Deux mois et un jour plus tôt...

Concentré sur la réalisation de son dessin, Zachary semblait également préoccupé. Il ne cessait de lancer de vifs regards à droite à gauche pour être sûr que le tatouage qu'il réalisait ne devienne pas réel. Oui, réel. Car voyez-vous, Zachary est capable de donner vie à ses dessins pour une durée limité. Et il n'avait aucune envie de voir un papillon rose voleter autour de lui. Mais à peine eut-il le temps de donner son dernier coup d'aiguille qu'un petit insecte volant se déplaçait dans les airs. Le papillon de la cliente avait pris vie sans que Zachary ne puisse y faire grand chose. dépité, il donna un coup de revers de main vers l'insecte et posa son matériel. « Et voilà un joli papillon mademoiselle !» Le jeune homme offrit un large sourire à sa cliente tout en continuant son travail comme il se devait et en espérant que le papillon disparaisse le plus rapidement possible. Mais ce stupide dessin vivant continuait de voler à travers la pièce et se posa même sur un des carnets de modèles de Zachary. Heureusement, la cliente repartie sans même remarqué la présence de l'insecte, trop ravie d'avoir enfin son tatouage tant désiré.

Quelques minutes plus tard, Zach s'était mis à discuter avec le papillon. Puisqu'il n'avait plus beaucoup de clients au delà de vingt-heures et qu'il restait encore ouvert pour un bon moment, le tatoueur s'occupait comme il pouvait. « Tu es le dessin le plus tenace que j'ai jamais réalisé jusqu'ici. Je me demande même si tu vas partir un jour. Non, c'est vrai. Après tout, tu es là depuis quoi... quinze minutes ! C'est la première fois que j'arrive à faire ça. À moins que tu sois un vrai papillon. Ce qui m'étonnerait, en fait... parce que tu es vraiment la copie conforme de mon dessin.  » Le papillon passa sous le nez de Zach et vola jusqu'à la porte d'entrée avant de s'évaporer, au même moment où une nouvelle cliente fit son apparition. « Bonsoir. Bienvenue au Dragons Tattoo.» Le jeune homme afficha un nouveau sourire, toujours ravi d'accueillir de potentiels clients. Il ne savait pas pourquoi la charmante jeune femme était entrée dans son salon, si c'était pour un tatouage, un piercing ou un renseignement, mais il était déjà prêt à répondre à toutes ses questions, en bon gars professionnel qu'il était.

La douleur. Impression éphémère ou cicatrice intérieure qui semblait toujours ouverte? Jessica savait que sa propre douleur n'avait rien d'éphémère mais elle s'y était habituée, ce qui était quelque peu malheureux étant donné sa situation. Avoir un conjoint violent n'était pas rare, cependant elle avait les moyens de se défendre. Le faisait-elle? Non. Pourquoi? Parce qu'elle s'y était habituée? Ah ça, non. Elle protégeait son fils, elle veillait à leur sécurité. Si jamais son secret, leur secret, était révélé, tout changerait et Jessica voulait épargner Jude de toute douleur. Il ne méritait pas de souffrir, pas lui. Alors, elle prenait les coups en se disant qu'elle devait rester calme, pour lui. Pourquoi n'allait-elle pas simplement le dénoncer à la police? Cela serait un peu gênant pour elle. Elle vieillissait beaucoup plus lentement que les autres, alors si jamais des empreintes venaient à être prises, ou même une simple prise de sang, et qu'un casier judiciaire sous un autre nom avec la photo d'une personne lui ressemblant trait pour trait dix ans auparavant sortait en guise de résultat, elle aurait beaucoup de mal à se justifier. Quelle vie de merde, la mutation, franchement. C'était censé faciliter la vie des gens, non? Eh bien, pour Jessica, ça la foutait dans une belle galère. Heureusement qu'elle n'était pas si impuissante que ça. Elle avait des ressources, du self-control, une jolie droite pour répliquer à son conjoint qui, étrangement, parvenait encore à se comporter comme un père de temps en temps. Il ne frappait jamais Jessica devant leur fils, c'était l'une de ses rares qualités au moins. Et puis, de toute façon... non, rien. Jessica devait se vider la tête, ce soir. Jude était avec une personne de confiance, et son conjoint... elle n'en savait rien et elle s'en foutait royalement. Ce soir, elle allait s'infliger une autre sorte de douleur, toute aussi forte mais cette fois, c'était pour le plaisir.

