Il était assez tard, presque onze heure du soir, lorsque Isaac leva les yeux du rapport qu'il étudiait depuis quelques heures. Son travail au Foreign Office lui prenait beaucoup de temps, mais Isaac ne s'en souciait pas. Depuis ses vingts ans, il ne dormait presque plus, sans qu'il puisse s'expliquer pourquoi.
Se passant les mains sur le visage, il jeta un œil sur sa montre et se décida à aller rapidement chercher de quoi manger, avant que les derniers restaurants et pubs ne ferment. Il était affamé.
Enfilant son trench coat, il éteignit la lampe de son bureau et sorti de celui-ci en prenant soin de refermer la porte derrière lui. Marchant à vive allure jusqu'à la sortie des bureaux, il salua poliment la permanence de garde et sorti en-dehors, remontant le col de son manteau pour se couvrir en partie le visage et éviter la brise fraîche de cette fraîche soirée d'automne. Whitehall était presque déserte, mis à part une voiture mal garée à deux pas de l'Office, et à deux personnes marchant sereinement le long de la rue.
Apercevant un taxi, Isaac le héla et une fois celui-ci arrêté à sa hauteur, il y entra.

« - Covent Garden, s'il vous plaît. »

Après quelques minutes, il arriva à destination. Le quartier de Covent Garden était encore très vivant à cette heure et Isaac n'eut aucune peine à trouver un pub encore ouvert à cette heure-ci. Après avoir commandé un sandwich et un verre de scotch, Isaac trouva un coin tranquille du pub dans lequel il se trouvait et s'assit. Sortant de sa serviette un rapport non-confidentiel sur l'état de la Tamise, il se mit à le lire patiemment. Il détestait la vitesse avec laquelle il ingurgitait les informations. Cela l'empêchait, pensait-il, de savourer le travail minutieux qu'avaient effectué les auteurs des romans et des rapports qu'il lisait et ne leur rendait pas hommage. Mais ne pouvant lutter réellement contre sa nature, il acheva rapidement les 46 pages que contenait ce dossier et se résolu à manger son sandwich.
Soudain, alors qu'il laissait son regard parcourir la salle, il remarqua quelque chose qui le troubla. L'un des hommes qui remontaient la rue à sa sortie du bureau se trouvait dans la salle et il constata que celui-ci le regardait subrepticement.
Sentant vraisemblablement sa présence trahie, l'homme, qui semblait être âgé d'une quarantaine d'année et devait mesurer presque six pieds cinq de haut se leva et marcha dans la direction de Isaac d'un pas assuré.

« - Puis-je m'asseoir ici ? » lui demanda l'inconnu en désignant une chaise faisant face à Isaac.
« - Je vous en prie. » lui répondit simplement Isaac.
« - Merci ! » fit simplement l'homme, en déposant avec précaution son manteau sur la chaise et s'asseyant ensuite.

Pendant quelques secondes, aucun des deux hommes ne prit la parole, puis, Isaac, poussé par la curiosité et légèrement anxieux, se décida à parler :

