Une soirée tranquille se profilait. J'avais prévu de gagner un peu d'argent en proposant une table de poker dans le Saints Club. Je me demandais pourquoi un tel nom avait donné à un tel établissement, mais c'était peut-être parce que contrairement à d'autres, ce n'était pas un lieu de débauche. Bon, il y avait des jeux d'argent, des filles, de l'alcool, mais pas à l'excès. C'était un endroit assez paisible, et les tables de poker étaient assez éloignées du reste, du bar, des pistes de danse, pour que les groupes de clients ne se gênent pas entre eux. Je me tenais donc à une de ces fameuses tables, faiblement éclairées pour garantir un respect de la vie privée des joueurs. Non pas que les jeux fussent interdits, mais en cas de défaites, les perdants préféraient faire profil bas. Pour peu qu'il s'agisse de personnalités importantes, ils jugeaient préférable de ne pas être reconnus. Et s'ils remportaient le pactole, ils pouvaient toujours s'afficher triomphalement par la suite. Même s'ils avaient peu de chance de gagner contre moi.

Les cartes, c'était tout ma vie. Non pas que je trichais, je n'en avais jamais eu besoin. J'étais doué aux jeux. Elles signifiaient bien plus pour moi qu'on pouvait le croire, elles représentaient aussi un des rares liens qui me rappelaient mon enfance, mon passé en Nouvelle Orléans. Mon apprentissage dans les arts des jeux, du vol, de l'assassinat, et mes entraînements aux arts martiaux et à la maîtrise de mon pouvoir de mutant. Je n'aimais pas repenser à cette époque trouble de ma vie, surtout la fin, lorsque j'ai dû m'exiler. Mais c'était de l'histoire ancienne, et la nostalgie, très peu pour moi. Je vivais surtout au jour le jour, sans attache.

L'arrivée inopinée d'un client me sortit de mes rêveries. Dans la pénombre, je n'arrivais pas vraiment à discerner ses traits, je voyais simplement qu'il avait les cheveux longs. Et sa carrure m'indiquait clairement qu'il s'agissait d'un homme. Je lui proposai de s'installer, de prendre place, puis je commençai à battre les cartes, et les distribuer, après nous être mis d'accord sur le montant des mises. La partie se déroulait tranquillement, et était largement en ma faveur...

C'était mon soir de chance, comme beaucoup de soirs en fait. La partie continuait, et le type n'en démordait pas. Il s'acharnait à essayer de regagner sa mise, mais c'était peine perdue. Le jeu était quelque chose d'important pour moi, de sacré. Je n'allais pas laisser gagner quelqu'un par pitié, ni jouer autrement qu'à fond. Il en allait du respect de mon adversaire, la reconnaissance que l'on a lorsqu'on joue avec quelqu'un digne d'intérêt. Ce n'était pas forcément le cas ce soir, je n'allais pas jusqu'à dire qu'il était mon rival, ni qu'il jouait particulièrement bien, mais il jouait bien. Sauf que je jouais mieux. Donc, par principe, et comme à mon habitude, je décidais de ne pas lui faire de cadeau.

Il avait perdu trois cents dollars. J'avais gagné ma soirée, je pouvais repartir tranquille. D'ailleurs, qu'il récupère un peu de sa mise ou pas, qu'il décide de partir maintenant ou de tenter de continuer, ça m'était égal, pour moi c'était bon, j'avais amassé plus qu'il ne m'en fallait pour ce soir. Mais il était pris par la fièvre du jeu. Il était décidé à prendre une mène à tout prix. Qu'à cela ne tienne. La partie de poker continua donc un petit moment, jusqu'à ce que l'incroyable se produise. Il était en feu, et ce n'était pas au sens figuré. Sa main brûlait, littéralement. Un mutant ? Très certainement, et il maniait le feu. Dangereux, très dangereux. D'instinct, je me levai. Il fallait faire quelque chose, tant pis pour mes précieuses cartes parties en fumée, j'avais de toute façon des jeux de rechange sur moi, vu l'utilisation que j'en faisais.

"Au feu !! Sortez tous, appelez les pompiers !!"

Je donnai l'alerte, pour évacuer le bâtiment. J'étais resté dans l'alcôve, discret, pour que les autres clients réguliers ne fassent pas attention à qui avait crié. De cette façon, au bout de quelques secondes de panique dans l'édifice, il ne restait plus que lui et moi. Nous allions pouvoir régler ça de mutant à mutant.

"T'as foutu le bordel, j'aimais bien ce bar, mais maintenant je vais devoir t'arrêter. En tous cas, c'est pas comme ça que tu récupéreras ton fric."

Vu son pouvoir, il fallait que je reste à distance, pour ne pas me retrouver pris dans son champ d'action. Aux oubliettes le combat rapproché, pour l'instant, donc. Je sortis donc une carte, la chargeai d'énergie cinétique, puis la lançai au pied de l'homme aux cheveux longs. Je ne voulais pas le blesser, envoyer la carte directement sur lui pouvait occasionner des blessures, je souhaitais simplement l'arrêter, l'immobiliser, d'une façon ou d'une autre.

