Applaudissement. Aveuglement momentané : les lumières brulantes lui font encore couler la sueur contre le bas des reins. Il lève la main. Rien n’y parait. La foule n’y voit que du feu. Il lâche un «À la semaine prochaine!» retentissant de cette voix charmante. Pour eux, une semaine. Pour lui, tous les jours. Fallait bien gagner son pain. Et le sien n’était ni blanc ni brun : il y en avait des tas de tous les goûts. Et Dieu seul savait qu’il était capricieux pour ce qui était de ses goûts. Il sortie de la scène entre gracieuseté et extravagance : il gardait un style classique, mais tape à l’œil tout à la fois. Il aimait qu’on ne regarde que lui, c’était dans sa nature, et lorsqu’on ne le faisait pas pour son physique, on le faisait pour son caractère haut en couleurs et en flammèches.

Il quitta la scène promptement, donc, pour se glisser rapidement dans les coulisses, ignorant les félicitations auxquelles il s’était accoutumé depuis le temps. Ce n’était pas comme s’il n’en recevait pas dix millions par jour, de toute manière. Il avait pourtant l’habitude de prendre son temps avec les gens qu’il rencontrait. Mais pas aujourd’hui. Pas maintenant. Ce n’était pas le bon moment. Dès qu’il avait quitté la scène, ses épaules avaient flanchées, malgré sa carrure droite et fière. Il n’avait jamais véritablement désiré laisser voir à qui que ce soit sa fatigue, se remords, ses soucis. Il n’en passait jamais mot à qui que se soit. Il se contentait de sourire, de bavarder, d’être sympathique. Bref, de faire bonne figure devant tout un chacun. Il entra dans la petite pièce fortement éclairée, chassa les deux stylistes qui le suivaient partout depuis qu’il avait obtenu un petit contrat avec un photographe, et claqua la porte de la loge avant de se précipiter sur la lueur qu’il tamisa rapidement. Il jeta ses chaussures dans un coin, qui allèrent claquer contre le mur du fond, passant près de faire éclater l’unique miroir. Il s’en serait probablement inquiété une ou deux minutes, s’il était advenu un accident. La veste, la cravate et la chemise y passèrent aussi rapidement alors qu’il se décidait à se changer entièrement, bien que demeurant toujours ans le genre plus chique que la moyenne des gens, et donc forcément plus classe, à son avis, avec ce petit air supérieur mais pourtant amical en tout temps.

Il attendit un petit instant encore, avant de ne daigner mettre le pied hors de la loge, comme s’il ne faisait que s’assurer qu’il y ait moins foule lorsqu’il sortirait de son terrier à lapin. S’il y avait moins de partenaires de travail, il savait qu’il ne tarderait pas à tirer le meilleur partie des gens… Il en salua quelques uns avec qui, parfois, il s’arrêtait même pour discuter une ou deux minutes. On lui offrit un moment, dans un café, qu’il refusa prétextant un rendez-vous galant. On ne s’arrêta pas à s’interroger à savoir si c’était vrai ou non : on ne savait jamais, avec lui. Que se soit mensonge ou vérité, rien, venant de lui, ne semblait jamais étonner personne. Et il s’en félicitait toujours autant.

Il atterrit rapidement à l’extérieur, prenant la porte arrière comme lorsqu’il ne ressentait pas le besoin de côtoyer davantage de personne. Il fit quelques pas rapide vers la voiture stationnée dans son immobilité absolue, cherchant ses clés dans les poches de sa nouvelle veste, tout en songeant qu’il n’aurait pas supporté ses autres chaussures plus longtemps… De loin, il fit un sourire charmant à une blonde qu’il croisa, sans plus… Enfin…

Dure journée? Il était sans doute heureux qu’elle fut achevée en si bon terme. Il se planifiait un tête à tête avec lui-même et sa meilleure amie lorsqu’il était pris de ce genre de saute d’humeur : un écran, un film, un pop-corn, une couverture, mais surtout, sa plus fidèle, mademoiselle la tranquillité dont il baiserait parfois les pieds tant il l’admirait. Il avait tout éteint : la radio ne fonctionnait pas dans l’habitacle de la voiture. Il contemplait le ronronnement du moteur avec un sourire de satisfaction. Lorsqu’il avait dit, adolescent, qu’un de ces jours il se paierait une de ces bagnoles de luxe, son père lui aurait rit en pleine poire en le traitant d’idiot. Arthur aurait clamé que les artistes ne mangeaient pas toujours que des nuages plein d’espoir. Son père, qui n’était plus là pour voir son sang faire la fierté d’une famille qu’il avait presqu’oublié avec le temps. Peut-être parce qu’on n’avait jamais réellement cru en ses idées de grandeurs et que lorsque tout fut accomplis, on s’applaudit de l’avoir fait, pour faire bonne figure. Dégoûté. Ça l’avait dégoûté et il avait claqué la porte au nez de sa propre famille qui disait ne rien comprendre à son comportement d’enfant gâté par la vie. Il ne l’était pas plus qu’un autre. Il avait buché. Il avait travaillé pour en arrivé où il en était maintenant, et c’était avec fierté qu’il souriait aux caméras braquées continuellement sur sa personne.

