comparaison avec tant de chance je suis loin d’être hors-norme… Pour en revenir à toi cependant, bien que ton idée de chance soit intéressante je pense que ce n’est pas à elle que tu dois ta survie à l’explosion de ma voiture. Et si la chance n’y est pour rien, il ne reste donc plus que le talent et je sais de quoi je parle. Alors oui Qassim crois moi tu es tout sauf un type banal. »

Elle porta son regard sur lui, un sourire accroché sur son visage, fière de son petit discours. Si le vendeur avait espérait la démotiver en expliquant qu’il était un pauvre type lambda, il n’avait pas eu assez de chance pour ne pas tomber sur un adversaire coriace dont le dernier recours restait encore l’appel à sa technopathie.

Qassim avait toujours eu ce don étrange de penser et dire des choses complètement hallucinantes, qui n’avaient tout simplement aucun sens logique. Ces mots, très souvent, étaient la première chose qui lui traversait l’esprit, comme une explosion de pensées d’illuminé déjanté qu’il devait sembler être, sans doute, pour beaucoup. Parler de super héros avait donc, pour lui, été la chose la plus naturelle du monde, comme s’il croyait que n’importe qui d’autre pensait forcément la même chose que lui, ce qui n’était sans doute pas le cas dans la réalité. Le vendeur était d’une naïveté enfantine toute naturelle qui lui faisait croire ou dire des choses que la majorités des gens ne racontaient plus, par choix d’oublier, en pensant que ce n’était peut-être plus de leur âge. Qassim n’était, en fait, qu’un grand enfant à qui il fallait encore prendre la main pour traverser la rue. Mais elle le secoua mentalement, une fois de plus, sans s’en rendre compte, peut-être. Il se contredisait, vraiment? Ou n’était-ce qu’elle qui l’insinuait pour le contraindre à cette confusion dans laquelle elle semblait presque se plaire à le plonger, corps et âme, depuis qu’elle s’était pointée à la porte de sa chambre. Et ça ne faisait pourtant pas une heure que le duo s’était retrouvé.

Peut-être. Il n’osait pas vraiment lui dire qu’elle avait raison, pour toutes sortes de raisons qu’il se gardait bien de lui étaler. Il haussa une fois de plus les épaules, changea d’air, tourna les yeux sur la rue alors qu’un gros bus passait à vive allure. Il ne put s’empêcher d’imaginer son propre corps roulé sur la lourde carcasse de métal, puis lui de se relever comme si de rien n’était. Enfin… Il ne garantissait pas se relever dans l’immédiat. Mais… Et s’il ne pouvait tout simplement rien lui arriver de si dramatique? Peu importait ses incidents, il semblait toujours miraculeusement se remettre de tout. Peut-être ne pouvait-il tout simplement rien arriver de grave, du moins par la suite. Il pourrait se faire frapper par un train, question de vivre l’expérience désagréable de sentir le moindre de ses os broyés, pour ensuite hurler jusqu’à ce qu’on abdique sa douleur? Comme ils avaient fait après l’explosion. Si on avait pas forcé son anesthésie, il serait resté conscient tout du long.

Ashlyn venait d’implantée l’idée absurde de la différence. S’il ne s’était jamais senti comme tout le monde, cette vision de lui-même s’accentuait, à présent. Bien qu’il n’était pas encore tout à fait certain du délire dans lequel il était en train de s’embarquer, inconsciemment. Et puis, brusquement, il secoua la tête.

—On dirait que tu parles par énigmes! Pourquoi tu dis pas simplement «ouais! T’es une anomalie ambulante, bordel!».

Il s’apprêtait à ajouter «comme n’importe qui d’autre le ferait», mais il songea que la conversation tournait, justement, sur tout ce que n’importe qui ne pouvait pas faire ou penser.

—Ah oui, j’oubliais que c’est pas ta façon de faire… Tu veux que j’te dise quoi? YO JE SUIS IMMORTEL!

Il hurla les derniers mots si fort que la moindre personne à proximité un minimum se retourna dans sa direction, avec ce regard parfois indifférent, parfois agacé, parfois moqueur. Et il se contenta de décrocher un sourire curieux, un peu naïf, faisant mine de trouver cette conversation absolument ordinaire.