Jessica arrangea sa veste en cuir en s'engageant dans une ruelle, évitant les regards braqués sur elle. Elle n'avait pas peur, marchant toujours la tête haute, prête à riposter si jamais on la faisait chier, mais elle n'avait pas envie de perdre son temps. Elle botterait quelques culs une autre fois. C'était bizarre, avec des inconnus elle pouvait rendre les coups sans risquer de révéler son secret, mais avec l'homme qui partageait sa vie, elle était bien trop vulnérable de ce côté-là. Fais chier, pensa-t-elle avant de s'arrêter devant une boutique de tatouages. Oui, vous avez bien lu. Jessica allait se faire tatouer pour la première fois. Elle avait une idée précise de ce qu'elle voulait, c'était inspiré de la chanson Blackbird des Beatles d'ailleurs. Elle espérait simplement que le tatoueur serait doué. Jessica plissa les yeux en lisant le nom de la boutique, Dragons Tattoo. Pas trop mal foutu comme nom. Elle esquissa un léger sourire puis entra dans la boutique avant d'observer l'intérieur des lieux.

Son regard se braqua sur un homme qui était probablement le propriétaire et le tatoueur du coin. Cheveux en bataille, tatouages, lunettes carrées... pas désagréable à regarder, au moins. Jessica se retint de soupirer, elle n'était pas là pour se rincer l'oeil. Elle avança de quelques pas vers le tatoueur, les mains dans les poches, avec un air nonchalant. B'soir... C'est bien vous le tatoueur, non? Oh, qu'est-ce qu'elle pouvait poser des questions cons par moments. Si c'est bien vous, j'espère que vous vous sentez pousser des ailes déjà car mon tatouage va être en rapport avec des oiseaux... je devrais peut-être me la fermer moi. L'humour et Jessica, ça faisait deux. Peut-être qu'elle n'avait pas tellement l'occasion de rire dernièrement. Plus sérieusement, vous prenez les espèces?

Plaçant un stylo entre ses dents, Zachary détailla la jeune femme du regard alors qu'elle lui demandait s'il était bien le tatoueur. Ne sachant pas si c'était une réelle question ou une façon de faire une introduction plutôt originale, le brun eut un petit rire étouffé en l'écoutant poursuivre son monologue. Monologue plutôt amusant en fait. L'inconnue voulait un tatouage ayant un rapport avec les oiseaux. Eh bien, tant qu'il ne s'agissait pas d'un énième personnage Road Runner sur l'épaule, Zachary allait réellement se sentir pousser des ailes. Parce que, en tant qu'artiste, le tatoueur en avait parfois marre de toujours dessiner pareil. Il lui fallait de nouveaux modèles, de nouvelles inspirations, de nouvelles œuvres à recréer. Et surtout, Zachary aimait les défis. S'il pouvait dessiner quelque chose qu'il n'avait encore jamais fait avant, alors, sa journée pourrait très très bien se terminer. Mais peut-être que le tatouage devait se préparer à l'avance. Peut-être que la jeune femme ne le voulait pas pour les minutes, voire heures à venir mais un autre jour. Tout étant que Zachary croisait les doigts pour avoir des détails originaux de la part de la demoiselle.

« Je prends les espèces, oui. » Une petite réponse simple et rapide, puis un nouveau sourire à la jeune femme que Zachary trouvait absolument... charmante. Oui, d'accord, c'était une cliente, mais il pouvait se permettre se genre de réflexions intérieures, non ? « Alors, vous voulez un tatouage en rapport avec les oiseaux ? Vous avez apporté un dessin avec vous ou vous voulez juste que ce soit lié à votre idée et regarder les modèles ?» Au cas où, Zachary sortit l'un de ses catalogues qui rassemblait tous les dessins d'animaux qu'il pouvait recréer en tatouage. « Une autre question. Le tatouage est pour tout de suite ou vous préférez bien réfléchir avant de vous lancer ?» Une nouvelle fois, Zach prit les devants en posant un formulaire à remplir pour être certain que sa cliente était prête à recevoir un dessin permanent sur la peau. « Parce que, une fois que je me lance, on ne peut plus reculer. Ce tatouage, vous l'aurez à vie et il ne doit pas être fait sur un coup de tête...» Cette phrase, il l'a sortait souvent. Après tout, il n'était pas un tatoueur frauduleux qui profitait des gens pour se faire de l'argent.

