Dorian et Enora sont sur un bateau. Dorian est un mutant. Qui tombe à l'eau ?

Enora gara la moto, à peu près en plein milieu et n’importe comment, sur le parking du garage. On avait bien tenté, un jour, de lui expliquer les principes du rangement en épi, en bataille, du créneau et de la place réservée, mais rien à faire, elle continuait d’ignorer superbement tout ce qu’elle jugeait comme des règles futiles et à se mettre là où elle en avait envie. Heureusement pour les autres usagers, Enora n’avait qu’une moto, et pas un camion-grue.

Ouais. Lançant les clés quelque part dans la poche de son blouson, la mutante contourna une pile de pièces métalliques, en y jetant un regard envieux, comme si par la seule force de son regard qui tue et de sa volonté, elle allait pouvoir reconstruire une voiture avec. Une joueuse ici a trop regardé Transformers.
Avançant encore, Enora pénétra dans le garage, jetant des regards autour d’elle. Les flashs l’envahissaient déjà, images ténues qui l’aveuglaient, comme autant de réalités possibles qui s’entrelaçaient autour d’elle, à peine plus tangibles d’un battement d’ailes de papillon. Fermer les yeux, laisser venir, se raccrocher, attendre, tenir le fil, trouver la bonne. Rejeter ce qui paraissait le plus évident, examiner tous les possibles pour suivre la bonne trame. Et voilà. Elle l’avait. En une fraction de seconde.
Elle rouvrit les yeux. Droite.

« Dorian ! » appela-t-elle en avançant dans la direction où elle était sûre de le trouver.
Et voilà. Il était là, sous une voiture, et l’avait probablement entendue. Elle posa ses fesses sur le capot d’un engin voisin, attendant une réaction.

Enora avait fait la connaissance de Dorian quelques jours à peine après son arrivée à New York. A l’époque, elle avait dix-huit ans, les cheveux roses, et fumait déjà un peu trop. Elle avait deux-trois connaissances en mécanique, de base, de quoi se pointer chez un garagiste et réclamer du boulot. Evidemment, personne n’avait voulu d’elle : une gamine frondeuse, visiblement louche et à peine majeure, qui n’avait pas sa langue dans sa poche, que pouvait-on en faire ? Pourtant, Dorian l’avait embauchée. De quoi être éternellement reconnaissante de base. Et en plus de ça, il s’était révélé être un type bien. Quelqu’un de gentil, de cool, qui ne se prenait pas la tête et qui supportait ses caprices sans sourciller. Ouais. Ca courrait pas les rues.

« Alleeeez » protesta-t-elle en toquant sur la voiture qui abritait son ami. « Sors, maintenant. Promis, j’te mangerai pas. »

Elle débarquait souvent à l’improviste, exigeant que tout s’arrête. Prendre des nouvelles, comme ça. Enora avait abandonné Dorian et le garage après avoir rencontré les filles … tout ça pour livrer des fleurs. Comme une impression de s’être faite avoir, dans l’histoire. Pour compenser, la mutante aimait venir dire bonjour et filer un coup de main à n’importe quelle heure et n’importe quand, avant de traîner son ami dans des bars pour le saouler méthodiquement, et elle avec. Un vrai ami, en sorte. Un vrai ami à qui elle cachait la vérité, en plus, puisqu’en deux ans et demi, elle n’avait jamais avoué la vérité, à savoir : « hé, mec, je suis une mutante. » Ouais. Délicat à sortir, en même temps, vu que rien sur Terre ne laissait présager leur existence. Si ce n’est que les mutants formaient un club fermé très sélect auquel on avait parfois du mal à appartenir.

« En plus, j’ai une grande nouvelle pour toi, » acheva Enora en se regardant les ongles d’un air nonchalant, essayant d’ignorer la vague d’images qui la frappait à nouveau. Elle s’en sortait bien, avec le temps. Visualisant une fraction de seconde avant que Dorian allait enfin pointer le bout de son nez, elle se poussa, histoire qu’il puisse sortir.

Je ne sais pas trop à quoi il pense ses constructeurs français ! Bon ok, leurs voitures sont assurément les moins chère du marché mais alors quand Dorian voyait le bordel qui ce passé la dessous… une chatte n’y retrouverais pas ses petits ! Travail bâclé, fais le plus rapidement possible sans ce soucier de la solidité… bref ! Un travail de français quoi. Poussant un soupir de consternation, le jeune homme s’employait à réparer la panne sans péter un plomb devant ce que le commun des mortels appelait une « voiture ».
Quelques minutes plus tard, un bruit familier raisonna dans le parking de son garage. Sans posséder de pouvoir sensoriel, il était évident qu’Enora venait de débarquer. Il lui suffisait de fermer les yeux pour voir sa moto garer n’importe comment au beau milieu de son parking. Elle avait le permis d’après ce que disait un papier dans son porte feuille… comme quoi hein !

« Dorian ! »

Et voilà, s’était bien sa voix ! Bon surtout ne pas répondre. Si le jeune homme commençait à discuter avec celle qui lui servait de meilleure amie, il savait pertinemment qu’il allait abandonner son travail actuel. Travail qu’il avait bientôt finis de toute façon ! Alors elle pouvait bien patienter quelque secondes avant de lui demander quelque pièces quand même non ?
Je ne parle pas de pièces de monnaies mais de pièces qui lui servait à réparer sa moto. Elle avait travaillé un an au côté de Dorian et voilà qu’elle ce croyait chez elle, à lui demander du matos et tout… Le truc avec Dorian s’est qu’il ne sait pas dire non. A plus forte raison à une amie.