Merde. Finalement, ma plus grosse erreur de la soirée aura été de ne pas arrêter lorsque je le devais. En tout cas mon adversaire avait eu le bon reflexe de crier à l’incendie, et tous les civils étaient sortis. Je n’étais pas méchant, et les flammes sont sorties sans le vouloir, mais j’avais un compte à régler avec ce type. Me concentrant à fond, j’allumais mon autre main, et me préparait à toute éventualité. Mais il fut plus rapide que moi. Une carte brillante se planta à mes pieds. Je sautais à plat ventre vers l’autre coté de la salle par reflexe. La déflagration ne se fit pas attendre. Je rampais jusqu’au bar, et me cachait derrière le comptoir pour éviter une deuxième carte. Et une bouteille de vin me tomba sur le crâne. Décidément, ce n’était vraiment pas ma soirée. Seul truc positif, en le voulant très fort, je pouvais maintenant créer mes flammes. Maintenant, fallait que je trouve comment les arrêter. Le vin coulait sur ma main, me donnant une idée de génie. J’ouvris un alcool fort et bien odorant, et fit rouler la bouteille dans sa direction. Une carte rapide comme l’éclair me coupât le dos de la main. Il était sérieux, mais moi aussi. Je ne me risquais pas à jeter un coup d’œil par-dessus le comptoir. Ce type avait l’avantage de la distance. Pour le moment. J'essayait de détourner son attention

- Hé ! Tu la connais celle du magicien qui ne savait pas distribuer les cartes ?

Il était furax. Je me redressait au dessus du comptoir et vit quelques as de pique me venir dessus. Une flamme partit de ma main, créant un explosion de fumée au contact des cartes ... Des cartes qui explosent ? Bon, face à un mutant, pas de quoi en faire un plat. Je jetais ensuite plusieurs bouteilles du bar dans sa direction, profitant de la fumé pour me dissimuler de son regard. La manœuvre insolite parut plus l’intriguer que l’inquiéter. Tant mieux, c’était l’objectif. Je vis que la bouteille d’alcool que j’avais envoyée rouler avait fait son travail. Une longue ligne d’alcool rejoignait la flaque créée par les autres bouteilles. Il décidât de reprendre ses esprit à ce moment là, et je me penchais juste à temps pour éviter un ‘‘carré’’ venant me percuter. Satisfait, je posais la main sur la petite trace d’alcool. Le feu remontât la mèche presque instantanément. Et en pensant au conséquences possibles, je regrettais déjà mon geste

Spoiler:

La situation était assez compliquée. Je tentai de lui envoyer quelques cartes explosives, histoire de lui faire peur, et de le faire partir. Mais il m'en voulait, maintenant. Il faut dire qu'avec la soirée qu'il venait de passer, la situation ne devait pas être facile pour lui. Ne pas arrêter de perdre, encore, et encore. J'avais peut-être touché un point sensible, peut-être était-il très mauvais joueur, par exemple. En tous cas, il était suffisamment énervé pour m'en vouloir à mort. Super, un ennemi de plus, comme si ça ne suffisait pas d'avoir toute une partie du pays à mes trousses...
Alors je continuai d'attaquer. Il se planquait, à présent. De quoi avait-il peur ? Il semblait qu'il pouvait faire jaillir du feu de ses mains. C'était dangereux, comme pouvoir, mais il ne semblait pas le contrôler, pour l'instant. C'était ma chance. J'avais l'expérience du combat, et la maîtrise de mon pouvoir. Deux atouts indéniables dans un combat. Je parvins à le toucher à la main, malgré sa planque. Il n'était probablement si bien abrité que cela, derrière le bar. Mais il avait une réserve conséquente de munitions, à proximité des bouteilles, et ça pouvait jouer en ma défaveur. Mais tant que je continuais à le maintenir à distance, je pouvais anticiper ses prochaines actions et réagir avec efficacité.

Une feinte désespérée. Une tentative de déséquilibre psychologique. Non pas que sa phrase m'atteignit vraiment, mais je le trouvais ridicule. J'en avais marre de me battre contre un comptoir. Si je le voulais, je pouvais le faire exploser en mille morceau, laissant mon adversaire sans protection, et c'est ce que j'allais faire. Je me contentai d'esquiver pour l'instant les bouteilles d'alcool qui s'amoncelaient non loin de moi. Il lançait au jugé, ne parvenant pas à m'atteindre. Je décidai de lancer encore quelques cartes explosives, avant de continuer sur une autre idée : envoyer une chaise. Plus l'objet était gros, plus je mettais de temps à le charger en énergie cinétique, mais plus l'explosion était importante. Je voulais d'abord prendre une table, mais c'était trop lourd, je n'aurais pas réussi à la lancer parfaitement. Donc l'idée de la chaise me paraissait plutôt adaptée.
Dans le même temps, j'aperçus du coin de l'oeil une bouteille qui roulait, ouverte, répandant son contenu au sol. Ma chance était certainement que la forme de l'objet l'empêchait de rouler en ligne droite correctement, sans cela, elle aurait rejoint les autres flasques vides et j'aurais pris de sérieux dommages. Au lieu de cela, la déflagration fut bien moins importante que prévu, et j'eux juste le temps de sauter à couvert derrière la table qui était tombée à côté de moi. Le bout de bois absorba la plupart des dommages, mais je n'étais pas indemne pour autant.