Il avait salué le portier en entre. Ce dernier semblait toujours ravis de le voir, peu importait l’heure qu’il pouvait être de la journée. On aurait dit qu’il était toujours frais et dispo, plus encore lorsqu’il s’agissait d’Arthur. Il s’était déjà surpris à se demandé s’il n’était pas un vampire, à tout hasard, tant il lui semblait… dérangé, d’une certaine manière. Il n’avait pas souvenir de l’avoir vu se plaindre une seule fois ou d’avoir seulement pris une journée de congé par cause de maladie. Il était là, debout, souriant, droit, avec son petit casque classique, sa cravate nouée à la perfection ses souliers noires si cirés qu’il en aurait sans doute pu voir son propre reflet s’il avait bien regardé.

— Les Buffalo jouent ce soir, monsieur.
— Vous savez que je ne regarde pas ce sport.
— Sait-on jamais que vous auriez changé d’avis.

Un sourire de plus, question de ne pas prolonger davantage une conversation qui s’éterniserait sans doute un peu trop à son goût. Il se glissa finalement d’un pas rapide jusqu’à l’ascenseur, s’appuyant dos contre le mur, hâtif plus qu’il n’y avait raison de l’être. Comme si être chez soi était, pour lui, le seul endroit au monde où il puisse se comporter comme monsieur et madame tout le monde. En dehors, il ne le faisait jamais. C’était les apparences d’abord. Mais ce n’était pas une vie qui lui déplaisait, bien au contraire. Il lui arrivait simplement, de temps à autre, d’aspirer à autre chose pour un soir ou deux. Il n’y avait pas de mal à ça, n’est-ce pas?

Il ne se fit pas prier par le temps, en refermant la porte derrière lui, qu’il s’assura pourtant verrouillée, il en était convaincu, pour filer se changer une nouvelle fois, ou du moins pour chasser les traces de maquillages qui lui collaient encore à la peau, chasser aussi, cette espèce de sueur peu appréciable qui ne le lâchait jamais sous les brulant projeteurs. C’était des désagréments du métier dont il s’accoutumait, mais qu’il détestait. L’eau fraiche dans son dos lui remit les idées en place et il se félicita de ne pas avoir trainé en studio plus qu’il ne le fallait. Ce soir, il se sortirait tout ça de la tête… Il attrapa la serviette de bord question de ne pas tremper le sol au complet et de se péter la tête en l’oubliant en pleine nuit… Parce que ça lui était déjà arrivé! L’ivresse n’étant pas une de ses plus grandes qualités, il avait tendance à oublier certaines choses des plus… importantes! Mais il était sobre, seul, en paix. Pourquoi s’attendre à croiser un regard curieux en sortant de la salle de bain? Certainement pas. C’était peut-être d’ailleurs une des raisons pour lesquelles il n’avait pas pris la peine d’apporter des vêtements de rechange. Serviette humide sur la tête, il ouvrit la porte et se glissa nonchalamment à travers l’appartement, évidemment nu comme un ver. Il ne réagit d’abord pas immédiatement lorsqu’une voix féminine l’interpella.

Sa première réaction fut de hurler et de filer s’enfermer de nouveau dans la salle de bain en claquant la porte violemment. Moment de panique : qu’est-ce qu’elle foutait là? Une folle qui l’avait suivit? Impossible, le portier l’aurait forcément arrêté! Une nouvelle habitante de son étage? Il l’aurait remarqué, ou du moins on l’aurait prévenue, n’est-ce pas? Voyons! Il attrapa une nouvelle serviette qu’il passa à sa taille et ressortit illico, plus perturbé que vexé par la situation.

— Quelques trucs à m’apprendre, ça oui! Soit de me payer des gardes du corps! lâcha-t-il sur débit rapide en ne la lâcha pas des yeux. Mais faites comme chez vous, surtout! Champagne avec ça, ou vous êtes-vous déjà servie? J’en ai vu beaucoup, mais ça, c’est la meilleure!

Il s’était rapidement diriger vers la porte, posant la main sur le loquet question de s’assurer qu’il était fermé, verrouillé… et ce ne fut pas ce à quoi il s’attendit. Il se promit de faire changer la serrure dès le lendemain… ou le soir même serait l’idéal, mais trop demandé, sans doute.

