—Le monde entier s’étend à mes pieds. Je ne veux pas passer le reste de mes jours à regretter de ne pas avoir fait ce qui me plait.

—N’as-tu pas peur de regretter cette voie?

—C’est comme de me demander si j’ai peur de faire quelque chose d’utile, et je te répondrai que non. Non, je n’ai pas peur. Je n’ai pas peur de marcher sur un chemin qui n’est pas tracé. Je n’ai pas peur de renier tout ce que je suis, tout ce que j’ai été. Je n’ai pas peur de dire que je veux quelque chose d’autre. Je n’ai pas l’intention de me laisser enchainer à une vie qui ne me plait pas.

—Tu t’en vas, alors?

—Je m’en vais.

—Et tu n’oublies rien?

Il prit un air désolé. Elle s’était attachée à lui plus qu’il n’avait eu d’affection pour elle. Et il avait longtemps refusé de lui faire le moindre mal, mais maintenant que les choix s’effaçaient au devant de sa route, il ne lui restait qu’un obstacle douloureux : elle. Il n’avait pas nié son intérêt pour elle. Mais il n’avait pas avoué des sentiments qui n’existaient qu’à moitié. Elle s’était accrochée à lui comme à une bouée de sauvetage, rôle qu’il avait accepté jusqu’à maintenant. Il lui envoya un baiser sur le front. Et elle comprit les mots d’excuse qui ne seraient jamais prononcés. Aucune larme ne fut versée. Elle avait appris à se voiler la figure avec lui. Elle avait appris la force, celle qui lui servirait à se tenir debout après la rupture silencieuse. Et s’ils ne disaient rien, ils venaient de signer la fin de leur histoire, aussi banale fut-elle, aussi insignifiante qu’elle put être, à bien y repenser. Non, il n’oubliait rien. Il se levait du confort d’une enfance qui avait été la sienne jusqu’à maintenant toute sa vie. Il avait toujours été le plus rebelle des trois héritiers. Il avait été le mouton noir, la bête, celui dont on a un peu honte, celui qui tire la langue dans le tableau, qui fait les oreilles de lapin au plus petit sur les photos de famille. Non, il n’avait de regrets que pour une chose : être resté si longtemps, trop longtemps, avec ce sentiment qu’on tentait désespérément de l’asservir. Alan était liberté. Alan était choix. Il était décision et était roi. Roi de lui-même, de son existence, de tout. Égocentrique? Pas le moindre du monde, pourtant, mais il avait une vision des choses qui surpassait les espérances qu’on avait eu pour lui lorsqu’il était tout jeune. Avocat? Médecin? Pourquoi pas s’assoir sur le trône du monde, plutôt? Oui, pourquoi se contenter d’une simple vie exaspérante, épuisante, qui ne mène finalement à rien, dont, en bout de ligne, personne ne se souvient du nom?