Ok, là, j'étais hors de moi. Je décidai de soulever la table pour m'en faire un bouclier, et fonçai vers le comptoir, la chargeant doucement au passage. Une fois le comptoir atteint, la charge cinétique était terminée. Je reculai vivement, profitant du fait que j'avais déblayé tous les décombres dans ma direction, puis fis une roulade arrière et lançai une carte explosive sur mon arme improvisée, qui ravagea le comptoir, comme c'était prévu. Je sortis mon bâton dans mon autre main, et, accroupi, scrutai des yeux les environs à sa recherche.

J’avais aucune idée de quel était son pouvoir, mais il envoyait du lourd le joueur de carte. Visiblement, ma tactique de mise à feu n’avait pas fonctionnée, vu que la bouteille que j’avais fait rouler n’avait pas rejoint le reste de la flaque d’alcool provoqué par les autres boissons que je lui avais jeté. Tant mieux, on y serais passé tout les deux, et le reste du bâtiment, et probablement les constructions voisines aussi. Pendant ce temps, je réfléchissais à ce que je pourrais faire pour renverser la situation. Je maitrisais le feu, mais j’avais trop de mal à le créer … Et là, j’en avais à profusion, vu que la moitié du bar brulait. Finalement j’avais peut être une chance. Et au moment où je posais ma main sur le comptoir pour y puiser de quoi créer un projectile, celui-ci explosa, en même temps qu’une table posée là. Je fus propulsé à terre, mais j’avais de quoi lui lancer une petite balle au visage, suffisant pour le mettre hors combat. Je me faufilais de l’autre coté de la salle, derrière les restes de l’ampli de la piste de dance, comme cachette provisoire le temps de pouvoir tirer sans rater mon coup. J’aurais droit qu’à un seul essai. Mais en voulant relever mon bras droit dans lequel étaient logées les flammes, je sentis une douleur cuisante dans l’épaule. Je tournais la tête. Un éclat de bois de la taille de mon avant bras me traversait l’épaule. En faisant de mon mieux pour diagnostiquer la blessure, je mis ma compétence de chercheur à profit. Clavicule déboitée, omoplate cassé, et vue la position du morceau de bois, peut être même le biceps déchiré … Bordel ! Il allait falloir du temps pour que je récupère de cette blessure. Et j’étais désavantagé pour la suite du combat. Le moindre mouvement de mon épaule me faisait souffrir, et je n’avais plus assez de force pour canaliser les flammes de nouveau. Impossible de lui jeter un projectile de feu. Et si j’essayais de lui jeter un jet de flammes avec mon autre bras, j’étais quasi sur de tomber dans les vapes. Et si j’allais le chercher en combat rapproché, il allait me latter sans problème. Je risquais un coup d’œil, et vit qu’il me cherchait. Il avait un bâton, qui était au moins aussi dangereux que ses cartes, et je n’avais plus qu’un bras pour le frapper. En plus je me vidais de mon sang, et j’allais peut-être tourner de l’œil ou mourir si je ne faisais rien. J’étais mal. Je retirais difficilement le morceau de meuble de mon épaule en serrant les dents. Mon premier reflex qui allait probablement me sauver la vie fut de poser mon autre main en feu sur ma plaie. Ma chair crépitât et ma peau rougit, couverte de cloques, mais ma plait ne crachait plus de sang. L’opération m’arrachât un hurlement de douleur. Il allait me trouver. J’avais perdu de toute façon, alors je tentais le tout pour le tout pour sauver ma peau et m’éviter d’autres ennuis. Je montais debout sur l’ampli, et m’en servi comme tremplin pour aller poser ma main au plafond. Pile poil sur l’alarme incendie, qui n’avait pas reçu de fumé jusqu’à maintenant. Des trombes d’eau se mirent à tomber du plafond, créant un nuage de fumé suffisamment important pour me dissimuler. Je me faufilais ensuite vers l’issue de secours, me servant de mon manteau en cuir noir pour me cacher dans l’obscurité nouvelle apportée par l’absence de flammes. En sortant, je pris un vieux T-shirt étendu dans la rue, et concoctais un bandage improvisé sur mon épaule. Je devais m’entrainer. Je devais devenir plus fort. Car je recroiserai ce type. Et je devais m’y préparer.