Elle ne savait pas, elle ne savait plus, elle n’arrivait pas à savoir. Ashlyn ne parvenait pas à savoir si ce qu’elle insinuait commençait à se faire une petite place dans la tête de Qassim ou s’il ne prenait rien au sérieux de ce qu’elle était en train de lui avouer. Il détourna le regard une fois de plus et elle se demanda si le pousser à accepter la chose par la logique était la meilleure solution. Parce que ce n’était franchement pas probant. Il lui reprochait de parler par énigme alors qu’elle avait déjà eu toutes les peines du monde à le faire parler et surtout admettre que des personnes mutantes existaient. Et voilà qu’en plus il se mettait à le hurler en pleine rue. C’était une blague ? Elle eu du mal à ne pas blêmir, mais ne pu s’empêcher de se crisper. Heureusement qu’avec sa tête de plaisantin les personnes alentours ne prirent ça que comme une simple blague. C’était certes nouveau pour le vendeur, mais il allait devoir comprendre que ce n’était pas un sujet de plaisanterie, surtout pour elle. En plus de malmener ses nerfs, Qassim risquait fort de venir à bout de sa patience. Elle se retint néanmoins une nouvelle fois de le tirer par une oreille et préféra se saisir de son bras et de l’emmener vivement à sa suite.

Elle l’entraina ainsi jusqu’à arriver à une rue nettement moins fréquenté. Ce qu’elle s’apprêtait à faire était totalement inconscient alors mieux valait un endroit où on les remarquerait le moins possible. Qassim était quand même sacrément borné et si après la démonstration incroyablement stupide qu’elle allait lui faire il n’acceptait toujours pas alors elle devrait surement abandonner la partie et s’avouer vaincu. Il n’y avait vraiment que lui pour réussir un tour pareil. Elle le lâcha finalement après se départ précipité, l’obligeant à suivre sans même lui demander son avis et ouvrit à nouveau la bouche.

« Bien sûr que je parle par sous-entendu ! Sérieusement tu n’aurais pas pris la fuite ou ne m’aurais pas ris au nez si j’étais arrivé en te disant « Hello tu sais quoi tu es un mutant, bienvenu au club ! » ? »

Elle était un peu énervé, non pas contre lui, mais contre elle qui n’était pas capable d’expliquer les choses de façon assez clair pour Qassim. A cela venez s’ajouter le stress d’être repéré et à l’idée stupide qu’elle avait eu pour prouver ses dire.

« D’ailleurs ravi de voir que tu commences à admettre ton potentiel, mais je serai nettement plus convaincu si tu ne tournais pas ça en blague pour t’éloigner du sujet. Oui tu sembles êtres immortel, oui tu as des supers pouvoirs. Mais puisque tu veux que je sois direct je vais carrément te faire une démonstration !»

Ashlyn n’était pas vraiment en train de péter un câble, elle avait seulement accumulé un peu trop de frustration et ne faisait donc plus rien pour ménager ce pauvre Qassim. Repérant une voiture garé dans la rue, elle se concentra en prévision de l’effort intense qu’elle allait devoir fournir pour conduire ce véhicule par sa simple pensée.

« Tu risques de ne pas aimer d’ailleurs…mais normalement elle ne devrait pas explosé et de toutes façons on ne montera certainement pas dedans… Regarde bien la voiture bleue qui est là-bas, je vais te montrer mes supers pouvoirs à moi. »

Elle hésitait à l’attraper pour éviter qu’il ne cherche à prendre la fuite mais se résigna. Vérifiant une dernière fois qu’on ne la remarquerait pas trop, elle fixa du regard le véhicule situé plus haut qu’eux. Elle se concentra et projeta sa volonté en direction de la dit voiture, la faisant démarrer alors que personne n’était à l’intérieur. C’était le plus facile, la suite allait demander nettement plus d’effort. Elle se concentra sur les mécanismes de direction et de vitesse et commença petit à petit à faire sortir la voiture du stationnement où elle se trouvait. Elle ordonna ensuite à la voiture de remonter à leur niveau et la fit s’arrêter quelques secondes pour que Qassim voit bien qu’il n’y avait aucun trucage et que personne n’était au volant. Satisfaite d’elle, elle ordonna à la voiture de ré-avancer et força les mécanismes pour que le véhicule retourne se garer à quelques places de celle qu’il occupait au départ avant de se tourner à nouveau vers le vendeur en espérant qu’il n’ait pas fui.

« Alors tu crois que tu peux être un mutant maintenant ? "

Elle était plus que brutal dans sa façon de faire, mais elle regrettait déjà amèrement l’impulsivité et la stupidité dont elle avait fait preuve avec sa démonstration. Elle ne souhaitait plus qu’une seule chose maintenant quitter cette rue rapidement et s’en éloigner le plus possible. Elle espérait également ne pas avoir définitivement traumatisé Qassim. Même si elle ne le montrait pas trop, elle tenait assez à cette amitié nouvelle qui semblait se développer doucement entre eux.

