L’homme s’assoit dans la pièce réputée comme étant la plus bruyante de l’établissement, là où se croisaient infirmiers de services différents, et où aide-soignants et médecins se mêlaient sans aucune gêne hiérarchique. Au bout du bras, une tasse de café bouillante, qu’il tapote avec un hasard maîtrisé, tant la boisson semble être chaude. Son esprit est ailleurs, il divague, alors que son corps se fait happer par de nombreuses émotions, et même certaines paroles.

Virginia : « Tu as fini ton service, Frederic ? »

L’habitude d’appeler les gens par leur nom, c’était là toute une époque où le médical avait son lot de surprises. C’était aussi une marque de reconnaissance, d’acceptation dans ses propres rangs. Le métier était définitivement bien compliqué. Surtout lorsqu’on le reprenait après cinq ans passés à traîner sur les bords de rues, à fouiller les poubelles publiques pour y dégotter quelques restes mangeables. Il revint heureusement au galop et ses yeux retrouvèrent un éclat plus vif.

Josiah : « Non, pas encore… »

Il n’avait même pas eu la force de lui demander ce qu’il en était pour elle. C’était Virginia, une infirmière du troisième étage. Elle était brillante mais ne jurait que par les piqûres et les médicaments. Ce qui avait de quoi faire tiquer Josiah qui voyait en la parole un moyen beaucoup plus fort d’amener les patients à se rétablir.

La jeune femme tourna les talons, visiblement agacée par le manque de tact de son collègue. L’homme laissa le temps filer jusqu’à ce qu’un cri de nourrisson se fasse entendre. Il avait brièvement traversé les couloirs afin de retrouver les ampoules qui lui permettraient de rester sous couveuse. C’est ce même cri qui fit vaciller le bras de l’infirmier, qui renversa son café par terre. La douleur qui émanait de ce petit être l’avait bousculé. Le pire étant le souvenir qu’il lui rendait, celui de la naissance de son propre fils, qu’il avait vu disparaître quelques heures plus tard avec sa mère. Ils étaient partis à Chicago, c’était du moins ce qu’on avait bien voulu lui dire. La seule chose qu’il connaissait de son enfant était son prénom et sa localisation. Autant dire que c’était chercher une aiguille dans une botte de foin. En tant que fils unique, il n’a jamais vraiment eu la vision du « grand », de l’aîné, et encore moins celle d’un bébé. Josiah était tellement misérable aux yeux de Caroline qu’elle s’en était allée jusqu’à en changer son nom de famille. Pour ne plus le revoir. Plus jamais.

Alors ses larmes montèrent, tandis qu’il s’occupait à ramasser les débris de verre au sol et à éponger le liquide sombre. Les émotions alentours se décuplèrent, le percutant de plein fouet. Il ne put retenir un sanglot étouffé au fond de sa gorge. Il se redressa, jeta le tout, rinça, puis sortit de la pièce pour rejoindre les toilettes masculines.

Il se jeta de l’eau froide sur le visage à l’aide de ses mains, prenant le temps de respirer. La tension était palpable. Jusqu’à ce qu’une personne sorte de derrière un mur.

Carter : « Un problème, Josiah ? »

Le garçon hocha la tête négativement, répondant au médecin.

Josiah : « Tout va bien, merci. »
Carter : « Vous en êtes sûr ? »
Josiah : « Oui. »

Un silence vient apaiser ses maux alors que la curiosité mal placée de son supérieur vint le bombarder en plein cœur.

Carter : « Pleurer pendant votre service n’est pas toléré. Vous êtes infirmier, pas pouponnière. »
Josiah : « Excusez-moi. J’y veillerai la prochaine fois… »
Carter : « Il n’y aura pas de prochaine fois. »
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