« - Excusez-moi mais ... il ne me semble pas vous connaître. Monsieur ? »
« - Smith. John Amish Smith. » répondit simplement l'homme et lui souriant.
« - Très bien monsieur Smith. Que me vaut le plaisir de votre compagnie ? »
« - Vous êtes bien Isaac Howard Gascoyne-Cecil héritier du marquis de Salisbury ? »
« - Lui-même. »
« - Et bien monsieur Salisbury, je vais vous appeler ainsi, ce sera plus rapide, j'ai une offre d'emploi à vous soumettre. Avant que vous ne disiez quelque chose, sachez que je travaille pour les Services Secrets de Sa Majesté, le MI6, et que nous avons besoin de vous. Notre attention a été retenue face aux aptitudes « exceptionnelles » dont vous avez fait preuve. »
« - Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. » lui rétorqua Isaac, reprenant son habituel aplomb et son sang froid.
« - Oh, ne vous inquiétez pas. Vos petits exploits lors de l'opération Claret sont connus de peu de monde et nous garderons cela pour nous. Mettons cela de côté pour le moment, voulez-vous ? Bien. J'ai une petite histoire à vous raconter. Vous vous rappelez qu'il y a dix ans, nous avons frôlé la guerre nucléaire mondiale à cause des événements de Cuba, n'est-ce pas ? »
« - Oui, monsieur. »
« - Ce que vous ne savez pas, c'est comment cette crise a trouvé sa conclusion. Contrairement à ce que les Américains ont bien voulu nous faire croire, il y avait sur place quelques individus, dotés de talents « développés » dirons-nous, qui ont mis fin à ce conflit. Non content de nous avoir dissimulé cela, il nous ont dissimulé la nature exacte de ces talents. Après quelques années de recherche nous avons enfin réussi à mettre la main sur un document qui évoque le mot « mutant ». Savez-vous ce que c'est monsieur Salisbury ? »
« - Pas du tout, sir. »
« - Et bien il semblerait que des « mutants » soient des personnes qui ont développé, naturellement, des dons qui dépassent de loin ce que peut faire un être humain. On parle même d'une personne capable d'effacer la mémoire ou de contrôler les esprits dans ce rapport, ce qui, vous en conviendrez, est assez inquiétant. Il semblerait que les américains aient pris dans ce domaine une avance considérable. Récemment, nous avons également intercepté une communication en Russie qui parle également de « sur-hommes » qui seraient au service du KGB. Notre inquiétude serait que bientôt, notre nation soit en danger face à cette nouveauté et c'est pourquoi, en accord avec le MI5, nous nous sommes nous-même intéressé de prêt à cette question, dans le but de monter notre propre équipe de « mutants » ou « sur-humains », peut importe comment vous les appellerez, afin d'étudier ce phénomène et de parer à toute éventualité. Et c'est pourquoi je suis venu vous voir ce soir. »
« - Je ne vois toujours pas de quoi vous voulez parler, sir. » répondit calmement Isaac.
« - Monsieur Salisbury. Nous avons étudié patiemment votre dossier depuis quelques temps déjà. Vos « capacités » sont simplement stupéfiantes. Nous sommes convaincus que vous êtes l'un de ces mutants. Nous souhaiterions vous proposer de servir votre pays différemment, et c'est pourquoi je suis ici ce soir. Oh, n'ayez crainte, vous conserverez votre fonction officielle au sein du Foreign Office. Le fait que vous parliez plusieurs langues pourrait nous servir, car lorsqu'on vous enverra en mission, votre couverture sera parfaite si votre statut de diplomate continue de vous protéger. Mais une fois de retour à la maison, c'est dans un camp d'entraînement spécial situé à Kinloss, en Écosse, que vous passerez le plus clair de votre temps. Nous protégerons votre identité et là-bas, vous ne serez connu que sous votre nom de code, et vous serez référencé comme tel dans tous vos dossiers de mission. Seuls deux personnes connaîtrons votre identité au MI6 et au MI5, soit moi et l'agent McKellen que vous avez aperçu en ma compagnie tout à l'heure, et qui se trouve juste derrière nous, accoudé au comptoir. Alors, monsieur Salisbury, acceptez-vous de servir à nouveau votre patrie ? Acceptez-vous de servir la reine ? »
« - Je ne sais pas quoi dire. Je suis ... »
« - Légèrement perdu ? Je vous comprends. Rendez-vous lundi à cet adresse, pour neuf heure trente. Je vous recevrais et vous signerez, à ce moment là. Soyez sans crainte monsieur Salisbury, nous garderons tout cela pour nous. Au fait, c'est pour moi. Bonne soirée à vous. »

Complètement perturbé après cette discussion, Isaac resta assis pendant plusieurs longues minutes, abasourdi. Puis, se ressaisissant soudain, il prit rapidement ses affaires et sorti du pub. Dehors, une fine bruine s'abattait sur la ville, mais Isaac ne s'en souciait guère. Trop stressé, il tremblait de tous ses membres et décida de rentrer chez lui à pied, afin de se calmer.
Arrivé en bas de son immeuble, il rentra promptement et jetant son trench, se précipita dans le salon et vers la cheminée, afin de s'allumer un feu.
Se calmant peu à peu, il s'assit dans un confortable fauteuil et resta plusieurs heures en fixant longuement le feu, qu'il ravivait parfois avec une bûche.
Désormais complètement calme, il repensa à toute la discussion et jeta un œil à la carte que lui avait donné son interlocuteur. Bien qu'inquiet, une part de lui-même ne cessait de le pousser à se rendre à ce rendez-vous, lundi. *On verra, d'ici là, j'ai du travail qui m'attends*

