Félicia franchit le porche de l’immeuble d’un pas guilleret et en sortit un sourire aux lèvres après en avoir brièvement salué le portier d’un léger signe de tête.

Elle s’engagea ensuite dans la rue, sans véritable but, juste pour le plaisir de déambuler et de marcher au milieu des autres passants, qu’elle se plu alors à imaginer tous aussi joyeux qu’elle. Il faisait beau ce jour là, c’était même l’une des premières véritables belles journées de l’année, comme seul le printemps est capable d’en fournir : il ne faisait plus vraiment froid et pas encore chaud, mais seulement doux, la chaleur du Soleil se mélangeant alors habillement avec un léger vent frais tout aussi agréable.

Ne sachant pas vraiment où elle allait, elle continua sa route au gré de ses envies, son petit sac sur l’épaule, une pochette plastifiée noire et une enveloppe en papier kraft dans les bras.  

Elle aurait pu rentrer bien sûre, prendre un train, un taxi ou appeler le chauffeur, mais l’heure n’était pas encore assez avancée pour s’en sentir obligée et elle avait envie de profiter encore un peu de leur belle journée et du beau temps, le tout loin des soucis, que la villa de Victor n'aurait surement pas manqués de lui rappeler.

Chassant ces pensées, qu’elle sentait devenir plus sombres, elle bifurqua dans une autre rue où une petite boutique à la devanture originale avait attirée son attention.

Il y a quelques temps encore, Félicia ne jurait que par les grands magasins comme Barney ou Bergdorf, mais, désormais, elle réclamait aussi de l’insolite et du plus original et se sentait moins attirée par ses anciennes boutiques préférées. Arrivée à hauteur de la vitrine, son attention se retrouva néanmoins à nouveau détournée, par l’une de ses créatures cette fois.

N’ayant rien d’autre de plus urgent à faire, elle laissa par ailleurs cette dernière établir le contact qu’elle désirait avec son esprit et l’accompagna ainsi quelques temps en pensée tandis qu’elle évoluait à toute allure quelque part dans le pan de bois appartenant à Victor qui bordait sa demeure. Elle paraissait courir avec une certaine précipitation, comme si elle était pressée par quelques impératifs de premier ordre, mais Félicia n’eu pas le temps de s’en inquiéter qu’elle avait déjà comprit, toujours grâce à la transparence de leur lien, que la petite créature ne faisait en réalité que « jouer » avec d’autres, qui lui collaient d'ailleurs au train et se rapprochaient à grand pas, ce qu’un bref contact avec l’une de ses poursuivantes, toute aussi exaltée par leur course lui confirma.

Un sourire sur les lèvres, Félicia secoua alors légèrement la tête, puis se détourna en rompant progressivement le contact avec ses créatures. Sa réalité ou du moins celle de son environnement immédiat commença alors progressivement à se redessiner dans son esprit tandis que celle de ses créatures disparaissaient pareillement.

Elle avait commencé à bouger avant même que la bascule n’ait le temps de se faire néanmoins et ce qui risquait d’arriver… arriva, Félicia n’ayant pas fait un pas pour s’écarter de la boutique –à laquelle elle ne songeait déjà plus, qu’elle heurta un passant et en lâcha ce qu’elle tenait alors dans les bras. Elle sursauta également presqu’en décalé, tout en réalisant ce qui se passait, puis s’accroupie presque précipitamment pour ramasser ses affaires, toujours sous l’effet d’un choc bien moins violent en réalité que dans son souvenir.

Elle se molesta ensuite quelque peu mentalement, songeant sans véritable méchanceté à l’idiote distraite et déconcentrée qu’elle pouvait être quand elle s’y mettait et aux bêtises que cela pouvait la mener à faire.

Elle remonta ensuite au niveau de son interlocuteur, toujours là, puis remit en place une mèche de cheveux derrière son oreille pour se redonner une contenance avant de commencer à prononcer des excuses.

- Je vraiment désolée… fit-elle ainsi.

Le moindre petit coup de sang ou de stress ayant le chic pour la rendre bavarde ou du moins, encore plus bavarde, elle allait enchaîner sur quelque chose comme le fait qu’elle était souvent tête en l’air ou avait un peu trop la tête dans la lune, lorsqu’elle se rendit compte qu’elle connaissait le jeune homme qui lui faisait face, ce qui la coupa dans son élan, la surprise de le revoir ainsi semblant lui avoir momentanément ôté la faculté de parler.

- David…, finit-elle tout de même par articuler en essayant de sourire –ce qui ne fut pas des plus évidents, puisque ses traits affichaient encore l’expression de la plus grande stupeur. Ça, alors, pour une surprise !
 
