« Vous êtes conscient que ces visites sont la condition sine qua none à votre maintien dans la police de New York ? »

Demanda l’homme installé dans un fauteuil bien trop grand pour lui. Il était hors de question que je m’allonge sur son canapé et je n’étais pas vraiment fâché d’avoir raté les dix premières minutes de ma séance. Une obligation oui, et pas des moindres. Je soupire doucement, passant une main sur mon visage dans l’espoir de disparaître de cette pièce lugubre. Il ne peut rien faire pour moi, personne ne peut rien faire pour moi...

« Je suis navré... »
« Une autre insomnie ? Vous ne voulez toujours pas me parler de ces rêves ? »

Pourquoi refuse-t-il de comprendre que le principe même de l’insomnie est de ne pas dormir ? Ne sait-il pas que, pour rêver, il faut être dans un état de sommeil relativement profond ? Je me demande vraiment ce qu’il a apprit pendant toutes ces années d’études, à quoi correspondent tous ces diplômes qu’il exhibe si fièrement... Je pose enfin mon regard dans le sien, n’y trouvant qu’un écran de froideur. Il devrait peut-être songer à consulter lui aussi.

« J’aimerai avoir quelque chose à vous dire. »

Il marque une pause, gribouille quelque chose dans son carnet puis marmonne. A-t-il seulement la moindre idée de ce qu’il est entrain de faire ? J’hausse un sourcil sans rien ajouter. Qu’attendent-ils de moi au juste ? Comment leur prouver que je ne suis pas un dangereux psychopathe ? Je peux mentir sans doute : Avoir l’air d’aller mieux, lui dire que je rêve de choses fantastiques... Mais j’ai un soupçon d’éthique et je tiens à ce travail, à cette nouvelle opportunité. Être loin du lieu du drame physiquement va peut être finir par me le faire oublier ?

« Je reçois beaucoup d’homme comme vous; Je peux assez facilement imaginer ce qui vous hante. »

« Je ne suis plus un soldat depuis longtemps... »

C’est au tour de l’homme de soupirer cette fois. Un soupir lourd de désespoir qu’il accompagne d’un geste de la main visant à réajuster ses lunettes sur le bout de son nez. C’est insupportable, j’ai droit au même cirque depuis des mois, depuis mon arrivée ici et rien, rien n’avance, il refuse de signer ce fichu papier...  

« Qu’est ce que vous attendez au juste ? Que je vous parle de ma relation conflictuelle avec ma mère ? Je n’en ai pas, ma mère est morte en couche et mon père n’avait vraisemblablement pas le sens de l’orientation puisqu’il n’a pas retrouvé le chemin de la maison après être parti aux courses. Je ne suis pas un simple militaire, je suis un ancien SAS blessé au combat. Je dois ponctionner mon genou au moins deux fois par jour pour ne pas m’écrouler au sol en hurlant de douleur... Être flic est une carrière de second choix infligée par mon état, une carrière qui m’a fait perdre bien plus qu’un rêve mais pour laquelle je suis prêt à donner corps et âme. Je ne sais pas ce qu’il vous faut de plus, je pense avoir largement prouvé mon dévouement et mon efficacité depuis mon affectation ici... »

Sans réellement m’en rendre compte, je me suis levé du canapé miteux, tournant à présent en rond comme un lion en cage. Je sais ce qu’il veut entendre, il veut que je lui parle de ma dernière enquête dans mon pays d’origine, une sombre histoire d’espionnage qui a détruit la seule chose au monde qu’il me restait encore... Il veut que je lui parle de la tuerie qui a suivit, de cette chose dont je n’ai plus le moindre souvenir... Mais c’est hors de question, je ne veux plus jamais en parler et il ne faut pas qu’il apprenne que la raison pour laquelle j’ai survécu ne tient qu’à mon pouvoir mal maîtrisé; un pouvoir à cause duquel je me suis retrouvé inconscient et assez hors de moi pour ne plus me souvenir de la scène... C’était il y a un an déjà, ça n’a plus d’importance. Pas pour lui...

« Ce n’est pas une question d’efficacité monsieur Lawson, c’est une question de morale. Vous êtes encore impulsif et imprévisible, vos supérieurs ne souhaitent pas voir certaines choses se reproduire. »

Il semblait calme, trop calme. Je cessais de tourner en rond, me tournant doucement vers lui. Avaient-ils encore peur que je me retourne contre eux ? Ne pensaient-ils pas que j’avais des circonstances atténuantes ? Ne réalisaient-ils pas que cette tuerie concernait un groupe de mafieux atrocement louches que la police Écossaise avait en ligne de mire depuis la fin de la guerre ? Je n’avais rien fait de mal, j’avais même eu droit à un éloge de la part du MI6 en personne... Seulement mon comportement avait été extrême, suicidaire, dangereux. Qui aurait réagit autrement après une chose pareille ? Qui ne se serait pas laissé écraser par la culpabilité ?

« Je n’ai plus personne à venger ou à protéger aujourd’hui, ils n’ont rien à craindre... »

La sonnette de fin de séance retentit enfin, le gong salvateur. Je quittais la pièce sans ajouter un mot et il ne tenta pas de m’en dissuader. Il est temps de prendre une bonne cigarette avant de retourner au travail...

Peut-être me gardait-il pour mon bien, dans l’espoir que je finisse par lui parler d’elle, de cette colère encore enfouie. La vengeance ne vous ramène pas ceux que le destin vous à prit, et encore moins quand vous êtes pleinement responsable de cette disparition tragique... Je devais vivre avec ce sentiment au moins autant que je devais vivre avec ma seringue. Mon âme sera à jamais aussi boiteuse que mon genou et j’étais assez fataliste pour ne pas trop en souffrir... Cela ne fait pas de moi le plus positif des hommes, ça ne fait pas non plus de moi un homme avenant, mais cela n’affecte pas mon travail ou mon semblant de vie sociale. Personne n’a besoin de savoir qui je suis et je n’ai besoin de personne, encore moins maintenant qu’une nouvelle guerre est en route...