Bon. Ce n’était pas très sérieux. Personne d’ailleurs ne semblait l’avoir fait. Qassim, sérieux? C’était mission impossible. Elle se foutait le doigt dans l’œil si elle croyait pouvoir lui tirer une tête d’homme d’affaire sérieux et ennuyant. S’il était monotone, il n’était certainement pas de ce genre là. Et puis, il avait toujours préférer rire un bon coup que pleurer. Pourquoi cherchait-elle à tout pris à le convaincre de se rendre contre sur sérieux de la situation alors qu’il n’en voyait pas? Oui, bon, il n’était peut-être pour tout à fait convaincu par ce qu’elle lui racontait, même si une forte partie de lui le croyait du comme fer. Sans lui demander son avis donc, elle l’attrapa par le bras, lui et son sourire stupide qui ne fit que s’accentuer en se laissant trainer rapidement derrière elle. Il eut envie de la comparer à sa mère. En fait, elle n’en était pas trop loin… Sa mère avait un sale caractère que son fils lui reprochait jour et nuit. Mais la pomme ne tombant jamais très loin de l’arbre, c’était aussi une femme très immature, quitte à ce que Qassim se demande, occasionnellement, qui était l’enfant et qui était le parent. Il ne s’interrogea pas vraiment à savoir où elle cherchait à l’entrainer de la sorte, bien que l’intrigue le surpris à suivre des yeux le chemin qu’ils parcouraient. Pour, en bout de ligne, constaté que ce n’était que pour le mener vers un endroit pas si inconnu, mais pas parcouru de milliers de regards américains indiscrets. Il arqua un sourcil, perplexe, à ce moment précis, dans son dos, gardant le silence sur l’étrangeté de la situation. Et il ne put que s’imaginer plusieurs scènes et hypothèses, toutes plus farfelues les unes que les autres. Puis, se tournant vers lui, elle se raidit dans une volée de paroles qui l’étonnèrent. Nouveau haussement des épaules, vague sourire doux. Aurait-il pris la fuite si elle avait plongé directement dans ces mots là? Peut-être que oui. Peut-être que non. Mais il aurait ris, certainement, comme il riait de tout et de rien.

Elle semblait angoissée, sans qu’il ne décele la raison de son agitation lui paraissant si soudaine. Il était vrai qu’il l’avait sentit vaguement distante avec lui dès les premières minutes de son apparition dans le cadre de porte de sa chambre, mais elle semblait se cabrer pour il ne savait qu’elle raison. Y était-il pour quelque chose? Bon, certes, il avait hurlé en public. Et alors? Était-ce ça qui l’avait dérangé à un tel point? Ça l’aurait surpris, mais Ashlyn était pour lui une femme pleine de surprises et ne cessait de l’étonner depuis le début. Immortel, donc. Elle semblait approuver cette définition qu’il avait décidé de donner à ses capacités de toute évidence assez étonnantes.

Bon! Elle se mettait de l’avis des travaux pratiques, maintenant. Il ne put retenir un soupir un peu agacé à cette idée. Elle voulait tellement le tirer de cette torpeur psychologique dans laquelle il se plaisait qu’il se surprenait à la trouver agaçante sur ce point. Peut-être n’avait-il pas envie de sortir de cette existence et qu’elle ne se préoccupait nullement des envies du blonds, mais bien de les siennes, personnelles, dont il n’avait aucune connaissance. Mais brusquement, il hésita. Exploser? Il n’avait, au départ, jamais compris pourquoi la voiture avait explosée et s’était contenter de lui réprimander qu’elle n’avait pas à s’excuser pour lui. Il sursauta, d’abord, lorsque la voiture démarra, comme s’il avait craint quelque chose. Chat échaudé craint l’eau chaude, après tout. Et lorsqu’il la vit remonter jusqu’à son niveau, sa réaction fut impulsive. Il avait gardé un sentiment amer par rapport au véhicule, surtout les petites voitures. Il ne réagissait pas ainsi lorsqu’il s’agissait de camion ou d’autobus, sa crainte se limitait aux petites bagnoles. Il bondit un pas en arrière et, brusquement, attrapa les épaules d’Ashlyn de ses doigts crispés. Non, décidément, s’il la croyait sur parole, c’était plus fort que lui, il devait fuir, quitte à se protéger par réflexe du corps de quelqu’un d’autre.

—Ça va! Arrête! S’teplais! Ça vaaa! J’ai saisis. Je déteeeste ça, ne fait plus ça. Avec n’importe quoi, mais pas une bagnole.