— Je vous demanderais de partir! Ça ne se fait pas! Si vous voulez… un autographe, revenez à une dédicace, mais pas chez moi! Et… Et comment êtes-vous entré? Et puis non! Je ne veux pas savoir! Partez!

Dit celui qui retenait la serviette à sa taille d'une main, de peur, sans doute, qu'elle ne se décroche... Cette... blonde en avait vu plus que sa mère de sa physionomie!

Il resserra encore son étreinte sur l’unique morceau flasque de tissu qu’il portait à la taille. Il resta planté là, sur le coin de la porte, s’attendant à voir surgir, peut-être, quelqu’un de derrière celle-ci. Et il la fixait, comme s’il aurait voulu la faire disparaitre par un regard fustigeant. Elle avait toujours de même osé poser ses fesses et sa crinière blond sur son fauteuil hors de prix. Mais il arque un sourcil de perplexité en l’entendant parlé : elle semblait bien décidé à ne pas bouger d’où elle était, pour son plus grand malheur. Elle mentionna ‘’Service’’. C’était sans doute le mot le plus perturbant qu’il eut entendu de toute sa journée! Dieu seul savait ce qui lui passa par l’esprit et la gène qu’il en ressentait vis-à-vis de la jeune femme. Il se questionna bien de quoi il s’agissait, bien que sa tête lui dictait qu’il s’agissait de quelque chose d’assez familier. Mais en fait, comment pouvait-il ne pas s’énerver davantage encore devant elle?

—Bien sûûûr! Vous êtes wonder woman en personne! Nul adversaire ne résiste!

Et lui de continuer sur sa lancé d’exaspération, de surprise, et peut-être à présent d’agacement pointu. Il se surprit à sursauter lorsqu’on toqua à sa porte, alors qu’il avait toujours la main posée sur la poignée, comme si c’était pour le rassurer. Mais à sa plus grande surprise, elle prit la parole… Enfin, elle prit sa parole comme la chose la plus naturelle au monde. Il dû s’avouer que là, il était estomaqué. Une fanatique suffisamment dingue pour parvenir à l’imiter à la perfection! Ça dépassait les limites de l’entendement. Et le pis dans cette histoire était qu’elle parvint à convaincre l’homme derrière la porte que ce qu’elle disait… qu’il disait… qu’elle faisait croire qu’il disait, était la vérité et rien de moins. Et il le cru! Incroyable. Il en était tant surpris qu’il n’osa pas même l’interrompre, même si ouvrir brutalement la porte lui passa par l’esprit. Il n’en fit rien, demeura là, sourcils arqués, bouche close, regard perçant, surtout méfiant.

—Ça, c’était assez surprenant… déclara-t-il toujours sur ce ton de méfiance à la limite de la crise d’angoisse. S’il ne savait que penser exactement, il savait que ce n’était pas tout à fait une journée comme les autres. Ou du moins, cette fille là lui laissait une si étrange impression qu’il ne pouvait l’ignorer entière. Ou du moins, il songea à se rendre directement jusqu’à elle, la pousser par la fenêtre et feindre un accident : fallait bien qu’il se défende contre son agresseur. Mais c’était sans doute un brin de curiosité qui le poussa à ne pas s’avancer vers elle. Ou était-ce de la crainte? Il n’était, après tout, pas forcément le plus courageux des hommes, même s’il en donnait peut-être l’impression.

—Premièrement, je préfère être mis au courant d’une visite! Je ne me serais pas balader à poil dans tout l’appartement… Ensuite, VOUS êtes chez moi! Il serait un minimum de logique de se présenter! Et pour l’amour du ciel, levez-vous de ce fauteuil, prenez n’importe lequel mais pas celui-là!

Il longea finalement le mur, sentant qu’elle ne le quitterait pas si aisément, il planifiait au moins de mettre quelque chose de plus décent que son costume d’Adam.

—Et si vous êtes… de service ou je ne sais trop quoi, si c’est une mauvaise blague, ça ne me fait pas rire!

Ayant, doucement mais sûrement, rejoint la pièce de sa chambre, il s’y enferma en claquant une nouvelle fois la porte, comme s’il se sentait plus en sécurité derrière elle, bien qu’elle ne se verrouille pas. Il inspira un bon coup, attrapa les premiers morceaux de tissus du bord et se vêtit en vitesse, comme s’il avait craint qu’elle n’entre sans qu’il ne s’en aperçoive. Elle était bien entré dans l’appartement, pourquoi pas dans la chambre? Il revint entrouvrir la porte, jetant un coup d’œil à l’extérieur, comme s’il avait espéré qu’elle ne se trouve plus à cet endroit… C’était raté : il n’avait aucune vision du à la fatigue!

