Taking a walk around a magic world

Une histoire de moto. Un témoin : lui. Et puis l’absence de vie. Alan dardait à présent un regard curieux sur le nom qui figurait devant lui sur un bout de papier, qu’il avait griffonné lui-même rapidement le matin même. Grincement de chaise, craquement du bois, il rabattit sa veste dans laquelle il se serra. Il avait toujours eu cette manie de se lever au moment où les oiseaux se mettaient à chanter, aussi frais et dispo que s’il avait dormit une dizaine d’heures. Le spectacle de la veille avait pourtant eu lieu relativement tard et il en avait profité pour festoyer, si on veut, avec les quelques membres plus festifs. Ce n’était pas forcément dans ses habitudes, mais ça lui arrivait à l’occasion de se mêler à eux comme un frère et non pas comme un homme dirigeant, un brin autoritaire, qui ne se laisse pas forcément aller au rire facile. Un caprice de sa part? Il était plutôt trop orgueilleux pour jouer les meilleurs amis avec ses protégés, même si certains le voyait sans doute sous cet angle. Il ne leur en voulait pas. Il les encourageait, plutôt, à ne pas craindre la moindre parole prononcée en sa présence. Et il était bon rieur une fois sur deux. Il était seulement un homme occupé, voilà tout, et il en avait l’apparence de celui qui sait où il mène sa troupe.

Dehors, il se serra un peu plus dans sa veste et fixa ce qui l’entourait. Une paire de yeux jaunes suivait ses mouvements dans un coin. Une paire de yeux qui lui était familière, et qui ne se préoccupait de lui que pour savoir quelle bouffe ils auraient à ce jour. Bien qu’habituellement il laissait le fardeau de s’occuper des bouches à nourrir aux crocs cruels à Solal qui était sans aucun doute mieux disposé que lui à s’en occuper. Mais maintenant que le gamin Spickett avait fait son entrée, ça donnait un moment de repos à son vieil ami. Et c’était sans doute pour le mieux, ne pouvait-il s’empêcher de penser. Il se glissa jusqu’à la tente où ils prenaient habituellement leur repas. Trop tôt, il lui semblait entendre quelques ronflements en longeant certaines d’entre elle, lui étirant un sourire amusé au passage. Il alla se verser une bonne tasse de café noir brulant, question de ne pas avoir l’air d’une pauvre épave fatiguée.

Il s’était promis d’être présent pour les derniers membres à s’intégrer au cirque… et puisqu’elles étaient doubles, il ne se gênait pas pour prendre sous son aile, bien qu’il avait habituellement tendance à laisser les autres faire la visite guidée, l’explication des règlements et tout le baratin ennuyant à mourir. Mais jouer ce rôle lui plaisait, de temps à autre, lui donnant l’impression de revenir en arrière, de rajeunir, de retomber dans les débuts du cirque. Il avait donc donné rendez-vous à la jeune Wendell, bien qu’assez tôt, trop peut-être au goût de la jeune fille. Il n’y avait d’ailleurs pas songé, à croire qu’il se moquait un peu de la paresse de la jeunesse.

Migraine. Le ravissant cadeau qu'elle recevait après une crise de panique. Elle s'en passerait bien, parce qu'il lui semblait à force que c'était Noël tous les jours avec ce genre de cadeau empoisonné. La prochaine fois, elle irait bien se passer d'une promenade à moto, même si c'était proposé le plus gentiment du monde. En voulait-elle à Meaghan? Non, loin de là. Elle ignorait qui ou quoi blâmer, d'ailleurs. Tout était confus dans sa tête, depuis l'accident. Elle savait qu'elle avait utilisé ses pouvoirs et qu'elle s'était retrouvée dans un endroit appelé The Fantastic Circus, elle y avait d'ailleurs dormi. Enfin, dormi était un bien grand mot. Une crise de panique ne facilitait pas la venue du sommeil, au contraire. Elle se sentait faible, sa tête lui semblait tellement douloureuse, une petite voix dans un coin de son esprit ne cessait de lui crier de partir en courant et de retourner chez elle pour se reposer et tenter d'oublier. Mais même ses jambes ne voulaient pas lui obéir. Elle perdait le contrôle, et cela ne lui plaisait pas. Avait-elle peur? Oui. Allait-elle laisser cette peur prendre le dessus? Certainement pas. Ce fut pour cette raison qu'elle décida de se lever, après être restée dans un coin telle une larve, pour se rendre à son rendez-vous.