Il dû toutefois rapidement se ressaisir en se rendant compte qu’il lui faisait peut-être mal et se redressa rapidement, honteux, gêné, dérangé.

—Je n’ai rien contre toi pour l’explosion la première fois, je tiens à te le dire mais… mais… Je ne peux plus supporter ça, je ne peux même plus prononcer le mot sans trembler.

C’était le cas. La seule pensée, visualisation de l’objet sur roue lui donnait des sueurs froides. Il ne le supportait pas et craignait ne plus jamais le supporter, pour son plus grand malheur. Se serait sans doute handicapant un certain temps, bien qu’il espérait que ça lui passe un de ces jours.

—Je suis désolé. Je suis vraiment désolé. Et je te trouve géniaaaaaale, vraiment. Mais pas la… la v… Enfin! D’accord! Je suis mutant, si tu veux, si on veut. Et… et… et…

Et il n’avait rien à rajouter, en fait, pour une fois.

Ce n’était pas réellement de l’acharnement dans son comportement à l’encontre de Qassim. Son objectif était fixé bien avant qu’elle ne rentre dans la chambre d’hôpital. Si elle était revenue le voir c’était uniquement dans le but de lui apporter des explications sur l’accident et sur le fait qu’il était un mutant. Elle souhaitait simplement lui faire accepter l’idée, estimant qu’il avait le droit de savoir et de comprendre ce qui lui arrivait. Rien de plus. Si après ça il souhaitait ne plus jamais la revoir ou continuer sa vie normalement elle n’avait rien à en redire, c’était son droit. Ce serait très certainement dommage, mais le monde ne tourne pas forcément comme on le souhaite. Voilà les résolutions qu’elle s’était fixé avant de pénétrer dans la chambre du vendeur et qui l’avait en quelque sorte conduit à ce harcèlement et à ce vif désir d’aborder le sujet malgré les réticences de Qassim. En revanche c’était une réaction instinctive de défense qui l’avait conduite à lui faire cette démonstration on ne peut plus brusque. Elle avait songé qu’il fuirait à cause de son pouvoir, parce qu’elle était toujours incapable de juger correctement ses réactions. Elle pensait qu’il fuirait parce qu’il ne l’avait pas vraiment prise au sérieux dans ses propos. Qassim étant Qassim elle en avait presque oublié l’ampleur du traumatisme qu’elle lui avait infligé involontairement. Les doigts se saisissant brusquement de ses épaules, la peur panique qui transperçait dans la voix furent à nouveau un douloureux rappel.

La culpabilité se fit à nouveau sentir et une fois la voiture à nouveau stationné c’est avec un regard d’excuse qu’elle lui fit à nouveau face. Sa petite sortie de gond eu au moins l’avantage de lui faire retrouver le calme et le naturel qu’elle avait eu lors de sa première rencontre avec le vendeur. Qassim était vraiment quelqu’un d’adorable et elle s’en voulait légèrement de l’avoir autant harcelé et éprouvé psychologiquement. Il continuait de ne pas lui en vouloir pour l’explosion et en plus de ça c’était lui qui s’excusait. Elle ne pu même s’empêcher de rire quand il ajouta qu’il la trouvait géniale. Bien qu’elle ne l’admettrait sans doute pas tout haut, d’eux deux c’était sans doute le vendeur le plus géniale aujourd’hui.

« Je suis sincèrement désolé pour l’explosion de ma voiture et je ne mérite sans doute pas autant de gentillesse de ta part. C’était involontaire tu sais…en fait c’était la première fois que ça arrivait. »

Elle se sentait honteuse en faisant cet aveu au mutant. Elle commença à marcher, faisant le chemin en sens inverse, essayant de se donner une certaine contenance. Elle avait une très bonne maîtrise de sa technopathie et même à ses débuts elle n’avait jamais provoqué de catastrophe telle que l’explosion d’une voiture. Comme quoi il n’était pas prudent de se reposer sur ses lauriers et qu’il valait mieux qu’elle n’utilise pas ses dons à tout va. Néanmoins rassurer elle se décida enfin à plaisanter un peu avec le mutant immortel.

« Tu sais si ça ne va vraiment pas je te ramène à l’hôpital. Je suis sûre qu’ils seront ravis de te revoir. »

Son séjour avait du lui paraitre sacrément long et si en plus il était comme elle, il avait vraiment du détester l’endroit. Elle avait été très chanceuse dans l’histoire avec cette simple brulure sur son avant bras. Si jamais Qassim souhaitait vraiment y retourner, Ashlyn lui tiendrait au moins un peu compagnie cette fois. Elle revint tout de même sur le sujet mutant, histoire de le rassurer une dernière fois.