—Bien sûr! Vous êtes doté du don de violer la vie privée des gens et je suis, moi, doté de celui de vous foutre à la porte avec un méga coup de pied au derrière.

Était-il sérieux? Pas vraiment, mais il gardait ce ton de méfiance en ressortant, finalement, complètement de la cambre, s’adossant au mur lui faisant face, comme s’il se refusait de l’approcher davantage.

Spoiler:

Elle semblait bien décidée à le mettre dans tous ses états. À un tel point qu’il ne pu s’empêcher de songer qu’il était peut-être en plein délire paranoïaque, bien que ça ne se soit jamais produit jusqu’à maintenant. Les célébrités n’ont-elles pas toutes un brin de folie dans la tête, à un moment ou un autre de leur montée? Finalement, il balançait entre les avis la concernant. Un moment il la pensait folle alliée, un autre tout à fait admirable, sans doute parce que ça lui plaisait tout de même d’être suffisamment attirant pour qu’elle ne daigne entre comme ça, à son insu. Finalement, il n’était plus certain de prendre la chose de façon à être si vexé. En y réfléchissant, ça lui semblait presque être un compliment à sa personne, bien qu’un compliment un peu déplacé. Ce fut sans doute cette idée qui lui permit de ne pas sortir de l’appartement précipitamment.

Raven, donc, qui semblait prendre un malin plaisir à se foutre de la poire de l’animateur pris au dépourvu, ne semblait pas non plus prête à jouer des caprices habituels de ce dernier, et ce, pour son plus grand malheur. Toujours adossé au mur, il s’était d’abord efforcé de reprendre un air plus naturel, plus décontracté, voir ennuyé par la situation. C’était le cas, n’est-ce pas? Il avait imaginé sa soirée tout autrement qu’ainsi. Il eut un petit soupire, croisa les bras sur son torse et la jaugea à distance comme il aurait jaugé une œuvre d’art bon marché, de façon aussi critique que méfiant quant à la valeur de ses propos. Fort heureusement que ce n’était pas une blague, il n’en souriait pas même faussement. Si Arthur était un être particulièrement expressif physiquement et verbalement, il y avait toujours ce petit quelque chose de menteur chez lui que personne ne décelait jamais. Et s’il s’était montré particulièrement excessif dans ses réactions face à la jeune blonde, il ne pouvait s’empêcher d’être curieux par rapport à chaque mot coulant d’elle. Un peu comme des réponses qu’il n’avait jamais eu jusqu’à maintenant. Elle-même l’intriguait plus qu’une autre. Mais ce n’était pas le genre de pensées qu’il se plairait à déclarer de vive voix. Et il n’était pas certain de savoir encore distinguer la certitude à l’incompréhension de la situation. Elle parlait de fiction, de choses qui n’existaient que dans l’imaginaire collectif et elle semblait persuadé de la complexité de la chose, comme un évènement fantastique et réel. Il aurait pu fuir lorsqu’il la vit se lever, bondir comme un lapin effrayé. Il resta planté là, bras croisés, iris noisettes plantés sur elle dans une menace silencieuse de ne pas tenter le diable. Bon. Il n’était pas le plus costaud des hommes, mais il ne voudrait pas être abimé… pas pour ce qu’il avait à faire le lendemain, bien que tout puisse très bien être dissimulé par quelques maquillages quelconque.

Elle parlait de transformation physique et vocale comme d’une chose naturelle. Et non seulement ça : elle insinuait qu’il avait lui-même un petit quelque chose, et il devinait la raison de sa présence, du coup. Du moins, c’était ce qu’elle semblait lui faire comprendre. Mais il n’était pas encore arrivé au bout de ses peines… Elle se mit à changer, et pas forcément de la manière la plus familière qui soit. Bleu! Ses traits, sa peau : tout. Il ne peu réprimer une drôle d’expression, qu’elle percevrait sans doute comme une surprise terrifiante. Il décroisa les bras, et se tint plus droit, comme s’il s’apprêtait, une fois de plus, à bondir de côté si elle daignait un mouvement contre sa personne. Pourtant… ça ne semblait pas être dans ses intentions, jusqu’à maintenant. Sait-on jamais qu’elle change d’avis.

—Je dois dire que ce qui me préoccupe le plus est non pas votre… charmant épiderme, mais bien le «on». Parce que vous êtes plusieurs? Une me suffisait bien! Où sont-ils, dans les placards? Sous mon lit? Vous m’avez regardé, sous la douche?

S’il disjonctait? Il était toujours ainsi, semblait toujours dans un délire paranoïaque en harcelant de questions parfois plutôt quelconque.

—Et ne croyez pas que je vais ramper à quatre pattes pour que vous puissiez m’examiner, docteur.

