Avoir enfin la permission pour sortir de l’hôpital, ça avait été quelque chose. Le dire à James, ça en serait une autre. Mais le blond n’était pas là. Ou du moins n’était pas disponible. Pas cette fois. Et au fond, ça l’arrangeait. Il avait l’impression de lui en demander beaucoup trop. Depuis le début, en fait. Depuis des années, il lui en demandait trop. Aussi s’était-il décidé de ne pas lui en parler. Il lui en voudrait. Il le bouderait sans doute un peu. Mais le brun se montrait sage… Il n’avait pas bronché en écoutant les recommandations d’une infirmière. Il n’avait pas bougé non plus sous sa dernière injection question d’engourdir encore la douleur que lui provoquaient inévitablement ses blessures en voie de guérison. Il avait appelé un taxi plutôt que de faire l’imbécile et de partir à pied, par orgueil, ou pire, d’aller chercher sa moto. Il avait appelé un taxi et il avait pris la direction de l’appartement du policier, du moins son immeuble. Chose à laquelle il n’avait d’ailleurs pas pensé. On lui avait prêté une canne ne serait-ce que pour lui permettre de ne pas déposer son poids complet sur sa jambe blessée et pour lui éviter de foutre le camp par terre à bout de force en raison de ce qu’on lui donnait encore.

Dans le taxi, il n’avait fait que fermer les paupières quelques secondes, laissé s’évanouir la tension et s’était endormis, là, comme ça. Ça ne lui arrivait jamais. Ça ne s’était jamais produit. Il ne s’était jamais endormi autre part que chez lui. Et encore, même chez lui il avait toujours eu du mal à fermer l’œil. Et le voilà qui s’endormait bêtement dans un véhicule conduit pas un pur inconnu. Ou était-ce seulement du à tout ce qu’on lui donnait pour le ‘’droguer’’ ou était-ce du à la tension des dernières semaines qui venait de le lâcher, soudainement. Ou peut-être un mélange de tout ceci à la fois. Il ne s’éveilla que lorsque la voix du conducteur le lui obligea. Il lui lança un regard inquiet, momentanément, avant de lui dire combien il lui devait… Le brun fouilla dans ses poches et lui tendit l’argent, après quoi il sortit, tant bien que mal, pour récupérer son sac dans le coffre et observer le taxi s’éloigner dans le vacarme de la ville. Il observa un moment l’endroit, se passa une main dans le visage, et se traina plus qu’il ne marcha, vers l’ascenseur. Tout lui semblait pénible. Respirer était en soit un acte douloureux. Sans parler du moindre effort… la moindre pente, la moindre marche le torturait. Il aurait pu demander de l’aide. Et c’est sans doute ce que lui reprocherait le blond. Mais il était aussi têtu et sourd aux recommandations qu’une pierre.

Son cerveau semblant fonctionner au ralenti, il dû mettre une bonne minute à se décider à appuyer sur le numéro de l’étage. Après quoi il songea qu’il n’avait pas les clés de l’appartement… et lorsqu’il atteignit l’étage, il se souvint que James lui ait parlé, vaguement, de son neveu qui dormait là. Non pas que ça lui faisait quelque chose de particulier, mais il n’était pas certain que le gamin se plaise à le voir débarquer, comme ça, à l’improviste, et il n’était pas certain, encore, que James ait seulement abordé le sujet de son ‘’compagnon’’ avec l’adolescent. Angoisse momentané, il songea à rebrousser chemin, mais l’étourdissement soudain, comme une drôle de coïncidence, l’obligea à aller de l’avant, plutôt. Il longea un moment qui lui paru une éternité le couloir pour atteindre la porte devant laquelle il se planta, s’appuyant sur la canne, avant de daigner frapper un peu agressivement, ou était-ce du moins l’impression qu’il devait laisser paraitre, bien que ce n’était pas son intention première. L’envie de s’asseoir, sans doute, pour calmer le tiraillement des blessures dissimulées le rendait sans doute plus agressif qu’il ne l’était vraiment. Ou était-ce de l’épuisement, ou de l’anxiété. Un beau mélange explosif, pour ceux qui ne prenaient pas garde, finalement. Bien que depuis sa séance à l’hôpital, il se révélait beaucoup moins colérique.

