Et entre Socrate et Hegel, Lullaby prenait elle aussi une pause. Elle aimait étudier, il n'y avait pas à dire, mais parfois, l'université lui pesait. Surtout les garçons, en réalité. Ils étaient tous en train de se sentir adultes et mâles, et les hormones lui donnaient des boutons, c'était bien connu. Alors, à l'heure de la pause, quand Daphné n'avait pas cours, ce qui était le cas aujourd'hui, elle partait pour manger tranquillement, en tête à tête avec elle-même, et avec un certain livre traitant de philosophes, de leur vie, tout ça. Ouvrage très intéressant, si elle faisait bien sûr abstraction des souvenirs qui allaient avec. Mais faire abstraction était une des spécialités de la jeune femme, donc il n'y avait pas le moindre souci. Elle procédait comme si elle faisait une thèse sur Freud, en se demandant cependant avec qui elle allait bien pouvoir la partager. Soupirant, elle but une gorgée de cola à sa bouteille en verre. Elle était légèrement accro à cette boisson, un peu comme au café. Elle soupira, et mordit dans son « burger », puisque tel était le nom de ces tranches de pain avec un steak et d'autres trucs à l'intérieur. Dont du fromage. Elle adorait le fromage. Chacun ses vices. Croisant les jambes, elle cherchait le passage où elle s'était arrêtée du but du doigt, quand soudain :

Salut beauté, je peux me joindre à toi ?

Elle sursauta violemment, ne s'y attendant absolument pas, et failli renverser son cola sur son livre, mais le rattrapa in extremis. Depuis quelques événements récents, elle était sans cesse sur les nerfs, sur le qui vive, prête à bondir et fuir au moindre instant. Mais son moment d'inquiétude fut de très faible durée car elle reconnut rapidement le propriétaire de la voix, à savoir, Dorian, qui venait s'asseoir en face d'elle. Se reprenant, elle secoua la tête :

Dorian … qui d'autre pour me murmurer ce genre de truc à l'oreille ?

Oui, hein, qui d'autre ? Personne, personne. Doucement, elle ferma le livre alors qu'il prenait place en face d'elle, finalement reconnaissante de s'être pointé, le tête à tête avec ce bouquin n'était peut-être pas une si bonne idée que ça. Au moins, elle allait avoir de la conversation.

ça pour une coïncidence… je ne pensais pas te voir là ! T’as l’air en forme…
Pourquoi, tu pensais que je ne mangeais pas ?

N'importe quoi ? Ouais, c'était un peu ça, leur relation, mais franchement, ça lui plaisait plutôt. Dorian était … rafraîchissant. On pouvait le formuler comme ça. Un peu taquine, elle visa les taches de cambouis encore visible ça et là sur les vêtements et la peau de son ami :

Quelle élégance dis moi … T'aurais pas oublié de te passer un coup de propre avant de rejoindre le monde civilisé ?

Sur ses bonnes paroles, elle mordit dans son burger. Pas oublier le plus important, esta dire l'estomac !

Son tapotement compatissant sur l'épaule lui fit lever gentiment les yeux au ciel. Dorian était adorable, mais, comme les filles, il pensait que son célibat forcé était une bêtise. Mais elle lui pardonnait plus facilement qu'à elles, car lui n'en connaissait pas la véritable raison. Il faudrait qu'elle essaye, tiens, un jour, alors qu'il déplorait qu'ils n'aient aucun rapport sexuel, ou qu'elle ne se lance pas avec ce mec, là, si sa tête à lui ne lui allait pas « ben, faut voir, le dernier, je l'ai noyé sans même le toucher parce que lui voulait me toucher un peu trop un peu pas comme je voulais … tenté par la mort ou par la perspective de dissimuler un cadavre ? ». ça pourrait faire effet. Bizarre qu'elle plaisante là-dessus ? Elle le faisait intérieurement … Mieux valait en rire qu'en pleurer, non ? Bref, elle penserait à briser l'air gouailleur de son ami plus tard, maintenant, elle en avait envie, elle en avait besoin (de son humour, hein, pas d'autre chose).

Si mais pas en public... loin des mâles et de leurs hormones quoi. Histoire d'éviter des choses comme... ça, si tu vois ce que je veux dire.

Et elle vit très rapidement où il voulait en venir alors que son pied remontait lentement le long de sa jambe, qui fut parcourue d'un frisson, réaction naturelle et épidermique, ce n'était pas comme si elle en avait l'habitude, en plus. Décroisant les jambes pour se soustraire au pied baladeur , elle en profita pour lui donner un faible coup. Faible parce qu'elle ne voulait pas lui faire mal, et de toutes les manières, comparez leurs gabarits …

Je vois exactement ce que tu veux dire. Mais ça fait partie du jeu, sinon, je m'enfermerais dans un couvent. Mais je crois que je n'aimerais pas vraiment la robe.

Il était vrai que ça aurait été une solution, mais rester enfermée toute sa vie, pour une foi qu'elle n'avait même pas ne lui semblait pas envisageable. D'une part, elle ne s'en sentait pas capable, et d'autre part, elle se sentirait en faute par rapport aux autres femmes. Oui, elle y avait pensé, que croyez-vous ? Son problème était réel, et elle ne se voilait pas la face. Les filles pensaient que s'entraîner le lui ferait maîtriser. Mais les risques … Ah, chut, ne pas penser aussi sérieusement, pas maintenant, pas avec lui en face.

Je me disais que j'étais susceptible de rencontrer une fille pouvant m'accorder un coup de main à ce sujet... J'ai toujours du mal à me frotter au milieu du dos... juste là...
Je vois … Tu veux dire du style « ooooh mais tu es bien sale … et le cambouis, ça m'excite drôlement ?
J'ai une douche dans mon garage si tu te sens disposée à m'aider.
Mais bien sûr … Les douches, c'est ma spécialité en plus, tu ne serais pas déçu ...

Oui, elle blaguait de la même manière que lui, juste en auto dérision, après tout, ça ne ferait de mal à personne. Et pas à elle, ça lui enlevait cette étiquette de « coincée du cul » juste parce qu'elle ne s'envoyait pas tous les mecs qui passaient. Oh, elle ne donnait pas sa part aux chiens pour l'esprit pervers et les blagues de cul, il ne fallait pas croire. Bref, elle mordit dans son burger alors qu'il sortait une des énormités dont il avait le secret:

Tu sais… je persiste à penser qu’on devrait coucher ensemble. Je suis beau… tu es… belle. On est visiblement fais l’un pour l’autre ! Dans quelques temps on ce donnerais des surnoms à l’eau de rose… pas ceux d’animaux en ce qui me concerne.
Je ne saisis pas ta logique … Tu couches avec toutes les filles que tu trouves belles ? Et je devrais coucher avec tous les hommes que je trouve beau ? Ce que tu dis n'a pas de sens, mon lapinou d'amour …

Elle éclata de rire, jusqu'à ce qu'il lui mette son repas sous le nez avec une allusion à faire rougir n'importe quelle bonne soeur :

Tu veux gouter ma saucisse ?
Tu veux vraiment que je morde dedans ?

Un sourire de style jeblaguemaispastantqueça lui fut servit en plus alors que Lulla mordait à belles dents dans son sandwich du futur, à ce qu'on disait. Elle finit par soupirer, penchant la tête sur le côté :

Pourquoi tu te trouves pas une fille, avec ton bagout et ton envie visible de t'envoyer en l'air rapidement ? Ça doit être simple pour toi, non ?

Si c'était simple pour elle … elle n'hésiterait sans doute pas longtemps.