Décidément, il n’était pas très coopératif…

Il s’était tut, finalement, comme s’il acceptait, doucement, mais certainement, un retour au calme émotif. Émotions qui l’avaient berné, d’ailleurs, dans une jolie explosion craintive. On aurait dit un gamin méfiant et bavard, incapable de ne pas supposer mille et une solutions solution. C’était toujours le cas, mais elle ne lui inspirait pas autant terreur qu’étonnement. Il s’était tut, tout simplement, parce qu’il n’avait plus aucun argument à lui fournir et qu’il sentit que se battre verbalement ne valait peut-être pas la peine et que son silence le valait davantage encore, sans doute. Il refusa, d’abord, de s’avouer que toute cette histoire l’intriguait, de peur, peut-être, d’être pris pour un cinglé. Puis, il obtempéra mentalement, doucement, à accepter que ce n’était peut-être pas un délire paranoïaque qu’il se tapait, qu’on n’avait pas versé la moindre drogue dans son café sur le plateau et qu’il n’était certainement pas en train d’halluciner une nouvelle connerie.

Il se dégagea finalement complètement du mur, réduisant la distance qui les séparait à un fil mince qu’il aurait pu couper en tendant le cou. Il examina plus attentivement la jeune femme, comme s’il n’avait pas encore tout à fait décidé de la manière dont il devait la considérer, hésitant encore entre une folle sortie d’il ne savait où et peut-être bien une groupie déjantée. Ce n’était pas la teinte bleuté de l’azur qui le faisait flipper, bien que c’était peut-être ce qui aurait dû le déranger le plus. Étrangement, il se contenta d’un regard attrayant, retrouvant cet air un peu taquin, un peu charmeur de son habitude qu’il accordait à tout va.

—Et quel est-il, mon don? murmura-t-il entre hésitation et calme plat. Il n’était plus certain de la manière avec laquelle il se devait de réagir et il opta pour la simplicité : faire comme s’il la connaissait un peu, un minimum.

Elle parlait de mutation comme s’il était supposé savoir de quoi il s’agissait. Il devinait, vaguement, ce qu’elle entendait par là, sans céder une fois de plus à une panique virtuellement sienne. Il avança un nouveau pas et la contourna, la frôlant doucement, comme s’il cherchait à voir sa réaction, comme s’il tenait à lui faire comprendre qu’il n’était pas si facile à traumatiser qu’elle semblait le croire, ou qu’il semblait le croire lui-même, plutôt.

—Je ne sais toujours pas ce que vous faites exactement. Vous dites vouloir m’aider, mais je ne sais rien. Fournissez-moi des explications, des réponses… Pourquoi particulièrement en ce moment? Que se passe-t-il? Vous semblez oublié que je ne viens pas de la planète mars… ou que je n’ai pas encore conscience d’être un martien!

Il se dirigea vers une bouteille de fort qu’il laissait toujours trainé dans son contenant de verre chic, sur une table ou une autre, saisissant un verre, il s’en versa un qu’il bu presque d’une traite avant de se tourner de nouveau vers elle.

—Vous ne voulez vraiment rien?

Question qui voulait presque dire «bienvenue», même s’il ne le disait pas directement. Sa compagnie ne lui était pas désagréable, bien que toujours aussi étonnante. C’était un peu comme marcher en dormant… sauf qu’il ne dormait pas. Du moins n’en était-il pas tout à fait certain.

—J'aimerais surtout savoir depuis quand vous m'espionner...

Il arqua un sourcil, mi perplexe mi douteux avant de terminer le reste du contenu de son verre, dans une vague grimace, comme si la deuxième grosse gorgée passait moins bien que la première. Elle insinuait qu’il pouvait faire des choses dont il lui paraissait absolument impossible d’en avoir connaissance. Comment pouvait-il seulement remarquer si c’était si subtil? Comment pouvait-il en connaître l’étendu s’il ne le percevait pas? Il n’y avait sans doute, pour le moment, que les autres qui semblaient parvenir à le repérer, parce qu’ils ne parvenaient plus à faire leur «truc» en sa présence. Devait-il considérer la chose comme positive? Il avait toujours aimé qu’on s’intéresse à lui, mais peut-être pas de cette façon.

—Baaaah! Je lis les journaux aussi, vous savez, lâcha-t-il sur un ton moue, mâchant ses mots comme s’il ne se souciait pas réellement du sort qui lui semblait être réserver, comme s’il ne s’en préoccupait, finalement, pas comme elle l’aurait voulu de toute évidence. Il se calait toujours confortablement dans son délire confortable de vivre une vie comme la sienne. Ce n’était pas donné à tout le monde. Et même s’il était réellement mutant, qu’est-ce que ça changerait? Surtout si, comme elle le disait, certaines personnes les craignaient. Il concluait que forcément, les «détesteurs» n’étaient pas mutants et que donc, ils ne pouvaient pas le repérer comme Raven avait pu le faire.

