♣ Lundi, temps maussade, 1185 Corner Street

Une seconde journée dans cet appartement miteux n'était pas spécialement des plus vivifiant. Les murs décrépis n'avaient même pas la prétention de dissimuler les sons de l'extérieur et le jeune homme pouvait parfaitement entendre la dispute -qui vraisemblablement était quotidienne- des voisins. Un coup d'oeil distrait par la fenêtre et Nathanael aperçut une voiture de police lancée à toute allure à la poursuite de Dieu-savait-qui. Et cela ne le préoccupait on ne peut moins. L'américain glissa une main dans ses cheveux aux mèches éparses et s'approcha du miroir au teint arraché sur l'ensemble du pourtour. Un bref regard sur son reflet suffit à lui faire détourner les yeux. Un visage émacié, masque de fatigue et de découragement. Sur le seul meuble de la pièce, une photo aux couleurs délavées sur laquelle on pouvait voir le visage rayonnant d'une jeune femme. Celle qu'il avait aimé.
Nathanael porta à son visage ses mains et resta ainsi un moment, debout, en silence. Son reflet renvoyé sa silhouette élancée, ses muscles saillants supportant ses larges épaules, le torse nu reflétant une partie de la lumière provenant de la fenêtre. Le jeune homme laissa la colère s'emparer de lui et il frappa du poing le mur le plus proche de lui. Mais au lieu du bruit sourd du choc de son poing contre le torchis de la cloison, il y eut un "splotch" distinct et de nombreuses gouttes couleur mur sale éclaboussèrent le sol et le torse du mutant. C'était sa malédiction. Ce qui l'avait obligé à fuir Seattle et à vivre comme un reclus depuis. A son contact, la réalité elle même devenait distordue. Toutes les caractéristiques physiques de tout ce qu'il pouvait toucher disparaissait comme pour être réécrite par un Dali en manque d'inspiration. L'eau devenait élastique sans être liquide, la gravité se décuplait sous ses pas et l'air autour de lui devenait aussi compact que du béton. D'une part, il était chanceux de ne pouvoir être affecté par sa propre mutation, mais d'autre part...

"Il n'avait jamais été aussi heureux, le regard plongé dans celui de celle qu'il aimait. Sa robe blanche lui seyait parfaitement, soulignant son corps parfait. Il sourit innocemment et glissa sa main contre son bras. Mais tout dérapa. Il entendit le hurlement de la jeune femme avant de même le comprendre. Et c'est alors qu'il les vit. D'étranges petites bulles couleur de chaire et de sang, puis blanc os. Elles s'envolaient toutes en un ballet morbide, quittant le corps de la jeune femme et emportant toujours plus avec leur danse de chaire et d'os de son bras."

Nathanael secoua sa tête dans un frisson d'effroi. L'image du bras de sa fiancée se décomposer en gaz, s'envoler définitivement... C'était pour lui le cauchemar éveillé dont il ne pouvait fuir. Ses yeux gris terne fixèrent une dernière fois la fenêtre et le décor perceptible à l'extérieur. Son jean avait de nouveau fondu. Il lui fallait de nouveau quitter son appartement pour acheter de quoi se vêtir.
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