« Alleeeez »

« Sors, maintenant. Promis, j’te mangerai pas. »

Et voilà, toujours aussi pressé ! Laisse lui une seconde le temps de serrer ce vis et de euuuuh… merde ! Du con, ce n’était pas celui là de vis ! Voilà celui là. Et maintenant ! AH on à finis !
Il prit quand même son temps, laissa tomber doucement sa tête contre le sol, profitant des quelques secondes qui lui resté avant de sortir sa tête de la voiture et d’affronter la débordante énergie de la jeune femme.

« En plus, j’ai une grande nouvelle pour toi, »

Sauf que voilà, elle savait les faiblesses du jeune homme est la curiosité était assurément l’un de ses plus grand défaut. Calant ses mains à l’avant de la voiture, il ce tira avec force vers l’avant pour laisser ça tête sortir de sous la voiture, un grand sourire un peux gamin accroché aux lèvres.

S’est une surprise ?

Huuuuum… ouais ça valait le coup que je sortes.

Tu viens encore me piquer des pièces ?

Enora attendit patiemment que son ami daigne sortir de … Comment pouvait-on dire ? De son dessous-de-voiture ? De sa flaque d’huile ? Bref. Peu importait. Il pointa le bout de son nez – littéralement – d’ailleurs il avait un nez charmant – comment ça c’est pas la question ? et la mutante attendit patiemment. En trépignant sur place, évidemment, mais elle commençait à avoir l’habitude, en vingt ans, que tout le monde ne soit pas une pile électrique comme elle.

« C’est une surprise ? » Enora leva les yeux au ciel. Une surprise, ouais. La décision qu’elle avait pris en descendant de sa moto, qui s’était imposée presque naturellement à son esprit, n’était pas le genre de surprise très agréable à laquelle fallait s’attendre. Allez. Autant paraître joyeux. « Sors de là, et tu verraaaas » chantonna-t-elle avec un sourire goguenard. Elle fit le tour de la voiture le temps qu’il sorte, pour se retrouver debout.
« Huuum … Ouais, ça valait le coup que je sorte. » Elle lui balança un coup tout mou dans le bras, plus pour la forme que pour vraiment protester vu que concrètement, elle faisait moins d’un mètre soixante-dix et lui plus d’un quatre-vingt dix et que par conséquent, elle avait autant de force qu’un moucheron sur une baleine. « Profites-en, veinard, c’est pas tous les jours que je suis aussi élégante. » Ouais. Ou alors pas. Elle n’était pas particulièrement hideuse, mais avait depuis longtemps cessé de compter sur les vêtements de soirée.

La mutante vit évidemment le calin-de-camboui arriver une fraction de seconde avant, et d’un air navré, se laissa étreindre, songeant que peut-être, c’était la dernière fois qu’ils se disaient bonjour de la sorte. Elle retint de justesse un « Mec, t’auras droit à des câlins quand tu seras propre » et se contenta d’un nez froncé. Merde. C’était plus dur qu’elle ne le pensait.
Pourtant, ça n’était pas comme si elle avait le choix. Elle tenait bien trop à Dorian pour lui cacher la vérité encore longtemps. Déjà, deux ans, elle se sentait coupable … Enora n’était pas partisane du « je n’ai pas voulu te dire la vérité pour ne pas perdre ton amitié. » Elle avait fini par réussir à se convaincre que si ses amis étaient vraiment ses amis, ils continueraient de l’aimer, même en sachant qu’elle était une vilaine mutante. Ouais. Comme son père, qui l’avait envoyée sur un autre continent quand il avait compris. Qui prétendait l’aimer, la plupart du temps, et semblait si mal à l’aise. Comme si une gamine traumatisée de onze ans n’avait pas juste besoin qu’on la serre dans ses bras en disant que tout allait bien se passer.
Putain de théorie. En vérité, si Dorian prenait peur – et il allait prendre peur, elle ne se faisait aucune illusion là-dessus – elle espérait juste qu’il ne déciderait pas brusquement que jamais plus il ne la laisserait mettre un pied dans son garage et qu’elle devait sortir de sa vie, une bonne fois pour toutes. Si c’était ça, qu’il aille se faire foutre, et allègrement. Elle n’avait de comptes à rendre à personne pour ce qu’elle était et … comment ça, pas crédible ?

Elle se dandina d’un pied sur l’autre, mal à l’aise, quand Dorian recommença à parler. « Tu viens encore me piquer des pièces ? »
Si seulement. Elle avait l’impression de lui annoncer une deuxième fois qu’elle le laissait tomber. Alleeeeez ! cria la vraie Enora, enfouie sous la niaise au fond de son cerveau. Bouge tes fesses, crache le morceau, qu’on en finisse ! « Non, pas cette fois. » Bingo. Allez, un mot après l’autre, et puis on y allait avec tact … Ou pas. « Ouais, non, en fait, j’ai vraiment un truc important à te dire, pour une fois. Le genre intelligent, tu vois. »