—Thomas… Toad? Tim? …. Ouvre cette porte!... s’il te plait!

Il avait, par impatience, laissé tombé la recherche du prénom dont il semblait avoir oublié quel il était exactement et… miraculeusement, avait aussi mis de côté son caractère autoritaire qui ne donne pas franchement envie qu’on désobéisse pour imposer un brin de bonne volonté… ou simplement de politesse à laquelle il n’était pas trop attaché, d’ordinaire.

La porte s'était ouverte sur la petite tête brune au moment où il s'était redressé, malgré l'impression de fatigue perpétuelle qui détonnait étrangement sur son physique habituel. Sa carrure imposante avait cédé quelque temps sa place à quelque chose de moins vivant, de plus atterrer, de plus dépressif, peut-être, lorsqu'on y regardait mieux. On aurait dit un vétéran, l'air plus vieux, plus décomposé, arrivant tout droit du front, cauchemar dans les yeux, horreur dans la tête. Lorsque la porte s'était ouverte sur l'adolescent et qu'il l'avait observé, il avait eu envie de fuir sans rien dire. Il avait eut envie de faire demi-tour et ne plus revenir. Par honte, peut-être. Parce que ce n'était pas le genre de situation qui lui plaisait. Parce que si James avait été là, peut-être aurait-il céder. Mais il se contenta d'appuyer son épaule anciennement meurtrie contre le cadre de porte.

—Tu ne me connais pas... C'est un peu gênant, soupira-t-il, d'abord dans l'hésitation de dire quoi que ce soit d'autre. Peut-être un «je reviendrai plus tard.» qui ne franchit jamais le rebord de ses lèvres gercées.

—Je pensais que James aurait eut la bonne idée d'en parler, au moins. Je suis Jayden. Je suis le... le, enfin.

Il se serrait sans doute foutu une baffe lui-même devant sa propre maladresse. C'était quelque chose qu'il ne mentionnait jamais ouvertement. Une faiblesse de sa part? Une imbécilité accrue? James était bien plus doué que lui pour exprimer ses sentiments. Le seul véritable sentiment qu'il semblait apte à exprimer, lui, était la colère grondante et dévorante qui avait faillit le tuer. Colère folle. Colère silencieuse, à présent, mais qui veillait sur ses rêves, sur ses nuits, sur ses jours. Une colère toute différente de celle qui l'avait habitée jusqu'à maintenant. Elle était contre lui-même, contre le monde, contre tout. Il n'osait penser à demain. Il n'osait s'imaginer ce que l'avenir lui apporterait comme lot. Mais une chose était certaine; rien ne serait plus comme avant. Ni lui, ni eux. Imaginer qu'il ne pourrait peut-être même plus courir à en perdre l'haleine le rendait fou de rage. Était-il condamné à resté cloitré ici, dans cet appartement? Cette idée l'angoissait. Il secoua finalement la tête. Ce n'était pas le moment...

—Je reviendrai plus tard, peut-être que c'est mieux. Enfin, quand il sera là...

L'idée que James pèterait un câble s'il ne le trouvait ni à l'hôpital ni à l'appartement lui donnait presque envie de rire de sarcasme. Il s'inquiétait beaucoup trop pour lui. Jayden s'était toujours débrouillé seul jusqu'à maintenant et le blond se comportait avec lui comme s'il avait peur de le voir disparaitre complètement. Mais peut-être que c'était aussi ce que le brun craigne: que ses propres pensées négatives n'influence trop les pensées et l'existence même du policier. C'est exactement, après tout, ce qu'il avait fait la première fois: lui épargner une souffrance en lui en créant une autre, plus temporaire, du moins était-ce ce qu'il avait cru, à l'époque. En croyant que le policier l'oublierait comme on oublie un ami d'enfance. Sauf que rien ne s'était produit comme il l'avait espéré.