Elle l’avait déjà vue plusieurs fois, les premières auprès de Victor, pour qui il avait probablement dû travailler -ce qui n’était pas vraiment un bon signe quant à l’honnêteté du personnage, et la dernière à l’hôpital. L’ami d’un ami y avait alors été admis et Félicia était arrivée à la rescousse, bravant pour l’occasion l’inquiétude qu’elle éprouvait toujours dans les hôpitaux,  pour faire office de soutien moral et l’y avait alors revu. En générale, réconforter les autres est quelque chose qu’elle sait assez bien faire, sauf que l’hôpital comme la situation l’avaient rendu nerveuse, assez même pour qu’elle y excelle passablement moins et saute sur la moindre occasion de faire autre chose. David avait été l’une de ses occasions. Elle l’avait entre-aperçu alors qu’elle revenait vers ses amis, les bras chargées de provision, et s’était rapprochée parce qu’elle croyait le reconnaître. Une chose en entraînant une autre, ils finirent par entamer la conversation et Félicia, s’étonnant qu’il ne la reconnaisse pas, fini également par apprendre qu’il avait partiellement perdu la mémoire dans un accident, puis l’avait laisser pour retrouver ses amis.

Ils ne s’étaient plus revus depuis et Félicia ne su donc pas vraiment se dire si cette fameuse surprise était bonne ou mauvaise. Malgré l’étrangeté de la situation et la gêne qu’elle avait éprouvée en le quittant, leur brève rencontre à l’hôpital ne lui avait pas laissée un mauvais souvenir et elle était presque contente de le revoir ainsi… debout et l’air en pleine forme. Elle ignorait s’il se souvenait bien d’elle en revanche, non pas qu’elle ait craint qu’il ait été deux fois frappé d’amnésie, mais parce qu’ils ne s’étaient pas vu longtemps et, que, contrairement à elle, il n’avait aucun souvenir de leurs précédentes rencontres… à moins que ces derniers ne lui soient revenus ?

Félicia ! Qu’il fait bon de vous revoir ! Désolé pour la collision…c’était de ma faute, j’avais la tête ailleurs…

- Oh, ce n’est rien, assura-t-elle, alors. En plus, je crois qu’on était deux, parce que je ne regardais pas non plus où j’allais.

Elle sourit ensuite et se sentit presque soulagée qu’il ne l’ait pas vue au moment de la dite collision. Utiliser son pouvoir lui donnait parfois l’air anormalement ailleurs et elle était donc ravie qu’il n’en ait pas été témoin.  

ce qui m’arrive souvent ces temps-ci.

*Ah ?* pensa-t-elle alors, sans trop savoir que penser de ce qui ressemblait à une remarque peut-être émise pour lui-même plus que pour elle, comme s’il pensait à haute voix.

Elle n’osa pas relever néanmoins et se contenta de regarder brièvement ailleurs.

Dit donc, vous me semblez en forme ! Que devenez-vous de ces jours ?

Félicia marqua comme un blanc suite à sa question, puis haussa très légèrement les épaules comme pour l’éluder, ne sachant d’abord trop que répondre à sa question.

Pas grand-chose était tout sauf une réponse convenable à ses yeux, pourtant la vérité n’était pas forcement plus avouable et trouver une réponse à cette question a priori des plus banales s’avéra donc un peu plus compliquée qu’on aurait pu le penser.

- Oh, vous savez, la routine, fini-t-elle par dire, faute de mieux, avec un léger sourire.

Elle chercha ensuite comment développer, afin de ne pas avoir l’air de vouloir abréger la discussion, puis, comme elle ne trouva rien de pertinent à dire sur elle, décida de dévier la conversation sur lui.

- Et vous ?

- Vous avez l’air de vous être plutôt bien remis.  

Elle avait hésitez à lui demander s’il avait fini par se remettre, mais s’était abstenue pour ne pas paraître trop inquisitrice. A le voir en outre, il semblait évident qu’il allait mieux.

Elle marqua ensuite une petite pause et lutta brièvement contre le sentiment de gêne qui essayait de se réinstaller chez elle comme un écho de ce qu’elle avait ressentie lors de leur dernière rencontre, tout en se posant des questions sur sa perte de mémoire de l’époque : n’avait-elle été que passagère ? L’avait-il retrouvé depuis ? Partiellement ? En totalité ? Ou était-ce irrémédiable ? Il lui semblait que non, mais après tout, elle n’était pas médecin. Toutes ses questions lui semblaient cependant un peu trop personnelles et Félicia préféra donc ne pas aborder directement le sujet, sans qu’il ne le fasse d’abord lui-même.