Il se laissa finalement tomber dans n’importe quel fauteuil, sans vraiment prendre garde auquel, et porta une main à son front en fixant le fond de son verre, comme s’il n’était pas encore tout à fait certain de la responsabilité désespérante qu’il avait à prendre, d’un seul coup : celle de croire, ou non. Pourtant, elle était là. Elle ne délirait pas, ou c’était un foutu bon effet spéciaux qu’elle lui jouait simplement pour le rendre débile. Et des effets spéciaux si réels qu’ils ne semblaient guère l’être, en fin de compte. Mais il n’était pas au cinéma. Il n’était pas fixé dans une débilité imagée. C’était une réalité, la sienne, la leur maintenant.

—Admettons que je suis bien d’accord avec toute cette histoire. Admettons que je comprenne parfaitement de quoi il en retourne. Qu’ai-je véritablement à craindre? Vous dites que ceux qui vous en veulent ne sont pas mutants, mais que seuls un mutant peu me… repérer. Où est le problème? À moins que ça ne vous amuses de menacer et traitre l’identité des gens, je ne vois pas franchement ce que je crains de ce «danger».

Elle voulait le convaincre de quelque chose, certes. Si elle voulait discuter, il argumenterait. Si elle ne l’éclairait pas davantage, c’est lui qui outrait le camp, carrément.

—Et même si je parviens à… comment dites-vous? Annihiler les pouvoirs, je ne vois même pas ce que je crains des mutants eux-mêmes, du coup. Je ne suis pas individualiste. Mais pourquoi devrais-je me mêler d’histoires qui ne me concernent pas? Vous semblez espérer quelque chose que je ne peux peut-être pas même vous donner. Comment, de toute façon, améliorer quelque chose que je ne perçois pas?

Il attrapa de nouveau la bouteille pour remplir un fois de plus son verre. On ne pouvait pas dire que toute cette histoire le laissait indifférent, c’était certain.

—De plus, vous dites que vous êtes plusieurs… Vous êtes un genre de clan? De groupe? Ou je ne sais quoi?

Décidément, il n’était pas des plus faciles, ce soir…

Arthur… hé bien, c’était Arthur. Celui qu’on ne bouleverse pas. Celui qu’on ne choque pas. Celui qu’on ne perturbe pas. C’était aussi celui qui menait une existence hors du commun et qui refusait, trop souvent, de se mêler à ce commun des mortels. Il ne se croyait pas forcément au-dessus du monde. Mais il croyait en valoir la peine, comme il croyait que ce qu’il disait ou foutait n’importait qu’à lui-même et à ses fanatiques. Haters gonna hate. Il s’en moquait. Il n’avait rien à faire des rabajoies ou des grotesques personnages de foire. Il n’avait rien à faire que le chien du voisin était mort de la leucémie. Il ne se préoccupait pas tous les jours, à chaque seconde de sa vie de petits africains qui crevaient de faim. Il devait bien avouer qu’il ne s’était effectivement jamais sentie atteint par quelque chose d’extérieur à lieu, et encore moins par les problèmes des autres. Il n’était pas forcément égocentrique à toutes heures du jour, mais il avait ce petit côté renfrogné qui l’obligeait à ignorer la douleur du monde. Parce qu’il s’était convaincu qu’il ne pouvait rien n’y faire, sauf en faisant un peu de bien dans la vie quotidienne de millier de personne. C’était ça, pour lui, faire sa part. Et ça lui avait très bien suffit comme perspective, jusqu’à maintenant. Alors quand on lui parlait de télépathe, métamorphe ou il ne savait trop quoi d’autre encore, certes, ses perspectives avaient un peu changé d’angle, sans qu’il ne s’en aperçoive. Mais encore? Parvenait-elle à convaincre ses idéaux ou simplement à lui donner une nouvelle façon de voir le monde? «Et alors?» aurait-il eu tendance à lui répondre, franchement, buté qu’il était sans doute, cloitré dans un monde utopique et idéologique inatteignable, sauf pour lui.

En la voyant se rapprocher une nouvelle fois de lui, il leva une jambe qu’il pointa devant lui, comme s’il avait espéré que se fut suffisant comme barricade, mais se lassa rapidement de ce jeu de fuite auquel il jouait avec elle depuis le début et il laissa lourdement retomber son membre au sol. Elle marquait un point. Et il ne le niait pas. Il la suivait des yeux par méfiance et renifla un coup, plissant un peu du nez, comme s’il voulait de nouveau protester, mais qu’il n’en trouvait plus les mots. Pour l’instant, du moins. Voulait-elle qu’il se mette à l’applaudir pour toutes ses belles paroles? Elle semblait davantage persuadée qu’il allait sagement suivre dans son manège. Il n’était pas un chien en laisse ni un mouton suiveur de troupeau.