Un rendez-vous loin d'être galant, ne vous méprenez pas. Georgia avait rendez-vous avec... mince, quel était son nom déjà?...appelons-le "le monsieur qui gère cet endroit étrange" pour le moment. Elle arrangea soigneusement sa veste avant de commencer à marcher parmi les tentes. Il était encore tôt mais elle n'était ni gênée ni perturbée par cette heure si matinale. L'air était frais, l'endroit désert, c'était absolument parfait pour elle. Elle ne voulait croiser personne, ne parler à personne, ne voir personne en fin de compte. Une partie d'elle s'inquiétait pour Meaghan mais elle se rassurait en se disant qu'elle la verrait un peu plus tard dans la journée très certainement. Georgia poursuivit sa marche, elle avait l'air complètement ailleurs. Ses cheveux blonds volaient légèrement sur son visage et autour de sa tête, ses yeux clairs étaient entourés par des cernes, et son teint pâle laisserait presque penser qu'elle était en train d'utiliser son pouvoir d'invisibilité au moment même. Cela épaterait peut-être la galerie. Mais elle n'avait pas le temps d'y penser, pas maintenant. Elle devait se concentrer sur son rendez-vous. Que lui voulait donc cet homme dans le fond? Elle était d'un naturel méfiant alors toute cette situation était loin de la rassurer. Elle releva la tête en réalisant qu'elle se trouvait devant la tente indiquée pour le lieu du rendez-vous.

Georgia soupira avant de se faufiler à l'intérieur sans un bruit. Sa discrétion paraissait suspicieuse aux yeux de certaines personnes, elle semblait toujours invisible avec ou sans pouvoir. Une seule personne, hormis elle-même bien entendu, se trouvait au même endroit, il s'agissait de l'homme avec lequel elle avait rendez-vous. Il allait probablement lui donner quelques explications au sujet du lieu, et lui indiquer ses intentions avec elle, du moins c'était ce qu'elle espérait. Elle enfouit ses mains dans les poches de sa veste, en restant là où elle se trouvait, la tête très légèrement penchée sur le côté comme pour mieux observer cet homme. Son nom n'allait décidément pas lui revenir de sitôt. Vous avez demandé à me voir? Même l'ombre d'un sourire n'étirait pas ses lèvres, et elle en oubliait même toutes ses convenances. Hm, bonjour, au fait. C'était bien mieux ainsi.

Il se retourna, non pas hautain, bien que certains pouvait le croire ainsi. Ce fut d’un regard minutieux qu’il parcouru la démarche de la jeune fille, ce visage, ces yeux, cet air un peu buté, peut-être simplement craintif ou hésitant, douteuse de ce qu’elle faisait là exactement. Il ne l’avait pas obligé à se pointé. Il n’avait pas obligé de venir ici pour découvrir un univers tout à fait extraordinaire. Mais elle était là, et lui donnait cette étrange impression de se rebuter secrètement face à lui. Ou était-ce face à tout le reste. Il lui décrocha un sourire amical lorsqu’elle se planta devant lui, petit animal sauvage qu’il lui faudrait sans doute apprivoiser doucement. Il réfléchit une fraction de seconde et lui tendit, mine de rien, la tasse de café. Comme quoi elle semblait plus zombifiée qu’il ne l’était lui-même.

—Demandé… Proposé, plutôt, commença-t-il doucement, tout aussi souriant qu’au départ. Il était vrai qu’il ne savait pas forcément à quoi s’attendre avec les gens qu’il côtoyait ou ceux qui entraient dans le cirque. Mais la jeune fille lui semblait étrangement réticente, ce qui le poussait, mine de rien, à se questionner un minimum sur ses intérêts, ses goûts, ses attentes. Pourquoi être ici? Parce qu’il lui avait proposé quelque chose et qu’elle n’avait pas su dire non? Parce que sa copine, elle, s’était glissée dans le groupe quasi familial plus facilement qu’elle?

—J’aimerais discuter, tu veux bien? Tu me sembles si barricadée que je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi tu traines ici. Pour Meaghan? Je te propose un abri, un travail, un lit et tu es libre de faire à peu près tout ce que tu veux en dehors des taches… parce que je ne prends jamais personne si gratuitement. Je ne demande pas grand-chose… Monter les tentes, aider au ménage, aux repas, aux soins des animaux, qu’importe, il faut mettre du sien…

Il s’arrêta, hésita une seconde en l’observant avant de se décidé à se prendre une autre tasse de café, plutôt pour lui cette fois, peut-être juste pour lui montrer sa bonne volonté à ne pas se laisser abattre face à son air un peu refroidit.

—Je te propose une nouvelle vie que tu ne sembles pas vouloir croire ou apprécier. Et c’est important pour moi de connaître tes opinions…

Oui, parce que même si Alan s’était toujours donné le droit de veto secret sur la plupart des décisions, à l’insu des gens, il aimait connaître l’avis de tout ce beau monde qu’il prenait volontiers sous son toit, dans sa vie, comme l’offre idéal de la seconde chance, celle qu’on ne veut pas laisser passer parce que, pour une fois, on a l’impression de faire ce qu’on fait de mieux pour le meilleur. Alors oui, savoir ce qu’elle pensait lui semblait aussi important que n’importe quoi d’autre, parce qu’il n’était pas question pour lui de garder en ce lieu une personne qui ne voulait pas vraiment être là. Et c’était l’inquiétude d’une telle réponse qui le harcelait à travers le reste. Certes, il ne s’opposait jamais réellement aux décisions, mais il y mettait un peu du sien pour voir les choix plus positifs pour lui et pour eux.

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