- Moi de même, une routine de médecin…toujours.

Félicia acquiesça légèrement en souriant, mais en réalité, elle avait presque oubliée qu’il exerçait « habituellement » cette profession. Les premières fois qu’elle l’avait vu en compagnie de Victor, elle avait même été très loin d’imaginer qu’il aurait pu exercer un métier de ce genre. Ce n’était pas vraiment le style de fréquentation habituelle de son mentor -pas dans le contexte où elle l’avait croisé en tout cas, et elle avait par conséquent parfois du mal à se le rappeler.

Elle n’émit aucun commentaire là-dessus néanmoins. Une partie d’elle se disait qu’elle aurait peut-être dû parce qu’il avait le droit de savoir ou quelque chose comme ça, mais la plus forte part d’elle-même l’incitait au silence. S’il ne se souvenait pas de tout ça, c’était surement un mal pour un bien, au moins pour lui. Le monde de Victor ou cette partie de son monde n’avait rien de très reluisant et elle était intimement persuadée qu’il ne s’en porterait que mieux s’il s’en tenait éloigné. Certes, en agissant ainsi, elle lui ôtait peut-être un choix, qui n’aurait dû appartenir qu’à lui etc., mais elle était peu sensible à ce genre d’arguments qui faisaient rarement le poids dans son esprit face à l’idée qu’il bénéficiait peut-être même sans le savoir d’une seconde chance inouïe.  

Rien de bien particulier. Expliquer sans cesse aux gens qu’ils n’ont pas le cancer mais bien un rhume, ce qui est parfois très drôle, ou très embêtant…

- J’imagine, dit-elle alors en souriant sur un ton proche du sien.

Elle ne pu ensuite s’empêcher de penser que ce genre de situations devait être infiniment préférable aux situations inverses, mais évita de le dire à haute voix.

Elle appréciait le ton léger que semblait avoir pris leur conversation et n’avait pas envie de renverser la tendance avec ce genre de remarque.

Elle n’était pas la dernière à s’inquiéter pour sa santé en outre et comme elle était aussi du genre à craindre le pire dans bon nombre de circonstances… elle était à peu près sûre qu’elle avait du ou ferait un jour partie de ce genre de patient.

- Je vais bien, disons que c’est un peu difficile, de retrouver la mémoire. Ça y va, petit peu par petit peu. Il y a certaines choses…qui m’ont surpris disons, mais je m’y habitue.

Félicia acquiesça lentement, en luttant pour garder pour elle la foule de questions que ces quelques mots avaient fait naître dans son esprit.

- Ça ne doit pas être toujours évident, dit-elle alors simplement

Rien ne lui disait qu’il faisait allusion à l’aspect moins reluisant de son passé dont elle pensait avoir eu un aperçu quelques années plus tôt, néanmoins, elle imaginait très bien le choc qu’il avait pu éprouver si les choses qui l’avaient surprises étaient une allusion directe à ces aspects là.

-Ça fait vraiment du bien, par contre, de voir quelqu’un que je connais !

Félicia sourit à nouveau –c’était comme un tic chez elle, puis balaya brièvement le sol du regard, avant de sourire de plus bel en relevant les yeux vers lui.

Ils n’étaient surement rien plus que de simples connaissances. Avant son accident, ils n’avaient jamais été proches et après, ils ne s’étaient vu qu’une seule fois, mais elle pensait tout de même pouvoir comprendre ce qu’il voulait dire.

Si ça vous dit, on pourrait peut-être prendre un petit quelque chose, au café du coin ? Parler un peu, rattraper le temps perdu.

- Volontiers.  

Par certains aspects, la situation lui semblait toujours affreusement étrange, mais sa compagnie était également aussi agréable que dans son dernier souvenir et Félicia fut donc ravie par sa proposition.

Elle avait un peu du temps en outre, alors pourquoi refuser ?

- Est-ce que vous avez pu retrouver d’autres connaissances ou un peu de famille ?, demanda-t-elle ensuite, tandis qu’elle se remettait à marcher en direction d’un établissement de la rue.

Elle aurait elle-même jugé sa question indiscrète quelques instants plus tôt, mais puisqu’il avait lui-même aborder le sujet et qu’ils étaient parti pour discuter... elle eu du mal à la garder pour elle. Comme ils se connaissaient peu en outre, il lui semblait que ce pouvait être une façon comme une autre d’en apprendre un peu plus à son sujet.