Oh chouette, elle était tombée sur un petit bavard. Quoique, c'était normal de sa part de poser autant de questions et de s'assurer que Jessica voulait absolument ce tatouage. Le voulait-elle? Ah ça, oui ! Elle plongea sa tête dans son sac puis la releva en sortant un dessin du tatouage qu'elle voulait. Cela lui ferait le tour de l'avant-bras avec des oiseaux en plein vol ainsi que des petites pattes qui suivaient leur trajectoire. Ils semblaient libres, c'était ce à quoi Jessica inspirait, la liberté, simplement. Elle posa le dessin devant le tatoueur puis jeta un coup d'oeil au formulaire qu'elle devait remplir. Elle était tombée sur un professionnel, c'était rassurant. Il assurait ses arrières, comme toute personne sensée le ferait. Jessica feuilleta un des catalogues posés sur le comptoir tout en sortant un stylo de sa poche, peut-être que cela l'inspirait pour un second tatouage. Et voilà. Le premier n'avait même pas été fait qu'elle songeait déjà à en avoir un deuxième, elle était définitivement irrécupérable. Jessica plissa les yeux et réalisa qu'elle avait du mal à lire le formulaire. Et merde. Elle nettoya ses lunettes et les posa sur son nez avant de remplir le papier, tout en jetant quelques coups d'oeil au tatoueur. Définitivement charmant, il n'y avait pas à dire. Cette simple pensée lui fit oublier sa date de naissance, c'était malin. Elle secoua sa tête et remplit entièrement le formulaire avant de le laisser glisser vers le jeune homme d'un air malicieux.

Les coups de tête, ça me connait bien mais cette fois, je suis absolument sûre de moi. Vous pouvez me faire ce tatouage alors? La mutante retira sa veste et la posa dans un coin avant de déboutonner son chemisier pour rester en débardeur. Cela serait plus facile pour le tatoueur de faire son travail si le bras, la zone de travail, était totalement dégagée. Se fichant bien du décolleté de son débardeur, Jessica se préoccupa plus de la somme qu'elle lui devait une fois le travail terminé et sortit quelques billets qu'elle garda dans sa main avant de regarder autour d'elle. Se voyait-il autant que c'était la première fois qu'elle allait se faire tatouer? Peut-être qu'elle ferait bien rire le tatoueur, après tout. Je dois m'installer où, au juste? Sur le comptoir, pile devant lui, en lui arrachant sa chemise blanche... hou là, d'où lui venait ce genre de pensée?! Jessica préféra recompter ses billets au lieu d'observer le tatoueur qui se trouvait à quelques pas d'elle. Ce n'était vraiment pas le moment de fantasmer, de toute façon la douleur procurée par l'aiguille sur sa peau lui ferait tout oublier. Sauf la douleur, bien entendu. La douleur... Jessica se figea un peu en réalisant que ses bleus à l'épaule étaient bien visibles. Se mettre en débardeur n'était définitivement la meilleure décision qu'elle avait prise au cours des derniers mois mais tant pis. Elle garda son sang-froid. Si le tatoueur la trouvait nerveuse, c'était totalement foutu pour le tatouage, il se dirait que ce n'était vraiment qu'un coup de tête. Ah, laissez tomber, j'ai trouvé où je dois m'installer. Jessica s'affala sur une banquette légèrement inclinée, elle pourrait probablement s'endormir dessus. L'aiguille allait la tenir éveillée, au moins. Hm, je suis prête, vous savez. Vous vous appelez comment, au fait? Parce que vous appeler m'sieur le tatoueur durant toute la soirée, ce n'est pas tellement mon trip.