—Soit. Je vous approuve. Mais je ne veux pas que mon nom soit rattaché à quoi ou quel groupe extrémiste que se soit. Sinon quoi c’est toute ma carrière qui est en jeu, et c’est bien la seule chose que j’ai qui compte vraiment.

Vrai. Mis à part son statut populaire, que possédait-il? Il n’avait ni famille à lui, s’en était éloigné, n’avait ni vrais amis à qui s’attaché, ni amoureuse, ou amoureux, bien que nombreux étaient les déclarations publiques qu’on lui avait faite. Ce n’était que foutaise. Il n’avait que les sourires aux dents blanches, que l’image et l’apparence. C’était tout ce qu’il avait et il ne tenait pas à tout foutre en l’air en s’associant à quelque groupe de malades auquel elle pouvait appartenir.

—Mais j’aimerais surtout savoir ce que je vous dois en échange de ce coup de main qui, je suppose, n’est pas gratuit, n’est-ce pas?

Il s’était toujours méfier du monde entier. Il n’avait jamais rien eu tout cuit dans le bec. Il le savait, pour avoir travaillé et buché comme un dingue pour en arrivé où il était : les sacrifices. Mais il n’était plus prêt à sacrifier n’importe quoi pour n’importe qu’elle belles paroles prononcées, même si elle venait d’une aussi charmante créature que celle-ci.

Il ne dit pas un mot lorsqu’elle s’éloigna. Suffisamment apparemment pour que l’homme des médias n’est plus aucun effet évident sur elle. Suffisamment pour qu’il ne puisse plus influencer sa mutation. Suffisamment…Il calcula mentalement la distance qu’il fallait entre lui et la mutante pour qu’il ait un effet réel sur elle. Et ce n’était pas particulièrement très gros, il devait bien l’avouer. Et s’il l’écoutait parler, il ne put s’empêcher de tenter, tant bien que mal, de s’imaginer mentalement ce cercle qu’il formait involontairement tout autour de lui, comme s’il cherchait à l’étirer un peu plus jusqu’à toucher de nouveau la jeune femme. Mais rien n’y fit, si ce n’était que de le déconcentrer de ce qu’elle lui racontait. Et il se demandait comment il pouvait seulement améliorer ce cercle, comme il l’appelait maintenant, d’influence sur les autres mutations, puisqu’il ne savait toujours pas exactement en quoi consistait ses propres capacités, puisqu’il en avait, n’est-ce pas? Puisque c’était ce qu’elle tentait de lui faire croire depuis le début, non?

Malgré tout, elle était parvenue à tirer sur une corde sensible de la personnalité du brun : la différence. Il n’avait jamais conçu être comme tout le monde. Et il ne l’était pas. Il ne l’avait, d’ailleurs, jamais été, que se soit de son plus lointain souvenir ou dans cette existence épuisante qu’il menait maintenant. Arthur avait toujours eu ce petit côté extravagant qu’on remarquait à tout va, ce côté bavard et extravertie qu’on ne pouvait que voir, comme s’il était éclairé d’une lumière aveuglante permanente. Son frère lui en avait, d’ailleurs, toujours voulu pour cette raison. Ce fut un lien de jalousie perpétuelle qui grandit entre eux. Et Arthur n’avait jamais rien fait pour remédier à cela, même s’il l’aimait comme on pouvait aimer un frère. Il était le genre de personne que l’on regardait en premier. Et il était vrai qu’il ne réalisait pas tout à fait tout ce que cela pouvait impliquer. Il n’avait jamais été la cible de menaces à proprement parler. Bon, quelques fois, mais c’était les risques du métier, si on pouvait appeler ça un risque.

Haussement des épaules, il daigna enfin repose son verre, comme s’il s’était finalement convaincu qu’il n’était pas en train de disjoncté ou de péter un câble à force de trop travailler. Toujours callé dans son fauteuil, toutefois, il ne semblait pas vraiment se décider à se donner un air plus conventionnel, avec elle.

—C’est que… j’ai beau réfléchir, je ne vois pas vraiment ce que je peux faire pour vous aider.

Allait-elle lui sortir qu’en temps voulu, on lui demanderait du cash? Hé bien, en temps voulu, il aidera s’il advient qu’il en ressent le besoin. Mais toute cette histoire le dépassait si bel et si bien qu’il n’était plus certain de ce qu’il devait dire, accepter ou pas.

—Et la mort d’un type banal? D’un sans rue, sans mutation? D’une femme, comme ça, insignifiante qu’on aura battue à mort? Il y a tellement de cause pour lesquelles on m’a demandé de me battre, de soutenir ou je ne sais trop quelle connerie encore.