Isaac était furieux. Il s'était laissé manipuler. Désormais, il restait cloîtré dans une chambre spéciale, emprisonné par le Secret Service. Après l'avoir étudié, après avoir compris ce qu'il était, les membres du MI6 l'avaient déclaré « dangereux pour la sécurité nationale » et étaient venus, sous de faux prétextes, le chercher à son domicile, afin de le confiner ici.
Soudain, la porte de sa cellule s'ouvrit et l'agent Smith entra dans la pièce, toujours avec le même sourire. Isaac se leva aussitôt et dévisagea l'homme qui ce tenait devant lui.

« - Comment allez-vous, Isaac ? Pas trop mal j'espère ? »
« - Comment ... Comment je vais ? » hurla t-il. « - Vous me demandez comment je vais alors que vous me retenez ici comme le pire des criminels ? »
« - Pas comme le pire des criminels, non. Mais vous savez, et je le sais, que vous représentez un danger, pour cette nation, Isaac. Un grave danger. Vous savez également comme moi que c'est notre travail de circonvenir aux problèmes de sécurité nationale, par tous les moyens possibles. »
« - Vous ... je vous ... » fit Isaac en pointant d'un doigt menaçant l'agent Smith.
« - Oh, allez, calmez-vous. Vous pensiez sérieusement qu'on vous laisserai dehors, une fois que nous aurions pris conscience de la menace que vous représentez ? » ironisa l'homme.
« - Je ... vous m'avez trompé. Et puis, j'aime ce pays, j'ai combattu pour lui ! Au nom de Dieu, je n'ai pas mérité un tel traitement ! Je ne représenterais jamais une menace pour ce pays, que j'aime plus que tout ! J'aime sa culture, j'aime son rayonnement, son histoire, son architecture, ses principes ! Comment pourrais-je le menacer ? » hurla Isaac à nouveau.
« - Dommage que vous ne compreniez pas. Vous êtes un vrai patriote, c'est vrai, et votre pays vous remercie pour vos services passés. Mais maintenant, si vous voulez continuer à le servir, il vous faudra rester ici, jusqu'à ce qu'un traitement adéquat vous ôte ces ... dons, ou que vous finissiez par ... et bien disons que partir honorablement, cela ôterait à chacun de nous une lourde épine du pied. »
« - Partir honorablement ? » fit Isaac, consterné et estomaqué par cette conclusion.
« - Oui. À ce propos, j'ai ici une petite fiole. Je vous la laisse, Isaac. Si vous choisissez cette solution, vous serez enterré avec les honneurs militaires. Sinon ... vous pourrirez ici jusqu'à la fin de vos jours. Adieu, Isaac. Faites le bon choix. »

L'agent Smith déposa alors une petite fiole sur la table de la cellule et toquant la porte, sorti sans se retourner. Isaac, effondré et assis sur le bord de sa couchette, resta ainsi pendant de longues heures. Au bout d'un moment, il se tourna vers la petite fiole et la prenant en main, la fixa elle aussi longuement. D'un coup, une fureur d'une rare intensité lui parcouru tous les membres et il hurla sa rage au point de sentir la couchette vibrer légèrement. Sans voix, il se rassit soudain et contempla à nouveau la fiole. Réfléchissant à mille à l'heure, il en vint soudainement à ourdir un plan pour sortir d'ici. Si il faisait semblant d'avaler la fiole de poison, les gardes seraient obligés d'ouvrir la porte et à ce moment là, Isaac n'aurait plus qu'à les désarmer et s'enfuir. Il irait ensuite à Londres, récupérer quelques affaires et de là, pourrait s'enfuir n'importe où dans le monde, pour se protéger et s'éloigner du MI6. Il resta assis pendant encore de longues heures, tout en mûrissant ce plan et petit à petit, toutes les pièces du puzzle s'assemblèrent dans sa tête. Il ne lui restait désormais plus qu'une chose à faire : mettre à exécution son plan.