« Navré pour la démonstration, mais pour ma défense on ne trouve pas vraiment grand choix dans les rues new-yorkaise. Et tu sais je ne te demande pas plus. Je voulais juste que tu saches pour l’existence des mutants et surtout que tu en étais un. Bien sûr si tu as des questions n’hésite pas, mais sinon pas la peine de te prendre la tête. »

C’était une manière un peu détourné de lui présenter des excuses pour toute la comédie qu’elle lui avait fait. Ashlyn n’était absolument pas expansive quand il s’agissait de se dévoiler ou de montrer ses sentiments et c’était déjà assez étonnant qu’elle se soit aussi vite ouverte avec le vendeur. Plutôt que des belles paroles, elle se dit que Qassim avait finalement bien mérité ce « putain de café » qu’elle allait lui offrir de bon cœur comme une sorte de réconciliation.

« Si tu n’es pas intéressé par l’hôpital, tu le seras peut être plus par un café ? Je t’invite. »

Un café leur ferait vraisemblablement du bien à tous les deux c’était certain.

Il détestait devoir insister sur cette histoire. Et il détestait sans doute encore plus ce petit ton d’excuse qu’il percevait, chez elle, comme un remords meurtrier qu’elle se donnait contre elle-même. Il se disait que s’il n’avait pas insisté dès le départ pour l’aider, que ça ne se serait tout bonnement jamais produit. Ou pis! Elle se serait peut-être fait exploser elle-même? Vu sous cet angle, il était content. Content d’avoir été là pour lui éviter de se confronter à son propre pouvoir qui semblait le fasciner, lui, plus qu’il ne l’avouerait jamais. Il secoua la tête négativement, faux sourire flottant sur ses traits, comme s’il cherchait à se rassurer lui-même. Et il n’hésita pas une seconde pour lui emboiter le pas lorsqu’elle décida de rebrousser chemin. Il voulait qu’elle cesse de se sentir si coupable pour quelque chose qui s’était déjà produit. Il ne pouvait rien lui arriver de si grave de toute façon, n’est-ce pas? Peu importe l’accident ou la provocation, il ne pouvait pas crever. Elle l’aurait poussé en bas d’un ravin qu’il serait toujours là, tout sourire, tout air stupide et naïf sur ses traits d’adulte enfantin.

Il fourra finalement ses mains dans le fond de ses poches comme la désinvolture pour oublier ce qui venait tant de l’angoisser. Lui-même n’avait pas encore réalisé à quel point il se sentait affecté, dorénavant, par l’accident, n’en ayant pas encore eu l’occasion d’en prendre conscience. Maintenant que c’était fait, il n’était pas certain de vouloir affronter ses propres terreurs.

—C’est le genre d’endroit que je vais éviter pour le restant de mes jours. Tu sais, les cadavres, les infirmières aux décolletés immenses, les seringues, les petites pilules, ce n’est pas pour moi!

C’était plus fort que lui. Même s’il sentait encore ses jambes défaillir sous son propre poids, il n’y laissait déjà plus rien paraitre d’une banale plaisanterie bien placée. De plaisanteries dont il ne se lassait jamais vraiment. Parce que c’était lui. Et peut-être aussi parce que c’était la seule chose qu’il avait pour se donner un semblant de caractère. Il opinait doucement de la tête, parce qu’il ne savait pas quoi lui répondre, parce qu’il ne savait quoi dire pour la rassurer à ce moment-là. Il fut d’ailleurs ravi de déboucher une fois de plus dans la foule qui s’amassait doucement sur le trottoir, sans un regard pour le duo inattendu, trop occupé dans un univers qui n’appartenait qu’à eux. Parce que tous et chacun prenait l’habitude, sans doute, à se construire un petit monde unique dans lequel se perdre, quelques instants, quelques heures, quelques moments pour cesser d’exister, une fraction de seconde, dans une réalité difficile. Mais Qassim aimait sa nouvelle réalité. Avec la brune à ses côtés, sans doute ne se sentait-il pas aussi ennuyeux qu’avant. Mais puisqu’elle insistait pour qu’il ne se prenne pas la tête, il pencherait pour cette option et ne se forcerait pas à se poser trop de questions pour le moment. Parce que ça n’en valait pas la peine. Parce qu’il n’avait guère envie de s’étourdir davantage avec ces conneries.

—YEAH! Un putain de bordel de café à la con. Avec moka, je vous pris.

C’était assez clair. Il ne lui en voulait pas et le sujet était clos, à présent.