Il s’interrompit un coup, fixant sa réaction, redoutant peut-être un regard méprisant ou quelque chose qui fasse qu’elle ait mal pris ses commentaires.

—Ne vous vexez pas, surtout. Je comprends! Je comprends très bien, même, mais je me suis convaincu depuis longtemps qu’on ne sauve pas le monde en claquant des doigts… qu’on ne sauve tout simplement pas le monde, qu’on le veuille ou non.

Il s’accouda contre le bras du fauteuil, prenant un petit air plus naturel, moins sévère, moins tête d’affiche, tête de télé. Une tête plus commune, une tête… normale, tout simplement. Celle d’un type non pas ennuyé, mais incertain. La tête du rêveur militaire qui avait perdu espoir en combattant, peut-être, une cause qu’il trouvait maintenant inutile. Une tête de rêve refoulé.

—Et ne me dites pas que je suis pessimiste.

Rien. Elle ne lui demandait rien. Il s’était attendu à tout sauf à cela. Comme une bonne amie qui se contentait de vouloir rendre service, sans s’attendre au baiser ou au merci en retour. Comme une bonne connaissance, filant un coup de main, sans qu’il n’ait eu à demander «s’il vous plait». Comme une camaraderie fiable et douce à la fois. Comme une main tendue à laquelle on ne veut qu’une chose : s’accroche, désespérément s’accrocher. Non, il ne s’était pas attendu à ça. Pas de demande d’argent, pas de contrat à signer, pas de promesse à faire, pas de service à rendre. Devait-il croire? Devait-il seulement accepter ce marché qui lui semblait tout à fait, trop même, honnête? L’animateur baissa les yeux le premier. Il avait perdu son allure sûre de lui, son allure de défi et de provocation, mais surtout son apparence indifférente de celui qui ne veut pas se mêler des histoires qui ne le regarde pas. Parce qu’il n’avait pas réellement l’impression de devoir quoi que ce soit et qu’il ne s’en était pas encore sentit rattaché. Mais maintenant? Maintenant, le doute comme un poison pour l’esprit, l’envenimait à petites goutes, effet lent, mais vif dans sa tête.

Il releva la tête vers lui, dans cette incertitude qu’il trouvait de plus en plus agaçante. Il la détailla un instant, dans son propre silence, comme s’il avait soudainement perdu toute capacité à s’exprimer. Arthur perdait cet air artificielle dont il faisait preuve sur les écrans pour appréhender un visage plus ordinaire, plus près de monsieur et madame tout le monde, plus semblable à un mutant à qui on vient de révéler que le monde tourne à l’envers, plus semble aux Européens à qui on vient d’annoncer que la Terre n’est pas plate, ou au fermier à qui on vient de déclarer que les extraterrestres n’ont jamais enlevé sa vache Bethy.

Il bougea enfin, se levant de son fauteuil et fit un mouvement vers la mutante. Un pas hésitant, ne sachant pas très bien ses propres limites encore, jusqu’à ce qu’il sente qu’il ne les atteigne pour une fois de plus influencer la blonde… bleue… ou il ne savait plus par quelle couleur la décrire. Puis fit un pas en arrière, un peu brusque, un peu soudain. Il secoua la tête et demeura sur place, question de ne pas la mettre mal à l’aise. Chose qui ne s’était encore jamais produite. Ou plutôt si, justement. Semblait-il qu’on avait commencé à s’intéresser à lui parce que justement, en sa présence, en sa proximité, on ne se sentait plus mutant. Il imagina soudainement le nombre possible d’autres comme elle qu’il avait put rencontrer sans qu’il ne s’en aperçoive jamais. Il repensa d’ailleurs à ce type, dans le stationnement… Un faible sourire un peu gêné se dessina sur ses traits pour remplacé toute l’arrogance dont il avait fait preuve jusqu’à maintenant.

—J’ai la drôle d’impression de devoir m’efforcer à tout prix à ne pas être trop près des gens. C’est un peu ennuyeux, comme situation. Surtout si je ne peux approcher personne comme vous, comme moi, sans créer un malaise inévitable.

Soupire. Effectivement, ce n’était pas le genre de chose auquel il avait pensé jusqu’à maintenant. Mais à présent… Et bien, à présent, il songeait davantage à s’assommer avec une brique pour dormir les vingt prochains jours. Parce que ça commençait à faire un peu trop et qu’il sentait la migraine se pointer.

—J’ai du thé, plutôt que de l’alcool…, lâcha-t-il finalement, comme pour changer brusquement de sujet, comme s’il se mettait une barricade mentale à ce propos, comme s’il en avait assez avalé, comme un bouillon d’eau de mer, comme s’il s’était littéralement noyé dans le sujet.